dimanche 22 avril 2012

Vers le Cap Vert – Deuxième partie

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente

Le dimanche 15 avril 2012

Tropique du Cancer !
08H20, Houla ! Dure la nuit... Tout allait à peu près bien jusqu’à minuit, minuit et demi. Vent de Force 5, une mer formée mais sans excès. Ça chahute mais on reste dans le domaine du supportable.
Minuit et demi, j’attendais ce moment avec impatience car c’est l’heure à laquelle j’ai franchi le Tropique du Cancer ! Oui Messieurs-Dames ! La Boiteuse navigue désormais « sous » les tropiques... Ce matin je voulais vous dire ma joie d’avoir franchi cette ligne virtuelle, toute aussi symbolique pour moi que ne l’est l'Equateur. Cela doit venir de mon imaginaire personnel je crois... Passion sous les tropiques, Ouragan sous les tropiques, Aventure sous les tropiques, etc... Tous ces titres ont en commun d’insinuer un décor fait de chaleur, à la fois sensuelle et exotique. Et puis je ne sais pas pour vous, mais ce n’est pas tout les jours qu’on peut dire « Je viens d’arriver sous les tropiques ! ». Et bien moi je viens de le faire, là maintenant. Je viens de conduire ma Boiteuse sous les tropiques... Et mine de rien j’en suis pas peu fier.
Je souris en pensant à Captaingils, car c’est un peu lui qui m’a inspiré le fait de scotcher au dessus de la table à carte les coordonnées 23°26’16". Lui avait failli oublier alors que moi non !

Bon, à part ça les tropiques c’est très surfait. C’est même carrément du pipeau si l’on s’en réfère à la nuit que je viens de passer. Sitôt la ligne franchie, le vent a forci m’obligeant à réduire le Génois à la taille d’un mouchoir de poche (Attention à ne pas confondre avec le timbre poste ou le string qui sont d’autres mesures de surface en vigueur dans la marine), et ensuite jusqu’au lever du jour ça a été « tous aux abris et advienne que pourra ! » Je me suis fait brasser et la mer m’a déferlé sur la gueule pendant toute la nuit alors que la Boiteuse filait comme une fusée dans la nuit noire.
Vers 04H00 tout était trempé dans le cockpit. Le bonhomme, le duvet, le matelas, les coussins... D’ailleurs ce n’était plus un cockpit mais plutôt une baignoire. J’étais pelotonné dans le fond de ma baignoire donc, à même le caillebotis, j’avais froid et j’attendais sans dormir la prochaine qui allait me saucer. A un moment j’ai fortement envisagé d’aller me réfugier à l’intérieur au sec et au chaud dans le carré, mais à cause de la chatte j’ai dû y renoncer (vous verrez pourquoi plus loin). Bref, j’ai eu ma dose et pendant ce temps-là la Boiteuse surfait sur les vagues à 13,4 nœuds.

N'oubliez pas de voter aujourd'hui !
10H00, c’est toujours aussi mouvementé et je regarde la houle qui m’arrive par bâbord arrière en écoutant Noir Désir. Ça me fait penser qu’on est dimanche et que dans une semaine ce sera le premier tour des élections présidentielles... Certains d’entre vous vont peut-être me trouver débile, mais je ressens comme une espèce de culpabilité de ne pas pouvoir voter cette année. J’aurai pu, je pense, me débrouiller pour faire mon devoir, mais en même temps selon la loi je n’ai plus de domicile en France et je ne suis pas inscrit sur les listes des français résidant à l’étranger. Je suis un nomade absolu, et les nomades n’ont par définition pas de pays. Donc les nomades ne votent pas pour élire leur président, point barre. A moins qu’il y ait un président de la Nomadie, mais là je ne suis pas au courant...
 Alors vous demandez-vous, pourquoi me sentir coupable ? Et bien parce que je me sens concerné car la France reste mon pays malgré tout, et que j’ai un sens aigu du devoir civique et de la chose publique. Je ne suis pas comme ces voyageurs qui parcourent le monde l’esprit béatement ouvert à toutes les nouveautés culturelles ou spirituelles qu’ils croisent. A tort ou à raison (on s’en fout) je me trimballe avec mon bagage de gauchiste patenté. Je suis un être éminemment politique qui confronte sa grille de lecture subjective à la réalité de ce monde... Et pour l’instant je dirais qu’il colle assez bien à ma grille, le monde. Quelles que soient les sociétés que j’ai croisées pour l’instant, il y toujours d’un côté les exploiteurs, ou ceux qui aspirent à le devenir, et de l’autre les exploités. C'est un peu manichéen je sais, mais c'est comme ça.

