16°53.203N
24°59.470W
Mindelo,
ile de São Vicente
Le
mercredi 11 avril 2012
14H00,
il est temps de larguer les amarres et de quitter cette charmante ile qu’est la
Gomera. J’aime bien partir à l’heure pile, ça facilite la tâche ensuite
lorsqu’il s’agit de faire des comptabilisations, des moyennes, etc... On est
pas à cinq minutes près je vous l’accorde, mais un peu de rigueur mathématique
ne nuit pas au marin vagabond.
Bref,
14H00, le port est payé, la Touline est enfermée dans sa cage, l’électricité
débranchée, il n’y a plus qu’à partir. Je tourne la clef pour démarrer cette
chère Mercedes et... Rien. J’entends bien le démarreur qui vrombit et s’échine
à balancer la sauce, mais le moteur n’accroche pas. Petit moment de solitude.
Je réfléchis et tout un tas de pensées se bousculent dans ma tête ;
Peut-être que lorsque j’ai changé la vanne d’admission d’eau de refroidissement
j’ai débranché quelque chose ? Non, franchement je ne vois pas... Au bout
de quelques minutes à fouiller un peu partout à la recherche d’un truc qui me
semblerait à moi évident (je vous laisse imaginer la gageure !), je baisse
les bras et me mets à la recherche d’un mécano.
Pas
de bol, comme je l’ai dit il est 14H00 (et des brouettes maintenant), et je
défis quiconque de trouver quelque chose d’ouvert en Espagne à ces heures là.
J’avise alors un catamaran français arrivé il y a peu mais avec qui je n’avais
pas encore lié connaissance et je décide d’y aller au culot. Le skipper, un
type sympa d’une soixantaine d’année m’accueille avec gentillesse, écoute mon
histoire et me dit « T’as essayé de lui mettre un coup de marteau au cul à
ton démarreur ? »
Devant
mon incrédulité face à cette solution barbare, il se dévoue, termine vite fait
son café et m’accompagne pour jeter un œil. Un coup de marteau, deux coups de
marteau. « Vas-y essaye ! »... VROUM !
J’en
suis resté con.
Tout
ça pour dire que c’est finalement à 15H00 que je suis enfin parti. Merci à toi
ô homme plein de sollicitude ! Je n’ai hélas retenu ni ton nom ni celui de
ton bateau, mais je me souviendrai longtemps de ton coup de marteau !
El Teide ! |
19H45,
le téléphone sonne et j’ai bientôt Eric Lange au bout du fil. Enfin,
l’expression « au bout du fil » n’a jamais eu aussi peu de sens que
ce soir. Je suis en pleine mer, et je papote avec un animateur de radio à
Paris ! Je m’installe sur les marches de la descente pour être stable et
me mettre à l’abri du vent, et Touline vient se nicher sur mon épaule. Le
cliché du marin solitaire félidophile dans toute sa splendeur !
20H00,
le soleil se couche sur El Hierro. Je consulte mon estomac, mais celui-ci me
répond qu’il n’est pas prêt à avaler quelque chose. Tant pis, on ira se coucher
sans manger.
La
nuit fût des plus correcte. Je veux dire par là que j’ai bien dormi. On est sur
du long cours maintenant, alors plus la peine de se relever toutes les heures
pour faire un point de la situation. Un coup d’œil de temps en temps, un point
GPS toutes les quatre heures et basta. Le Mer-Veille et l’AIS font le boulot...
La mer est vide.
Le
jeudi 12 avril 2012
Barracuda suicidaire |
Ce
matin j’ai trouvé un poisson au bout de ma lige de traine. Mon premier
poisson !!! Un truc du genre barracuda de 80 cm, avec une mâchoire
cauchemardesque. Il a mordu pendant la nuit et s’est épuisé tout seul. Je le
sors pour l’immortaliser : Son ventre est ouvert et ses entrailles
pendouillent, j’imagine que ses congénères ont dû lui faire sa fête alors que
lui-même se débattait pris au piège. Pour ma part je suis encore un peu « flagada
du ventre » alors je ne me sens pas de me lancer dans une séance de
dépiautage. Je lui choppe ce qui lui reste de mou dans le ventre pour Touline,
et je le balance à l’eau. (Après enquête de votre serviteur il s’agissait bien d’un
barracuda)
12H00,
Je fais un point et je tente de m’alimenter. Curieusement c’est avec bon
appétit que je dévore mes sandwichs à la mortadelle et une belle part de
fromage de chèvre « humado » acheté à la Gomera, et une crème au
chocolat pour clore le tout.
