mercredi 25 juin 2014

Et Rio de Janeiro alors ?

22°45.745S 43°06.203W

Ilha de Paquetá



Ilha de Paqueta
Je me suis rendu à Rio de Janeiro quatre ou cinq fois depuis que la pioche de La Boiteuse est plantée à l'abri de l'île de Paquetá. Pour se faire, il suffit de prendre le ferry qui effectue le trajet en cinquante ou en soixante-dix minutes, selon que l'on préfère le catamaran à hydro-jet ou le vieux transporteur des années soixante. Perso, quitte à mettre vingt minutes de plus, c'est ce dernier que je préfère ; l'Itaipu. J'adore son charme désuet, les vibrations de son antique moteur diesel, ses fenêtres à guichet, son pont promenade, ses vieilles dames qui vous proposent le petit cafe da manha... Tout ça rend le trajet romantique à souhait. Un genre de parenthèse enchantée que l'autre espèce d'avion flottant est loin de proposer !


L'itaipu
Quand vous descendez du ferry, vous êtes sur la Praça XV (Quince). C'est à dire que vous êtes en plein centre ville. Si vous prenez à droite vous allez vers le quartier du port avec ses entrepôts du XIXème siècle joliment rénovés. Si vous allez à gauche, vous longez l'aéroport Santos Dumont, puis le bord de mer jusqu'au Pain de Sucre. Et enfin, si vous décidez de filer tout droit, vous rejoignez l'avenue Rio Branco et au delà le quartier Sahara. C'est bon ? Vous situez à peu près ? Bien.

De Rio, je ne connais que cette zone-là. Je n'ai eu ni la possibilité, ni le besoin, ni l'envie d'ailleurs, d'en visiter d'autres car mes chevilles sont toujours en aussi mauvais état, et Rio est une grande ville, une très grande ville. Et puis finalement, j'ai réussi à trouvé tout ce dont j'avais besoin au sein de ce périmètre... Donc pourquoi allez ailleurs, hein ? Alors, si parmi vous certains s'attendaient à une description de mon ascension du Corcovado, tant pis pour eux.




Pour être franc, j'ai bien aimé mes virées en ville. Peut-être justement parce qu'elles n'étaient justement que cela, des virées. Le soir venu je reprenais mon ferry et je retrouvais avec joie ma petite île tranquille de Paquetá. Cela dit, j'ai quand même apprécié ces immersions momentanées dans le maelström de la grande ville. J'ai adoré parcourir les rues perpétuellement animées. Fouiner à la recherche de quelque chose en jetant des regards scrutateurs dans chaque boutique. Rechercher désespérément le logo « Wifi Zone » sur les façades des bars et des cafés... En pure perte car, il faut le savoir, il est quasiment impossible de se connecter à Internet de cette façon à Rio ! (Mais bon, cela n'a que peu d'importance. Ou du moins elle est moins grande qu'il n'y paraît sur le moment. Parce que sur le moment... Grrrrrrrrrr !!!!!!)

Bref, tout ça pour dire qu'une fois de temps en temps, l'ours que je suis a apprécié de se coltiner ses congénères. Il y a du progrès n'est-ce pas ?


Dedo de Deus
Ce dimanche Christophe a repris sa route vers le sud. Il doit être actuellement à Ilha Grande. Je me retrouve donc seul avec Touline et l'idée de bouger se fait de plus en plus présente. C'est que je me rends compte que cela va faire plus d'un mois que je traîne par ici... Et que, mine de rien, j'ai encore 1000 milles à faire avant d'arriver à Jacaré, et 3000 milles avant Trinidad. La route est longue comme dirait l'autre.

Bref, je pense que je ne vais pas tarder à partir. En plus, je n'ai plus rien à lire ce qui fait que je me fais doublement chier ! Et puis, même si « j'apprivoise » de mieux en mieux les conditions du mouillage cela ne me plaît toujours pas... Et il me tarde de m'amarrer à un quai. Malheureusement cela ne pourra se faire avant un bon moment. Peut-être Salvador do Bahia, on verra.