Bref, tout ça pour dire que ce qui va se passer en France me touche, même si pour l’instant j’habite sur quelques mètres carrés de plastique, flottant au milieu de l’Atlantique. Et puis je vais peut être encore me faire enguirlander par des lecteurs, mais j’espère que Mélenchon va leur en mettre plein la gueule, voilà ! Vas-y Méluche ! Fais leur voir à tous ces cons que c’est l’humain qui doit passer avant toute chose. Montre leur qu’une utopie n’en n’est une que si on s’applique à ne pas vouloir la réaliser.
Moi j’en connais un bout sur les utopies... Je dirais même que je pratique l’utopie au quotidien ! Une utopie n’est pas un but, c’est une direction générale et on s’en fout si elle est viable, réalisable ou que sais-je : L’important c’est d’essayer, encore et encore, et c’est ça qui rend les gens meilleurs.
Je me fous de savoir si un jour je vais arriver à faire le tour de la planète avec mon canote, je m’en tape royalement le coquillard ! Ce qui compte c’est que là maintenant je suis dans mon bateau, et j’essaye...

10h50, démarrage moteur. L’aiguille du voltmètre d’origine est à zéro alors que le boitier de régulation des panneaux solaire m’indique que je suis à 12,8 Volts. Bizarre... Dans le doute je préfère booster mes batteries avec l’alternateur du moteur, on ne sait jamais.
J’en profite aussi pour envoyer un peu de toile à l’avant : 1/3 du Génois, à 130° du vent, à la limite de l’empannage. Je fais un cap au 215° alors que le GPS me dit que je fais du plein Sud... Ça veut dire qu’il y a 35° de dérive + dérivation... La vache !

11H30, je tente un petit film que j’ai l’intention de monter plus tard avec un fond musical. Et c’est là qu’apparaissent mes premiers (et mes seuls) dauphins. Ils croisent l’étrave de la Boiteuse quelques minutes et puis s’en vont... Au loin j’aperçois quelques poissons volants tous bleus qui décollent... Il n’y en n’a pas un qui aurait la bonne idée de venir se poser sur le pont du bateau, non ? Je suis sûr que Touline apprécierait.

12H00 Pommes de terre à la cocotte avec des tranches de jambon Serano... Miam ! Au fait, je viens de faire un point et nous en sommes à la moitié théorique du trajet. En ligne droite s’entend... Parce que là, vu le louvoiement c’est pas gagné. De même, ça fait 93 heures que je suis en mer, mon plus long trajet jusqu’à présent... Vitesse moyenne 4,8 nœuds, Mer Agitée, Nordet de 15 nœuds, cap au 210°... A ce train là on peut commencer à prévoir une arrivée pour mercredi en fin de journée...

Pardon ? Ne présume pas trop Capitaine ! Tu arriveras quand tu arriveras. Point barre. »
Oui mais quand même on peut déjà... »
J’ai dis non ! »
Mais heuuuuu... »
Ta gueule. »
Grumf ! »

15H00 : Point journalier : 132 milles en 24 heures. Pas mal !

Oups !
16H00, Je me suis bricolé un dispositif pour pouvoir relever le panneau solaire. J’ai utilisé la drisse de spi pour cela. Ça a l’air de tenir mais le souci c’est qu’il ne faut pas que j’oublie de l’enlever avant tout virement de bord ou empannage, sous peine d’arracher tout le bordel. Il reste 388 milles à parcourir... Je regarde avec inquiétude les drosses du régulateur... Je savais de par mes lectures de Moitessier que ça s’usait, mais pas à ce point là ! Vous croyez qu’en quarante ans ils ont amélioré la technologie des cordages ? Et bien il semble que non... Heureusement j’ai prévu le coup et j’ai de la longueur de rab ainsi qu’un jeu complet tout neuf... La question que je me pose est celle-ci : Est-ce que j’anticipe ou bien j’attends que ça pète ?
La réponse peut vous sembler évidente, mais j’aimerais bien que ça bouge un peu moins avant que d’aller faire le guignol sur le tableau arrière... C’est que mine de rien ça dépote pas mal...
Oh et puis merde ! Ça n’a pas trainé. Ni une ni deux j’ai mis mon harnais, j’ai branché Monsieur Pilote qui roupillait depuis le début de la traversé, j’ai pris mon couteau et je me suis penché (littéralement) sur le problème. En trois minutes chrono c’était bâché. En fait ça m’a pris plus de temps de re-régler le régulateur que de raccourcir ces fichues drosses ! Tien, j’y pense, peut-être qu’il faudrait que je change les poulies aussi... Elles ont beau être d’origine, c’est mieux si elles tournent non ?

