lundi 14 juillet 2014

De Búzios à Vitória

20°18.042S 40°17.316W
Vitória

Le mercredi 09 juillet 2014 -Un départ tranquille

On est parti !
10H20 : Et voilà. Nous avons quitté Búzios il y a vingt minutes sous un soleil radieux, alors que trois heures auparavant il pleuvait comme vache qui pisse. Direction Salvador de Bahia à 650 milles au nord. Cap au 60°.
Pour l'instant c'est la pétole molle... Mais d'après les prévisions cela devrait se lever. Du moins il y a intérêt ! Parce que bon, hein, cette fenêtre miraculeuse est sensée me faire arriver relativement rapidement et je compte bien rallier Salvador en six jours.

10H50 : Je m'aperçois que l'aiguille de l'ampèremètre ne bouge pas, ce qui veut dire que l'alternateur ne charge pas les batteries. Pas grave, je repère assez vite le fil qui s'est débranché et j'arrête le moteur afin de refaire le contact sans y laisser un doigt.
Il y a un petit vent du sud, léger tout doux, qui nous pousse à un peu plus de deux nœuds dans une mer seulement soulevée par une vieille houle du sud-est. C'est parfait pour s'amariner me dis-je en moi-même. Alors on va rester comme ça.

13H00 : J'ai dormi un peu, doucement bercé par la mer. A mon réveil je me fais un petit déjeuner : Café au lait et tartines de pain beurrées. Pendant que je roupillais, le vent a adonné un peu, et forcit, très peu. J'abats de 20° et je choque le foc. Pas trop ! Vas-y reborde un peu pour voir... Voilà, comme ça c'est parfait.

13H55 : Puisque les conditions le permettent, je décide de sortir le spi. La grosse bulle verte (beurk !) monte dans le ciel et aussitôt le sillage de La Boiteuse se fait plus turbulent. On frôle les cinq nœuds, avec une légère brise par le travers. C'est vraiment cool le spi asymétrique.

14H30 : Le vent adonne toujours et j'abats pour le suivre tout en gardant mon cap idéal, 60°. Pour l'instant c'est hyper-cool, mais je garde un œil sur l'arrière à l’affût des moutons annonciateurs d'un renforcement du vent. Si ils venaient à se multiplier, il le faudrait affaler le spi rapidos...
C'est pour ça que naviguer de nuit sous spi est dangereux. Vous ne pouvez pas anticiper la montée du vent avec vos yeux.

14H50 : Et une thonine pour Touline ! La bête fait un bon kilo et c'est la plus grosse qu'il m'est été donné de prendre. Du coup, comme la chatte du bord en a pour au moins pour deux jours, je ne remets pas la ligne à l'eau.

15H20 : Je ne vous cache pas qu'appréhender cette navigation de plus ou moins une semaine ne s'est pas fait sans mal. Car si mes souvenirs sont exacts, et ils le sont, ma dernière nave de plus de cinq jours remonte à plus d'un an et demi... C'était l'étape Pinheira-Rio Grande do Sul. Et après la branlée que je me suis pris, je m'étais promis que, dans le sud tout du moins, je ne ferais jamais plus de naves de plus de trois jours. Donc, renouer avec les « longues » navigations ne me tentait pas vraiment. J'ai dû me persuader qu'une occasion pareille ne devait pas se rater et j'ai fait valoir l'argument du temps qui me manque. C'est que j'ai encore du chemin à faire avant de sortir de ce pays !

15H40 : On fait des pointes à sept nœuds... Il va peut-être falloir penser à remballer...

16H00 : Ça y est, j'ai remis le spi dans sa chaussette et j'ai déroulé le foc en grand. On a perdu presque deux nœuds de vitesse, mais c'est pas grave ; l'essentiel est d'être en sécurité.

A table !
16H50 : Zut, il pleut ! Jusqu'à présent j'étais seul sur l'eau, mais voilà qu'une flottille de pêche se présente pile devant moi. Sans radars évidemment...Vivement que j'atteigne la zone des 1000 mètres de fond pour être débarrassé de ces em-pêcheurs de naviguer en rond !

18H00 : Le soleil s'est couché et une lune gibbeuse le remplace. Nous sommes parti depuis huit heures et nous avons parcouru 29 milles. Ce n'est pas fameux... Surtout qu'en on pense qu'il en reste un paquet à faire !

