mercredi 16 mai 2012

La fin et les moyens


16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente, Cap Vert

Vous devez vous demander ce qu’il peut bien se passer sur l’ile de São Vicente pour que je vous laisse ainsi sans nouvelles. Peut-être que vous vous dites : Ça y est, le Capitaine a renoncé à traverser. Peut-être qu’il s’est trouvé une capverdienne aussi accorte que jolie, et qu’il va s’installer à Mindelo pour ouvrir boutique d’encens. Peut-être qu’il a décidé d’écrire un bouquin sur le Cap Vert. Peut-être aussi que maintenant que la gauche est passée il veut revenir vivre en France...
Et bien non, rien de tout ça. Juste de la bonne grosse flemme qui vous colle au ponton comme une moule à son rocher. Et puis, cela ne servirait à rien de vous le cacher, je mène plutôt la belle vie ici. Un poil trop chère la vie, mais belle tout de même. Sans souci, sans prise de tête si ce n’est celle de savoir ce qu’on va bien pouvoir se mitonner pour le repas de midi. J’ai internet au bateau, une tripotée de film en stock, quelques bons bouquins à lire, de la compagnie changeante et intéressante... Bref, mon monde est organisé pour que je me la coule douce, et que je jouisse de la vie.

Du coup, vous comprenez bien que dans ces conditions ça devient assez compliqué de se sortir les doigts pour se lancer dans une traversée de trois semaines. En fait, je ne sais plus si je vous ai déjà parlé de ça, mais ça fait un moment que j’ai compris que je ne retirais pas plus de plaisir que ça à naviguer. D’accord, la plupart du temps cela est assez plaisant je le reconnais, mais la Boiteuse est d’abord ma maison, et ensuite un moyen de transport qui me mène d’un point A à un point B. Je suis à A, et j’ai envie d’aller à B, alors j’utilise mon bateau pour y aller car c’est le moyen le plus pratique et le moins cher pour le faire. De ce point de vue là, je suis assez pragmatique. Mais si je pouvais y aller d’un coup de  télétransporteur, je le ferais. Pour moi la navigation est donc un moyen, et pas une fin.

Le canal de São Vicente
Bref, tout ça pour dire que pour bouger il faut d’abord que j’en ai envie, et ensuite envisager cette traversée comme un mauvais moment à passer. Quitter un bonheur, et souffrir un peu pour aller vers un autre bonheur. Mouais, je ne suis pas sûr de m’exprimer très clairement là... Mais bon, j’espère que vous aurez tout de même compris.

Néanmoins, je vous rassure, je commence à avoir l’envie de bouger. Y’a des frémissements dans mon petit cerveau qui m’indiquent que le départ est proche. Notamment lorsque le soir je vais me fumer un cigare au bout du ponton et que je regarde le soleil se coucher sur le canal de São Vicente... Je me dis que c’est par là, juste entre ces deux iles que je vais prendre la route au 200° pour 2000 milles et 20 jours de mer... (Que des deux et des zéros, c’est bizarre) Je me dis que l’envie de partir monte en moi de soir en soir alors que je regarde ce coucher de soleil de carte postale... Je me dis que c’est pour bientôt, et qu’il faut juste que je laisse monter la mayonnaise à son rythme.

L'équipage du Tigara
Donc, en attendant que la mayonnaise prenne, je profite. La semaine dernière je suis allé diner dans un resto assez côté de Mindelo, le Loutcha, avec l’équipage du Tigara. Nous avons passé une excellente soirée à déguster des mélocos tout en écoutant de la Morna... Je me suis rempli à la fois le ventre et les oreilles ! Je me suis tapé la Cachupa nationale, sorte de ragout à base de viande, de maïs et de haricots. C’est bien simple, j’avais une marmite rien que pour moi, de quoi nourrir allègrement trois personnes. J’en ai mangé pour deux, et c’est la mort dans l’âme que j’ai dû renoncer à engloutir la troisième part...