18H30, un pétrolier me passe loin devant par bâbord. Où va-t-il ? Un pétrel de Castro vient virevolter autour de la Boiteuse. Et toi où vas-tu ?
Putain qu’on est bien là...

Le lundi 16 avril 2012

08H00, réveil sous un grain qui m’oblige à troquer le pantalon de toile contre le ciré. J’ai fais 68 milles pendant les douze dernières heures mais le vent à légèrement tourné et j’ai perdu en cap. Objectif du jour, grappiller de l’Ouest le plus possible. Reste 300 milles à parcourir en ligne droite. Mais si Eole ne me file pas un coup de main je vais devoir tirer des bords de grand largue et rallonger la route. A moins que...

Allez mon Génois !
09H00, après beaucoup d’effort étant donné la force du vent, je me suis résolu à complètement abattre ma Grand-Voile. C’est dingue les préjugés qu’on peut avoir, même en matière de voile. Pour moi, ne naviguer que sur la voile d’avant relevait de l’illogisme, et pourtant... La vitesse ne s’en trouve pas modifiée et l’inconfort en est accru, mais par contre niveau cap, c’est le top !
J’espère que le Génois va tenir le coup... D’où je suis à l’arrière je peux voir une déchirure que j’avais réparée et je constate que le scotch à voile est en train de se décoller...

Ça fait combien de temps que je suis dans la baston déjà ? Je ne sais plus, alors j’ai mis mes panneaux solaires en place. Je sais il n’y a aucun rapport.

Depuis samedi c’est la même chose. Ça se calme un poil pendant la nuit, puis au matin on remet le couvert pour servir les déferlantes et les embruns. Ce qui me rassure quelque part, c’est que je m’y habitue. Je n’ai même plus ce nœud au ventre quand je vois une grosse vague arriver par l’arrière. Quant à celles qui vous chopent par le travers, on ne les voit pas venir, alors pourquoi s’en soucier ?

10H20. A savoir. Ne jamais, je dis bien jamais, jeter quelque chose par-dessus bord si vous êtes dans le champ de vision de Touline. Car aussitôt, d’où qu’elle soit dans le bateau, elle se précipite pour le récupérer. Je viens d’en faire l’expérience avec une peau de banane, et c’est tout juste si cette conne ne la pas suivie...

12H00, sandwichs jambon-beurre.

14h10, je renvoie un peu à l’avant car le vent a baissé. Un demi Génois et on file toujours à 5,5 nœuds.

15H00, ça s’est bien calmé. Un petit avec F4 avec la houle qui décroit de minute en minute. J’en suis à 3/4 de Génois maintenant et on file toujours à bonne allure. C’est cool ! Je ne voudrais pas en demander trop, mais si je pouvais avoir une mer comme ça jusqu’à la fin ce serait le top. (Siouplait M’sieur !)
Je commence à entrevoir le petit souci que risque de représenter mon arrivée si je continue à ce train là, et comme d’habitude il s’agit d’arriver avant la nuit. Franchement je ne sais pas trop ce que peut donner un accostage de nuit au Cap Vert, alors soit on continue à fond les ballons comme ça en espérant arriver mercredi au coucher du soleil, soit on ralentit et on table sur une arrivée jeudi aux aurores. Cruel dilemme...
Bon, on va continuer comme ça et on verra bien. Pour l’heure j’apprécie tout de même un peu de calme et la douce tiédeur du vent. On est sous les tropiques merde ! Plus exactement au large de la Mauritanie. Le cap Blanc, le banc d’Arguin, tout ça...

