28°05.360N
17°06.543W
San
Sebastián de la Gomera
10H30, la guagua qui doit m’emmener à mon point de
départ démarre de la gare routière de San Sebastián. Tout autour de moi ça
parle allemand et ça sent la bière... Je me dis que peut-être j’ai mal choisi
mon jour pour aller me balader. Dehors il pleut par intermittence, et le
plafond des nuages est très bas. En plus je m’aperçois que je suis parti avec
juste une bouteille d’eau, sans ma montre, sans mon téléphone et sans
casse-croute... Bref, je me suis un peu lancé dans cette virée sur un coup de
tête, et même le parcours que j’ai choisi laisse une large part à
l’improvisation.
Nous
ne roulions pas depuis cinq minutes que toutes mes réticences s’envolaient. Au
fur et à mesure que le car prenait de l’altitude, le paysage se faisait de plus
en plus beau pour finir par atteindre le grandiose. La côte sud-est de l’île
est certes désertique mais tellement abrupte, tellement tourmentée que l’on ne
peut que rester bouche bée à sa vue. J’attrape, derrière les vitres sales du
car, quelques images à la volée. J’aperçois l’île de Tenerife dont le sommet (Teide
3715 m) reste perdu derrière les nuages. Elle est à 30 Km mais le dénivelé important
la fait paraitre curieusement proche...
Peu
à peu la végétation se fait plus dense, et les buissons de bruyère remplacent
les aloès. Nous montons, montons, montons... Jusqu’à nous perdre dans les
nuages. Le car allume ses phares. La route est trempée d’humidité et des nuées
plus compactes que d’autres traversent la route comme des murs blancs
amovibles.
Las
Pajaritos, Parque Nacional de Garajonay, c’est là que je descends. Sitôt sur le
parking, j’ouvre mon sac et j’en sors ma polaire et mon blouson. La température
est descendue d’au moins 15° et le vent souffle en rafale agite les branches
des hautes bruyères en fleur.
Un
pépiement m’interpelle, c’est un pinson aux jolies couleurs qui me souhaite la
bienvenue. Je suis juste au milieu de nulle part, à 1300 m d’altitude, perdu
dans les nuages. L’ambiance est surréaliste.
Je
consulte ma carte et me mets en route. Je longe un temps la route pour enfin
m’enfoncer dans la forêt à la faveur d’un sentier balisé. Une forêt un peu
particulière cependant car à cette altitude c’est le règne des bruyères
arborescentes qui ne dépassent pas les trois ou quatre mètres. Leurs troncs
sont recouverts de fins écheveaux de lichens, de mousses... Le sentier descend
la montagne en serpentant entre les taillis. Tout est humide et mes pieds
s’enfoncent dans un sol riche et spongieux. Je suis étonné de ne pas sentir
cette odeur caractéristique des sous-bois que je connais si bien. Ca me
tarabuste pendant un moment jusqu’à ce que je réalise que malgré le terrain
apparemment propice, je ne vois pas un seul champignon... Ça veut donc dire que
la dégradation des végétaux ne se fait que grâce aux insectes et au vers de
terre... Pas étonnant que cette forêt soit si particulière, si préservée. Elle
a du mérite à se renouveler dans de telles conditions. D’ailleurs c’est
peut-être pour ça qu’elle est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO ?
Va savoir...
Je
suis aux anges. Je renoue avec mes racines professionnelles alors que mon
regard se promène le long de ces troncs torturés, et un peu de nostalgie
m’étreint le cœur. Pas facile d’oublier sa vie d’avant, celle du temps où c’était
mon métier que de veiller sur les bois, d’en inventorier la flore et la
faune... Pour l’heure je ne suis plus que spectateur et ce que je vois me laisse
à la fois heureux et triste. Interrogatif aussi. Qu’elle est donc cette fleur ?
C’est quoi cet arbre ? Je n’ai pas la réponse et ça me frustre, je ne peux
me référer qu’à mes connaissances de bases et me dire que tel ou tel végétal
ressemble à quelque chose que je connais. Je suis loin de mes forêts françaises...