18H20 : Bon, c'est pas tout ça, mais j'ai la dalle. Je vais me faire un bol de nouille.

18H50 : J'ai disposé les matelas dans le fond du cockpit et j'ai sorti duvet et coussins. Mon petit nid douillet est prêt. Il n'y a plus qu'à enfermer Touline et au lit !

Le jeudi 10 juillet 2014 - Au moteur

06H10 : Bonjour ! Vous avez bien dormi ? Parce que moi, oui. Enfin, du sommeil qui est le mien lorsque je suis en mer, c'est à dire par tranches variables, entre quarante minutes et une heure.
Bon ok, j'avoue que la dernière tranche a peut-être durée 90 minutes... Je sais, c'est pas bien. (Cpasbien.pe le site de torrent qu'il vous faut !)
Ceci dit, même si nous n'avons pas beaucoup avancé cette nuit, nous ne nous sommes pas non-plus trop écarté de la route que j'ai tracé. Ce qui fait que l'un dans l'autre, on ne va pas se plaindre. Pour l'instant nous sommes toujours au moteur, cap au 50° et nous devrions passer au large du Cabo São Tomé dans la matinée. Ensuite, en théorie du moins, les vents devraient arriver du sud-sud-ouest à 10-15 nœuds. En fait, ils devraient déjà être là... Mais il n'y sont pas les bougres !
A vue de nez je dirais qu'on a un petit F1 (de 1 à 5 nœuds) en provenance de l'ouest... Pas de quoi faire avancer La Boiteuse, même avec le spi.

08H30 : Toujours au moteur... Pas un pet de vent. Rien, nib, quedalle. De temps en temps j'aperçois un hélico qui passe en rase motte au-dessus de ma tête. Ils font la noria pour approvisionner un énorme champ pétrolifère à vingt milles au large. Je ne vois pas les plates-formes, mais je sais qu'elles sont là. Cette nuit, je pouvais voir leurs halos illuminer l'horizon.

09H10 : Je ne le jurerais pas, mais il me semble bien avoir vu une baleine en surface à quelques cinquante mètre sur tribord...

12H00 : Le cap São Tomé est désormais derrière nous et la pétole est hélas toujours autour de nous. Devant nous, il y a 270 milles de route avant l'archipel des Abrolhos que je me propose de contourner au plus près. Rien à signaler pour cette matinée. Enfin si, des pétroliers, des remorqueurs, des tankers, des pêcheurs... Bref, la routine lorsqu'on navigue le long des côtes brésiliennes.
Je regarde les petits dessins en forme de flèches qui parsèment la carte. Ces flèches qui me disent que je devrais avoir en ce lieu et à cette heure 15 nœuds de vent dans le cul. Foutaises !

15H50 : J’émerge brusquement d'un rêve particulièrement tarabiscoté. Je fais chauffé l'eau pour me préparer un café avec beaucoup de lait concentré (pour l'énergie). Mon œil embrumé se fixe un instant sur l'horizon, droit devant sur tribord... Oh putain ! Des baleines !
Aussitôt je baisse le régime du moteur et c'est à trois nœuds que La Boiteuse se dirige droit sur ce qui semble être un couple de cétacés en train de faire mumuse. Je me brûle en avalant mon café beaucoup trop vite, je grille une cigarette en trois bouffées, puis je fonce me positionner à l'avant du bateau, appareil photo au poing.
La mer est d'huile et ces deux paresseuses apparaissent régulièrement à la surface pour lancer de grands jets. De temps en temps, elles semblent rouler sur elles-mêmes, battant l'eau de leur nageoires ventrale. C'est magnifique. Puis soudain, elles disparaissent. Je suis là, sur le pont, fouillant l'océan du regard pendant de longues minutes... Puis je comprends et je regarde derrière. Elles sont là à une cinquantaine de mètres ! J'en prends plein la vue. Je me régale.
Couple de baleines

Plus tard, alors que je suis en train de griffonner sur mon carnet à spirale, je lève les yeux vers l'arrière et je les vois encore. Elles sont trois maintenant. Non, quatre ! On dirait qu'elles s'ingénient à souffler en même temps !

