dimanche 20 mai 2012

La machine à rêve

16°53.203N 24°59.470W
Mindelo, ile de São Vicente, Cap Vert

A me relire, je m’aperçois que j’ai pu laisser entendre dans mon propos comme une lassitude, voire un désintérêt quant à mon projet de traversée de l’Atlantique en solitaire.
Et comme je ne suis pas homme à laisser trainer un malentendu, je me suis dit que je devais peut-être revenir sur le sujet... Alors rassurez-vous braves gens, je vais la faire cette traversée, et seul comme je l’avais décidé. C’est juste que ce n’est quand même pas un truc banal et qu’il me faut du temps pour l’envisager. Et lorsque je serai de l’autre côté, je pourrai justement m’enorgueillir de ce que je considérais initialement comme une corvée... Voilà, c’est à la fois aussi simple et compliqué que ça.

D’ailleurs, j’ai décidé de passer à la vitesse supérieure en ce qui concerne les réparations de ma Boiteuse. Rappelez-vous, je vous disais qu’une nouvelle pièce défectueuse avait cédé dans mon moteur occasionnant une grosse fuite d’eau de mer. Après démontage et nettoyage de ladite pièce (souvenez-vous que je suis un gros nul en mécanique, alors je ne sais pas la nommer autrement que « la pièce »), je me suis rendu compte qu’elle était bien plus que fendue. Elle était même carrément trouée de chez trouée ! 
"La pièce"
Du coup, je me suis rendu au chantier naval pour la confier à soudeur qui m’a assez vite déclaré que souder sur un truc pareil était impossible... Et qu’il valait mieux carrément en faire fabriquer une autre chez un fondeur.

Un fondeur ? Comme pour les cloches ? Me suis-je dit. Ben oui, un fondeur... Mon dieu que voilà bien une idée bizarre !
C’est que, dans ma tête de bon occidental lorsque un truc est cassé, on le répare ou on le change et pis c’est tout. Il ne me serait jamais venu à l’esprit qu’on pouvait en reconstruire un !
Et bien si on peut, et c’est peut-être là une différence importante entre les pays soit disant « développés » mais qui ont perdu leur savoir-faire, et les pays toujours soit disant « en voie de développement », qui peuvent encore fabriquer ce dont ils ont besoin.
La petite fonderie dans le désert
Je suis de l’autre côté du miroir de cette saloperie de mondialisation. Et de ce côté-ci, je peux vous dire que la vie est plus... comment dire... pas simple, car la pauvreté relative est toujours un calvaire, mais en tous cas plus claire. Plus directe. Vous n’allez sans doute pas trouver le dernier téléphone androïde, mais vous allez trouver la boutique qui vous répare votre petit électroménager.
En fait, je crois qu’on pourrait presque établir une loi universelle qui dirait à peu de chose près ceci : A partir du moment où ça vous coûte moins cher de racheter un objet plutôt que de le faire réparer, vous sombrez dans le côté obscur de la force.

 C’est en gros ce qui m’est venu à l’esprit alors que je revenais à pied de la fonderie. Je longeais la route qui traversait un désert parsemé d’épineux avant de longer la plage, et je me disais que quelque part en occident nous avions fait fausse route.

José et Zeca
Sinon cette semaine j’ai passé pas mal de temps sur le chantier naval de Mindelo. J’y suis d’abord allé pour accompagner mon copain José qui devait réparer une fuite sur son bateau. C’est l’ennui avec les bateaux en alu, une soudure mal faite et vous prenez l’eau avec tout ce que cela implique de corrosion et d’hydrolyse. Bref, j’ai pu ainsi me familiariser avec la sortie d’un voilier sur chariot... Et croyez-moi, ce n’est pas simple. Moi je m’en foutais un peu, mais le José n’en menait pas large de voir son cher Magoer piquer du nez au fur et à mesure que le chariot tiré par un treuil de l’autre monde, émergeait des flôts.
Mais bon, Zeca le patron du chantier semblait être à son affaire et tout s’est finalement bien passé. De même l’équipe de soudeurs qui a travaillé sur le bateau de José, a apparemment fait du bon boulot.

Le "chantier naval" de Mindelo
Juste à côté du ber de José, un bateau à l’abandon m’a tapé dans l’œil. Il s’agit d’un plan Sparkman & Stephens (les connaisseurs apprécieront) de 46 pieds appelé le Manatee. Au début je me disais « Wahou... Ça c’est du bateau ! » Et puis, j’ai demandé au patron du chantier quelques infos, et celui-ci m’a appris que le bateau était là depuis des années, qu’il appartenait à un allemand qui vit sur une autre ile... « Tu crois qu’il est à vendre ? ». Lui ai-je demandé.
C’est qu’en voyant cette merveille un peu décatie, je me suis pris à imaginer des choses... Imaginons que son propriétaire le laisse pour une bouchée de pain... Imaginons que j’investisse quelques milliers d’euros et une année de mon temps... Imaginons que j’arrive à le restaurer... Combien ça vaudrait sur le marché un bateau pareil ? Deux cents. Trois cents milles ? Ça vaudrait peut-être le coup de se lancer là-dedans pour gagner quelques sous et en apprendre un peu plus sur mon nouveau métier...