Touline
elle se contentera de lécher le beurre. Elle a vomi la part de poisson de ce
matin et boit énormément, ce qui confirme donc que les chats, même les chats de
mers, on le mal de mer. C’est logique en même temps... Non ?
Pendant
tout l’après midi, ce fut pétole. C’est éprouvant d’entendre constamment les
voiles battre, la bôme claquer... Ça fait mal quelque part, dans un coin de mon
cerveau, comme si je prenais ma part de la souffrance qu’endure mon matériel.
Le bon côté des choses (il en faut toujours un) c’est que même si on se traine
à moins de trois nœuds, le soleil brille et les batteries sont à bloc.
20H00,
un point et un repas chaud. Pâtes au fromage de chèvre et le reste de
mortadelle.
La
nuit fut calme, un peu comme la précédente. A la différence que j’ai gardé
Touline avec moi pendant la majeure partie du temps pour enfin décider de
l’enfermer. Parce qu’une chatte qui joue à courir partout la nuit dans un
cockpit est une chatte morte. Ou alors elle a un maitre qui ne dort pas... Et de
deux maux j’ai choisi le moindre. Résultat elle s’est vengée en déchiquetant de
manière systématique un rouleau de PQ que j’avais oublié de planquer. Je ne
vous dis pas le bordel au matin !
Le
vendredi 13 avril 2012
Rock & Roll ! |
Petit
tour sur le pont pour vérifier que tout va bien. J’étarque la balancine qui grinçait
depuis la veille. Je vérifie le Génois ; il a l’air bien. Le nouveau lé
que Paxin m’a mis est nickel. Je regarde mes ris. Je suis assez fier de
l’amélioration que j’y ai apportée, deux boutes ligaturés pour en faciliter le
crochetage. J’ai piqué l’idée à mon voisin Simon. Et tenez-vous bien, j’ai
poussé le vice jusqu’à ce qu’ils soient de couleurs différentes, Un rouge et un
vert en fonction du côté du bateau où il faut les crocheter. A ce point là, ce
n’est plus de la bricole, c’est de l’art.
Un œil sur les fonds, toujours |
Une
heure plus tard après avoir sorti presque 80 L de flotte, au seau et à
l’éponge, je ne sais toujours pas ce qu’il se passe. J’ai fermé la vanne de
l’évier au cas où, mais je doute que ça soit ça. J’ai bien une idée, mais je ne
suis pas sûr... Hier j’avais déjà pas mal de flotte, et j’ai eu beaucoup de mal
à la pomper avec la pompe de cockpit... Et tout à l’heure j’ai trouvé au moins
trente litres d’eau de mer propre dans la partie arrière du bateau... Aurais-je
niqué la pompe à trop forcer, et puisé de l’eau en même temps que vidais les
fonds ? C’est possible ça ?
Tout
est clair maintenant, la voie d’eau est semble t’il étalée (c’est comme ça
qu’on dit). J’ai laissé le regard ouvert pour garder un œil sur la situation.
On verra bien.
15H00,
je viens de faire le point journalier. 104,7 milles en 24 heures. C’est pas
fameux mais ça reste honnête. Surtout ça veut dire que je peux rejoindre le Cap
Vert en moins de huit jours.
Après
midi pétole... Limite je me fais chier.
19H25,
bateau en vue par tribord avant. Le premier depuis deux jours. Un pétrolier qui
remonte vers le Nord. Ni l’AIS, ni le Mer-Veille ne l’accrochent ce qui veut
dire que ce con navigue sans AIS et radar éteint. J’espère qu’il y a au moins
quelqu’un sur la passerelle...
Bonne nuit ! |
Le
soleil se couche. Je jette un dernier regard au spectacle, avant de me glisser
dans mon duvet. Il fait déjà plus chaud, je n’ai même plus besoin de mon
blouson...
Le
samedi 14 avril 2012
La
nuit fut sportive. Sitôt le soleil couché, le vent s’est renforcé pour
s’établir NE, à 15-20 nœuds. Nickel. La Boiteuse a filé à bonne allure toute la
nuit, faisant ainsi remonter ma moyenne qui jusqu’alors n’était pas fameuse
(4,4 nœuds).
Au
matin le vent est toujours là mais j’ai une petite houle croisée de merde qui
me chope de temps en temps par le travers. Même si le Régulateur se comporte
comme un chef, ça reste assez acrobatique lorsqu’il s’agit de se déplacer.