Et cela ne ferait certainement pas de mal à Touline croyez-moi. Votre navichatrice préférée est en train de devenir obèse à passer son temps sur La Boiteuse ! La semaine dernière j'ai dû lui confectionner un nouveau collier tellement l'ancien était devenu étroit, et à l'observer tous les jours je vois bien qu'elle n'est plus aussi alerte. Il est temps pour elle de retourner courir les pontons et de passer ses nuits à chasser.


Pardon ? Je n'ai pas grossi, c'est mon poil d'hiver !
Voilà chers lecteurs qu'elles sont les dernières nouvelles. Pour ce qui est de mes plans pour les prochains jours, je préfère ne rien vous dire... Il est arrivé tant de fois que je vous annonce un truc et que je doive ensuite vous dire que j'ai dû surseoir, que je préfère m'abstenir. Mais je me connais, je vais sans doute me réveiller un matin et alors que j'admire le lever du soleil je vais me dire : Et si j'y allais ? Ça va me prendre comme une envie de pisser, et en deux coups de cuillère à pot La Boiteuse sera en train de fendre les flots. Wait and see...

Orin
L'Envol s'envole (oui je sais, elle est facile)
Tyran quiquivi (Pitangus sulphuratus)

mercredi 18 juin 2014

Paquetá

22°45.745S 43°06.203W

Ilha de Paquetá



C'est une nuit calme comme très souvent au mouillage de Paquetá. Le sombre miroir de la baie de Guanabara est à peine troublé par le saut de quelques poissons. L'air limpide résonne de temps en temps du cri du héron dérangé dans son sommeil et du claquement sec des sabots d'un cheval sur le pavé. Je m'interroge : Il est onze heures du soir et les calèches tournent encore ?

Intrigué, je scrute le rivage et aperçois un cheval solitaire qui trotte le long du quai. Un chien aboie à son passage, puis se tait.



Je sais bien qu'avec seulement onze mouillages à mon actif depuis trois ans, je suis loin d'être un spécialiste de la question. Mais le fait est que je déteste toujours autant cette situation qui pour moi confine à la précarité, au cul entre deux chaises nautiques. Mais c'est peut-être aussi parce que je déteste ça, que mon avis d'homme exigeant peut intéresser certains. On verra. 

On est bien d'accord que cela ne vaudra jamais une marina, même bas de gamme, mais si je veux être honnête, vraiment honnête, je suis bien obligé de reconnaître que ce mouillage est agréable. Un des plus agréables qu'il m'est été donné de pratiquer. 
 

La plupart du temps il n'y a pratiquement pas de vent ce qui rend l'endroit extrêmement sûr du point de vue de la sécurité (sauf m'a t-on dit en décembre-janvier, où un vent fort du Nord-Est peut soulever un fetch important). Je suis ancré à cinquante mètres du rivage, et il ne me faut que quelques coups de rame pour le rejoindre. Ensuite, après quelques minutes de marche, pas plus de deux ou trois selon que je sois distrait par un oiseau pour par une paire de jolie jambes (c'est plutôt rare par ici, c'est pour ça que ça me distrait), j'arrive sur la place du village. Là, j'ai mon supermarché où je trouve à peu-près tout ce dont j'ai besoin. Plus loin, de l'autre côté de la rue pavée, se trouve la lan-house où j'essaye de me connecter à internet une à deux fois par jour. Je dis bien j'essaye... Parce qu'entre les coupures et la nonchalance des propriétaires, la boutique est plus souvent fermée qu'ouverte. Quelques bars et lanchonettes, quelques boutiques diverses, et puis c'est tout. Ça me suffit. Quand j'ai besoin de passer à la banque ou de refaire le plein de tabac à pipe, je prends le ferry et je vais passer la journée à Rio.




