Le lundi et mardi 13 et 14 septembre 2010
46°30'3.05"N 1°47'39.67"W
De Lorient-Kernével aux Sables d’Olonne
As usual, j’arpente les pontons alors qu’il fait encore nuit. La rosée trempe tout, les bateaux luisent sous les réverbères. Il fait bon. La marina de Kernével est complètement excentrée, aussi mes pas ne m’emmènent pas bien loin. Je tournevire en attendant que les autres se lèvent... J’arrive à choper un lever de soleil splendide. La journée s’annonce belle et s’est tant mieux parce que nous avons de la route à faire. Deux jours et une nuit de nave, c’est ce qui nous attend pour rallier les Sables d’Olonne. Une centaine de milles, tranquille Emile.
Dans la journée nous passons la presqu’ile de Quiberon, et nous nous glissons entre Belle Île et les îles d’Houat et Hoedic. Un coin dangereux plein de cailloux qui affleurent plus ou moins selon la hauteur des eaux. Sur le coup je me dis que je n’aimerais pas y naviguer de nuit... Et je ne me doutais pas qu’au retour ce serait effectivement le cas !
Le vent est faible mais souffle dans la bonne direction, ce qui nous permet de lancer le spi de 120 m². Sereine aime bien ça et on le sent quand on est à la barre. Elle file ses six nœuds en frétillant comme une jouvencelle. Sa carène est faite pour le portant (le vent dans le dos) et elle ne s’exprime vraiment que sous cette allure.
La journée se passe tranquillement et vers 19h45 je lance la cuisine. Au menu de ce soir mon fameux poulet au curry qui fera, je le sais, des merveilles. Idéal pour se donner des forces avant que d’entamer une nuit entière de navigation.
Pauline organise les quarts. Elle me demande si j’ai une préférence mais je lui réponds de me laisser ce qui restera une fois que tout le monde aura choisi... Ne croyez pas qu’il s’agit là d’une preuve (s’il en fallait !) de ma gentillesse naturelle. Non, c’est que dans ma petite tête d’aventurier, je me dis que lorsque je serais à bord de la Boiteuse je n’aurais pas vraiment le choix... Aussi, autant m’habituer assez vite à endurer ce qu’il y a de plus chiant.
Ce sera donc de minuit à trois heures du mat, puis de sept heures trente à dix à dix heures trente. Trois heures de quart à chaque fois partagées équitablement entre la barre et la navigation.
J’arrive à dormir un petit peu avant que de prendre mon premier quart. La nuit est belle, magnifique même. Les étoiles brillent sans crainte d’être concurrencées par la lumière parasite des villes... Le large quoi ! L’heure et demi de barre passe comme dans un rêve et je suis surpris de la voir passer aussi vite.
Pour ma première nuit, j’étrenne ma tenue hauturière toute neuve. J’ai bien chaud et j’ai l’impression d’être dans du cocon. Je suis tellement bien que j’ai un peu de mal à lâcher la barre... (Rend le bâton Gwen !)
La nave aussi est cool puisqu’elle consiste seulement à surveiller si un autre bateau ne vient pas (par vice forcément) à croiser malencontreusement notre route. Quelques cargos croisent au loin, sans doute sortant de Saint Nazaire... Une petite lumière sur notre tribord nous intrigue un peu car elle suit presque le même cap que nous et quasiment à la même vitesse. Avec Pascal nous devons fouiller notre mémoire pour identifier ce feu un peu bizarre... Une lumière jaune clignotante sur un feu rouge... mais qu’est-ce que ça peut bien être bordel !
Mon coéquipier me dit alors : « mais c’est un sous-marin ! ».
Mais oui, c’est bien ça. Un sous-marin en surface qui fait du trois nœuds. Bizarre. Il nous suivra jusqu’à ce que l’arrivée du jour ne nous le fasse perdre de vue...
A la fin de la nuit, alors que je roupille du sommeil du juste, la pétole nous cloue sur place et nous oblige à allumer le moteur. Je ne l’entends même pas tellement j’écrase. Et pourtant il est là, à de cinquante centimètre de moi !
Mon deuxième quart se passe royalement. Limite, je m’emmerde... Aussi pour passer le temps je m’amuse à lover les écoutes en forme de galettes (obsédé moi ?)... J’improvise un pilote automatique façon MacGyver avec deux boutes qui trainent. J’avais lu quelque part que c’est ainsi qu’il fallait procéder, et effectivement cela fonctionne. Pas trop longtemps mais suffisamment pour aller se faire un café par exemple, ou encore aller à l’avant pour hisser une voile ou régler un bidule.
J’enquille dans la foulée avec un petit dodo express, et alors que je sommeillais sur ma bannette j’entends soudain une voix sur le pont :
« Des dauphins ! »
Putain ! Vite ! Je suis en calbute, et le temps de m’habiller puis de revêtir ma brassière (Ndt : mon gilet de sauvetage), j’entends mes compagnons qui s’extasient : « Oh, qu’ils sont gros ! ». Grrr !!! Putain de brassière à la mord moi le... Ça s’accroche comment déjà ce bordel ?!
Merde, il est où mon appareil photo ? Ah, le voilà ! Je grimpe sur le pont comme un dératé, l’appareil en main. Ils sont où ?