Je te vois... |
D’ordinaire
Touline est une chatte plutôt indépendante, mais en mer elle semble retomber en
enfance (elle n’a que 7 mois en même temps...). Il faut qu’à chaque seconde
elle puisse avoir un œil sur moi, sinon ça va pas. Un chat a beau dormir en
moyenne 16 heures par jours, le reste du temps il faut qu’il se dépense. Et pas
toujours quand il le faut pour moi et la bonne marche du bateau. Imaginez que
je fasse un empannage par exemple... Une écoute qui file c’est comme une
invitation pour elle. Pire, une provocation !
Pour
l’heure Mademoiselle est enfermée et j’écoute ma musique... Au début je
n’aimais pas trop avoir les écouteurs vissés aux oreilles parce que ça
m’empêchait d’entendre les bruits du bateau. Mais peu à peu je m’y fais et
j’apprécie de pouvoir mettre un fond mélodieux sur la mer en mouvement. A
chaque type de mer peut correspondre un style musical... Là par exemple le bon
rock bien gras d’Evanescence convient parfaitement.
10H45,
je suis content. La « voie d’eau » semble s’être résolue d’elle-même,
et La Boiteuse avance très bien en grignotant peu à peu son retard. 5,5 nœuds
de moyenne sur les dernières douze heures, c’est pas mal. Pourvu que ça
dure !
Et
logiquement ça devrait durer au moins quarante huit heures, en tous cas c’est
ce que me disent les fichiers météo que j’ai pris avant de partir. En même
temps ils datent déjà de trois jours et beaucoup de choses peuvent évoluer en
trois jours. Tout ce qu’on peut dire c’est qu’un renforcement du vent était
prévu pour le weekend, et qu’apparemment le voilà.
En voilà une ! |
En
plus, devant il n’y a pour l’instant rien à voir... A part l’horizon qui ne
change pas. Le spectacle il est derrière, avec ses grosses vagues qui se
précipitent vers vous... On anticipe l’accélération que celle là (oui, la
grosse qui arrive) va vous apporter, et on goutte le plaisir de voir que le
régulateur vous la fait prendre pile dans l’axe... Shussssssss... Ce jour là,
je suis monté à 11,5 nœuds en glissant tel l’hawaïen moyen.
En
parlant de regarder en arrière, ça me fait penser que j’ai omis de vous
raconter un truc.
Lorsque
j’ai rallié la Gomera, en prenant en main pour la première fois mon régulateur
j’ai explosé mon feu arrière avec mes fesses (Non, elles ne sont pas grosses,
c’est le feu qui est mal placé), ce qui fait que j’ai navigué toute la nuit
avec seulement les feux avant vert et rouge. Et bien ce feu cassé m’a permis de
découvrir un spectacle qui confine à la féérie.
Je
vous ai déjà parlé du plancton phosphorescent qui faisait comme des étoiles
scintillantes le long de l’étrave de la Boiteuse, et bien ce n’est rien comme
spectacle par rapport avec ce qui se passe dans le sillage... Imaginez comme si
le bateau était comme une fusée qui laisserait derrière elle une trainée de lumière
verte... Comme un halo mystérieux qui de temps à autre laisserait naitre en son
sein des novas vertes, des explosions de lumière qu’on pourrait suivre sur des
dizaines de mètres... Bing ! Bang ! Boum ! Un vrai feu
d’artifice unicolore avec ces grosses boules qui explosent au hasard, et qui
donnent envie de crier comme un gamin « Oh la belle verte ! ».
Maintenant
que mon feu et réparé, je vous avoue que je tarde souvent à allumer mes feux de
navigation, juste pour contempler le spectacle... Je me tiens debout, accroché
au pataras, et je me régale. Bon histoire d’apporter une caution scientifique à
tout ça, les explosions c’est quand le navire percute des méduses mangeuses de
plancton.
Bon,
où j’en étais moi ? Ah oui, ok...
Chauffe Marcel ! |
20H00,
court le sieston... Le vent est monté et la mer s’est creusée d’autant me
rappelant un peu les conditions que j’ai eues au large d’Essaouira. Du F6 bon
teint avec déferlantes et embruns à la clef ! Bref on a été un peu secoué
pendant tout l’après midi, mais ça commence à se calmer... On file nos 6 nœuds
tout de même et j’ai l’impression d’être dans le tambour d’une machine à laver.
