jeudi 24 janvier 2013

Rencontres


34°39.215S 54°08.581W
La Paloma, Uruguay.

Voilà deux semaines que La Boiteuse se repose le long du quai du port de La Paloma. Deux semaines qu’elle tire sur ses amarres, montant et descendant au rythme des marées. Pour un peu on pourrait la croire impatiente de reprendre la mer.
Les nombreux promeneurs qui arpentent le ponton ne cessent de l’admirer, et de lui faire des compliments. Parfois même un pêcheur lui offre son bas de ligne en guise de pendant d’oreille. J’en ai retrouvé trois depuis notre arrivée, accrochés dans les aussières ou les filières.
C’est bien aimable de leur part, mais franchement elle n’a pas besoin de ça pour être belle tellement elle rutile ! Son pont et son cockpit sont impeccablement rangés. Quant à son intérieur, il dégage une chaleur de bon aloi sous ces latitudes (même en été il caille dans c’pays !). Zoë dit qu’elle est cosy, et je crois qu’elle a bien raison.

Ici, la pêche à la ligne est une histoire de famille
En fait, c’est grâce à elle, Zoë, si La Boiteuse n’a jamais été aussi belle depuis la France... Je sais bien que cela fait un peu cliché de dire ça, mais une présence féminine à bord ça vous change un bateau ! Et pas en mal, ajouterais-je.
Le plus drôle, c’est que moi qui étais jusqu’alors négligeant et plutôt paresseux en ce qui concerne le ménage, je me suis transformé en une fée du logis légèrement maniaque. Et je vous avoue que je ne sais pas trop comment analyser ce revirement.
La seule chose que je puis dire, c’est qu’un bateau rangé et propre permet de recevoir sans honte de la visite. Et ça tombe plutôt bien puisque ces derniers jours ont été propices aux rencontres.


Vue du haut du phare de La Paloma
La semaine dernière nous avons fait la connaissance d’un couple uruguayen, Sara et Jorge, qui ont eu la gentillesse de nous servir de guide et de nous faire découvrir la lagune de Rocha. Chemin faisant, nous avons pu avoir un bref aperçu de l’intérieur des terres, et comment vous dire... Wahou !
Imaginez des pâturages à perte de vue, où s’ébattent vaches et chevaux. De vastes lagunes d’eau douce où nichent un nombre incalculable d’oiseaux, des petites combes abritant des petites maisons de bois au charme bucolique, des forêts de pins et d’eucalyptus...
Autant la côte a un petit air de ressemblance avec le sud de la France, autant l’intérieur ne ressemble qu’à ce qu’il est... La pampa. Et croyez-moi si je vous dis que la pampa c’est probablement un des plus beaux paysages que j’ai jamais eu le loisir d’admirer. C’est réellement magnifique. C’est tout à fait le genre de coin où vous vous surprenez brièvement à imaginer abandonner la vie de nomade des mers pour goûter la douceur d’un cottage, et vous transformer en éleveur.

Caminou Miaou, un lointain cousin de la Boiteuse
Pour continuer dans le registre des rencontres, j’ai eu le plaisir de découvrir au bord de la route qui conduit à la ville, un camion immatriculé en Haute-Savoie ! Oui M’sieurs-dames ! Il s’agit d’ une jeune famille récemment débarquée d’un cargo avec leur Volvo FM7 transformé en maison sur roues. Damien, Marie et leur fils Ecco sont partis de France avec l’intention d’entreprendre un voyage de deux ans aux Amériques, mais je gage que cela durera certainement plus longtemps...



Une gueule de baroudeur ce Marty !
De même, depuis mon arrivée un bateau m’intriguait par son allure peu commune (de celle qui fait les vrais aventuriers), et par son nom à la référence culturelle certaine : Le Marty McFly. Son capitaine Hugues vient d’arriver de Suisse avec son cousin Thomas, après avoir laissé son bateau quatre mois à La Paloma, et nous avons tout de suite sympathisé. Outre le plaisir que procure l’entraide et la solidarité entre baroudeurs, je vous avoue que parler français après presque trois semaines à jongler entre l’espagnol et l’anglais (quand ce n’est pas les deux en même temps lorsqu’il s’agit de faire le traducteur pour Zoë !), a été comme une bouffée d’oxygène. C’est bizarre, je ne pensais pas que ma langue maternelle me manquerait tant que ça...

