mardi 28 septembre 2010

L’épreuve

Les mercredi et jeudi 15 et 16 septembre 2010
46°43'38.78"N 2°20'41.58"W
Des sables d’Olonne à Port-Joinville

Le lendemain matin, l’anticyclone qui jusque là nous écrase de ses hectopascals menace de s’effondrer... Enfin, c’est ce que semble vouloir dire la météo. Un front froid s’approche, ce qui veut dire du vent (chouette !) et de la pluie (pas chouette !). Il vous en souvient sans doute (en tous cas j’espère), le mois dernier je me suis équipé de pied en cape pour affronter les rigueurs océaniques à l’exception notable des bottes...
Eut égard à la forme un peu bizarre de ma cheville droite, je m’étais dis qu’acheter des bottes via internet n’était pas prudent et que je profiterais d’être dans la patrie des marin pour compléter mon équipement. Aussi, profitant d’une matinée plutôt cool puisque consacrée à quelques exercices de manœuvres dans le port, je me suis mis en quête de ces fameuse Racer GTX avec une fermeture éclaire sur le côté...
Deux heures plus tard et cinq magasins après, je suis rentré bredouille sur le bateau. C’est bien simple, à chaque escale je les ai cherché ces bottes, et je ne les ai jamais trouvé ! Et je cherche encore pour tout vous dire !

Mais bon, je ferme là la parenthèse. Cela m’a permis de me balader un peu et de vérifier ce que j’avais déjà observé : Les Sables d’Olonne c’est très moche. Mais alors, moche de chez moche. Une architecture des années soixante-soixante-dix, sans cachet aucune. Le pire du pire comme j’ai l’habitude de le voir sur la Côte d’Azur.

Vers onze heures nous quittons le port en direction de la Rochelle, et je prends la barre pour le départ. Petite étape d’une quarantaine de milles sans grande particularité. Le petit temps nous permet d’envoyer le spi, et c’est sous cette allure que nous longeons l’Ile de Ré. Tranquille Emile.
En fin de journée, et alors que nous nous trouvons à quelques encablures du port de La rochelle, Pauline descend dans la « chambre de navigation » pour s’enquérir d’une place pour notre Sereine...
Quelques minutes plus tard la voilà qui remonte et nous annonce que c’est actuellement le Grand Pavois (Un énorme marché de l’occasion), et que le port est archiplein. Plus une place. Rien de rien, pas même un bout de quai où poser nos pénates !

Passé un moment de juste récrimination (ben oui, on aurait pu prévoir le truc quand-même ! Et puis un marché de l’occase ce n’était pas pour me déplaire à moi), nous posons alors clairement le problème. Deux options s’offrent à nous : Soit nous passons la nuit dans un mouillage plus ou moins agité, soit nous faisons carrément demi-tour et nous remontons vers le nord.
Après une courte réflexion, l’évidence s’impose. On est dans un stage de formation hauturière oui ou non ? Allez go ! On repart dans l’autre sens et on se prépare pour une deuxième navigation de nuit ! Hardi matelots !

Avant que de changer de cap, nous prolongeons notre route jusqu’au fond de la baie, histoire de faire un petit coucou au Fort Boyard... Et puis nous voilà reparti. La nuit tombe, les quarts s’organisent. Encore une fois je décide de me taper par pur masochisme la période la plus chiante. 01h30-4h30...

Je me couche vers 09h30. Je m’endors assez vite, mais je me réveille assez vite également. En effet, ce vent de Nord-Ouest qui nous avait accompagné toute la journée souffle toujours dans la même direction, ce qui fait que (vous le devinez bien) si nous l’avions dans le dos à l’aller, nous l’avons forcément dans le pif au retour... Logique.
Sereine est obligé de naviguer au près serré pour maintenir un cap correct. A la limite du décrochage et tout en essayant de garder un maximum de vitesse pour franchir la houle qui s’est levée dans la soirée. Bref, ça gîte pas mal. Les douze tonnes de la bête se révèlent être un handicape certain. Elle pioche comme on dit. C'est-à-dire qu’il suffit d’une vague un peu forte, mal orientée, d’une erreur de barre minuscule pour que le cotre se plante dans la vague, passant instantanément de 5 à 2 ou 3 nœuds... Bref Sereine n’aime pas le près, elle n’est pas taillée pour ça.
Et à l’intérieur, c’est l’enfer.

Une heure avant mon quart je ne dors déjà plus. Je rumine en tournant dans tous les sens. Maudissant ce foutu architecte même pas capable de construire un intérieur digne de ce nom... En fait, je passe ma dernière heure de repos à fulminer intérieurement, et c’est donc passablement énervé que je me lève pour prendre mon quart.

