vendredi 23 janvier 2015

Hallucination

12°53.377S 38°41.045W
Itaparica, Bahia

Dans le genre hallucinations qui assaillent les marins solitaires, comme sans doute également les anachorètes et les reclus, il en est de fulgurantes qui vous laissent l'estomac en vrac. Des réminiscences du passé qui viennent effleurer vos narines alors que vous êtes en pleine mer, ou même à terre, mais à mille lieux de toute cuisine digne de ce nom. Des effluves qui s'infiltrent dans vos circonvolutions cérébrales, appuyant au passage sur des interrupteurs aussi magiques qu’efficaces, et qui vous font saliver tel le dogue moyen.

Il vient de m'arriver une bien belle de ce genre ce matin. Elle a surgit comme un raz de marée, m'a retourner le ventre et laissé affamé. Elle m'a rendu nostalgique à l'extrême d'une part de mon pays, la part la plus importante peut-être, sa cuisine.

Bordel de merde, qu'est-ce que je ne donnerais pas pour manger une andouillette, là maintenant tout de suite !!!

 
Mmmmm.....

dimanche 18 janvier 2015

De Itaparica à.... Itaparica ! Opus n°2

12°53.377S 38°41.045W
Itaparica, Bahia

Le mercredi 14 janvier 2015 – Ça s'en va...

06H30 : Bon ben les enfants, c'est reparti ! On s'en va enfin d'Itaparica ! Enfin, j'espère que cette fois-ci c'est la bonne... Tout à l'heure j'ai eu un peu de mal à attraper Touline, qui serait volontiers resté à jouer la star des pontons, mais pour ma part, je suis plutôt content de partir. En effet, la semaine dernière la Marinha do Brasil est venue inspecter les bateaux au mouillage deux jours de suite, et a zyeuté d'un peu trop près, à mon goût, La Boiteuse. Heureusement, j'avais été prévenu à l'avance (Merci Pascal !), et je n'ai eu qu'à fermer le bateau et aller faire un tour le temps que les importuns se lassent. Ça commence à devenir chaud dans le coin, donc même si cette fenêtre n'est pas optimale, j'ai décidé de l'emprunter quand même.

08H00 : La Baie de Todos os Santos est plate comme la main et le moteur n'a aucun mal à nous pousser vers la sortie malgré la marée montante. Nous sommes partis, normalement, pour 500 milles et donc cinq jours de mer. Peut-être plus, peut-être moins... Vous connaissez la musique maintenant, ce n'est pas moi qui commande mais les aléas météorologiques.

Le réservoir a été vidangé et nettoyé
09H40 : On attaque l'étroit passage entre la côte et le banc de sable qui comme la dernière fois soulève une mer courte et hachée. Vent de face, les voiles faseyent et le bateau tangue. C'est moins pire que la dernière fois, mais c'est guère mieux. Heureusement, j'ai ouvert et récuré mon réservoir et il faudrait bien voir à ce qu'une quelconque merde vienne encrasser mon circuit d'admission !

10H40 : Allez, il est temps d'arrêter Mercedes. Je suis un peu short-pétrole sur cette nave, alors autant économiser le carburant. La mer est belle et nous avançons au près serré dans une direction qui n'est pas vraiment la bonne (150°).

10H55 : Bon ben les enfants, on est pas arrivé... Le vent n'a pas l'air d'être là où il devrait, et je suis obligé de tirer des bords carrés. Pourquoi ils sont carrés mes bords d'ailleurs ??? La Boiteuse est sensée être excellente remonteuse au vent, et là j'ai l'impression de faire du surplace...

11H30 : Je crois avoir deviné pourquoi La Boiteuse s'obstine à ne vouloir faire que du Sud-sud-est ou du Nord alors qu'il faudrait que je fasse route au 40° (et un poil plus si possible) pour me sortir de là. En fait, le vent est trop faible et nous n'allons pas assez vite pour contrecarrer la force du courant qui en ce lieu et à cette époque de l'année porte au Sud-ouest.
Du coup j'ai rallumé le moteur pour pouvoir m'éloigner de la côte en espérant que ce courant de merde sera moins fort au large.

12H15 : Je pense que mon analyse est la bonne. J'aperçois de gros bancs d'algues et de saletés qui font comme de longues traînées dans l'eau. Signe qu'il y a bien une veine de courant dans le coin, et que je suis en plein dedans.

14H00 : Ça y est, j'arrive enfin à tenir un cap à la voile ! Le souci c'est qu'on se traîne à 1,5 nœuds...

