mercredi 25 juillet 2012

Voyage en Nulleparie (1)


07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

Même si tout n’est pas encore digéré, je crois qu’il est temps que je commence à vous raconter cette traversée de l’Atlantique. Elle aura duré environ trois semaines, donc c’est pas très compliqué, vous aurez trois partie.

Tous les horaires donnés sont en Temps Universel.

Le jeudi 28 juin 2012

Après une matinée relativement chargée qui m’aura vu terminer mes formalités douanières, réaliser quelques achats de dernière minute et pris un dernier repas pris avec Séverine sur la Praça Estrella de Mindelo, je suis enfin prêt à partir. Tout est rangé. Les pleins sont terminés. Les dernières prévisions météo prises. Il est temps de partir.
Il y a du monde sur le ponton. Séverine bien sûr, Jean-Yves, Philippe, Isa, Lola, Pierre-André, Luis, Sean, un ou deux employés de la marina, sont venus avec gentillesse saluer le départ de la Boiteuse. Embrassades et poignées de main viriles sont de circonstance.

Ciao Mindelo !
Je vérifie une dernière fois que le pont est clair... Allez, on y va ! Il est 14H30, j’allume le moteur et... Il ne se passe rien. Ça fait fizzzz, et puis c’est tout.
Et merde c’est encore le bendix du démarreur qui déconne. J’insulte copieusement ce connard de César qui était sensé m’avoir réparé ce truc il y a deux mois, et je me vois déjà sursoir mon départ. Heureusement j’ai du personnel de bonne volonté sous la main, et Luis et Philippe s’attèlent à la tâche. En une demi-heure chrono ils m’auront démonté, nettoyé, graissé et remonté le bordel. Allez, on essaie encore... Vroum ! Mercedes tousse un peu au démarrage mais se met très vite à ronronner comme une chatte. Ouf !
Je laisse le moteur chauffer quelques minutes, puis je vais pour mettre à poste le pilote électrique lorsque je constate que ses diodes ne s’allument pas. Mais heuuuuu..... C’est quoi encore ce truc ? Le cap Vert tient absolument à me garder ou bien ?
Là encore mes deux ouvriers se lancent à l’assaut de ce nouveau contretemps. Testeur en main ils auscultent de circuit et identifient assez vite où le bât blesse : La connexion est complètement corrodée. Ils me refont ça aux petits oignons et quelques minutes plus tard je vois les petites lumières de Monsieur P clignoter joyeusement.
C’est bon là ? On peut y aller ?

Il est 16H15, quelques mains généreuses me détachent les amarres et la Boiteuse se déhale tout doucement. Je saisis ma corne de brume et égrène quelques notes d’au revoir. Ca et là des bras s’agitent, des cris d’encouragement fusent et quelques sirènes répondent à mon salut... Là, l’émotion est un peu trop forte pour moi et je quitte la marina de Mindelo en sanglotant doucement. Avant de quitter la baie je jette un dernier regard en direction du chantier naval et sur le Magoër. Je pense à José, à son rêve qui s’est arrêté sur cette ile et au mien qui se poursuit. Bon vent mon pote.

Dernière vision de São Vicente
Je libère Touline que j’avais enfermé dans le cabinet de toilette. Celle-ci m’engueule avec force miaulements, visiblement peu ravie de se retrouver de nouveau en navigation. Elle fait deux fois le tour du pont à toute allure pour être bien certaine qu’il n’y a aucun moyen de s’échapper. Puis, dépitée, elle s’allonge au dessus de la descente tout en me jetant de temps en temps des regards assassins.

Passé le canal entre les iles, la mer est calme et la Boiteuse se retrouve au près à 2,5 nœuds. Pendant que la silhouette de São Vicente s’éloigne et disparait peu à peu dans la brume de chaleur, je vous fais cette petite vidéo.



Le vendredi 29 juillet 2012

Ce fut une première nuit somme toute assez calme, même s’il m’a fallut me lever assez souvent pour régler le régulateur afin de conserver un cap correct. Le vent est passé du Sud-Sud-Est à l’Est vers 23H00 et forcit légèrement. Grosso-modo j’ai marché à 4 nœuds. Des dauphins sont passés me faire coucou mais je n’ai, hélas, fait que les entendre sans pouvoir les distinguer malgré la lune. Touline a été particulièrement chiante.
Au matin, à l’heure du café, la mer est hachée et le vent tombe un peu. Je suis presque au vent arrière.

08H40, bizarrement, et heureusement, je ne suis pas malade. D’habitude il me faut quelques jours pour m’amariner, mais là j’ai pu diner d’une boite de cassoulet portugais sans ressentir le moindre malaise. C’est le métier qui rentre.