Je vous fais grâce des difficultés inhérentes à l’enfilement d’un ciré complet alors que le bateau accuse une gîte de 45°... En plus comme je vous l’ai dis, ce bateau est si mal foutu à l’intérieur que je perds l’équilibre je ne sais combien de fois et me cogne de partout. Je pense que vous imaginez assez bien le tableau.

Jean-Louis est là, à la navigation. Il m’annonce que le vent a forci (non, sans blague !) et légèrement tourné ce qui fait que nous sommes obligé de faire du près serré (je l’avais pas deviné !). Il me parle de ris qu’il faudrait peut-être prendre...
Je monte sur le pont et m’installe comme je peux pour fumer ma clope spéciale réveil de mauvaise humeur. Celle qu’il ne faut absolument pas foirer sous peine de me faire monter dans les tours. Pascal est à la barre et commence à me parler de rapport vitesse-cap... Le temps est couvert. Pas de lune, pas d’étoiles. Il fait noir. J’ai froid. Le vent vitesse me souffle dans les oreilles...
Pascal me parle et je ne comprends rien à ce qu’il me raconte. Je ne pense qu’à une chose, je ne vois qu’une chose, ce sont les flots noirs qui bouillonnent deux mètres plus bas. Je ne veux qu’une chose, c’est que ce foutu rafiot arrête de pencher autant, c’est tout. Je reste hermétique aux conseils qu’il me donne. Limite, le ton calme et légèrement enthousiaste qu’il utilise à tendance à m’énerver encore plus.


Je m’installe et prends la barre. Ca va pas. On gîte trop, c’est pas normal. J’essaye de suivre le cap que l’on m’a indiqué mais je n’y arrive pas. Cette salope de Sereine menace de partir au tas constamment et je dois lutter avec toute la force de mes bras pour la maitriser...
Pour moi, en cet instant, c’est clair qu’on a trop de puissance, trop de voiles. Il faut prendre un ris, deux même ! Je gueule ma demande. Dans le carré, les autres s’interrogent à voix basse. Je les vois qui discutent alors que moi je lutte comme un forcené...
Ils se décident enfin à réveiller Pauline.

En un éclair elle comprend ce qui se passe alors que moi je n’en n’ai pas encore conscience. Elle peut le lire sur mon visage : J’ai peur. Je suis pété de trouille. C’est tout.

Elle s’assied alors à côté de moi et s’emploie à me rassurer. Elle pose sa main à côté des miennes et me guide. Elle me parle gentiment, m’explique qu’il ne sert à rien de lutter avec Sereine, qu’il faut la laisser faire... Il faut l’accompagner, la laisser s’exprimer... Elle sait ce qu’elle fait la Sereine, lofe d’elle-même... Il faut juste la contrôler de temps en temps...
Peu à peu mes muscles se détendent, ma respiration se fait plus longue. Je me calme.
Pauline me propose de m’accompagner tout au long de l’heure qu’il me reste à barrer, mais ce n’est plus la peine... Tout va bien maintenant, je n’ai plus peur. Je barre Sereine sans même réfléchir à ce que je fais. Je me laisse guider par elle. Elle prend de la vitesse, et je sens son étrave fendre la houle... Comme un couteau dans du beurre. Je suis en harmonie avec elle... C’est magique. Merci Pauline.

A mi-quart, je laisse la barre à Danielle. Mais alors que je commence à faire un point sur la carte, voilà qu’un mal de mer des familles vient à me saisir tout entier.
J’ai des frissons, je sens mes intestins qui se liquéfient, je sue comme un porc, mon estomac se révulse... Bref, j’suis mal.

Permettez-moi d’ouvrir ici une parenthèse et de vous dire quelques mots sur le mal de mer... Cette saloperie touche tout le monde. Même le grand Tabarly en était parfois atteint. Et on peut dire que le mal de mer obéit à ce que l’on appelle la règle des cinq F.
Cinq facteurs peuvent le provoquer : Le Froid, la Faim, la Fatigue, la Fête et enfin la Frousse.
En ce qui me concerne, à part la Fête, on peut dire que j’avais carton plein !

Aussi, dans ces conditions rien ne sert d’insister. Je suis remonté sur le pont, me suis calé le plus confortablement possible, le regard rivé sur les lumières de la côte et j’ai attendu que ça passe. A quatre heures et demi, crevé aussi bien physiquement que psychologiquement je me suis écroulé sur ma bannette pour y dormir comme une souche.

Putain de nuit...

Le lendemain, pétole pure. La nuit agitée a laissé place à une mer d’huile sans un pet de vent. Nous avons navigué au moteur quasiment toute la journée pour arriver le soir à Port-Joinville sur l’Île d’Yeu...