Mais bon, trêve de bavardage. Vous devez commencer à trouver ce texte un peu long et être impatient de savoir quels sont nos plans pour les jours à venir. Pour l’instant une perturbation venue du Sud nous empêche de rallier Piriapolis. Techniquement, elle n’est pas si gênante pour qui veut faire route vers l’ouest, mais je préfère tout de même attendre qu’elle passe avant de nous lancer dans notre première navigation en tandem.
Il ne s’agirait pas de dégoûter à tout jamais ma nouvelle coéquipière, n’est-ce pas ?

Surf-shop

Il est... Deux heures moins le quart !

Heu...

C'est haut !

Jorge et son maté

C'est par où qu'on va ensuite ?

Wahou...

Kite-man

Un petit air de Provence

Forêt d'eucalyptus

vendredi 18 janvier 2013

Breakfast in America


34°39.215S 54°08.581W
La Paloma, Uruguay.

Il est tout juste cinq heures du matin, et Touline est au pied de la couchette, roucoulant impatiemment. Oui, Touline ne miaule pas, elle roucoule, c’est comme ça. Cela fait quelques minutes que je gigote sous ma couette, et la chatte entend bien que certaines traditions continuent à être respectées. Peu importe si son maître s’est couché tard, peu importe s’il ne fait plus de sieste, mais cinq du mat’ c’est cinq du mat’, et c’est l’heure pour lui de se lever.
J’essaye de m’extirper de la couchette sans déranger Zoë qui dort encore. Mon regard s’attarde sur un sein nu... Pendant quelques secondes je suis tenté d’y poser mes lèvres, mais l’envie d’une cigarette et de ma première tasse de café est plus forte. En plus, j’ai envie de pisser.

La vie à deux demande certains aménagements. J’en conviens et vous aussi probablement. Mais ces quelques minutes juste avant le lever du soleil, elles sont à moi, rien qu’à moi. Je les savoure avec gourmandise, comme un enfant sa tétine. C’est l’heure où mes pensées s’organisent, en même temps que j’évacue les dernières brumes de sommeil.
Puis, une fois que j’ai fini ma deuxième tasse de café, je peux m’asseoir à la table du carré, et tenter d’écrire en écoutant le podcast de la matinale de France Inter enregistré la veille.
Il est bizarre ce carré... Y’a rien qui dépasse. Tout est tellement bien rangé, que finalement je ne retrouve plus rien. Elle est où ma pipe ? Ah, la voilà !

Pas facile d’écrire ces temps-ci... Non pas que je n’ai rien à dire, mais c’est plutôt le ton et l’autocensure qui posent problème. C’est que mes diatribes et mes délires ne m’impliquent plus moi seul désormais. Je dois faire un peu attention à ce que je raconte. Oui, je crois qu’on peut dire qu’en matière « littéraire », je ne suis plus aussi libre qu’avant. Mais en même temps ce n’est pas si grave... Je m’en tape un peu et je suis sûr que vous aussi.

Sept heures, le soleil est haut maintenant et commence à réchauffer le béton du ponton. C’est l’heure de la vaisselle. C’est fou comme je peux faire comme vaisselle... Et le plus drôle, dans le sens de bizarre, c’est que j’y prends un grand plaisir ! En plus, ma mère avait raison, c’est quand même plus facile si on la fait tous les jours... Y’en a moins et on a moins à gratter. 

Huit heures, j’en profite pour aller faire un tour du côté des toilettes et pour m’arrêter auprès du bureau du port pour capter le wifi. Je réponds à vos commentaires, et je prends les dernières nouvelles de France. Tien, il y a de plus en plus de cons on dirait.

