31°30.493N 09°46.464W
Essaouira
Bon, je sais que vous attendez tous avec impatience que je vous livre mes impressions d’Essaouira… Franchement j’essaye depuis un moment déjà de trouver les mots pour vous en parler, mais je rencontre comme un blocage… Je ne sais pas si c’est la profusion des impressions, ou bien plus simplement la dolence marocaine qui m’a contaminé, mais je rame pas mal, croyez-moi.
Là il est 04H45, ce jeudi de fête nationale. J’entends l’appel du muezzin pour la première prière du jour, et cet appel retentit comme un ultimatum : La Boiteuse repart demain, et il n’est plus temps de procrastiner.
Cela va faire presqu’une semaine que je suis ici, et chaque jour a été pour moi comme une grande claque dans la gueule. Tu voulais du dépaysement le Gwen ? Et bien te voilà servit.
Oui mais voilà, par quoi commencer ? Décrire ce que l’on a dans le cœur est parfois un exercice difficile. C‘est devoir trier entre tel ou tel aspect de la ville. C’est être oublieux parfois de certaines choses et insister sur d’autres… Bref, c’est compliqué.
Des parfums, des couleurs... |
La première chose qui m’a frappé en arrivant à Essaouira, dans les conditions que vous connaissez, je vous l’ai dis, ce sont les odeurs.
Un mélange où l’odeur des épices se mêle à celle du cuir. L’odeur de l’argan et du thuya à celles des brochettes d’agneau et des fritures de poissons. Un mélange riche qui imprègne tout, jusque dans la fibre des vêtements que vous portez.
Essaouira c’est avec le nez qu’on la découvre en premier.
Ensuite, ce qui frappe ici, c’est la lumière. Celle-ci est propre à ce mois de juillet, le mois du Shakhi, ce vent humide qui ballait les dunes du nord et en charrie le sable, noyant la ville dans une clarté diffuse, presque irréelle. On la dirait comme éclairée à travers le filtre sépia d’un vieil appareil photographique.
Le Shakhi souffle en permanence, ce qui fait qu’ici la température de l’air ne dépasse que rarement les 25°C, même au cœur de l’été. L’hiver, le vent souffle moins, et il fait cependant plus chaud qu’à l’intérieur des terres, jamais moins de 18°C. En fait il fait doux quasiment toute l’année… Une douceur humide, qui ne facilite pas le séchage du linge et oblige le passant à porter matin et soir une petite laine pour ne pas attraper froid. Ici, la djellaba, avec son capuchon pointu, n’est pas qu’un vêtement folklorique, elle est aussi bien utile
Douceur de vivre... |
Le soir de mon arrivé, j’avais à peine terminé d’amarré la Boiteuse, que j’ai été sollicité de toute part… D’abord le douanier, puis le gendarme. J’ai accompagné tour à tour ces messieurs dans leurs bureaux respectifs et je crois que c’est là que j’ai pris ma première vraie claque. J’avais l’impression de me retrouver dans un monde qui se serait figé en 1952... Si l’on excepte l’ordinateur (pas tout jeune quand même), le mobilier était celui d’une classe d’école des années 50-60. Avec ses chaises en tube et au dossier en bois que les plus anciens d’entre vous ont certainement connu. Que moi aussi j’ai connu d’ailleurs.
Tous les fonctionnaires à qui j’ai eu affaire ont été d’une gentillesse et d’une sollicitude parfois désarmante. Si j’avais besoin de quelque chose, n’importe quoi, je n’avais qu’à demander !