Tadaaaaa !!!
09H30, autant par désœuvrement que parce que le temps et l’allure s’y prêtent je décide d’envoyer le spi. Comme ça, tout seul et pour la première fois de ma vie dans les conditions du solo. Je fais ça méticuleusement, à mon rythme, et ... Tadaaaa ! Voilà une belle bulle qui se lève dans le ciel bleu.
Bon, en même temps il n’y a pas trop de vent alors on ne peut pas dire que je prends beaucoup de risques. Mais la Boiteuse file ses 5 nœuds et a l’air assez contente de son sort. Du coup moi aussi.

11H15, j’avance maintenant à 2 nœuds sous spi. Il fait une chaleur d’enfer, et alors que je brassais un peu ma voile... Plouf ! Fait la manivelle de winch en tombant à l’eau ! Grumf ! Bon, heureusement j’en ai une autre mais c’est la dernière alors prudence.

12H30, alors que je déjeunais d’un restant de pâtes et d’une tranche de jambon reconstitué dégueulasse, un grand bruit sur l’eau me fait me dresser sur mes pieds. Là, toute une flopée de petits poissons volants s’envole en même temps comme une compagnie de perdreaux. Il doit y avoir une chasse là dessous... dommage que nous n’allions pas assez vite pour que mon leurre soit efficace.

16H15, j’ai fait 102 milles depuis l’heure de mon départ. Dans quelques heures je vais doubler l’ile de Brava et quitter l’archipel du Cap Vert. Je m’estime content même si je me traine un peu. Remarquez, encore heureux que j’ai mis le spi parce que sinon...
Grace à l’expérience de Valinouk, parti quinze jours avant moi et dont j’ai pu suivre le parcours grâce à son traqueur, j’ai décidé d’opter pour une route le plus au sud possible jusqu’à environ 2° de latitude Nord, qui est la limite inférieure estimée de la ZIC (du Pot au Noir si vous préférez). Puis, bifurcation et route directe au travers grâce aux puissants alizés du sud-est.
Bon, ça c’est le plan. Après je sais bien que cela peut toujours se passer autrement. Je commence à connaitre un peu la musique.

Le samedi 30 juin 2012

Drôle de nuit pleine de rêves dont je ne me souviens pas. Vers 01H00 je me suis réveillé dans un paysage à la fois lugubre et féérique. Pas un souffle d’air. Pas un nuage, mais une brume qui cachait les étoiles, et la mer plate comme la main éclairée par une lune fantomatique et son gigantesque halo...
J’ai allumé le moteur (qui démarra au quart de tour) et je me suis rendormi laissant la Boiteuse filer plein Sud sous pilote électrique.
A 07H00 le jour s’est levé, et après un café, un beignet coco et une clope, hop j’envoie le spi. Un tout petit air est là, au largue, presque travers. Je continue ma route à 3,5-4 nœuds.

08H00, c’est drôle mais je m’aperçois que j’écris moins que lors de mes précédentes traversées. C’est tout con mais j’ai peur qu’à mon arrivée vous en ayez un peu trop à lire et à digérer.
Touline va bien. Comme moi elle n’a pas été malade. Là, elle hésite entre faire sa toilette et jouer avec un bout de plastique qui traine. Vous saviez que j’avais une vraie chatte de chasse ? Dès qu’un oiseau ou un banc de poisson volant vient à passer dans son champ de vision, elle se met à l’arrêt, les oreilles en avant la patte dressée, comme le Pointer moyen !

08H20, d’ailleurs ça n’a pas trainé. Démonstration parfaite lorsqu’une bande de grands dauphins a débarqué. J’ai vu les symptômes sur la chatte avant même de les voir !
Petite vidéo rien que pour vous.


12H00, je n’arrête pas de me dire qu’il faut que je profite à fond des conditions de navigation que j’ai en ce moment. C’est paradisiaque. 4,5 nœuds sous spi, et pas de houle. La Boiteuse gite très légèrement mais ne roule pas... Le pied !
Du coup je me sus lancé dans de la cuisine en me faisant des pommes de terre vapeur. Un mix avec quelques patates douces. J’aimerais bien avoir autre chose que de l’ersatz de jambon en boite pour accompagner ça...

Le soleil tape Je me suis bricolé une espèce d’abri avec une petite couverture polaire et quelques pinces à linge. Il fait toujours très chaud, mais au moins je ne crains plus la combustion spontanée.