A mon retour je peux attaquer la préparation du petit déjeuner. Là, franchement, on touche au surréalisme. Moi qui n’ai jamais pu rien avaler le matin, me voilà en train de faire griller des toasts pendant que du vrai café coule dans la cafetière !
Pendant que le pain rissole dans la poêle, je dispose la table avec un semblant de sens artistique. Les toasts, le beurre demi-sel, la confiture de Butià, le Dulce de leche, le nectar de poire, la bouteille de lait, les yaourts, les fruits, le fromage et, hérésie suprême, le beurre de cacahuète. Sans oublier le bouquet de fleurs qui va bien, bien entendu.
Tien, et si je faisais une omelette ce matin ? Non, ça ira bien comme ça... L’omelette ce sera pour demain. J’y mettrais des morceaux de jambon et du fromage. Et peut-être que je préparerais aussi quelques concombres avec une sauce à la crème...

Neuf heures du matin, tout est prêt et le bateau embaume le café français. C’est l’heure de réveiller la Dame. C’est qu’on a pas mal de choses à faire aujourd’hui mine de rien. J’aimerais bien passer par le centre culturel et voir si je trouve quelqu’un pour m’expliquer un peu mieux cette histoire d’eucalyptus et d’industrie papetière... C’est pas très clair tout ça. Et puis on va devoir passer par le supermarché, car le frigo se vide et on va manquer de tomates. J’ai envie de préparer quelques haricots verts pour le dîner de ce soir.

Encore une belle journée qui commence, voilà ce que je me dis alors que cette fois-ci je pose mes lèvres sur son sein. Zoë remue un peu, dévoilant ce qui reste de sa poitrine. Elle me sourit, marmonne un maladroit bonjour en français et m’embrasse... Finalement, le petit déjeuner attendra bien un peu.

lundi 14 janvier 2013

Lune de miel

34°39.215S 54°08.581W
La Paloma, Uruguay.

Bienvenido a La Paloma
En premier lieu, je crois que quelques excuses s’imposent. Donc, chers amis, je vous prie de m’excuser pour vous avoir laissé choir pendant aussi longtemps. En même temps je dis ça mais je sais très bien que vous allez comprendre et me pardonner. En plus, je ne me sens pas vraiment coupable, alors tout ceci ne sert pas vraiment à grand-chose. Mais bon, on va dire que j’ai le respect des convenances ainsi que de mes lecteurs.

Voilà donc un peu plus d’une semaine que je suis arrivé à La Paloma en Uruguay, et le moins que l’on puisse dire est que je suis tombé sous le charme de cet endroit. Pourtant, au premier regard le port de La Paloma n’a rien de bien exceptionnel ni de remarquable. Une jetée en béton où se répartissent de part et d’autre, bateau de pêche et voiliers. Quelques bâtiments quasi déserts, aucun arbre, l’endroit aurait franchement de quoi rebuter si l’on s’essayait à vouloir le comparer à la marina de Rio Grande par exemple.
D'ailleurs, ce n’est pas une marina, c’est un port, et c’est sans doute ça qui lui donne cette ambiance si particulière. Un port qui peut-être un jour eut ses heures de gloire, mais qui à présent semble endormi. Un port où la simplicité des installations va de paire avec la gentillesse de l’accueil.

Un quai tout simple...
Quant à la ville, le voyageur inattentif pourrait se méprendre et la considérer comme une banale station balnéaire... Mais il aurait tort, croyez-moi. Et je sais de quoi je parle quand je dis ça, car j’ai fait la même erreur en arrivant. La Paloma, c’est beaucoup plus qu’une station balnéaire. La Paloma c’est le résultat d’un rêve, d’une utopie.
Imaginez une bande de notables des années trente qui décident un jour d’offrir à leur pays son premier lieu de villégiature ouvert sur l’océan Atlantique, le tout dans un esprit d’élévation des masses
En quelques années, une ville nouvelle a surgi de terre et attire maintenant un tourisme populaire et familial. Drainant en même temps tout ce que l’Uruguay peut avoir comme camping-cars et comme routards.