Je trouve cette situation quasi idéale... Je suis en sécurité, sans avoir à me soucier de la météo et de la tenue de mon ancre, et j'ai quasiment tout à portée de main dans un rayon de 500 mètres. Franchement, j'apprécie. Bien sûr, il y a toujours cette contrainte énergétique qui m'empêche d'utiliser mon ordinateur comme je le souhaiterais... (au détriment de ma vie sociale sur internet !) Mais je m'en débrouille pour l'instant, même si pour dire la vérité cela me manque terriblement.



Le cataclop du cheval reprend et je l'aperçois qui passe le coin du Iate Clube. Il trotte sous la lumière jaune des lampadaires. Derrière lui un homme juché sur un vélo le suit, et j'entends sa langue claquer de temps en temps. Le cheval s'arrête, penche la tête et commence à brouter l'herbe du chemin. L'homme descend de son vélo et s'approche doucement en murmurant des paroles apaisantes. Mais alors que l'homme n'est plus qu'à quelques pas de la monture, celle-ci relève la tête, la secoue, et repart en trottinant. L'homme remonte alors sur son vélo et force sur les pédales pour rattraper l'animal. Tous les deux disparaissent alors au détour du rivage ; le cheval au petit trot, et l'homme sur son vélo.



Les vélos et les chevaux sont l'âme de Paquetá. Ce sont les seuls moyens de transport individuel et collectif autorisé sur l'île, et cela contribue grandement à faire son charme. Non, j'exagère. En fait il y a aussi quelques véhicules à moteur... La seule est unique voiture de police, le livreur de gaz, un camion poubelle, quelques camionnettes de livraison, et le tracteur qui tire le bus. En dehors de ça, tout se fait soit à pied, soit en vélo ou en calèche.


Alors vous allez me dire que tout ça fait un peu carte postale. Un peu trop cliché... Certes. Mais c'est un cliché qui n'a rien de dérangeant. Il n'est pas agressif. L'île de Paquetá, avec ses huit mille habitants, est surnommée par les habitants la ilha dos Amores. L’île des Amours... On est donc plutôt dans le feutré, dans le romantique. Loin de la turbulence, de la violence parfois, de la grande ville de Rio. 


Bien sûr, du fait de la coupe du monde de foot l'ambiance actuelle est assez particulière... Elle se caractérise surtout par le fait que lorsque l'équipe du Brésil joue, quelle que soit l'heure, tout s'arrête. Tous les commerces, à l'exception d'un ou deux bars qui disposent de grands écrans et d'un rétro-projecteur, ferment. Les rues se vident, et il ne reste alors que les chiens... On croirait se balader dans une ville fantôme... Sauf bien sûr pour ce qui est du son. Car par les fenêtres et les portes des patios ouvertes, on peut entendre les hurlements hystériques des téléspectateurs assis devant leur poste de télévision. Et si (par malheur) la seleção venait à marquer... Je n'ose vous décrire le comportement de ces gens ! On est dans la folie collective au sens médical du terme, avec tout ce qu'elle a d'excessif, de puéril, mais aussi quelque part, de fascinant.



J'entends de nouveau le bruit des sabots sur la terre battue. Voilà le cheval qui repasse dans l'autre sens, toujours poursuivit par son humain à vélo. Le pas de deux continue. C'est une étrange danse qui se déroule sous la lumière jaune des lampadaires.

Mais voilà que le canasson fait une erreur en s'engageant sur le terre-plein qui sépare le Iate Clube du débarcadère où la barge dépose les rares véhicules autorisés à pénétrer sur l'île. Il fait demi-tour, sur lui même, tente une échappatoire vers le plan incliné en ciment... Mais il glisse. Il se reprend, relève la tête. L'homme s'approche doucement et saisi son licol. Sa main caresse ses naseaux... Le cheval s'ébroue un peu, puis baisse la tête, vaincu.