16H30 : Réveil sirénien donc, et toujours pas de vent. On va bientôt être à seize heures de moteurs non-stop. Tout le précieux carburant que j'ai patiemment accumulé à coup de va et vient en annexe, est en train de partir en fumée... La bonne nouvelle c'est que ce soir je vais dormir un poil plus serein puisque nous venons d'atteindre des fonds de plus de 1000 mètres. Donc, plus de pêcheurs ! Juste les cargos, tankers et compagnie, mais cela je les entends venir de loin grâce au mer-veille.

Coucher ou lever ?
17H10 : Et c'est encore un fa-bu-leux coucher de soleil Mesdames et Messieurs ! Bon, moi je préfère les levers, mais c'est affaire de goût n'est pas ?
Tout à l'heure je me disais qu'une journée de moteur c'était quand même pour Touline que c'est le plus dur. En effet, lorsque celui-ci tourne, la chatte reste prostrée sous la capote sans boire ni manger. Je lui ai découpé une jolie darne de thonine, mais elle l'a dédaigné. Peuchère...

18H00 : Point du soir, bonsoir.
Ben, y'a rien à dire. On avance toujours au moteur sur une mer d'huile. C'est chiant et frustrant. Je commence à me dire que je ne suis pas aussi bon analyste météo que je le crois... Ou alors c'est que je n'ai vraiment pas de bol.
J'ai rajouté 20 litres de gas-oil dans le réservoir principal. Avec ça je suis tranquille au moins jusqu'à 08H00 demain matin... J'espère seulement ne pas en arriver là.

Le fait d'avoir dormi tard cet après-midi m'a coupé l’appétit et le sommeil. Tant mieux, parce que devant moi il y a un véritable mur de plate-formes pétrolières. J'en compte une dizaine ! Je modifie mon cap afin de les contourner.

20H00 : J'ai réfléchis. Demain je vais avoir une décision à prendre. Parce que si je regarde les choses en face, cela ne se passe pas vraiment comme je l'avais prévu. J'ai déjà cramé la moitié de mes réserves en carburant et comme les prévisions météo sont totalement fausses je peux légitimement supposer que je ne sais absolument pas ce qui m'attend. Il va donc falloir, peut-être, envisager de faire étape à Vitória. Ce n'est pas que ça m'enchante, loin de là, mais ce serait sans doute raisonnable. M'enfin, on verra demain.

22H30 : J'arrête le moteur. Une petite brise d'est fait frisotter la surface de l'eau, et bien sûr elle ne souffle absolument pas dans la bonne direction... Cap au 350° au près serré avec des pointes à trois nœuds ! Mais bon, on ne va pas se plaindre car le silence règne enfin. D'entendre le clapotis de l'eau sur la coque est un vrai bonheur !
La Touline sort de sa torpeur et réclame à boire et à manger. Vas-y ma chérie, profite ! Pendant ce temps, Papa va tirer des bords pour éviter de s’emplafonner la plate-forme qu'il y a juste devant, ok ?

Le vendredi 11 juillet 2014 - Gueule de bois

07H00 : Je sais, je suis en retard. C'est que, voyez-vous, la nuit a été comment dire... Agitée. On va dire ça comme ça. Voilà ce qui s'est passé.
Nous étions donc toutes voiles dehors à tirer des bords de près serré pour passer au travers de ce champ de plate-formes pétrolières. Le régulateur avait beau être réglé au plus près, ça n'avançait guère. Un coup au 330°, un coup au 120° à deux nœuds et des brindilles... Bref, je n'étais pas loin de faire des bords carrés comme on dit dans le milieu. Pour compliquer les choses, depuis l'après-midi nous avions à subir un putain de courant contraire pile dans le pif.
Vers minuit le ciel a commencé à s'obscurcir vers le sud et des éclairs n'ont pas tardé à zébrer les nuages. Un orage m'arrivait dessus, dans le sens contraire du vent. Tout en sommeillant, je gardais quand même un œil dessus, histoire de ne pas me faire surprendre le pantalon sur les chevilles...