13 commentaires:

cazo a dit…

Super récit, on s'y croirait, pour un peu on éprouverait devant notre écran les mêmes impressions de bien-être ou de malaise.

Je crois que ton cap est tout tracé : un voilier, un voyage, un carnet de bord, des photos et un livre au final ;-) !!

Gwendal Denis a dit…

@Cazo : Que les dieux t’entendent alors...

Monique a dit…

C'est vrai..j'ai eu le mal de mer avant toi en te lisant...
J'y suis fort sensible, comme à ton récit...
Je me rends compte que la navigation, c'est une leçon de vie: ne pas lutter contre les éléments mais utiliser leur force pour mieux avancer..

Gwendal Denis a dit…

@Monique : Une leçon de vie en effet... Pour ma part, j’ai énormément appris sur moi pendant ce stage. Sur mes capacités d’adaptation, limitées. Sur mes limites tout court. Mes points forts aussi... Ma capacité à rebondir... Bref, une séquence riche.

edou a dit…

Comme Monique, j'ai suivi ton récit comme si j'y étais !
Le près serré, la mer noire, le bateau qu'on maîtrise difficilement, les copains qui ne réagissent pas aux sensations que tu ressens... Je me suis dit : il ne sent pas la mer, il ne maîtrise pas son bateau, il a la frousse, il va avoir le mal de mer.

C'est vraiment un excellent récit et je suis d'accord avec Cazo : tu devrais écrire un bouquin !

Maintenant, tu comprends sans doute mieux pourquoi les chefs de bord sont "hors quart". Ils doivent pouvoir être disponibles à tous moments 24/24h et 7/7js.
On apprends ainsi à récupérer 5 minutes par ci, 1/2 heure par là au gré de la navigation et de l'état de la mer, de façon à être toujours en état de lucidité en cas de pépin.
La mer est une école de maîtrise de soi.
Bravo à Pauline.

Gwendal Denis a dit…

@Edou : En effet, pour le mal de mer c’était couru d’avance ! Et c’est vrai que le fait d’être hors-quart est bien utile dans ces cas-là. Pauline a été pro et efficace. Bravo et merci à elle. (J’espère qu’elle va me lire !)
Pour le bouquin, c’est dans mes projets, mais j’en suis encore loin... Très loin.

edou a dit…

PS : je viens de regarder la photo de près. 3 réflexions :

- Qu'est-ce que c'est que ces pompes de touriste ?

- Tu n'aurais pas un peu maigri ?

- Je vois, d'après les sangles - tenue glénanaise obligatoire (c'est à ça qu'on les reconnait en mer : ils portent leur harnachement même par 35°C dehors !) - que tu portes à gauche !
Mais ça, je m'en doutais un peu...
LOL

Gwendal Denis a dit…

@Edou : ÇA, c’est mes pompes spéciales bronzage intermittent. Ça glisse un poil mais j’suis bien dedans !
Et oui j’ai maigri, merci de l’avoir remarqué. (T’es le seul d’ailleurs... Grrr !!!)
Sinon, brassière obligatoire aux Glénans... Oui, c’est chiant mais en même temps faut que je m’y habitue car seul sur mon bateau... Enfin bref, comme tu l’as remarqué cela met mes attributs en valeur !

edou a dit…

La brassière, seul sur ton bateau...
Qui veux-tu qui te remonte à bord ?
Il vaut mieux être libre de ses mouvements pour nager vite : un harnais gréé sur la ligne de vie + un traînard derrière le bateau d'environ 10 mètres (les requins adorent ça !).

Un mot sur le "Grand Pavois" de La Rochelle.
Ce n'est pas un salon de l'occasion (tu confonds avec celui du Crouesty qui a lieu tous les ans à la Toussaint et qui lui devrait t'intéresser) mais un salon nautique à flot - comme celui de Paris en décembre, mais à flot.
Il est intéressant car il permet aux constructeurs, presque tous situés dans la région, d'exposer plus de bateaux qu'à Paris car ils n'ont pas la contrainte du transport par route.

'Tsuki a dit…

Epique ! Un vrai bonheur à lire... Ca devait être sacrément impressionnant, purée !

Gwendal Denis a dit…

@Edou : Tu n’as pas tord.

@Tsuki : Pas mal en effet. En tous cas moi je l’étais, mais pas sur le coup puisque je n’avais pas conscience de ma peur... C’est après que j’ai réalisé.

Bourreau fais ton office a dit…

Belle description de Sereine comme d'un être à part entière, avec sa personnalité.

Gwendal Denis a dit…

@Bourreau : Je crois que tous les bateaux ont une personnalité... Je sais que ça peut paraitre bizarre dans ma bouche, mais en ce qui concerne les bateaux je veux bien faire un peu d'animisme...