Puis, dans la nuit brésilienne que pas un souffle d'air ne perturbe, le couple repasse encore une fois le long de la berge. L'homme est remonté sur son vélo et mène le cheval par la longe. Celui-ci trottine docilement derrière lui... L'escapade est finie, le spectacle est terminé.



Touline qui jusqu'alors était assise sur le pont à regarder la scène avec moi, agite une dernière fois son moignon de queue, s'étire et rentre se coucher sur mon lit. Il est temps d'aller dormir. Qu'importe, de toute façon l'île sera encore là demain, et il y aura encore d'autres spectacles.

Héron Bihoreau gris


vendredi 13 juin 2014

Routine

22°45.745S 43°06.203W
Ilha de Paquetá

Le samedi 7 juin 2014

Le temps passe très vite au mouillage de l'île de Paquetá. C'est comme si le fait d'être à l'écart du monde le rendait plus fluide. Comme si d'avoir une vie désormais routinière faisait accélérer la vie qui m'entoure et que moi j'évoluais en son sein à une vitesse différente...
La routine, loin d'être une plaie comme certains s'ingénient à vous le seriner, aide à plier le temps. Elle le fige en certains points, toujours les mêmes. Puis, comme par un tour de magie quantique, ces points se rejoignent, se confondent, comme il en serait d'une feuille de papier qu'on aurait pliée... J'évolue alors dans un trou de ver. Je suis devenu un voyageur temporel. Je suis Valérian. Où es-tu Laureline ?

Bien. Laissons papillonner pendant encore quelques secondes cet instant philosophiquo-poétique, et venons-en maintenant à ce qui m'amène.

Mouillage de Paquetà

Le cockpit de La Boiteuse est désormais beau même s'il n'est pas encore tout à fait propre. Les caillebotis en teck ont été lavés, brossés, puis nourris avec une huile légèrement teintée d'un pigment acajou. L'ensemble a belle allure, et cela sent bon. Un drapeau français tout neuf, déniché dans une boutique spécialisée du centre de Rio, flotte paresseusement à la poupe de mon navire.
N'ayant plus qu'un seul panneau solaire qui fonctionne sur les deux, j'ai installé le survivant en haut du portique en virant, du coup l'éolienne qui ne servait à rien. Le voilà bien plus efficace puisqu'il n'est plus susceptible d'être situé du mauvais côté du bateau par rapport au soleil qui est quand même assez bas puisque nous sommes en hiver. Bon an mal an, cet unique panneau de 80 watts me suffit pour l'instant, mais je reconnais que c'est surtout parce que je suis frugal dans ma consommation d'électricité.
Franchement, lorsque je reviens de mes balades au village, et que je regarde mon bateau immobile sur ces eaux calmes, je me dis qu'il est splendide... Ce qui ne va pas forcément arranger mes affaires comme vous l'allez voir.

Un soir...

Nous sommes le 07 juin, soit cinq jours avant le début de la coupe du monde de football et huit jours avant l'expiration de mon visa touristique. Croyez-le ou non, la chose m'a préoccupé et me préoccupe encore. Je parle du visa, pas du football, bien sûr.
La preuve, j'ai passé quelques heures cette semaine à tenter d'obtenir une prolongation dudit visa auprès des autorités concernées... En pure perte, car lorsque vous vous présentez au bureau de l'immigration une affiche format A3 vous rappelle au cas ou vous l'auriez oublié, que pour des raisons de réciprocité les ressortissants européens ne peuvent obtenir de prolongation. C'est comme ça, vous avez quatre-vingt-dix jours, point barre. Après, les gens concernés doivent se barrer du Brésil, et attendre trois mois avant que de pouvoir y remettre les pieds. Dura lex sed lex, je le savais, mais j'ai quand même essayé en faisant montre de la plus parfaite ingénuité.

Un matin...