Je dormais comme un loir dans le fond du cockpit lorsque le grain a déboulé, il devait être 02H30... Bien sûr, lorsque le bateau s'est couché une première fois, j'ai bondis sur mes pieds pour essayer de faire quelque chose... Mais je n'ai pas pu. En fait tout cela reste encore assez flou dans mon esprit. J'essaye de me repasser le film dans ma tête, mais j'ai du mal à combler quelques manques. Je crois que dans un premier temps j'ai tenté de redresser La Boiteuse en essayant de choquer le foc. Malheureusement l'écoute de foc s'est dans un premier temps bloquée, et le bateau s'est retrouvé une nouvelle fois avec la barre de flèche au ras de l'eau... Quand j'ai enfin pu la débloquer, celle-ci a glissé du winch et la voile s'est mise en drapeau. J'ai passé énormément de temps à essayer d'enrouler le foc, tout en attrapant la barre de temps en temps pour diriger le bateau vers... Vers où ? Vers quoi ? Je n'en savais trop rien. Il s'était mis à pleuvoir des seaux d'eau, le vent redoublait de violence et je ne voyais plus d'où il venait ni où étaient ces putains de plates-formes. J'avais l'impression qu'une main gigantesque s'était emparé de mon bateau et le faisait valdinguer dans tous les sens.

Même lorsque j’eus enfin pu enrouler le foc, la Grand-voile était toujours haute et extrêmement portante, et quelque chose sur le pont bloquait l'écoute, m'empêchant de la choquer... Bref, les merdes s’enchaînaient. C'est alors qu'un heureux hasard m'a sauvé la mise. Sans vraiment le vouloir j'ai empanné, et la bôme est passée violemment d'un bord sur l'autre dans un fracas monstrueux. J'ai bien cru qu'elle avait cédé, mais lorsque j'ai voulu la ramener au centre du bateau, l'écoute était toute molle ! En fait, c'était la surliure qui venait de lâcher ainsi que la drosse du chariot d'écoute. Bref, la bôme se trouvait sur tribord et plongeait dans l'eau régulièrement, mais ma voile n'était plus portante et je me retrouvais plus ou moins à la cape. Le bateau c'est arrêté et s'est mis à dériver (où sont ces plate-formes?). Certes, La Boiteuse roulait comme une barrique, mais au moins je ne risquais plus de me retourner.

Je suis alors monté sur le pont pour affaler ma GV. Le roulis manquait une fois sur deux de me balancer à la baille. Ma polaire gorgée d'eau se faisait lourde sur mes épaules et mon short lui aussi gorgé d'eau avait tendance à me tomber sur les genoux... Lorsque j'ai enfin pu affaler ma voile, j'ai eu la joie de constater que celle-ci ne semblait pas avoir trop souffert de ces longues minutes de fasseyement (combien ?). Puis je me suis attelé à refaire le nœud d'écoute avec un bon vieux nœud de chaise et j'ai ramené ma bôme au centre de mon bateau. Enfin, trempé et exténué j'ai réintégré le cockpit et j'ai démarré le moteur. Il était 04H10 exactement. Le combat avait duré plus d'une heure trente !

L'intérieur de La Boiteuse était dans un état indescriptible. La porte du placard à ciré s'était ouverte et tout ce qu'il contenait avait gerbé sur le sol ; bidons de gas-oil, croquette et litière de Touline, palmes, masque et tubas, nécessaire à matelotage... Les tiroirs à outils avaient sauté de leurs glissières et tout leur contenu avait volé au travers du carré. Tout cela gisait sur le sol au milieu des casseroles qui avait sautées de la gazinière et des matelas. Bref, c'était le chaos.
Je me suis attelé à la tâche, et c'est seulement après avoir plus ou moins tout rangé que j'ai enfin pu me changer et mettre des vêtements secs.
Pendant la baston, la pauvre Touline avait réussi à sauter par dessus la portière en plexi et s'était réfugiée... au cœur de l'action : Sous la capote comme d'habitude. De temps en temps elle laissait échapper un miaulement plaintif genre « qu'est-ce qu'il se passe ?», mais l'un dans l'autre elle s'est débrouillée pour ne pas se mettre dans mes pattes. J'adore cette chatte qui ne panique pas quand ça va mal.

A 04H30, j'étais vêtu de sec, et La Boiteuse avançait péniblement au moteur dans une mer déchaînée où les vagues déferlaient. Je me suis couché dans le fond du cockpit, et j'ai rabattu mon duvet trempé sur ma tête, et j'ai essayé de dormir. Je me disais qu'il allait bientôt faire jour et qu'alors j'allais avoir un meilleur aperçu des dégâts... J'ai attendu que le jour se lève tout en ruminant de noires pensées.