Moi je veux qu'on rentre !
16H45 : Pfffff... Je suis encore obligé de tirer un bord dans la mauvaise direction car la terre se rapproche un peu trop à mon goût. Combien de temps j'ai dit que j'allais mettre ? Cinq jours ? M'est avis que ça va être plutôt proche de dix jours à ce rythme là. Bon, au pire je peux toujours m'arrêter à Maceio (280 milles) si je vois que je ne peux pas tenir les délais annoncés.

18H00 : Putain, elle commence à me gonfler sérieux cette nave ! 12 milles en six heures, faites le calcul vous même. Et encore, j'ai dû en faire à peine la moitié en route utile... J'avoue que je commence à me décourager un peu.

18H20 : Même si ça me titille assez de faire demi-tour, j'ai décidé de m’accrocher. Au moins jusqu'à demain ! Je vais tirer un bord dans le sens opposé pendant la nuit, et je verrais bien où ça nous mènera... Et si demain au matin je vois que ce n'est pas faisable, je rentre.

18H30 : Allez c'est parti ! Cap au Sud ! (Quelle misère !)

Le jeudi 15 janvier 2015 – Et ça reviens !

01H00 : J'ai finalement décidé de rentrer... Parce que là, la coupe est pleine. J'ai regardé sur la carte, et je me suis rendu compte qu'en quatorze heures je n'avais parcouru que dix milles de route effective. Croyez-moi, je crois avoir tout tenté, tout essayé... Mais quand ça veut pas, ça veut pas.

04H10 : Et nous revoilà à passer devant le cap de San antonio pour la... cinquième fois ! Depuis une heure ça pétolise pas mal, alors je me retrouve de nouveau au moteur. J'ai également décidé de ne pas retourner à Itaparica, car comme je vous l'ai dit plus haut ça commence à devenir un peu chaud pour moi là-bas. J'ai choisi comme lieu de mouillage le nord de L'Ilha do Frade. D'après le bouquin, c'est plutôt tranquille comme coin... Reste à savoir si je vais pouvoir y trouver ce dont j'ai besoin. C'est à dire en priorité un internet correct, si possible dans un resto ou un café où je puisse squatter une prise de courant au moins quatre heures par jour, et un mercadinho où je puisse faire les courses. Le tout pas trop loin du bateau parce que mon moteur HB n'a plus d'essence. Après, the luxuriant vegetation of dense tropical forest décrite dans le bouquin, c'est secondaire.
On devrait y être vers huit ou neuf heures. En attendant, ça s’éclaircit à l'Est et la ville de Salvador se découpe à contre jour.

Salvador do Bahia

Le drapeau de La Boiteuse est en berne
05H40 : J'avais envie de vous glisser deux-trois mots sur les événements de la semaine dernière. En fait, j'en ai écrit deux pages mais j'ai finalement décidé que vous ne les lirez pas. Appelez ça de l’autocensure, d'ailleurs c'en est sûrement, mais je me suis rendu compte à la relecture que j'avais encore beaucoup trop de colère en moi et qu'avec ce que je lis ou entends depuis une semaine ce n'était peut-être pas la peine d'en rajouter. Après la peine est venue la colère, et c'est maintenant le dégoût qui m'habite. Un profond dégoût qui n'est pas loin d'un sentiment de découragement... Ce même découragement que je fustigeais naguère et qui laisse, j'en suis persuadé, la porte ouverte à tous les abus. Mais bon, j'ai décidé de ne pas m'étendre ici, donc je me tais.

06H20 : Pour l'instant pas de forêt luxuriante à l'horizon, mais un gigantesque terminal pétrolier et une raffinerie qui dégueule bruyamment de noires fumées.

07H00 : J'attaque le canal d'accès au terminal. Plus que 6,5 milles et on y est. Autour de moi, une multitude de petites barques avec à leur bord un ou deux pêcheurs, taquinent je ne sais quoi.

08H25 : Plouf ! L'ancre vient de tombée par 7 mètres de fonds, face au village de Bom Jesus dos Passos sur l’île du même nom, juste en face de l’Ilha Do Frade et... du terminal pétrolier. On va dire que j'ai bon sur 300° !
Première chose à faire, mettre l'annexe à l'eau et aller explorer le village. Mais bon, j'hésite un peu car pour l'instant j'apprécierais de piquer un petit somme. Et puis il faudrait peut-être aussi que je mange... Car oui, je crois bien qu'hier j'ai tout simplement oublié de manger.