14H30, Je me réveille en sursaut d’un petit sieston. Le vent a tourné Sud-Est puis a forci rendant le spi inutilisable. J’affale et je poursuis sous Génois grand ouvert et GV arrisée, au près. Cap au 210°.
Ca m’étonne un peu ce vent du Sud-Est... Mais bon, je sais qu’il y a une différence entre prévisions et réalité, surtout en météorologie. Avant de partir j’ai téléchargé les fichiers GRIB pour les huit jours à venir, mais je sais très bien que tout compte fait je vais devoir me débrouiller avec ce que je rencontrerai en mer. Ces fichiers ne n’ont servi qu’à établir une stratégie grossière, après c’est comme tout : C’est démerde toi avec ce que tu as. Et pour l’heure c’est du Sud-Est et toujours pas de houle ! Vogue petite Boiteuse, vogue !

18H30, un gros pétrolier me passe devant par tribord.

Ça c'est la gueule des premiers jour
18H50, je renvois de nouveau le spi. Je me tâte pour savoir si je vais prendre le risque de la garder pour la nuit ou pas...

19H30, Pfffff... J’ai tout essayé ; Spi + GV avec 2 ris, spi + GV avec un ris, spis sans GV... Rien n’y fait, je fais à peine du 2 nœuds. Je sens que la nuit va être longue.

21H10, je suis allongé dans ma baignoire et les yeux ouverts je regarde le ciel et ses nuages. En attendant le sommeil, j’écoute les bruits de la mer et du bateau. Le bruissement de l’eau sur la coque qui se transforme en frissonnement lorsque survient une risée. Le froissement du spi qui se gonfle et se dégonfle. Le frottement des drosses du régulateur... Et rien d’autre. La mer est totalement silencieuse. Pas un clapot. Rien.
Soudain, j’entends comme si une grosse vague déferlait sur tribord. Je devais commencer à sommeiller, car je mets un peu de temps à réagir. Mais finalement je me dresse et je me mets à scruter la mer et la pénombre. Des dauphins ? Je suis pas sûr... D’habitude ils ne font pas ce genre de bruit, à moins qu’ils ne surgissent tous en même temps de l’eau.
Là ! Une forme apparait à vingt ou trente mètres ! J’entends encore ce grand bruit d’éclaboussure, puis comme un souffle unique... Puis plus rien. Je guette pendant encore un moment cette apparition mais en vain. C’est fini, elle est passée.
Je me recouche sur mes matelas et je souris. Mine de rien je viens de me faire doubler par une baleine. Trop cool.

Le dimanche 1er juillet 2012

02H30, le bruit que fait le spi me réveille. A moins que ce ne soit autre chose, j’en sais rien. Pas un pet de vent comme la nuit dernière. J’avance à 0,6 nœuds en direction du Nord. C’est du grand n’importe quoi. Il faut savoir que pour qu’un régulateur fonctionne, idem pour le pilote électrique, il faut tout de même un minimum de vitesse pour que l’action sur la barre serve à quelque chose... Et là, on dirait que l’air pèse des tonnes.
Pendant une heure j’essaye de chercher le moindre souffle, le moindre soupir, mais en vain. Finalement j’abats le spi pour éviter qu’il ne s’abime sur les barres de flèche. Je hisse la GV avec un ris et je me laisse dériver.

04H00, impossible de trouver le sommeil. Inquiet pour ma consommation d’électricité je décide de couper le frigo. Tant pis pour l’eau fraiche, mais je n’ai pas envie de retrouver à court de jus.
On dirait qu’une petite brise se lève... Allez, courage Gwen ! Je renvoie le spi et j’abats la GV. Yes ! On avance à 2,1 nœuds ! Et dans le bon sens en plus ! Youppi !

A table !
07H30, j’ai réussi à dormir deux heures. Alors que je sirotais mon café trop chaud en regardant le soleil se lever, j’ai remarqué que j’avais fait une touche pendant la nuit avec ma ligne de traine. La même espèce de poisson pas-beau-tout-moche (impossible de trouver son nom) qu’entre les Canaries et le Cap Vert. En plus petit peut-être puisqu’il ne lui restait que la tête... Ca a du être un vrai festin cannibale sous la surface.
En tous les cas s’il y en a une qui a tout de suite sauté sur l’occasion pour se changer des croquettes, c’est Touline. Bon, le prochain qu’on attrape, on se le partage d’accord ?

Sinon le soleil semble nous apporter un peu de vent ce qui va nous changer un peu. Dans la nuit, de 18H00 à 06H00, nous avant fait 22 milles ! Un vrai train de sénateur paraplégique !

08H30, je viens de faire caca, et ça croyez-moi si je vous dis que c’est une information digne de figurer dans le journal de bord.
Depuis mon départ je « surveillais » attentivement mes intestins car je suis, comme qui dirait, propice à la rétention. Oui, c’est ça, pas de la constipation mais de la rétention. J’insiste sur le terme.
Pour faire ça, j’ai besoin de mon petit confort, c’est comme ça. Pour vous dire jusqu’où ça peut aller, sachez que lors de ma traversée Canaries-Cap Vert, je ne suis pas allé une seule fois ! C'est-à-dire que j’ai fait de la rétention pendant presque huit jours !
Donc là j’ai fait caca au matin du troisième jour, et je suis content.