A 06H00, je me suis préparé un café et j'ai fait le point. Pendant la nuit j'avais parcouru 40 milles au loch, mais sur la carte je n'avais avancé que de 20 milles dans la bonne direction... J'ai bu mon café bien à l'abri à l'intérieur, retardant le plus possible le moment où il allait falloir que je sorte sous la pluie évaluer plus sérieusement les dégâts. 
 
Sacrée nuit...

Mon foc était en lambeau, tout entortillé autour de son étaie. Je voyais des pans de tissu qui virevoltaient, on aurait dit un mât de cocagne un jour de fête de village. Le temps étant somme toute beaucoup plus maniable et le bateau roulant toujours terriblement, j'ai décidé de hisser la GV avec deux ris histoire de le stabiliser un peu. Malheureusement, la manille de la drisse avait lâché à son tour... et la drisse se baladait dans les haubans. J'ai mis trois quart d'heure pour enfin la récupérer, juché sur la bôme, une jambe passée autour du mât et la gaffe à la main ! Je ne vous dis pas le numéro d'équilibriste que c'était et le nombre de fois où j'ai dégringolé au pied du mât !
Bref, au final j'ai quand même pu changer la manille hisser ma GV avec deux ris.

Voilà où nous en sommes. Actuellement (il est 07H45) nous faisons route vers Vitória qui se trouve à 50 milles, et à 3 nœuds nous devrions y être dans... Faites le calcul vous-même, moi je suis trop déprimé pour ça.

08H30 : Il ne pleut plus et le vent s'est bien calmé. J'ai relâché un ris pour appuyer un peu plus le moteur qui peine à remonter un courant particulièrement fort. Ça aide, mais pas beaucoup en fait. J'en ai profité pour faire une inspection plus attentive sur le pont. A part le foc qui est doit être mort de chez mort, tout à l'air d'aller. La Grand-voile est intacte (merci Monsieur Hood !) et le vit de mulet ainsi que le gréement n'ont pas l'air d'avoir trop souffert. Il faudra que je monte dans la mature une fois arrivé, afin de faire une inspection complète.

08H50 : C'est bizarre les coïncidences... Cela fait deux fois que je suis obligé de m'arrêter à Vitória alors que je n'en n'avais absolument pas l'intention au départ. Et deux fois parce que j'ai cassé quelque chose... Tiens, un rayon de soleil ! Je vais manger une banane pour fêter ça !

Trombes d'eau
09H15 : Alors que je suis en train de réparer la pompe de cale (oui, elle aussi a foiré), je lève les yeux un instant et que vois-je ? Une gigantesque masse nuageuse qui arrive sur moi, et surtout deux trombes d'eau ! Pendant un moment j'observe le phénomène, à la fois fasciné et inquiet... Heu.... Je fais quoi si ça m'arrive dessus un truc pareil ?

09H30 : Je n'arrive pas à voir si le nuage se rapproche ou pas, mais par précaution je décide d'affaler complètement ma GV. Deux fois dans la même journée, non merci !

09H50 : J'ai les yeux rivés sur ce monstre qui nous arrive par le travers tribord. Il semble qu'il va nous éviter... Ou pas. De toute façon, je suis prêt. Tout est rangé, attaché, le linge sèche à l'intérieur et la portière est fermée. Il peut venir le gros pépère on l'attend !
La Boiteuse pourrait elle résister à ça ?

10H25 : L'orage c'est éloigné finalement... Par contre, pendant que je le surveillais, un autre est arrivé par l'avant (ils travaillent en équipe ou quoi ?) et nous voilà sous une pluie diluvienne.

11H00 : YES ! La pompe est réparée ! C'était des morceaux de stylo à bille qui empêchaient une des valves de fonctionner. Pendant que je bossais, le vent et la mer se sont levés. Un franc et bon F5 du sud-ouest. C'est maintenant que je n'ai plus de voile d'avant que tu arrives toi ??? Enfoiré !

11H20 : J'ai re-hissé la GV avec deux ris. Putain, ça fout vraiment les boules d'être obligé d'être au moteur avec un vent pareil ! Quand je pense que je pourrais filer six nœuds au grand largue droit sur les Abrolhos, quelle ironie !