Je
continue à descendre et peu à peu les lauriers remplacent les bruyères
arborescentes. Rien à voir avec nos lauriers ornementaux. Ici ils ont la taille
et le diamètre de vrais arbres, nous sommes dans la laurisylve. Comme ce sont des arbres à feuille très
coriaces, le sous-bois est parsemé de couleurs qui vont du vert tendre au rouge
en passant par toutes les teintes de brun imaginables.
Je
rattrape une troupe d’allemands avec leur guide. J’aurais bien profité de ses
lumières, mais ne comprenant rien à la langue de Goethe je passe mon chemin.
Plus loin, j’entends le bruit d’un ruisseau. C’est
el Cedro, et ça veut donc dire que je sais encore lire une carte. Je m’accorde
une pause sur petit pont de bois qui enjambe le cours d’eau. L’air s’est
réchauffé légèrement et le gargouillis de l’eau est un ravissement pour les
oreilles. Putain que c’est beau par ici... Dans le lit de la rivière les lauriers
atteignent facilement les trente mètre. On est dans une vraie forêt au sens où
mes références l’entendent. C’est magnifique et calme... Je m’attendrais presque
à voir surgir un lutin au détour d’une souche. Ou une fée perchée sur une
fougère.... Oui, je suis sûr qu’il y a des fées par ici.
Plus
bas encore, le sentier se fait plus large et je croise quelques familles en balade.
J’approche du fond de la vallée et il va me falloir remonter un peu pour
ensuite redescendre encore vers la route. Au total je me serais fait presque
800 de dénivelé mine de rien. Comme je n’ai pas de montre je ne sais pas depuis
combien de temps je marche, mais ma cheville commence à faire la gueule. Allez
Gwendal, encore un petit effort.
A
la fin d’une longue grimpette ponctuée de nombreux arrêts pour ménager mon pied
(et mon souffle de fumeur), je débouche enfin sur un col et j’embrasse alors la
côte nord de l’île. Le soleil est là, qui m’accueille et la vue est splendide.
Encore deux kilomètre le long d’un sentier abrupt et je rejoins enfin la route de San Sebastián. Pendant que je cheminais le long du ruban d’asphalte j’aperçois quelques arbres que je reconnais du premier coup d’œil. Enfin vous voilà ! Depuis le temps que je vous cherchais !
Eux
ce sont les Pins des Canaries (Pinus Canariensis). Ces arbres je les connais
bien pour les avoir étudié dans mon jeune temps. Visibles en France uniquement
dans les parcs et les arboretums, cette espèce endémique de pin est
caractérisée par ces longues aiguilles groupées par trois. Depuis mon arrivée
aux Canaries, je désespérais d’en voir, et les voilà qui se présentent à moi
pour conclure cette balade... Trop cool.
Puis
je me suis trouvé un petit endroit propice et j’ai tendu le pouce. Cela faisait
des années que je n’avais pas fait d’auto-stop ! Au bout de ce qui m’a
semblé être une heure, une voiture s’est enfin arrêtée et m’a reconduit en
ville. Il était 16H30.
Franchement,
même si aujourd’hui je paye cash ma randonnée d’hier (il me faudrait des béquilles
pour marcher) je ne regrette rien. Ca m’a fait un bien fou de me balader là-haut,
de voir toute cette verdure... Quel contraste avec tout ce que j’ai pu voir de
la nature de ces îles !
Il
y a longtemps déjà on m’avait dit de ne pas rater la Gomera parce que c’était
la plus belle de toutes... Et bien vous voulez que je vous dise ? C’est
vrai.
13 commentaires:
Je lis ton blog depuis peu, mais c'est très agréable. Je te souhaite une bonne continuation. Un jour saint paul a dit " Tant que tu peux, tu dois oser".
Bon vent
un voileu breton
@Voileu Breton : Merci beaucoup, c'est très gentil ! (Saint Paul... Ricard ?)
Quand le marin redevient pédestre ...
ça doit faire drôle de sentir la croûte sous ses pieds sans roulis ... et des odeurs autres que marines .
Très belles images .Et ce type assis près du ruisseau, à quoi rêve-t-il ?