10H20, il fait gris. Des nuages obscurcissent le soleil et le vent peine à nous pousser à deux nœuds. J’ai eu un petit moment d’angoisse légère lorsque la Boiteuse s’est retrouvée dans une mer pleine de clapot. Surtout lorsqu’il n’y a pas trop de vent, elle fait un bruit que je trouve assez flippant... On se tient aux aguets, prêt à agir. Ou à réagir plutôt, face à l’inconnu qui pourrait survenir. J’ai beau savoir que ce n’est après tout qu’une veine de courant contraire au vent, ça me fait toujours cet effet-là.

Le Navik ne fonctionne pas trop bien dans le petit temps... Sa pale aérienne est bien trop lourde. Je me souviens du régulateur de Franck que j’ai croisé à Agadir (tien, qu’est-ce qu’il devient lui ?). Lui, il disposait de deux pales : Une en contreplaqué pour le gros temps, et une deuxième en plastique alvéolé ultra léger que le moindre souffle arrivait à faire réagir.
En attendant il faut que je sois constamment aux aguets avec le mien, parce que des fois il m’emmène dans des directions complètement improbables.

Ça va pas durer à mon avis...
12H45, avant de déjeuner j’ai changé le spi d’amure (le côté du bateau d’où vient le vent). Ca m’a pris cinq minutes ! Je suis content car je commence à maitriser le truc. Sur ce bord-là je suis plein sud.
Quelques lignes avant d’essayer de dormir un peu. Vous savez ce que j’ai hâte de voir ? Les cocotiers.
J’en ai marre des palmiers, je veux voir des cocotiers ! Avec pleins de noix dessus ! Et puis la pluie aussi. Je veux voir des cocotiers, de la pluie, plein de vert et des jolies brésiliennes accortes ! (Pas forcément dans cet ordre)

16H20, je viens d’entendre un Jdong ! Intrigué, je pose mon bouquin et je me lève pour jeter un œil à mon gréement. Ca a l’air d’aller... Puis j’entends un autre Jdong, et je vois alors mon spi se décrocher, flotter quelques instants dans les airs avant que de s’affaisser lentement comme une grosse merde !
Le spi n’a pas fini de toucher l’eau que je suis déjà sur le pont à agripper la toile gorgée d’eau. J’ai peur qu’il ne passe sous la coque et ne se déchire alors je me démène comme un beau diable. Avec pas mal de difficultés j’arrive à hisser le tout sur le pont et ne peux alors que constater que c’est carrément l’étrier qui supporte la poulie de la drisse qui a été arraché.
C’est ma faute. En changeant d’amure je n’ai pas fait gaffe à l’estrope qui relie le point d’amure et celle-ci s’est emmêlée autour du davier... Quel con !
Une demi-heure plus tard, le pont est clair. Le spi est rangé dans son sac et la drisse lovée. J’ai sorti le Génois en grand et je continue ma route. Déjà qu’on ne va pas bien vite, et bien on ira encore moins vite...

Bon, faisons un peu le point. Cela ne sert à rien que je monte au mat, la réparation est impossible à réaliser. Donc il ne me reste plus que deux voiles d’avant : Le Génois qui est à poste, et le foc. J’ai une confiance toute relative dans mon Génois... Car il m’a déjà joué de vilains tours par le passé, donc il va falloir que je le bichonne. Et si jamais il me lâche, il me restera alors mon petit foc qui sera parfait pour la troisième partie de la traversée. Donc, on continue et on garde le sourire !

17H45, une bande de dauphin gris vient faire des cabrioles autour de la Boiteuse. Bon signe ? Mauvais signe ? J’en sais rien. Je ne crois pas aux signes de toute façon. Je ne veux pas y croire. Je refuse d’imaginer un seul instant que les choses puissent être écrites et que l’on n’ait pas de prise sur sa vie.

Papillon avec Génois tangonné
18H30, je viens de tangonner mon Génois afin qu’il ne s’use pas en faséyant. Là encore il s’agissait d’une première et je suis assez content du résultat. Même si je reconnais que la méthode laisse encore à désirer. En fait c’est la nécessité de préserver ma voile d’avant qui m’a poussé à tenter cette nouvelle expérience... Comme quoi, tout est question de motivation.

20H35, bon allez, je viens de diner de délicieuses nouilles « Noodles », et je vais m’en fumer une dernière avant que d’enfermer le monstre qui fait rien que des conneries. Et puis je vais me coucher, car la journée a été un peu chargée. Je suis naze. La nuit tombe et le vent fait de même. Comme d’hab.