Avec de grosses bébêtes !
Mais il n’est pas forcément nécessaire de se plonger dans l’histoire de l’Uruguay (même si cela est toujours utile de le faire), pour apprécier La Paloma. Il suffit de s’y promener, et l’on sent immédiatement derrière l’effervescence estivale, une espèce de nonchalance tout uruguayenne.
Le soir venu, les promeneurs sillonnent l’avenida à pas mesurés, s’attardant devant les échoppes artisanales, et les nombreux spectacles d’acrobatie, de clowns, ou de marionnettes que de jeunes chevelus proposent. Les bars et les restaurants sont ouverts quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais sans que l’on ressente pour autant une animation tapageuse ou un mercantilisme indécent... No stress semble être la devise des lieux, et c’est très facile d’y souscrire !
Quant à la gentillesse des gens, je crois finalement que ce n’est même plus la peine d’en parler tant elle semble inscrite dans le patrimoine génétique sud-américain.

Un nid douillet
Personnellement, je ne me lasse pas d’observer les pêcheurs qui viennent en famille taquiner le poisson sur le ponton où est amarrée la Boiteuse. La plupart des messieurs ont la bomba de maté à la main et la bouteille thermo sous le bras, ce qui les rend manchots pour toute autre activité (l’interdiction de boire le maté pour les chauffeurs de bus n’est que très récente !). Les dames elles aussi sirotent leur maté, assises sur des pliants, et ne dédaignent pas se saisir de la canne. La plus heureuse est encore Touline ! Depuis notre arrivé, Mademoiselle passe ses journées à rôder autour des pêcheurs à la ligne, s’ingéniant à vouloir piquer leur prises à peine le poisson sorti de l’eau ! Heureusement pour elle, elle est devenue la coqueluche du ponton, et se fait offrir plus de fritures qu’elle ne peut en avaler.

Pour l’heure, la Boiteuse et son équipage se complaisent dans l’esprit de la Paloma, et il n’est pas question de bouger. Nous profitons du temps qui passe, de cette nonchalance dont je vous ai parlé, et du bonheur d’être deux (Pardon Touline, je voulais dire trois !). Mais d’ici quelques jours (semaines ?) nous continuerons notre route vers l’est, vers Punta del Est, Piriapolis et Montevideo. Grosso modo, nous avons l’intention d’être dans la capitale pour assister au carnaval à la mi-février. Mais d’ici là...

Sinon, je suis sûr que vous vous demandez comment ça se passe entre le vieux solitaire que je suis et sa nouvelle coéquipière. Non, ne protestez pas, je sais très bien que c’est la question que vous vous posez depuis le début de ce texte et que vous attendez impatiemment que je lâche quelques infos, bande d’hypocrites que vous êtes !
Et bien, comment dire... Imaginez que vous ayez un jour rêvé le meilleur. Que vous ayez imaginé la plus belle façon dont une rencontre puisse se passer et que, au final, les choses se passent encore mieux que dans vos rêves les plus fous. Voilà comment ça se passe.
Je vis, nous vivons, la plus belle des histoires. Le genre d’histoire où il est naturel de faire des projets, comme si cela coulait de source... Bref, on est heureux !

Allez, pour finir, restons dans le domaine des convenances : Zoë, Touline et moi-même, nous vous souhaitons à tous une très bonne année 2013 !

(Hi! I’m Zoë Greenberg, and I approve this message.)





dimanche 6 janvier 2013

Du Brésil en Uruguay

34°392155S 54°08581W
La Paloma, Uruguay

Le jeudi 03 janvier 2013-Le cœur au bord des lèvres

Até logo Brasil !
Ça-y-est, la Boiteuse navigue de nouveau après une escale forcée de 17 jours à Rio Grande. Je dis forcée, car s'il vous en souvient je n'avais pas vraiment prévu de m'y arrêter. Le vent, les vents en ont décidé autrement.
L'un dans l'autre, et malgré la présence de Caroline et de Hughes, puis d'Anne venue leur rendre visite, je n'ai pas vraiment apprécié ce séjour... Plusieurs facteurs en sont la cause. Tout d'abord, parce que j'étais frustré de ne pas avoir pu rejoindre Zoé avant les fêtes. Cette période des fêtes de fin d'année est pour moi un peu difficile, et j'aurais apprécié d'avoir sa compagnie pour m'aider à la traverser. Ensuite, je crois que j'en ai un peu soupé du non-sens de l'accueil des marinas brésiliennes. C'est lourd à la fin de se sentir comme un intrus, alors que l'on devrait être considéré comme un invité. Vous comprenez donc pourquoi je n'avais pas vraiment la tête à écrire.
Mais bon, tout cela est derrière moi à présent, et me voilà enfin en route vers l'Uruguay.