@Lucifer : il se dit que le retardateur de dix secondes c'est très court !
Magnifique ! Merci pour le partage, Gwen...
Une question : le forestier qui a resurgi ne parle pas de rencontres animales..( pas l'ombre d'un grand Tetras !!) à part le joli pinson à l'accueil..
Et pour le rêveur : Pas le moindre lutin...???
@Monique : En effet, pas ou très peu d'animaux rencontrés pendant cette randonnée. Hormis le pinson au début, j'ai entraperçus un pigeon sauvage et quelques merles, mais c'est tout.
Pour ce qui est des lutins et des fées, je suis sûr qu'ils étaient là quelque part... Peut-être que si vous scrutez bien les photos vous allez les apercevoir ?
Magnifique... Je ne connaissais pas du tout cet endroit.
Tu as drôlement bien fait de prendre le temps de cette visite... Si tu ne pars pas aujourd'hui, ça sera demain (ou après-demain, ou...), quel luxe de pouvoir prendre son temps.
Merci pour cette découverte!
Belle balade, belles photos, merci!!
A priori, pas trop de faune sur les îles canaries, à part quelques coléoptères, oiseaux et reptiles, pas grand chose du côté des mammifères, si ce n'est un chat sauvage... et des touristes !!
Mais ton oeil averti aura su profiter pleinement des atours de cette belle forêt !
@Sophie L : Ravi de vous l'avoir fait découvrir... Mais tu as raison, ça aurait été dommage de passer à côté de ça.
@Cazo : De rien mon pote !
Bonjour Capitaine,
Merci pour cette agréable balade.
Tes photos sont très jolies. Elles montrent bien la beauté un peu austère de l'endroit, mais aussi l'humidité qui t'a accompagné tout au long de ton parcours. Le pinson bleu est inattendu mais très mignon.
Il est vrai que téléphone et montre n'avaient pas leur place dans cet environnement. Par contre un petit casse-croûte en coup de milieu, là, au moment du repos, aurait permis de remettre du carburant dans la machine et peut-être de faire diversion à ton pied récalcitrant.
Dommage, si le soleil avait daigné t'accompagner, la balade aurait été encore plus agréable.
La qualité de ton récit rend hommage au parc de la Gomera. Il y a des lieux ou/et des situations, qui restent à jamais gravés dans nos esprits et j'ai le sentiment que tu n'oublieras pas cet endroit, d'autant que la faune et la flore sont des éléments que tu sembles bien connaître même si cette forêt t'a révélé quelques lacunes.
Ne soit pas nostalgique, lorsque la décision est prise de tourner la page, il vaut mieux éviter de se retourner trop souvent. Continues de nous régaler avec tes récits de voyage, que ce soit sur l'eau ou sur terre.
Bye !
N.B. (zut j'allais écrire P.S.) Pour ton pied je ne sais pas, mais pour le souffle j'ai un remède...... on peut vivre sans cigarette. Je crois que la nature est encore plus belle sans écran de fumée, et surtout, on gagne encore un cran dans la liberté (parole d'ex fumeuse).
Allez, parce que ce soir je suis de bonne humeur et parce qu'elle va bien à ton billet, une petite blagounette :
"Si t'es perdu dans la forêt et que tu restes immobile pendant deux ans, il va pousser de la mousse sur un côté de tes jambes. C'est le Nord."
C'est cadeau !
@Cyrielle : Beauté un peu austère parfois, tu as raison. Lugubre même. Mais après des mois de cailloux, du voir autant de vert m’a fait du bien.
Le téléphone et la montre, c’est plus pour une question de sécurité Cyrielle... Rien à voir avec une quelconque dépendance à la vie moderne sur ce coup-là !
Enfin, l’arrêt de la cigarette, de la pipe et du cigare, n’est pas au programme pour l’instant. Le ration bénéfice/risque est encore positif ! :)
POur la Gomerra, j'hésitais... Merci Gwendal, je n'hésite plus... je ne sais pas pour quand ce sera mais je n'hésite plus ! Bon vent !
@La Lésion : Ah oui, si je peux faire une recommandation c'est bien celle-la !
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