Moi, ce que j’aurais bien voulu, c’était surtout de l’électricité. Et l’eau aussi… Mais le port d’Essaouira ne dispose que d’un quai réservé aux bateaux de passage et même si les bornes sont en place, elles ne sont pas alimentées. C’est d’abord et avant tout un port de pêcheurs. Et je pense que ça le restera longtemps tant qu’ils ne feront pas l’effort d’améliorer les conditions d’accueil et qu’ils ne baisseront pas les prix… Car mine de rien pour la Boiteuse je paye 244 Dirhams par jour ! (environ 25 €). A ce prix-là, et étant donné la prestation, c’est du vol pur et simple. (Voilà, ça c’est dit)
Chuis coincé ! |
La Boiteuse est donc amarrée à couple d’un petit voilier norvégien, le Momo (Oui c‘est vrai !), qui se trouve lui-même à couple d’un gros bateau des services de sauvetage en mer marocain, le Tensift. Par la suite deux autres bateaux français nous ont rejoints, deux ketchs français, ce qui fait que nous sommes maintenant quatre de front ! L’ambiance est plutôt sympa et nous passons d’un bateau à l’autre pour pouvoir descendre à terre et aller nous promener dans la médina.
Ah la médina… Lorsque je me balade dans ses rues j’ai l’impression de me retrouver dans un gigantesque Bazard dédié à l’artisanat marocain. Ce même artisanat dont je vendais moi-même les produit il y a six ans… Tout y est. Le cendrier qui va bien, les plats à tajines peints à la main, les étoffes, les tapis, les lanternes en fer forgé… Je l’avoue, de voir tous ces objets, c’est pour moi un flashback à la fois plaisant et douloureux.
Mais au bout d’un moment, on comprend assez vite que cela n’est que de la poudre aux yeux… Le berbère en costume traditionnel qui vous invite à boire le thé dans sa boutique, vous appelle son ami, n’est là que pour faire une seule chose, vendre. Il faut savoir passer au-delà de cet aspect financier, qui prime sur tout ici, avant que de pouvoir avoir de « vraies » relations avec les gens. Discuter, partager, comprendre.
Cela ne se fait pas immédiatement car aux yeux des marocains, le francaoui c’est d’abord et avant tout une source de revenu non-négligeable.
Le petit Youssef |
Je crois pouvoir dire que je suis arrivé à franchir ce seuil… J’ai fait tellement de rencontre, si vous saviez… Je me souviens d’Abdoullah.
Abdoullah tient un magasin de bijoux touaregs, plus petit que le carré de la Boiteuse. Je lui ai acheté un collier représentant la voie lactée (je me suis dit que ça pouvait servir pour un navigateur), et comme de bien entendu je me suis sans doute fait arnaquer sur le prix… Tien, à ce propos j’ai essayé de comprendre, et de pratiquer, l’art de la négociation. Au début je ne comprenais pas cette pratique qui me semblait essentiellement malhonnête. En fait, c’est comme un concours d’intelligence. Celui qui négocie correctement et arrive à se rapprocher le plus possible du prix « vrai » du vendeur, fait preuve d’intelligence et mérite alors son respect. Celui qui se fait avoir dans les grandes largeurs, démontre sa bêtise et ne mérite alors aucun respect… D’où l’absence de remords du vendeur.
Bref, j’achète donc un collier à Abdoullah, et le lendemain je repasse devant son échoppe et je rentre. Il croit que je reviens lui acheter quelque chose, mais non je lui dis que je suis juste passé devant et que je suis rentré pour le saluer. Le lendemain, même chose. A ceci près qu’il n’est plus alors question de commerce entre nous et que nous pouvons alors parler pour de bon devant un thé.
Lorsqu’Abdoullah apprend que je suis venu à Essaouira en bateau, il me demande alors de l’emmener avec lui… Cette demande pourrait faire sourire si ce n’était pas la quatrième que l’on me fait depuis mon arrivée. Car le Maroc est un pays pauvre, très pauvre, et pour s’en convaincre il suffit de faire quelques pas en dehors des ruelles les plus animées, ou même carrément sortir de la médina et s’aventurer dans les quartiers loin du bord de mer. Là on prend la mesure de la pauvreté de ce peuple, et du coup leur envie de s’expatrier devient plus que légitime.