Donc, disais-je, nous voilà partis. Départ à 10H40, un petit arrêt au poste à gasoil, et j'entame la descente du fleuve. La marée est descendante, c'est tout bon.

13H20 : Je dépasse la jetée et j'attaque la pleine mer. Je préfère garder encore un peu le moteur pour parer les rouleaux qui déferlent à tribord. Pour l'instant, le vent est à l'est et la mer est peu agitée. Logiquement le vent devrait tourner au nord-est dans l'après-midi... Enfin, c'est ce qui est prévu.

13H40 : J'arrête le moteur. Aussitôt, un bon gros mal de mer me saisit. J'avance au près sur une mer chaotique. Ça tangue et le vent n'est pas assez puissant pour aider le bateau à passer les vagues. On avance à 3,5 noeuds, avec le foc complet et deux ris dans la Grand-voile. Il faut que je m'allonge, je ne vais vraiment pas bien.

15H00 : Le vent commence à virer au nord et accélère. Pour l'instant, comme la houle est une relique du dernier coup de sud, je me la prends en plein dans la gueule. Mais cela ne devrait pas trop durer. Je suis toujours patraque. Je vais rester allongé, mais avant il faut que je vire Touline de la banquette. Elle aussi ne se sent pas bien.

Burpl !
18H00 : Je suis toujours malade... Cela ne m'était pas arrivé depuis l'Espagne il y a bientôt deux ans. Je n'ai pas vomi, mais je sens que mon estomac (vide malheureusement) est à deux doigts de se retourner comme un gant.
Pendant que je déglutis et que je respire avec prudence, le vent est encore monté et s'établit dans du F5 Beaufort. La Boiteuse avance travers au vent, et se fait balloter en tous sens. Tout est gris : la mer, le ciel, mon visage aussi sans doute. Route au 180°, 5,5 noeuds de moyenne. J'ai la flemme de faire le calcul, mais à cette vitesse on va pouvoir au moins abréger ce calvaire.

19H40 : J'ai réduit la voilure en prévision de la nuit. Ça va un peu mieux, mais je suis incapable d'avaler quoi que ce soit.

Le vendredi 04 janvier 2013-Une odeur de shampoing

06H00 : La nuit a été agitée. La Boiteuse n'a pas cessé de rouler comme une barrique, et moi à me les peler. Oui, pour la première fois depuis longtemps j'ai eu froid. Et ce, malgré ma polaire, mon ciré, et mon duvet. Je me suis réveillé toutes les heures à peu près pour surveiller les cargos. J'ai même croisé un paquebot.
Mon mal de mer s'est un peu dissipé, mais ce n'est toujours pas la grande forme. La faute à cette conne de chatte hystérique qui m'a énervé de bon matin en me faisant renverser mon café.
5,56 Noeuds de moyenne sur la nuit, c'est parfait. Je ne me souviens pas d'être déjà allé aussi vite sur une aussi longue période. Par contre, le cap demanderait à être amélioré.

06H50 : Bon, faisons le point. Il me reste 115 milles pour rallier le port de La Paloma. Si j'arrive à maintenir ma vitesse, j'y suis demain matin aux premières lueurs du jour.
Si je décide de rejoindre Piriapolis, il faut rajouter 60 milles. Ce qui m'y amènerait en toute fin de journée, début de nuit...
Pour l'instant je réserve ma décision. Je verrais bien dans quel état je suis demain matin, et surtout dans quel était sont la mer et le vent. Mais je ne vous cache pas toutefois que j’ai fortement envie d'abréger cette navigation de merde. À cause des fonds inférieurs à 20 mètres, la mer se soulève en une houle erratique et courte. C'est un enfer. De temps en temps je me prends une déferlante sur l'arrière, ou alors sur le côté, ça dépend. Bref, je me dis qu'il faut vraiment en avoir envie pour naviguer dans des régions pareilles ! Quand je pense que c'est comme ça dans tout le Rio de la Plata... Ça va lui faire tout drôle à Zoé, lorsqu'elle arrivera. Elle qui n'a connu que les alizés tropicaux !