12H00 : Ok, il reste 32 milles à faire. On devrait y être vers vingt heures avec à la clef un mouillage de nuit dans un endroit que je connais déjà, ce qui ne devrait pas poser de problèmes (dit-il pour s'en convaincre). En attendant, il faut que je fasse le plein de gazoualle.

J'éprouve une certaine lassitude tu sais ?
12H30 : Voilà, j'ai rajouté 30 litres, ce qui devrait largement suffire. Bon, maintenant il faudrait que je mange et que je dorme... Car je n'ai finalement qu'une banane dans le ventre depuis hier midi et je n'ai pas vraiment dormi depuis... Je ne sais plus.
Sauf que je n'ai pas faim et vraiment pas envie de faire la cuisine ! Mais je me force quand même à manger une autre banane.

14H05 : Terre en vue ! On devrait arriver plus tôt que prévu car le courant semble s'être inversé à l'approche de la côte. Je n'arrive pas à dormir tellement je gamberge. Je pense à mon arrivée, les manœuvres que je vais devoir faire. Où je vais pouvoir planter ma pioche (non, ce n'est pas une allusion sexuelle !). Faudra t-il réparer le foc ou bien carrément en acheter un autre ? Si oui, où et combien ? Et comme je ne vais pas aller à la marina, comment je vais faire pour contacter le voilier ?
Bref, je me prends la tête alors qu'il serait bien mieux que je prenne du repos. Il faudrait que j'arrive à me concentrer sur le moment présent et ne pas penser à demain... Mais je n'y arrive pas. D'ailleurs je crois bien que je n'y suis jamais arrivé réellement... Ou alors je ne m'en souviens plus. A vrai dire, je crois que j'ai le moral un peu dans les chaussettes.

14H20 : Tiens, il y a une baleine qui fait le gros dos derrière La Boiteuse. Je souri. Allez Gwen, profite ! Regarde comme elle saute !
(Désolé, ça bougeait un peu trop, alors il n'y a pas de photos)

15H15 : Ça y est, j'ai avalé quelque chose. Un grand mug de café avec des tartines. Pendant que je me rempli l'estomac, je me rempli aussi les yeux en regardant les baleines. Il y en a partout on dirait ! Ou alors c'est la même qui me tourne autour pour me faire une blague ?

16H30 : Ça se présente plutôt bien. J'aperçois les collines qui entourent Vitória. Plus que dix milles à faire.

17H00 : Le soleil disparaît derrière les nuages accrochés aux montagnes, alors qu'à l'opposé la pleine lune apparaît... Timing parfait.

17H20 : Bon allez, c'est là que ça se corse ! Ouvre bien les yeux mon Gwen ! Il est où ce foutu chenal ?

17H30 : Vu ! Allez ma Boiteuse, on y est presque ! Touline est à son poste et regarde le rivage et les lumières de la ville qui approchent. Oui ma belle, on arrive. Mais ce n'est pas encore cette fois que tu pourras aller gambader sur les quai, hélas ! Tu ne te rappelles pas comment ils t'ont traité la dernière fois ? Tu avais dû rester deux semaines attachée au bout d'une corde ! Crois-moi, on sera mieux au mouillage.

18H25 : Avant dernier changement de cap dans ce dédale de lumières où tout se confond. Le jaune, le vert, le rouge... Je suis hyper concentré ! Respire mon Gwen, respire...

Sain et sauf
19H10 : Me voilà à l'entrée de la marina après avoir longé au plus près l'espèce de quai qui ne sert à rien. Il y a deux ans je m'étais échoué à cet endroit, alors je fais gaffe. Sur le quai près de la vigie des types me fonds des signes et m'indiquent de me mettre à couple d'un des bateaux amarré. Par réflexe sans doute, je m'approche et je leur dis que je vais refaire un tour histoire de préparer mes amarres.
Seulement, alors que je m'engueulais moi-même pour ne pas avoir suffisamment préparé mon atterrissage, je réalise soudain qu'il n'était pas question que je me mette à quai ! D'une part à cause de mon visa un petit peu hors délais, et d'autre part à cause de la chatte qui est persona non grata en ces lieux !
Je lâche alors les amarres que j'avais commencé à préparer et je retourne à la barre. Je repasse alors devant eux et leur crie que je vais me mettre au mouillage. Ils insistent, me désignent une autre place plus vers l'intérieur du port... Mais je fais la sourde oreille et je contourne la jetée.
L'endroit est un peu encombré. Cinq voiliers sont déjà mouillé exactement là où j'avais l'intention de me mettre... J'arrive quand même à trouver une place et je balance enfin mon ancre et vingt mètres de chaîne. Un coup de marche arrière pour vérifier que l'ancre a bien croché... Et hop, nous voilà arrivé.