des dorades caractéristiques
Qu’est-ce que c’est que l’imagination tout de même... Elle vous emporte parfois sur des sentiers inconnus, et vous fait tirer des plans sur des comètes que vous ne maitrisez pas... Vous vous prenez à rêver, et pendant quelques jours vous envisagez sérieusement de faire prendre une direction imprévue à votre vie... Jusqu’à ce que la réalité vous rattrape et vous ramène sur terre.
J’ai pu jeter un œil sur l’intérieur du Manatee et en apprécier la qualité de l’agencement qui fait que les bateaux dessinés par Monsieur Stephens sont considérés comme de véritables petits bijoux... Mais le tout était dans un tel état de délabrement, une telle crasse... Tout à l’intérieur avait été pillé, cassé, vandalisé... Un vrai massacre.
Je vous jure, j’en avais mal au ventre de voir ce qui avait été une œuvre d’art transformée en une carcasse rouillée et sale. Un véritable crève-cœur.
Pas de doute, c'est un plan Stephens !
Au fur et à mesure que nous explorions le Manatee, José et moi additionnions les dizaines de milliers d’euros qu’il aurait fallu pour le remettre en état. Le rêve s’écroulait comme un château de sable.
J’ai appris ensuite que pas mal de monde avait fait le chemin pour voir le Manatee, que le proprio avait même proposé au chantier de le récupérer pour rien ! Mais hélas, tous ceux qui comme moi avaient un instant fait fonctionner la machine à rêve, repartaient déçus et sans doute aussi un peu écœurés. Le pire voyez-vous, c’est que j’ai fait quelque recherches sur internet et je suis tombé sur la fiche d’identification du Manatee dans les archives de S&S. Il avait une sacrée gueule ce canote... Et exactement le même moteur que la Boiteuse ! Maintenant ce n’est plus qu’une épave qui pourrit sur un terrain vague au Cap Vert. Un beau gâchis.

Bon ben je crois que ça ira pour aujourd’hui, qu’en pensez-vous ? J’ai beau me creuser le ciboulot je ne vois rien de plus à vous dire pour l’instant... Si peut-être, Touline va bien et commence à étendre son territoire jusque dans le centre-ville. On m’a rapporté de source sûre qu’elle arpentait nuitamment les rues de Mindelo... Il est vraiment temps qu’on s’en aille je crois. Mais c’est pour bientôt. Dans une semaine je récupère ma pièce fondue et façonnée, et logiquement on pourra alors envisager de partir.

Barre à roue d'origine... 1958
Je n'ose imaginer depuis combien de temps c'est comme ça...
C'est toujours un spectacle passionnant...
Quand des enfants jouent dans l'eau...
Ou quand des adultes s'entrainent à la capoeira
Mindelo

9 commentaires:

lucifer ! a dit…

J'avais un peu compris cela : Que la "nave" en tant que telle ne t'intéressait plus tellement .
J'étais étonnée... Pour un mordu des flots comme toi !
Mais aussi , quelle confiance il faut... T'en remettre ainsi à ta petite coque de noix sur l'immense océan !
Une traversée en binôme, un autre bateau, un autre fou comme toi , ne serait-ce pas envisageable ?
Très sympa tes photos, mais veille à ta minette, elle pourrait faire une bonne fricassée !

...toussaint a dit…

Prends ton temps, je serai à Cuba en Novembre et Decembre et je compte bien t'y accueillir et te faire connaître des supers coins "pas piqués des touristes..."..
Cordialement

caazo a dit…

Què traversée ?... Oserais-je te prier de relire l'avant-propos de ton blog ??...

Ils sont trop verts, disait le Renard...

:) !!

Gwendal Denis a dit…

@Lucifer : C'est un constat que j'ai fais il y a longtemps en fait... Mais je n'en n'avais pas encore parlé.
Et puis la Boiteuse n'est pas une coque de noix !!!! J'ai confiance en elle, comme j'ai confiance en moi. C'est pour ça que tout va bien se passer, j'en suis persuadé.

@Toussaint : C'est gentil, mais en Novembre-Décembre je compte bien être aux portes du détroit de Magellan.

@Cazo : Là, en plus des aa à ton pseudo, je n'ai rien compris ! :)

cazo a dit…

Scuzy... la fatigue... je venais de me taper Toulouse-Roubaix pour amener ma fille à un entretien pour un BTS... et des -censuré- de bouchons sur le périph parisien!!

Je voulais simplement te rappeler que la traversée de l'Atlantique n'est qu'une minuscule étape dans ton objectif de tour du monde !!

;-)

Monique a dit…

Ah ! Je comprends mieux..parce que si la nave ne t'intéressait plus, tu vas quand même pas continuer en camping car !!!!

Tu vas finir par trouver le juste équilibre entre aventure et pénates, j'en suis sûre !!!

Bises, mon Gwen.

Gwendal Denis a dit…

@Cazo : Un BTS à Roubaix ? Qu'est-ce qu'elle a fait ta fille pour mériter ça ?
Certes, je n'oublie pas qu'il ne s'agit en fait que d'une traversée somme toute peinarde. Mais chut, il ne faut pas le dire ! Sinon après je ne pourrais plus passer pour un héro !

@Monique : Comme d'hab, c'est ma Momo qui résume tout ça comme il faut... Ce n'est pas pour rien que c'est toi la marraine de la Boiteuse !

cazo a dit…

Maaaaiiiissss... réaliser ses rêves c'est bien plus qu'héroïque !!

Ben... BTS Photographie dans un lycée d'Etat... et vu qu'il n'y en a que deux en France, l'autre étant à Montmartre - donc, hors de prix pour se loger - ça sera Roubaix... et c'est peut-être pas plus mal !

Gwendal Denis a dit…

@Cazo : Je confirme ! Mieux vaut Roubaix que Paris !
Mais en même temps ça fait suer de devoir choisir entre la peste et le choléra...