Là, on est calé !
 Quand il fait bon naviguer comme ça, je m’amuse à regarder ma chatte. Il y a un truc chez elle qui me fait marrer, c’est sa capacité à « s’ancrer » pour roupiller. Comment vous dire... Bon, la place topissime pour roupiller quelle que soit l’allure du bateau, c’est bien sûr derrière les instruments. Là, pas de souci de gite, de roulis ou de tangage, la bête est calée de partout. Mais parfois ladite bête préférerait être plus proche de son maitre adoré (tu parles !), ou en tous cas à portée de vue. Dans ces cas-là, elle s’allonge quelque part et hop, on peut voir ses griffes sortir comme des grappins ! Et le plus drôle dans tout ça c’est qu’elle doit avoir un système de blocage au bout des pattes, car les griffes restent sorties même quand elle dort.

18H00, impossible de savoir si l’accalmie va durer ou pas. Pour l’instant je navigue à 150° du vent, Génois quasi déployé en entier par une mer que je qualifierais de calme. Très calme. Agréablement calme...Si ça continue à baisser comme ça, la question de l’arrivée de nuit ne se posera plus.

19H45, le vent remonte, je réduis un peu la voilure... En fait, le principal boulot du marin, en tous cas le mien, c’est s’adapter aux éléments. De faire avec. Ça a l’air banal ce que dis là, mais si l’on y réfléchit un peu ça implique pas mal de choses... De mon point de vue, celui que j’ai là en ce moment sous les yeux, on ne lutte pas avec Mère Nature, on coopère avec elle et c'est pour moi une évidence. Mère Nature, Pachamama, Eole ou Neptune, on s’en tape de la façon dont on l’appelle, quand vous êtes en plein océan vous ne pouvez que composer avec ce que vous rencontrez... Vous vous adaptez, et surtout vous ne la ramenez pas. Face à cette incroyable domination, qui va de paire avec une formidable générosité parfois, le marin se fait tout petit, respectueux, et plie.
Et bien vous voulez que je vous dise ? Personnellement c’est bien la seule chose devant laquelle j’accepte volontiers de plier maintenant.

20H00, un petit cassoulet et au lit ! Non, avant je vais quand même attendre le coucher du soleil... Des fois qu’il serait plus beau que celui d’hier !

A suivre pour une dernière partie.

Coucher...
Lever !

8 commentaires:

bruno0578 a dit…

Bonjour Gwen,

Félicitations!!!
hâte de lire la suite et pourquoi-pas une petite vidéo de tes impressions?
bruno

lucifer ! a dit…

Eh bien, tout mouillé sur ton petit bateau, tu en apprends des choses;
et tu nous en apprends !
ainsi l'utopie... qui" n'est pas un but mais une direction générale et on s'en fout si ... "
Mais fait gaffe! Bientôt on va te citer dans les manuels de philo,
et ça , c'est pas bon pour l'égo, enfin ,je crois ...
Ici,sur mon petit océan-jardin, on annonce du beau temps pour mercredi; je sens que je vais rêver aux tropiques .

cazo a dit…

Réduit la voilure, Gwen, ça va trop vite... on a pas le temps de savourer !!

;-) !

Monique a dit…

J'aime assez ce que tu dis sur l'utopie...surtout ce soir !

Allez! la suite et pas trop vite ! faisons durer le plaisir !!!

Gwendal Denis a dit…

@Bruno : C’est compliqué de faire passer des vidéo par ici... Le haut Débit, ils ne connaissent pas au Cap Vert ! Merci et bienvenu Bruno !

@Lucifer : La mer et l’ennui mènent à quelques réflexions, c’est un fait. Et c’est pas plus mal !

@Cazo : Mais heuuuu... C’est dans ma tête, alors faut que ça sorte !

@Monique : Bon d’accord... on va attendre un peu. Mais pas longtemps !

cazo a dit…

Maaaiiisss.. ouiiii.. c'est juste qu'on prend tellement de plaisir à lire qu'on aimerait que tes naves soient bien plus longues !! ;-) !!!

Bourreau fais ton office a dit…

'tain ... l'innommable loin devant Mélanchon avec 18% ... l'inhumain d'abord ! ... t'as bien fait de te casser. Heureusement que pour ceux qui sont resté à quai il y a ton blog pour s'évader un peu ...

Gwendal Denis a dit…

Cazo : Ca va pas tarder... Patience !

Bourreau : Pas très fier d'être Français aujourd'hui...