Le lundi 02 juillet 2012

07H25, j’ai mal dormi. Sommeil agité. La première chose que j’ai faite sitôt mon café avalé c’est de lâcher mon ris n°2. Mes voiles sont maintenant en papillon (on dit aussi en ciseau) et j’avance pratiquement au vent arrière. J’ai fait 40 milles pendant la nuit avec juste mon Génois tangonné. Il y a une petite houle inférieure à un mètre et la Boiteuse se dandine.
Le matin, dès que Touline est libérée, la première chose qu’elle fait maintenant, c’est d’aller sur le tableau arrière et de regarder si on a attrapé quelque chose avec la ligne de traine. Manque de bol, celle fois-ci on a effectivement fait une touche, mais tout le bas de ligne s’est brisé... J’attends un peu avant que de la changer, car avec Touline dans le cockpit c’est mission impossible de bricoler avec des leurres et des bouts de fil.

08H25, il fait gris. La houle est très courte et comme je l’ai dis, j’avance avec les voiles en papillon. J’ai appris récemment que cette configuration se disait en anglais Goose-winged, en aile d'oie.
C’est joli aussi comme expression mais pas aussi poétique que le papillon.
Les jours de navigation qui viennent de précéder étaient exceptionnels en termes de confort. Là, avec la houle, je retrouve ma Boiteuse rouleuse et bringuebalante.

11H00 Je viens de finir de lire Les bienveillantes de Jonathan Littel. 1400 pages parfois indigestes quand l’auteur s’abstient d’utiliser le point de ponctuation. Dérangeant dans sa façon de décrire l’atrocité de l’intérieur, et frustrant dans sa conclusion. Mais dans l’ensemble c’est un bon bouquin. Allez, j’attaque maintenant Les voyages de Gulliver de J.Swift.

12H00 86 milles de parcourus en 24 heures au point de la mi-journée. C’est bien. Le soleil commence à percer, le vent et la houle faiblissent... Je déjeune d’une boite de sardine avec trois œufs au plat, avec un yaourt au fruit pour finir. Le pain est presque rassis.

14H45 Tien, pour info l’eau de mer est à 27°C.

J'me culture !
17H30 il faut que je vous dise un mot tout de même concernant mon rythme de vie à bord, qui est maintenant (je crois) bien établi.
Généralement je me réveille vers six du mat’ pour effectuer un point. Je relève ma position et je regarde sur l’ordinateur s’il y a lieu de modifier ma route ou pas. Puis je me recouche pour une petite grasse matinée le temps que le soleil se lève.
Je refais un point à midi, et je positionne alors le bateau sur la grande carte papier de l’Atlantique. Je peux suivre ainsi ma progression jour par jour d’une manière plus classique et sur un support quand même plus agréable et palpable. Puis je déjeune.
Peu ou pas de sieste, tout dépend la nuit que je viens de passer, et j’attends que 18H00 arrive pour effectuer le dernier point de la journée. Je dîne et vers 20H30-21H00, une fois qu’il fait nuit noire, je me couche et je dors jusqu’au lendemain.
Très peu d’occupations contractuelles comme vous le voyez. Le temps entre chaque point, je l’occupe au réglage de mes voiles et du régulateur, à la lecture, à la musique, à surveiller Touline, et à l’écriture bien sûr.
Mais il se passe également de longues minutes pendant lesquelles je laisse dériver mon esprit vers ses rivages brésiliens que je tente de rejoindre. J’imagine comment ma vie sera forcément bien là-bas...
Mais bon, il faut quand même que je vous avoue que je me fais pas mal chier aussi. Heureusement, les journées passent dans l’ensemble assez vite.

16H15 alors que j’avais Touline dans les bras pour un petit câlin, il m’est venu de drôle de pensées. Je me suis pris à imaginer ma chatte à la découverte de son nouvel environnement et à devoir la mettre en garde contre de nouveaux dangers : Les singes, les araignées et les caïmans aussi ! Car Jacaré, en brésilien ça veut dire caïman !

Le mardi 03 juillet 2012

07H05 nuit difficile, sans vent. J’ai dormi, mais d’un mauvais sommeil. J’ai laissé les voiles en ciseau, mais difficile de trouver le sommeil lorsque une vieille houle fait rouler la Boiteuse, que le gréement grince et que les voiles battent. J’ai beau avoir tout attaché pour limiter le raguage, mais il n’empêche qu’avec moins de trois nœuds de vent, les voiles se cherchent et tout grince. Ca fait un boucan d’autant plus infernal que la mer est silencieuse. J’ai l’impression qu’on pourrait entendre gémir la Boiteuse à des milles à la ronde. Limite je trouve ça indécent que de troubler cette nuit de pleine lune.