07H15 : Un albatros vient nous rendre visite. Vous me pardonnerez, mais je n'ai pas vraiment le coeur, ni le ventre, à prendre des photos.

09H30 : Plus ça va, plus je me dis que ce sera finalement La Paloma, car le vent est instable.
Aux dernières nouvelles, Zoé devrait sauter dans le premier avion pour Montevideo, puis prendre un bus pour me rejoindre. Je ne connais pas la fréquence des vols... J'espère seulement qu'elle me laissera le temps de faire quelques rangements et pas mal de nettoyage. Aller, on va dire que dans moins d'une semaine nous serons enfin ensemble après un mois et demi d'attente fébrile, de doutes, de désillusions et d'espoir. Et je pense que je ne parle pas que de moi en disant cela.
Pour l'heure, je rêvasse en admirant le vol des albatros et des puffins.

12H00 : J'ai faim ! C'est bon signe, non ? Je me prépare des pâtes avec un reste de boeuf.
Je suis content, même si on a perdu un noeud de moyenne et que le cap est un peu trop à l'ouest de 10°. La frontière est à 27 milles, ça veut dire que ce soir, je vire le drapeau brésilien de mes haubans et j'arbore le pavillon uruguayen ! Merde, c'est vrai que je ne l'ai pas... Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir cherché croyez-moi. Encore une preuve, s'il en était besoin, que le Brésil n'a aucune (pas encore) de culture nautique. Ou du moins, aucune culture de l'accueil de l'autre, l'étranger qui débarque en bateau. Qu'il vienne de loin ou du pays d'à côté.

Tout est gris...
14H30 : J'ai réussi à dormir un peu... Le petit café du réveil est un peu gâché lorsque je me rends compte que la boite de lait concentré s'est renversée dans l'équipet. J'avais dit qu'il fallait que je nettoie, d'accord. Mais là, c'est abusé !

La Paloma est à 80 milles au 235°. Si tout va bien nous y serons entre 06H30 et 10H30 demain matin. C'est décidé, je n'irais pas plus loin pour cette nave. Je ne veux pas courir le risque d'arriver à Piriapolis de nuit. Et puis, les vents que je subis actuellement ne correspondent en rien à ce qu'il étaient prévus hier. Encore une fois, la météo dans ces régions évolue trop vite, et étant donné mon expérience de la région qui commence à s'étoffer malgré moi, je préfère ne pas courir de risque.
Je vais donc m'installer tranquillement à La Paloma, et attendre ma team-mate.

Quand j'y pense, je me dis qu'elle est quand même dingue notre histoire si on y regarde bien. Deux êtres que tout semble opposer se croisent, et sur une impression commune, une simple intuition du possible, décident de donner un autre cours à leurs vie et de marcher main dans la main vers l'inconnu.
Tien, je vais vous raconter une anecdote. Lorsque j'étais à Jacaré, j'ai fait la connaissance de Michela et de XXX, deux Italiens qui finançaient leur voyage en prenant quelques guests. Un soir, nous discutions devant un verre de la façon dont les couples se rencontrent et vivent dans le monde qui est le nôtre, celui des bateaux de voyage. Et c'est là que Michela m'annonce qu'elle attend pour le lendemain une nouvelle passagère. Moi, je hausse alors un sourcil et lui demande : elle est jolie ?
Oui très, me répond-elle. Et elle ajoute qu'elle est américaine.
Aussitôt, je fais la grimace. J'aime pas les Américains !
Michela me fait un sourire et me dit : Tu verras bien, moi je crois qu'elle va te plaire. Et s'il le faut, tu vas en tomber amoureux !
Et le lendemain soir je rencontrais Zoé pour la première fois. Je me souviens qu'elle venait de prendre sa douche, et qu'elle sentait si bon... Je crois que c'est ça qui m'a séduit en premier chez elle : l'odeur de son shampoing. Par certains côtés je suis très animal comme type.