Épilogue :

Vitoria
Le lendemain je me réveillais avec en fond sonore cette rumeur citadine que je n'avais pas entendu depuis longtemps. Les lumières de la ville sont omniprésentes, agressives. Le vent est toujours au sud-ouest, et pendant un moment j'ai l'envie d'enfiler mon génois et de reprendre le large. Mais non... Ce ne serait pas raisonnable. Je ne vais pas prendre le risque de détruire ma dernière voile d'avant restante, ce serait stupide. De plus j'ai besoin de refaire le plein de carburant.
Plus tard le ciel c'est éclaircit. Je parle de celui à l'intérieur de ma tête. Alors que je me renseignais auprès du secrétariat pour avoir les coordonnées du voilier, la femme derrière le comptoir a lourdement insisté pour que je m'inscrive à la marina. Je lui ai dit que je ne pouvais pas, que pour être honnête je n'étais pas vraiment dans les clous en ce qui concerne mon visa... Elle m'a répondu que ce n'était pas grave. Puis je lui ai parlé de Touline, et a semblé très étonnée. Bref, je suis maintenant inscrit ce qui me permet d'utiliser les douches et les autres services (dont internet) offerts pour seulement 22,40 $R par jour. La semaine prochaine une place au quai devrait se libérer, et on verra à ce moment-la si je m'y amarre, ou pas. J'ai rendez-vous lundi avec le voilier, on va voir comment ça se goupille...

Sinon, j'ai repensé à ce grain que je n'ai pas pu/su négocier et qui me vaut d'être là. J'ai merdé en ne prenant pas les précautions qui s'imposaient, j'en ai conscience. Mais je crois que la leçon portera ses fruits. Une de plus.
Bleu pétole

22 commentaires:

Monique a dit…


Une de plus, comme tu dis !
Mais une fois encore tu as bien su gérer la situation ! Alors bravo!

Et finalement, pour nous lecteurs, c'est palpitant de suivre la nave avec toi, surtout lorsqu'on sait déjà que tu es à l'abri !!!!!!

hedilya a dit…

Ton spi étant plutôt bleu que vert on ne peut même pas affecter tes avaries à l’inexplicable superstition maritime liée à cette couleur ;-)
Contente de te savoir quelque part.

Le mousse d exocet a dit…

les navigations ne sont pas toujours paisibles! mais tu résistes et touline tient le coup.
Que va dire le voilier......

JR a dit…

en espérant que le foc est réparable, pour ce qui est des trombes, pas s'amuser avec ça ;o)) à l'intérieur il peut y avoir des vents énormes qui feraient du dégât...allez M comme on dit

aglae75 a dit…

Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire quand tu parles du short trempé qui glisse sur tes genoux, ça sent tellement le vécu. En tous cas t'as eu chaud aux fesses. Bon courage pour les réparations. Bisous

Gwendal Denis a dit…

@Monique : C'est sûr que l'effet de surprise est un peu gâcher puisque si j'écris c'est que j'ai encore mes deux mains et ma tête ! :)

@Hedilya : Moi je le vois vert mon spi... Et j'ai me pas le vert ! Je veux un spi rouge un jour !

@Le mousse : Oui, on résiste comme tu dis. Pour le voilier je ne l'ai pas encore vu, mais j'ai déjà fait circuler l'info auprès de tous les gens que je connaissais ici comme quoi le français cherchait une voile de rechange... A suivre !

@JR : Je n'avais aucunement l'intention de m'en amuser, crois-moi ! Je n'ai rien d'un chasseur de tornade :)

@Aglaé : :) Il ne manquerait plus que j'invente des trucs pareil :)

Anonyme a dit…

Salut Gwendal

Je viens de lire ton dernier périple pour savoir ou tu en étais.
Plutot humide et sacré virée. Respect!