Vers 04H00 je me suis levé pour pisser, et j’ai ramené le même poisson pas-beau-tout-moche. Entier celui-là. Touline ne crèvera pas de faim. Et à 06H00 j’ai fais mon point et j’ai réalisé que nous avions parcouru 22 milles pendant la nuit. C’est pas la joie...

08H20, au fait, au cas où cela vous intéresserait, mon transit intestinal se porte bien. Merci pour lui.

10H15, je décide de mettre le moteur pendant une heure histoire de recharger un peu les batteries tout en faisant un peu de route utile. Il fait une chaleur d’enfer sous mon abri. J’essaye tant bien que mal de ventiler l’intérieur du bateau en ouvrant au maximum, mais c’est pas gagné.

Inconnu au bataillon
12H30, alors que je faisais la vaisselle de midi, je me suis aperçu que des poissons nageaient sous la coque. A tout hasard je lance un hameçon avec un petit bout de poisson de ce matin, et oh surprise, trente secondes plus tard je remontais une espèce de poisson perroquet (là encore, impossible de trouver son nom). Comme ça avait été hyper facile de l’attraper, je l’ai remis à l’eau en me disant que j’allais réitérer la chose mais cette fois-ci sous l’œil de la caméra ! Hélas, quelques minutes plus tard, le temps que je démêle le sac de nœuds que Touline m’avait avec la ligne, ils avaient disparu !

14H15, après avoir longuement hésité je décide de démarrer Mercedes pour quelques heures. Je suis cloué sur place depuis hier au soir, et j’en ai plein le dos. En plus la chaleur est accablante.

18H40, j’ai fini Les voyages de Gulliver. Oui je sais, je lis assez vite, d’autant que je n’ai que ça à foutre. Je laisse un peu reposer mes neurones et demain j’attaque un classique de mon enfance : La nuit des enfants rois de Bernard Lentéric.
En attendant j’écoute un peu de Brel...

20H00, j’arrête le moteur. Vitesse : 1,5 nœud avec un vent d’Ouest vaguement de travers. Je vérifie sur les fichiers météo, et effectivement je suis sensé rencontrer une veine de vent d’Ouest, mais pas si haut... Bon, on verra bien. Pour l’heure il est temps de bouffer.

Le mercredi 04 juillet 2012

07H50, drôle de nuit. Fatigante et bizarre à la fois.
Lorsque je me suis couché il faisait pétole moins douze, comme la nuit précédente, et j’ai sérieusement envisagé de mettre des boules Quies pour ne plus entendre les voiles et la bôme battre. A 01H30, je me suis réveillé en sursaut d’un rêve pénétrant qui me voyait tentant désespérément de prouver à mon amour de jeunesse que je n’étais pas coupable d’un crime, et d’empêcher par-là même qu’elle ne me quitte...
La mer, désolante de platitude, je démarre alors le moteur et je me rendors.

A 03H30, une petite pluie fine me réveille de nouveau. Yes ! Il pleut ! Sauf que ce n’est pas vraiment le moment de prendre une douche. Un quart d’heure plus tard, le nuage est passé et laisse dans son sillage in petit zeph du Sud-Sud-Ouest qui me fait alors arrêter le moteur et hisser les voiles pour continuer au près.

Re-dodo jusqu’à six heure, où là c’est Touline qui me réveille. Elle a, dieu sait comment, réussi à dégoter un sachet d’hameçons et joue avec dans le cockpit sans aucune considération pour le sommeil de son Seigneur et Maitre ! (Tu parles !)
Puis, à 07H15, re-re-réveil en sursaut à la suite d’un autre rêve non moins bizarre où je me faisais agresser par une bande de gosses à qui je mettais une branlée, perdre Touline et la retrouver dans un restaurant et rencontrer une petite asiatique mignonne comme tout qui tombait amoureuse de moi... Celui-là de rêve, j’aurais bien aimé qu’il se prolonge un peu (l’autre moins, ça fait 22 ans que le fais), mais là encore c’est la pluie qui m’a réveillé.

Maintenant la Boiteuse avance tranquillement à 3-4 nœuds dans une mer légèrement formée. On est un peu secoué, mais au moins on avance. Nous avons passé les 10° de latitude Nord, et je vous annonce que nous sommes officiellement dans le Pot au Noir les enfants !
Sur bâbord je vois une grosse nuée sombre qui rejoint l’horizon (genre orage bien compact), sur tribord un deuxième et un dernier derrière. Et à l’avant, un arc en ciel. Ca tombe bien, c’est par là qu’on va.

09H35, j’arrive à négocier mon premier gros grain avec succès sans réduire la toile et en conservant le cap. C’était sportif !
Après son passage, je vous ai concocté cette petite vidéo.