Bon, c'est pas tout ça, mais en attendant que je puisse enfouir mon nez dans les cheveux de Zoé, il va falloir que j'avance un peu. Allez ma Boiteuse ! Accélère !

16H50 : Merde, le vent a encore baissé. On se traine à 3,5 noeuds, c'est pas bon ça !Je surveille le baromètre ; pour l'instant il reste scotché sur 1019 millibars. S'il vient a baisser un peu vite, les ennuis vont commencer... En plus,ce vent faiblard est pile à l'opposé de ma direction, et m'oblige à tirer des bords de grand largue (et non-pas grand large). Ce qui veut dire que je rallonge donc ma route.
Maintenant que j'ai pris la décision de m'arrêter à La Paloma, je me pose la question de la stratégie à suivre. Si je continue sur une route plus ou moins directe, je vais me rapprocher de la côte et de ses dangers. Cela implique que la deuxième partie de la nuit prochaine sera sans sommeil. Ou du moins devrait l'être.
Alors que si je fais un détour au large, je vais pouvoir dormir même si cela me fait arriver un peu plus tard dans la journée de demain. Il faut que je réfléchisse encore un peu.

18H00 : Au point du soir, le bilan est plutôt tristounet. 3,9 Noeuds sur les dernières six heures, alors que je devrais avoir 20 noeuds de vent dans le cul. C'est décourageant. Il reste 68 milles à faire... À 4 noeuds on y est demain matin à 11H00. En ligne droite bien sûr, ce qui vous le savez maintenant est chose utopique.
Ah oui, j'allais oublier : à partir de maintenant la Boiteuse navigue dans les eaux territoriales uruguayennes. Yes !

19H30 : Mmmm... Je suis repu ! Un bol de nouille et deux sandwichs au poulet sur toasts grillés à la poêle avec du beurre. Le top !
J'ai réfléchi un peu à la stratégie de cette nuit. Le vent m'oblige à tirer des bords de grand largue, alors autant me servir de ça. Je vais m'approcher de la côte au 250°, disons jusqu'à 15 milles. Puis empanner pour m'en écarter. Cela devrait me permettre de dormir quelques heures sans trop rallonger la route.

Touline vient de me faire un câlin puissance dix, avec bisous sur la bouche et ronronnements. Profite ma belle, bientôt tu vas avoir de la concurrence !

21H15 : Ah ! On recommence à flirter avec les cinq noeuds. c'est cool !

Le samedi 05 janvier 2013-Enfin l'Uruguay.

00H00 : J'empanne, cap au 180° après m'être approché à 11 milles de la côte. C'est peu, je sais bien... Mais je ne me suis pas réveillé.
En plus, le vent a forci et nous faisions du 6 noeuds avant que je ne réduise la voilure. J'aperçois les halos lumineux de côte.

03H00 : Je re-empanne, cap au 240°, droit sur La Paloma qui se trouve encore à 30 milles. J'aperçois le phare de Cabo Polonio.

06H00 : Ben merde alors ! La nuit a été nickel, pas un chat sur l'eau et des empannages aux petits oignons, et voilà qu'au matin, à 20 milles de l'arrivée je me retrouve empétolé ! Non, mais ça va pas du tout ça ! Veux-tu revenir ici, et plus vite que ça !

Le pavillon des grands jours
06H15 : Trève de plaisanteries, maintenant qu'il fait jour je peux apercevoir une grosse masse nuageuse juste devant moi. Le baromètre est à 1017 mbar, ce n'est donc pas un pampero qui arrive (Et le premier ou la première qui me dit en commentaire pampompero, je le mords !). On ne rigole plus là... Je me tiens prêt à encaisser ce qui m'arrive dessus, quoi que ce puisse être. Je suis à 20 milles de la Paloma, et il ne sera pas dit que je vais renoncer sans me battre.