Et c’est là que je les vois... Une petite famille de grand dauphin (Tursiops truncatus) à ce qu’il me semble avec ce qui doit être la mère. Enorme, presque trois mètres de long ! Les petits, des bestioles de plus d’un mètre cinquante quand même, batifolent sur notre tribord et font des cabrioles... c’est magnifique ! Tellement beau que pendant un moment j’en oublie de prendre des photos !
Lorsque je reprends mes esprits il est déjà trop tard. La petite famille reprend sa route à l’opposé de la notre. J’ai juste le temps de prendre trois clichés avec le zoom... Merde, merde merde !!!
Je me promets que dorénavant mon appareil restera dans la descente, près à servir. Et que la prochaine fois j’enclencherai tout de suite la vidéo plutôt que de chercher à cadrer coûte que coûte. Hélas, ce fut la seule fois que nous en vîmes... Pas de bol.
En fin de journée nous atteignons les Sables d’Olonne. En pénétrant dans le chenal je reconnais les lieux pour les avoir vu de nombreuses fois à la télé... C’est d’ici que partent et arrivent les concurrents du Vendée Globe. Je me remémore ces valeureux marins qui sont passés par là... Des feux brulants aux mains et salués par des milliers de personnes agglutinés sur les quais... Pour l’heure personne ne fait vraiment attention à nous, aussi je m’empresse de faire de grands gestes pour solliciter leur attention. Quelques-uns me répondent, hilares.
Moi c’est bien simple, je suis heureux.
8 commentaires:
Salut marin ! Content de te lire à nouveau.
Des sous-marins, j'en ai vu pas mal dans le goulet et la rade de Brest, mais de nuit, jamais. Dorénavant, et grâce à toi, je saurai que jaune clignotant sur rouge = sous-marin.
Tes narrations nous montrent que tu as eu du plijadur (plaisir en breton). Fais gaffe, si tu y prends goût, tu vas devenir nomade !
... et les nomades, c'est pas très bien vu en ce moment.
Côté nav et apprentissage des manœuvres, tu ne nous dis rien. Comment ça s'est passé ?
edou
PS : les poulies sont en orme (d'après les photos car elles pourraient aussi être en buis) trempé dans de l'huile de lin bouillante.
@Edou : Salut Edou !
Clignotant jaune sur rouge lorsqu’on le voit sur son bâbord, hein ? Parce que sur l’autre bord tu devines bien que ça donnera clignotant jaune sur vert...
Ouais, du plaisir j’en ai eu, mais pas que. C’était un bateau génial pour naviguer mais exécrable pour y vivre... Mais bon j’ai appris plein de trucs et j’en suis ravi. Côté nave et manœuvre, j’y viendrais plus tard car je ne veux pas trop gonfler les néophytes qui me lisent. Tien, juste pour te donner un avant goût, si je te dis bastaques en bronze qu’il faut tendre et détendre à chaque changement d’amure, ça te dis quelque chose ?
Un enfer ces trucs-là !
Pour les poulies, l’orme me semble adapté, car si elles étaient en buis, je l’aurais reconnu.
Yes ! je suis l'homme qui a lu l'homme qui a vu la queue du dauphin !
Ca me rappelle une anecdote réunionnaise : on est restés longtemps, avec mon cousin, à se demander à quel animal marin pouvait appartenir cette étrange queue, qu'on voyait se plier bizarrement, au large ; une baleine, un requin ? c'était la jambe d'un homme grenouille ... on a pu aller se baigner tranquille sans craindre les carcharodon carcharias.
Content de pouvoir te relire, Gwen, l'aventure par procuration reprends !
Pour les sous-marins, j'avais deviné pour le rouge et le vert.
C'est l'expression "clignotant" qui me chiffonnait car en mer ça n'existe pas les feux clignotants ! Y'en a qu'en ville quand les feux tricolores ne marchent pas !!!
Extrait :
Sous-marins : Feu jaune scintillant, en plus des feux de route d'une vedette de + 50 m.
Donc tu aurais dû voir son bâbord (jusqu'à 225°) ainsi :
- feu rouge
- feu jaune scintillant
- feu blanc de mât à l'avant
- feu blanc plus haut de mât à l'arrière
Tout ça, ça fait un bel arbre de noël !
Alors, sous-marin ? Ou simple quékou se baladant avec un girophare ?
J'ai aussi vu sur ta photo la paire de leviers de bastaques en bronze : jolies pièces !
Aaaahhh... enfin, l'air du large !!
Quel plaisir de te lire !! ça permet un peu à mon esprit de s'évader de ses tourments habituels, et c'est pas rien !!
Profite, mon ami, profite...
Et quoi? les dauphins bretons, c'est pas les mêmes que les corses ?
Moi aussi, ça me fait du bien de respirer l'air du large via tes grands poumons...surtout la nuit, ce doit être si paisible !
@Bourreau : L’aventure, l’aventure... Je dirais l’aventurette plutôt. La vraie ne commencera que dans six mois...
@Edou : Clignotant, scintillant... On va pas chipoter hein ?
Sinon pour les bastaques, à chaque fois que je devais m’en servir j’avais une trouille bleue d’y laisser un doigt ! Ou un pied...
@Cazo : Si j’égaie un peu ta brume personnelle, j’en suis ravi.
@Monique : Nan ! C’est pas les mêmes... En Corse y z’étaient plus petits !
Paisible, paisible... Ouais on peut dire ça. Limite ésotérique comme expérience en fait.
Des dauphins, un sous-marin... Sympa, tes rencontres de quart ! J'aime bien venir découvrir ton voyage ainsi, en fait... C'est vraiment bien agréable.
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