Au moment où j’écris ces mots, une putain de grosse vague surgit par le travers
et couche la Boiteuse sur le flanc. Je m’accroche, j’imagine que Touline doit
faire de même à l’intérieur. C’est drôle, je ne l’ai pas vue à l’extérieur de
l’après midi celle là !
Bon
allez, on va essayer de se préparer quelque chose à bouffer, mais c’est pas
gagné. Je me laisserais bien tenter par une boite de Callo con Garbanzos...
(Autrement dit des tripes avec des pois
chiches)
Plus
tard. Ça y est ! Et accrochez-vous j’en ai même profité pour faire la
vaisselle ! C’est pas compliqué, il suffit de se pencher avec l’ustensile
à laver dans une main, la gratounette dans l’autre. Vous attendez le coup de
gîte qui va bien, et hop c’est fait ! Y’a même plus besoin de rajouter du
sel pour le prochain repas !
En
plus l’eau est chaude je ne vous raconte pas... Enfin si, je vous raconterai
ça demain matin !
15 commentaires:
La suite, la suite !!... Je suis moitié scié par ton récit ;-) !!
Une petite vidéo ne serait pas pour me déplaire...
Moi aussi , moi aussi !! une vidéo, des photos..et le suite , vite !!!!!
C'est pas Marius, c'est Momo !! les comptes google me jouent des tours !
QUelle belle aventure! Dommage pour le café! C'est un bien précieux!
Bon, et bien je me languis de savoir la suite!
Gros bisous et à bientôt mon marin préféré!
Ah les charbons de démarreurs ! Cochonnerie qu'il faudra changer un jour... Le jour où les coups de marteau ne suffiront plus.
Eh bien voilà, ça y tu es au cap vert, au chaud. Et moi qui ai eu la chance de découvrir ton blog un à un depuis tes péripéties, de la genèse à maintenant...
Bravo pour ces aventures qui me font dire que moi aussi, j'ai eu raison de larguer les amarres ! Bon vent camarade !
Laurent
Moi aussi j'ai eu un démarreur qu'il fallait taper au marteau, mais c'était pas un moteur de Mercedes !!!...
Au fait, t'es sponsorisé par une distillerie de rhum ???
Enfin, te revoilou !
le temps me durait .
comme tous, je dis : la suite ...
Mais avant, prends le temps de te reposer , et de t'offrir un bon vrai repas ...
bises .
@Cazo : Juste à moitié scié ?
@Monique : La vidéo ça va être coton vu l’état de l’internet ici… Mais bon, on va essayer !
@Thérèse : T’inquiète j’en ai plein les soutes du café ! Par des pantalons propres c’est autre chose….à changer
@Asiatreck : Ah parce qu’en plus y des charbons dedans ? Je suis vraiment une truffe en mécanique !
@Cazo : Ben non, pourquoi tu dis ça ?
@Lucifer : Je suis encore sous le coup… mis je vais me remettre vite, promis !
Comme d'hab', très sympa ton récit de nav', la suite, la suite!!! Et je confirme, on a des copains dont le chat Hannibal a le mal de mer en début de chaque grosse nav'.
Bises
Concernant le régulateur, je ne sais pas si c'est lui, mais Moitessier avait bricoler un truc dans le genre . (je me rappelle de croquis , mais je ne sais plus dans quel livre précisément il parle de ça ) peut-être lorsqu'il est en afrique du sud ?? a vérifier ;-) Benoit
hum... moitié scié = moitessier...
désolé...
@Alexandra et Xavier : Dites-donc vous deux, 7 jour 17 heures avec ma Boiteuse contre vos 7 jours 2 heures avec votre catamaran. Y’a pas un truc qui vous interpelle ? Gnak-Gnak-Gnak !
@Benoit : C’est dans la Longue Route avec un appareil inventé par un certain Marin-Marie.
@Cazo : Je l’avais pas vu venir celle-là !
Eh oui Gwendal ! Au bout d'un moment, comme tout moteur électrique, les charbons s'usent et finissent par coller... Enregistre le contenu de ce lien à l'occasion
http://www.zebsite.org/forum/viewtopic.php?t=7809&sid=7d9db13c1be51571e27e5f5972d2587c
Bon vent !!!
J'ai pas osé le dire... mais c'était moi aussi les charbons qui restaient collés. Pour être précis, c'était une question d'humidité et d'étanchéité... Peut-être que tu devrais jeter un coup d'oeil !
@Asiatrek, Cazo : Merci pour les conseils, je vais me pencher là-dessus.
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