13H20, un cargo me dépasse par l’arrière faisant route au 240°.

15H15, après le grain de ce matin, les autres ont été plus compliqués à gérer. En fait je n’ai pas débandé pendant six heures. J’ai été secoué dans tous les sens et copieusement saucé. Le vent est monté joyeusement à F6 au près, avec une houle courte et cassante. Je n’ai fait que passer mon temps à régler mes voiles et le régul’ en fonction de ce qui nous tombait sur le râble. Le mal de mer m’a un peu saisi, et je n’ai pas mangé.

L'est beau celui-là
15H50, alors que je me penchais à l’arrière pour régler une énième fois la pale du régulateur, j’ai vu qu’un poisson avait mordu. Bon, on verra quand ce sera plus calme pour ce qui est de le découper et de le manger car pour l’instant je suis un peu occupé. J’en prends plein la gueule.

Le jeudi 05 juillet 2012

Je n’ai pas beaucoup écrit depuis hier et vous allez comprendre pourquoi. Peu après l’épisode du poisson, j’ai eu à affronter le plus gros grain de la série. Jusqu’à présent ceux-ci me passaient par tribord arrière et on peu dire que je n’en subissais que les effets périphériques. Seulement celui-là m’est arrivé droit dessus et je n’ai rien pu faire pour l’éviter. Il a duré quelque chose comme trois heures. A 18H00, je descends tant bien que mal faire mon point. La Boiteuse est au près, vent debout et la mer est forte. Plusieures choses s’enchainent alors en même temps : Touline qui était restée enfermée depuis le matin sort malgré la pluie battante et entreprend de ramener notre prise à l’intérieur pour pouvoir la bouloter tranquillement (le poisson était plus lourd qu’elle !). Pendant ce temps-là, l’ordi ramait à trouver sa position GPS et j’étais comme un con devant l’écran à attendre que ça se passe. Dehors le vent s’est soudain mis à rugir et le bateau s’est presque couché sous ses assauts. J’ai voulu sortir pour réduire la voilure en urgence, mais le temps que j’arrive à balancer Touline à l’intérieur et à fermer la descente pour pouvoir manœuvrer en toute sécurité (la sienne de sécurité) il était trop tard. La chute du Génois venait de se déchirer sur plus de deux mètres.

L’épisode m’a laissé complètement abattu, aussi bien physiquement que moralement. En fin de journée j’ai tout fermé, réduit la voilure au minimum et je me suis couché dans le cockpit en rabattant mon duvet trempé sur ma tête. Et jusqu’à ce que j’arrive à m’endormir, de sombres pensées m’ont assailli. J’ai commencé à imaginer que j’allais y laisser ma peau... J’ai eu peur.
Dehors c’était l’enfer, alors j’ai fermé les yeux pour ne plus le voir.

J'accuse le coup...
Le lendemain le soleil a percé enfin les nuages et j’ai pris le temps de me faire un café chaud et de manger quelque chose, car j’étais pratiquement à jeun depuis 36 heures. La situation n’est pas si dramatique dans le fond, même si je voyais les choses tout autrement la veille au soir... La boiteuse cahote ses trois nœuds, plein sud dans une mer formée mais praticable. J’espère seulement avoir au moins quelques instants de pétole avant les alizés du Sud-Est. Je me sentirais mieux si j’arrivais à virer mon Génois et à mettre mon foc à la place...

Un goéland juvénile (je crois que s’en est un) vient tourner autour de la Boiteuse... Qu’est-ce qu’il peut bien faire là, aussi loin des terres ?
Tien mon bonhomme, il me reste un peu de beignets coco complètement rassis, c’est pour toi.

Compagnon de route
Fin de la première partie.

22 commentaires:

sonia a dit…

Tu confirmes ici que Pescatorus, ce n'est pas toi :). Mais tu es celui qui a été doublé par une baleine (ou l'inverse)...

Monique a dit…

Bon ben ...voilà c'est parti pour l'écriture ! On s'y croit..et on attend la suite avec impatience !!!

Alors..? et le gênois ?
Tu vas attendre une semaine pour raconter la suite, dis ????

Sophie L a dit…

Une semaine et plus de spi, plus de génois, et plus qu'une manivelle de winch... Heureusement qu'on sait que tu es arrivé, parce que c'est quand même un peu beaucoup inquiétant...
Merci pour ce récit très vrai, on attend la suite!

Gwendal Denis a dit…

@Sonia : C'est vrai que je n'ai pas les talents de Xavier pour la pêche... Mais je suis sûr qu'en cherchant bien on doit pouvoir trouver un domaine où c'est lui la quiche et moi le pro !