06H40 : J'ai viré le pavillon de courtoisie brésilien et arbore le pavillon jaune de la quarantaine. Première chose à faire une fois arrivé, se procurer un pavillon uruguayen. Je tiens à respecter les convenances et ne point insulter mon nouveau pays d'accueil.
En parlant de ça, il va falloir aussi que je pense à me faire envoyer un ou deux pavillons français, car celui qu'il me reste part en lambeaux.

06H50 : Terre ! J'aperçois la côte sur tribord. Encore heureux, si cela avait été sur bâbord, il y aurait eut comme un loup.

07H10 : Le vent a repris dans la bonne direction, mais reste poussif. Trois noeuds et des poussières. Le rideau de pluie, car c'en était un, se déplace vers le nord, libérant ma route. Tant mieux.
Je viens de remarquer que Touline avait son oreille gauche légèrement déchirée. Sans doute une cicatrice qu'elle n'a pas volée, tant il est vrai que cette chatte à un comportement de voyou. À Rio Grande, elle s'est approprié l'ensemble de la marina en deux jours. Seul Pato le canard semble lui avoir résisté, car je les ai vu se croiser plusieurs fois en respectant une distance de sécurité d'au moins trois mètres ! Genre, on s'ignore l'un l'autre, mais on garde la main négligemment posée sur la garde de l'épée, au cas ou.

08H00 : Youppy ! Le vent se lève pour de bon ! À cette allure-là, on y est dans trois heures ! Pour fêter ça, j'ai sorti mon pavillon national des grands jours. Tadaaaaa !!! Attention, c'est moi que v'là !

09H00 : Je lofe un peu, et tout de suite la Boiteuse accélère à six noeuds. Cerise sur le gâteau, je viens de me rendre compte que mon sondeur qui est en panne depuis Sète s'est remis à fonctionner correctement. Et pour couronner le tout, le soleil est de la partie. C'est magique !

10H15 : Le port est en vue. J'aperçois la cardinale sud qui un haut fond à l'entrée du port. Il est temps que je prépare la Boiteuse pour l'atterrissage. Un fait exprès, le vent baisse pour me faciliter la tâche.

10H25 : Allumage moteur. Incroyable, le mal de mer me reprend ! Le stress sans doute...
La jetée est battue par la houle, et les vagues déferlent juste devant l'entrée. C'est coton. Je me prends une déferlante, et la Boiteuse se couche. J'apprendrais plus tard que des curieux m'observaient et s'inquiétaient de voir un si frêle esquif tenter d'entrer dans le port avec une mer pareille.

Bienvenu en Uruguay !
11H00 pile : Je me pose comme une fleur le long du quai. La Boiteuse est arrivée. Je suis arrivé à la Paloma, Uruguay.

Épilogue : La jetée est pleine de pécheurs à la ligne assis sur des chaises pliantes qui sirotent leur maté. Des familles de promeneurs regardent la Boiteuse avec curiosité, et s'extasient devant Touline qui fait son show. On m'interroge de toute part, on me félicite, on m'aide... C'est un vrai plaisir que cette prise de contact avec ce nouveau pays. Un bateau français m'invite à boire le café et me donne les premières infos.
Une heure après mon arrivée, mes papiers d'entrée étaient faits. Pour le tampon du passeport, il va falloir attendre que je sois à Piriapolis, car il n'y a pas d'immigration à la Paloma.
D'ailleurs, il n'y a rien à La Paloma... Je m'en suis rendu compte quand dans l'après-midi je me suis rendu en ville à la recherche d'une connexion internet. Une avenue bordée de restaurants et des villas de vacanciers, c'est tout. L'ambiance est décontractée, plutôt baba cool... J'aime bien.

Dès que je me connecte à internet, j'apprends que Zoé est en route. Elle arrive à Montevideo lundi vers une heure du matin, et me rejoindra avant la fin de la journée ! Vite, il faut que je nettoie le bateau !

La Boiteuse amarrée au ponton de la Paloma