Sinon quoi vous dire d’autre ? Ah oui ! J’ai, je crois, la réponse à l’énigme que je vous posais lors de mon dernier article. A savoir, comment se fait-il que le Cap Vert qui est un pays qui ne produit pratiquement rien, arrive à s’en sortir aussi bien d’un point de vue économique.L’explication, comme la plupart des explications, est multiple.
Un Bedford de la grande époque
Tout d’abord il faut savoir qu’après l’indépendance, le Cap Vert a fait l’objet d’une âpre lutte d’influence dans le contexte d’une guerre froide finissante. Chacun des deux blocs, plus d’autres pays comme la France et l’Allemagne, et le Portugal qui ne voulaient pas rester à la traine, se sont fait un point d’honneur à arroser le pays à coup de millions de dollars. Le régime marxiste de l’époque (1975-1989) touchait en fait des deux côtés, et le pays s’est donc développé grâce aux financements étrangers.
Encore de nos jours, le Cap Vert est un pays qui vit sous perfusion. Ici une usine de pêche financée par la Chine, là une route construite par les français.
L’autre cause qui explique la relative aisance de ce pays est le financement issu de la diaspora. En effet, le Cap Vert a une particularité c’est qu’il y a plus de capverdien qui vivent à l’étranger que de capverdiens vivant sur le sol national. Cette diaspora génère donc des devises qui alimentent une économie parallèle permettant à la population de vivre plus ou moins correctement. L’ennui c’est que ces revenus échappent à l’impôt... et donc nuisent aux services publics tout en facilitant le développement de petites entreprises privées privilégiées.
Enfin, il y a l’argent issu de la drogue... La Cap Vert est une des plaques tournantes du marché de la cocaïne colombienne qui remonte vers l’Europe après être passée par le Brésil et les Iles Bijagos dans le sud de la Guinée-Bissau. Cette position de transitaire génère des fortunes que l’on peut voir s’étaler notamment sur l’ile de Boa Vista et à Praia la capitale, où les hôtels de 4000 chambres poussent comme des champignons.

Bref, pour résumer le Cap Vert est un pays qui « a l’air » d’être florissant, mais qui en fait ne survit qu’à coup de financement étranger et de trafic. Un poil décevant, n’est-il pas ?

Bon les gens, je vais vous laisser car il faut que j’aille au chantier naval pour voir ce qu’ils ont fait avec ma pièce à souder... J’en profiterai également pour me renseigner sur un bateau que j’ai vu là-bas. Mais bon, de cela je vous en parlerai plus tard. Ou pas.

Les Chinois investissent... dans des poubelles flottantes
Ennui...
Peut-être une bonne affaire à faire...
Le Tigara

8 commentaires:

Thrse a dit…

Je comprends tout à fait ce que tu veux dire.... Pour le départ. Je ressens ça parfois... Le problème, c'est que moi, je suis dans l'obligation de partir, tandis que toi... Je t'envie sur ce coup là! et moi, à ta place, et bien je ferais tout pareil!

Gros bisous et bonne soirée à toi!

cazo a dit…

Arf... la dualité de l'homme incarnée : un casanier nomade (et vice versa)!! Un marin qui aime bien s'ancrer à territoire..

Donc, si j'ai bien compris, tu passerais bien de ton T1 bis à un T3/4... sûr que rafraîchi, il auraît de la gueule !!

A propos du Cap Vert, mon pote brésilien m'a dit que toute l'eau potable serait de l'eau dessalée, tu confirmes ? Vu la citerne du Bedford, je serai presque tenté d'y croire, mais je doute...

Quant à ta flemme... t'as encore de vieux réflexes de culpabilité capitaloccidentale... maaaiiiisss... ça devrait pas perdurer, t'es sur la voix de la guérison... Ces blancs, ils ont tous une montre, mais ils n'ont jamais le temps!

Alexandra et Xavier a dit…

Coucou Gwendal....
Parfaitement en phase avec ce que tu exprimes... et on te sent heureux et tranquille ce qui est le principal. Pas de planning, pas d'obligations, c'est comme tu le sens et c'est très bien ainsi :)
Bises

Gwendal Denis a dit…

@Thérèse : Pas d’obligations, sauf celle que l’on s’impose soi-même... Mais ça en fait quand même !

@Cazo : Je cultive la dualité come d’autres les tomates. Pour « l’épave » j’attend de voir combien elle vaut avant de commencer à rêver. Sinon, oui je te confirme que, comme aux Canaries, la majeur partie de l’eau potable est issue de la désalinisation. Les cieux ici en sont plutôt avares...

@Alexandra et Xavier : C’est vrai qu’on a la belle vie quand même... Mais bon, nous l’avons choisie, et c’est ça qui fait la différence entre le péquin moyen qui remercie les cieux et des gens comme nous. Nous, nous savons qui remercier. Nous même.

Monique a dit…

Laisse monter la mayonnaise..tu as tout le temps...bichonne ta Boiteuse pour qu'elle soit opérationnelle, scrute la météo et quand tu sens que tu as des fourmis dans les cordages..largue !!!

Et en attendant, prends du plaisir au farniente !!! Tu as fait le bon choix !

Twerp a dit…

Hi Gwendal, I totally understand staying in Cap Vert, I loved it. Then we went ot Fogo and Brava and it got better. One of the purest places we've been so far. How's Touline? bisous de la San Miguel

...toussaint a dit…

Salut
prends ton temps, après tout tu n'as pas de patron sur le dos. Quand ce sera le moment de partir tu sauras...Profites des bons moments et savoures les biens, emmagasines de bons souvenirs pour tes vieux jours...
Cordialement
Toussaint

Gwendal Denis a dit…

@Twerp : I'm afraid I will stay in San Vicente. I've no time ti visitit the others island... Unfortunately.

@Toussaint : J'en ai bien l'intention rassure-toi !