@Monique : Je ne vais attendre une semaine pour le deuxième épisode, ne t'inquiète pas. Mais laissons passer quelques jours quand même, hein ?

Gwendal Denis a dit…

@Sophie : Et oui, tout ça ce n'était que la première semaine... Mais il y a de quoi bien remplir les deux autres, t'en fais pas !

cazo a dit…

Eh ben... je me suis régalé à lire cette première semaine, j'attends avec impatience la suite !!

PS : "ça va"(1) mieux depuis que tu es enfin arrivé à bon port ?
(1) : Au sens premier !! ;-) !!!

Gwendal Denis a dit…

@Cazo : Bien sûr que ça va mieux ! Le bateau est à quai, sain et sauf, et je bois du jus de coco à même le fruit. Quoi demander de plus ?

...toussaint a dit…

La fin du récit c'est l'angoisse, on s'y croirait, avec un petit moment de desespoir, et ca repart, comme toujours dans la vie..
Capitaine courageux...

Marie a dit…

Comme dit Sophie, heureusement qu'on sait que tu es arrivé, sinon, on pourrait être 'anxieux' à la lecture du récit de cette première semaine !!
Pour le domaine où Xavier n'est pas un expert, demande-lui combien de paris il a perdu contre moi à cause de son 'sapin de Noel' si personnel rue des Entrepreneurs ;-) même si je crois comprendre que le bricolage n'est pas ton fort non plus :-D
Vivement la 2nde semaine !!!

Gwendal Denis a dit…

@... : J'suis pas courageux.

@Marie : Je suis une quiche en bricolage aussi. :) (mais je m'améliore, alors que la pêche...)

Alexandra et Xavier a dit…

Ça fait plaisir de te voir en vidéo, ça nous rappelle le temps des papotages sur les pontons d'Agadir!
Comme d'hab' c'était très agréable de te lire, tu as le don de nous tenir en haleine, on attend le prochain épisode avec impatience!

lucifer ! a dit…

j'entends d'ici le plouf de la manivelle qui tombe à l'eau ! ...et les voilures qui se déchirent ...
heureusement en effet que l'on sait que tu es arrivé à bon port;
en fait , une transat n'est pas tout à fait une croisière .Mais, tu avais un bon second!
Touline est exceptionnelle !j'ai hâte de savoir comment elle gère les caïmans .
Heureuse de te savoir au (presque) paradis , Tu l'as bien gagné!

Takarii a dit…

Content de te savoir arrivé au Bresil, profites de ton escale.

Vaut mieux que ta cadene de poulie de spi ait petée avec le spi qu avec toi dessus, tu te souviens que je ne voulais pas monter dessus et que je t avais conseillé de ne pas le faire, un mal pour un bien en fait.

A plus de lire tes aventures.

Thrse a dit…

ça c'est du journal!!! Tu es beau et fier avec ton poisson!

Bravo matelot, continue!
On est tous avec toi!
Gros bisous impatients d'entendre la suite!

Monique a dit…

Et il se demande pourquoi j'étais inquiète !!

Mes antennes ne m'ont pas trahies !
C'était quand même pas le long fleuve tranquille la première semaine , déjà !

Gwendal Denis a dit…

@Alexandra et Xavier : Nos papotage me manque à moi aussi. Mais je gage qu'avant peu nous aurons l'occasion de remettre ça. A priori ma prochaine étape sera Tobago, ça vous dis quelque chose ? :)

@Lucifer : Non, on est pas dans la croisière s'amuse, c'est le moins que 'on puisse dire. (J'ai pas encore trouvé de hamac brésilien, mais cela ne serait tarder)

@Takarii : Salut Norbert ! Et oui, tu as eu le nez creux sur ce coup là !

@Thérèse : Je sais pas si je suis beau, mais j'étais pas mal fier ça c'est vrai !

@Monique : Et encore, ya eu pire crois-moi ! (ça c'est du teasing)

Marie a dit…

Tobago...magique, tu verras... C est là que j ai eu la joie et le bonheur de passer quelques jours avec Alex et Xavier. Je suis sure que Touline fera copine avec les tortues :-)))

Captainhaka a dit…

Un vrai moment de suspense et de plaisir. Merci Gwendal.

Content de te savoir arrivé à bon port quand même :)

Gwendal Denis a dit…

@Marie : Il parait en effet que c'est pas mal. Mais pour l'instant je me fais une orgie de GREEN !

@Captainhaka : Crois-moi, moi aussi j'ai été content d'arriver !

Trinita a dit…

Dis-donc, t'en a chié !

(Ca va, c'est pas la journée internationale de la finesse et de l'élégance)

Gwendal Denis a dit…

@Trinita : J'ai fait en sorte que ça aille, mais j'ai ramené quelques ronds de chapeau...

Trinita a dit…

:)