Prends le temps de tout remettre d'équerre avant de repartir/

On pense à toi du fin fond de la région parisienne...

Bise
Sylvene

Eric on Jingle a dit…

J'aime bien ton expression "em-pêcheurs de naviguer ne rond" ...

Bon, sinon, il va falloir que tu acceptes de naviguer "comme un marin" en étant un peu plus sérieux sur tes quarts afin de ne plus te faire surprendre, surtout la nuit ... (je fronce bien sur les sourcils en disant ça et en ayant un air suffisant de "celui-qui-sait", tu t'en doutes) ;)

chris et JR a dit…

Ouf quelle histoire mais encore une fois, tu t'en tires bien (malgré quelques dégâts et une voile en miette) ! Les photos des trombes marines sont très impressionnantes... Méfiance et prudence vraiment devant ces phénomènes orageux !

Gwendal Denis a dit…

@Sylvene : Je vais tout ranger comme il faut avant de repartir, promis ! C'est toi Cousine ?

@Jingle : Mais heuuuuuu.... Bon d'accord, j'ai fait une connerie c'est vrai. Je l'admet. Déjà j'aurais dû ariser dès la nuit tombée, puis carrément réduire au minimum dès que j'ai vu cet orage. On ne m'y reprendra plus, promis !

@Chris et JR : Je hais positivement les orages ! Je me demande d'ailleurs si je ne préfère pas les pampéros aux orages, c'est dire !

Sonia a dit…

C'est pas rigolo tout ça... Et tu vas nous faire le plaisir d'écouter ce que te dit Jingle Catamaran !!!
Soulagée de vous savoir tous deux à bon port mais pfffffffff... Tout ça parce que tu as été négligent (si je suis bien)... Un coup de pied aux fesses, Mr Gwendal !!!!

Gwendal Denis a dit…

@Sonia : Oh ça va hein ! C'est pas souvent que je fais des erreurs de jugement si on regarde bien ! :)
Enfin... si quand même un peu... Mais de cette taille c'est plutôt rare, admet-le.
Promis, je le ferais plus !

lucifer ! a dit…

même si je sais que tu es en sécurité,je lis tout ça le coeur battant d'autant plus que beaucoup de termes techniques m"échappent .
comme dit Momo, encore une de passée,tu t'en tires bien!mais bon sang! prends soin de toi !

Gwendal Denis a dit…

@Lucifer : Mais je n'arrête pas de prendre soin de moi ! Promis ! La preuve, ce midi je me suis fait des filet de blanc de poulet à la crème...

lalesiond'honneur a dit…

Bien joué Gwen !Ce n'est pas une connerie que tu as faite ! C'est une super gestion de l'urgence ! Et gaffe où tu plantes ta pioches ! ;-))

lalesiond'honneur a dit…

erreur dans l'adresse :-(

Gwendal Denis a dit…

@La Lésion : Depuis j'ai pris une bouée au club. C'est plus safe. Sauf quand il n'y a pas de vent et qu'elle tape contre la coque... Et que j'essaye de dormir ! Là, j'aurais envie de tuer quelqu'un...

Le mousse d exocet a dit…

Ou en es tu de ta voile? Le voilier a t'il trouvé une solution raisonnable.
Bonne continuation

Alex a dit…

J'adore lire tes péripéties, même si cette fois, ce n'est pas une péripétie agréable !!! Va falloir éviter que ce genre d'aventures se reproduise !!!
Bises à toi et à Miss Touline qui est toujours aussi mimi.
Alex

PS: je confirme, Cpasbien est un super site pour les torrents....par contre, je viens de recevoir mon 2ème avertissement Hadopi, faut que j'arrête de télécharger...du moins pour un temps

Sylvaine a dit…

Wow quelle aventure ! Je débarque sur ce blog... rassurez-moi, ce n'est pas tous les jours comme ça ?!! bon we !

Gwendal Denis a dit…

@La Mousse : J'ai trouvé une solution. raisonnable, ça reste encore à voir !

@Alex : C'est l'avantage d'habiter l'étranger ! Hadopi ne vient pas me chercher des poux !

@Sylvaine : Bienvenue ! Euh... Ce n'est pas tous les jours c'est vrai, mais ça arrive quand même assez souvent ! ;)

Bateau Loïck a dit…

Décidément ce coin n'est pas facile...