Rachid |
Une autre rencontre fut pour moi riche en émotion, celle de Rachid, l’ébéniste.
Je me promenais dans une de ces ruelles sans touristes, lorsque j’ai été attiré par le son d’une radio qui diffusait un bulletin d’information en français. Je me suis approché, et Rachid m’a invité à rester pour écouter les infos avec lui… Nous avons discuté, il m’a montré son travail, comment il fabriquait tous ces objets en thuya que l’on peut voir sur les étals.
Le lendemain, je suis revenu le voir avec mon support de pilote (celui qui a cassé pendant la traversé) et je lui ai demandé s’il pouvait me faire la même chose en un bois assez résistant. Il a sorti un morceau de chêne de dessous une pile de copeaux et après avoir pris quelques mesures m’a dit qu’il pouvait me faire ça pour le lendemain.
Le lendemain, je repasse et je découvre un travail formidable. Une pièce superbe, fait dans les règles de l’art. Je lui demande combien ça va me coûter, et il me répond de donner ce que j’estime être un bon prix.
Lorsque un berbère vous demande à vous de payer ce que vous voulez, c’est qu’il est honnête, c’est une règle.
Je suis plus que satisfait du travail et des conversations de Rachid et je lui donne alors un billet de 200 dirhams (20 €, c’est-ce que m’avait coûté la fabrication de la même pièce deux jours plus tôt par un arnaqueur de première. Du travail salopé en plus).
Rachid a refusé que je lui donne autant d’argent. Il m’a dit que 200 dirhams c’était ce qu’il gagnait en deux jours de travail… J’ai insisté et il a finalement accepté en m’offrant une très belle boite à bijoux en thuya signée de sa main.
Lorsque bous nous sommes dits au revoir, j’étais très ému par la gentillesse de cet homme. Lui aussi. Nous avions tous deux les yeux qui picotaient…
Ce bleu... |
Une autre rencontre déterminente fut pour moi celle d’Hassan. Hassan c’est le capitaine du bateau de sauvetage sur lequel nous sommes tous amarrés. Ancien patron-pêcheur recyclé dans le fonctionnariat depuis la crise de la pêche qui sévit au Maroc, Hassan est une mine de renseignement sur Essaouira. Vous cherchez quelque chose ? Demandez à Hassan, lui il vous trouvera ce qu’il vous faut. Et contrairement à ce coquin d’Omar, il ne vous demandera rien en échange ! (Euh… Quand je dis coquin, je suis gentil. C’est un connard de première)
Hassan m’a invité un jour à manger un tajine chez lui, dans sa maison au cœur de la médina. C’est lui qui m’a expliqué pour le Shakhi, c’est lui qui m’a raconté que le bleu d’Essaouira, ce bleu que l’on retrouve sur les bateaux et sur toutes les portes et fenêtre, c’était la bleu des juifs qui vivaient ici dans le temps. C’est lui qui m’a raconté la dure vie des pêcheurs. C’est lui encore qui m’a indiqué les meilleures échoppes pour acheter à bon prix les épices pour le tajine (Cumin, Coriandre, Gingembre et poivre citronné). C’est lui qui malgré l’inconfort, a rendu ce séjour particulièrement agréable.
Hassan prépare le tajine |
Voilà, pour vous décrire Essaouira, j’ai préféré vous parler des gens plutôt que des lieux. C’est en tous cas, ce que je retiendrais en ce qui me concerne.
Demain la Boiteuse partira avec le Momo pour les Canaries. Nous naviguerons de concert vers les îles. Je ne serais plus seul à bord, puisque Manuel le seul français de la petite troupe de cirque ambulant qui voyage sur le Momo, m’accompagnera. La traversé de deux jours sera plus facile pour moi, et comme ça sur le Momo ils ne seront plus que quatre, ce qui les aidera également.