A partir de là, deux solutions s'offrent à moi. La première est de faire comme en 2012, c'est à dire d'effectuer ma sortie officielle du pays, passer dans la clandestinité et continuer mon bonhomme de chemin en serrant les fesses. La seconde est de ne rien faire et de continuer mon bonhomme de chemin en serrant les fesses...
J'ai opté pour cette deuxième solution car, à mon sens et après moult réflexions, elle présente moins de risque pour moi et pour mon bateau. En effet, si vous vous faites attraper en train de croiser dans les eaux brésiliennes sans visa, suivant l'humeur du fonctionnaire cela peut vous valoir de gros ennuis. Cela peut même aller jusqu'à la saisie du bateau...
Alors que s'ils vous attrapent, ou que vous vous présentez à la douane en ayant juste dépassé la durée de validité de votre séjour, vous écoperez d'une amende de 8,25 $R ( 2,73 Euros) par jour de dépassement. Cette amende n’excédant pas dans tous les cas 800 $R (soit 265 Euros).
Dans ma grande sagesse, je me suis dit qu'il valait mieux opter pour la solution prévue par le législateur brésilien plutôt que de risquer de tout perdre... L'avenir me dira si j'ai eu raison de croire ça, ou pas. En plus je crois, mais ça reste à confirmer, que cette amende est assortie d'une interdiction de séjour de cinq ans sur le territoire brésilien. Mais bon, je crois que vous avez compris depuis un moment déjà que je n'ai pas l'intention de m'installer ici... Alors, comme dirait je ne sais plus qui : Je m'en bats les côtelettes avec un os de mammouth trempé dans la moutarde.

Un autre matin...

Voilà-voilà... Que puis-je vous raconter d'autre ? Je n'ai pas toujours pas pu remplacer la batterie de mon appareil photo, aussi les images qui illustrent cet article sont de Christophe. Je transmettrais les compliments car je sais qu'il y en aura !

Grande aigrette sur soleil levant

Le vendredi 13 juin 2014

Depuis que j'ai écrit ce texte, sept jours ce sont passés. Sept jours pendant lesquels l'île a été coupée du monde ! J'ai cru mourir !

mardi 3 juin 2014

Autocensure

22°45.745S 43°06.203W
Ilha de Paquetá

Il n'est pas encore neuf heures du matin, et je suis assis dans le cockpit, le buste à l'ombre et les pieds au soleil. Le soleil, enfin. Alors je sais, vous allez me dire qu'un ciel couvert et même quelques gouttes de pluie sous les tropiques n'ont jamais tué personne. Certes... Sauf que de mon point de vue ce grand et beau soleil veut surtout dire que je peux enfin écouter un peu de musique après trois jours de silence. C'est comme ça lorsqu'on est au mouillage, on est en mode économie d'énergie, et la moindre distraction vaut son pesant d'ampères durement glanés.

Mais bon, j'ai décidé aujourd'hui de m'abstenir de vous livrer complètement le fond de ma pensée et me laisser aller à vous raconter les vicissitudes de la vie au mouillage, car je sais que vous allez encore me rétorquer que les gens dans ma situation n'ont pas à se plaindre, etc... Et je me connais, ça va encore me vexer. Par conséquent vous n'aurez aujourd'hui qu'une description du bonheur et des paysages idylliques qui font le quotidien du marin-voyageur, et rien d'autre. Une carte postale toute en couleur en provenance directe de la baie de Rio de Janeiro. Comme ça tout le monde sera content.

C'est donc avec du Marillion en fond sonore (album Live from Cadogan Hall 2011) que je peux apprécier pleinement la douceur du paysage qui m'entoure, et le calme des lieux. Devant mes yeux, le rivage. La route de terre battue où quelques quidams matinaux promènent leur chien, et des maisonnettes toutes plus charmantes les unes que les autres. Sur ma droite j'aperçois le clocher du village et le débarcadère. Quelques barques de pêche se dandinent paresseusement accrochées à leur bouée. Un Boeing passe en rase motte juste au dessus de moi. L'île de Paquetá étant située juste dans l'axe des pistes de l'aéroport de Rio. L'eau, couleur de café noire, est à peine frisée par une légère brise venue du nord... C'est calme et lumineux.