Ensuite, demain ou après demain, il va me falloir penser à mon avenir proche. Car pour passer ce fichu courant il va me falloir, soit attendre un méga front froid, mais ce n'est pas la saison, soit attendre que les vents et le courant s'inverse, et ce ne sera pas avant mars.

Bom Jesus dos Passos

17H15 : Me voilà de retour après un petit tour à pied dans le village. Bom Jesus dos Passos pourrait passer pour pittoresque pour le touriste moyen. Oui mais voilà je ne suis pas un touriste, et pour moi il est plutôt, comment dire... tout pourri.
La faute en est je pense à cette impression extrême de solitude qui m'est tombé dessus juste après ma sieste. Sieste écourtée par des rafales de vent et les miaulements d'une Touline pas très rassurée. L'endroit que j'ai choisi pour sa proximité avec le village n'est absolument pas protégé contrairement à ce coin bucolique à souhait que j’aperçois en face, au vent de L'Ilha do Frade... Mais c'est au moins à un kilomètre !
J'ai trouvé un point wifi dans une boulangerie, mais même s'il est remarquablement puissant ce n'est pas endroit où je peux m'installer tranquillement et où je puisse recharger la batterie de mon ordi. Bref, cela ne me convient pas et c'est cette déception qui me fait trouver cet endroit un peu pourri... Cela n'a rien d'objectif vous l'aurez compris.
Tout ça pour dire que je suis TRÈS fortement tenté de retourner à Itaparica et de m'y incruster de nouveau.

Le Vendredi 16 janvier 2015 – Retour à la « maison »

05H10 : Hier au soir j'étais (très fortement) tenté de lever l'ancre et de me barrer d'ici, mais si j'avais encore eu quelques doutes, le fait de devoir couper mon ordi cinq minutes avant la fin de mon film (Fury avec B.Pitt), aura fini de me convaincre.
Donc, là je termine mon café et ensuite je range l'annexe et on se barre !

Bom Jesus dos Passos
06H00 : Décollage. Me voilà parti pour dix milles tranquillous. Touline, qui était enfermée dans la cabine avant, a trouvé le moyen de sortir par le hublot laisser ouvert et s'est réfugiée sous l'annexe. Bon, pour une si petite étape, je laisse faire.

J'ai décidé de contourner l’île par l'Ouest. Je passe devant l’embarcadère municipal puis, à l'approche d'un petit îlot privé j'ai la chance d'apercevoir pour la première fois un saveiro toutes voiles dehors. Ces voiliers de travail sont typiques de la région et peuvent transporter de lourdes charges d'île en île sans pour autant se départir d'une élégance sans pareille.


La navigation est facile pour qui possède un GPS et de bonne cartes de la région (les CM93 ne suffisent pas), sinon je conseille plutôt de faire le tour de l’île par l'Est. Ici le slalom entre les bancs de sable n'est pas balisé et les fonds remontent à une vitesse surprenante. Bref, c'est casse gueule.

07H10 : J'espère qu'il y aura de la place... En cette saison (vacances scolaires d'été) la marina est blindée de chez blindée et il va peut-être falloir que je joue aux chaises musicales le long du ponton extérieur. Si on me pose des questions j'ai déjà prévu de leur raconter un bobard. Je le dirais que j'ai lutté pendant deux jours contre les éléments, que je suis fatigué... Ça devrait les apitoyer !

O7H40 : Allons bon, voilà que je me surprends à soliloquer en anglais... Il faut vraiment que j'arrête avec ça. Deux ans, ça commence à faire beaucoup, et il serait temps que je passe à autre chose. Oui mais voilà, je n'y arrive pas...

Le comité d'accueil du Fidelio
07H50 : J'ai la prise allume-cigare de l'ordinateur qui vient de cramer. Bon, ce n'est pas dramatique car je peux maintenant naviguer à vue. Mais, je suis plutôt content de ne pas être en pleine mer car je crois bien que je n'en ai pas de rechange !

08H15 : Youpi !!! J'aperçois Fidelio, le cata de mes potes au mouillage ! Je vais me faire offrir le café !

Et c'est ce que j'ai fait. Je me suis gentiment mis à couple du Lagoon de Pascal et Jeannette et nous avons papoté jusqu'en début d'après midi. Vers 14H00, j'ai vu avec les jumelles qu'une place se libérait, et j'ai fondu dessus telle la vérole sur le bas-clergé. La Boiteuse est arrivée à bon port et n'en ressortira que dans deux mois !

 
Tranquille !
Nossa Senhora de Loreto