Une majestueuse grande aigrette passe à quelques mètres de l'arrière du bateau en poussant son cri rauque. Touline ouvre un œil, remue une oreille, et se rendort. Sur le rivage quelques vautours picorent le sable. Dans l'eau quelques cormorans plongent. Un grand héron est perché dans un arbre et se lisse les plumes. Il y a là une photo à prendre, mais la batterie de mon APN est définitivement morte. Haut dans le ciel, les frégates planent sans effort... Chaque matin est un véritable spectacle pour les yeux pour qui aime la nature.

Je suis des yeux une carriole à cheval qui passe. Un ferry blanc et bleu approche du débarcadère pour y déposer ses passagers, noria régulière de touristes et de résidents qui rallient ou viennent de la capitale en une heure de bateau. Non sans soulever au passage un train de vague énorme qui fait rouler La Boiteuse comme si elle était en pleine mer. Contrairement à d'autres de mes coreligionnaires, l'aspect touristique de l'île ne me dérange pas. Peut-être est-ce parce que toutes ces petites boutiques de souvenirs, ces carrioles à cheval, ces vélos électriques, ne s'adressent pas à moi... Peut-être est-ce aussi parce que les touristes concernés sont exclusivement des locaux. Avec mon regard de français en goguette perpétuelle, tous ces gens et toutes ces pratiques sont de toute façon exotiques. Un autre avion passe, encore plus bas, et le bruit des réacteurs se superpose à celui des hydro-propulseurs du ferry. Pendant un moment, je n'entendrais même pas si on m'appelait de l'avant du bateau.

Tout à l'heure, une fois que ma lessive sera terminée, j'irais à terre pour m'acheter mon pain frais, tout chaud sorti du four. Et peut-être aussi quelques empanadas croustillantes. J'en profiterais pour m'arrêter à la lan-house pour relever mes mails et les commentaires du blog... Et peut-être aussi taillerais-je le bout de gras avec un ou une amie à l'autre bout de la planète. Pas longtemps, juste celui nécessaire pour recharger la batterie de mon ordi car c'est payant et pas donné, et ensuite je rentre vite car je n'aime pas laisser mon bateau seul au mouillage avec Touline qui fait des cabrioles sur la bôme.

Pendant que mes draps sécheront au soleil, il se peut que je passe une petite heure à ravauder mon filet afin de pouvoir attraper quelques fritures pour la chatte. Mais l'eau est tellement noire de tanin que toute vie semble l'avoir désertée. Et puis le temps passera ainsi, tranquillement, sans stress inutile... (Mon cul oui !) Le temps s'étire et pour le combler je m'occupe les mains et la tête. Je répare tout ce qu'il y a à réparer, du moins j'essaye et heureusement que Christophe est là pour me filer un coup de main, j'entretiens tout ce qu'il y a à entretenir, il m'arrive même de laver ce qu'il y a à laver ! C'est vous dire comme je m'emmerde m'occupe. Sans parler de la lecture, de l'observation des oiseaux, des cafés bus en discutant avec Christophe dans le cockpit de l'un ou l'autre de nos bateaux... Bref, je profite pleinement de la chance qui m'est donné de vivre mon rêve. (Bon, là c'est sûr que vous n'allez pas en croire un mot).

Voilà chers lecteurs mon quotidien depuis une semaine. Il préfigure celui qui sera dorénavant le mien pour les mois semaines à venir car, comme je vous l'ai dit, mon visa expire dans dix jours... C'est à dire que La Boiteuse et moi on va entrer en clandestinité, comme il y a un an et demi, et qu'il va en être ainsi jusqu'à ce que je quitte le Brésil. Cela me remplit de joie, comme vous vous en doutez, et je compte bien vous la faire partager autant que faire se peut. A Bientôt !