Aujourd’hui je vais recoudre mon pavillon français déchiré lors de la traversée et le hisser dans la mature pour célébrer le 14 juillet. Je dois également faire le plein de gasoil et d’eau. Là encore, il va falloir que j’évite de me faire arnaquer… Mais Hassan va m’aider j’en suis sûr ! Et puis en fin de journée les deux capitaines de la Boiteuse et du Momo ont rendez-vous pour un briefing. On va causer itinéraire et horaires de marée !
Pour terminer, je voulais vous citer ce que m’a dit Abdoullah, le vendeur touareg : Les gens c’est comme les pierres et le sable. C’est pas pareil.
D'autres photos :
Les remparts, le rendez-vous des amoureux |
Tôt le matin |
Au rendez-vous des amis |
Ne pas se laisser abuser car voici... |
... l'envers du décor. |
Reste la lumière |
13 commentaires:
Très belles, tes photos...et j'attends la vidéo...
On vient de causer tous les deux...alors plus grand chose à rajouter.
Bon vent!
Je serais près de toi puisque Momo t'accompagne !
Moi aussi j'ai hâte de voir tes images.. en attendant, tu nous a mis les odeurs dans le pif et une petite envie de tajine...très beaux portraits de tes personnages et très belles rencontres! Bonne traversée pour les Canaries. et Banzaï...
D'abord le contact avec les gens, c'est bien toi ça !
Et puis tu fais comme tu avais prévu de faire : la description sociologique/politique et humaine des terres que tu découvrirai, tu te démarques des autres blogs de voyageurs.
En tous cas j'y étais, en te lisant, merci pour le voyage, qui ne fait que commencer !
Salut ! Ouais, on retrouve parfaitement à la fois cette intensité des rapports qu'on ne trouve plus guère en Europe et la pression qu'exerce sur les bons bougres la pression / l’oppression économique. Bienvenu chez les richards, si j'en crois ma modeste expérience, dans de nombreux coins du monde (là où tu ne seras pas complétement bizarre et où les dits bons bougres galèrent)il sera inutile de t'en dédire, Richard tu seras. On s'attendra donc souvent à ce que tu fasses preuve de largesses, mais pour ne pas être ni le pigeon de l'affaire ni le gros con suffisant il importe que tu consommes plus de service mais à son juste prix (+1 éventuellement).
Funambulisme dont tu as déjà un aperçu marocain. Mais tu n'es pas un Newbie de l'aventure humaine et je ne t'apprends pas grand chose je suppose. Bon ben je suis nul en voile alors je fais ce que je peux...
Tout sûr, Aslan, rappelles toi ton pneu crevé, à Saillon, même combat, fallait gérer avec le local,tous les garages fermés, et Bourreau qui nous attendait en buvant bière sur bière, on s'en est bien sortis...tout dans le relationnel, tout dans l'humain...je ne suis pas inquiet pour Gwen...après 2 mois de navigation, il est devenu un "Jedi" il va encore nous étonner...
Merci pour la balade, merci pour le dépaysement visuel et mental, tu nous offres de vrais moments d'évasion !!!
Je plussoie les commentaires des autres membres de l'équipage virtuel !!
Merci... bons vents, belle nave, profite, savoure... et continue à nous faire voyager !
;-)
merci pour les rencontres. Pense à filtrer ton gazole...
Oh l'autre, eh, Giorgio ! je tiens à rétablir la vérité historique : c'est toi et Aslan qui vous êtes ramenés avec les bières, après ! même que je me suis dit : "mince, des canettes de bières ? comme à la cité ! y vont pas sortir le néo-codion, quand même ?"
Mais tout est vrai pour ce qui est des autochtones, surtout ceux qui squattaient la buvette du camping, on était les estrangers qui apportaient un peu d'évènementiel:)
@ Giorgio, bourreau et aslan :
... d'où l'avantage de voyager en solitaire...
;-) !!!
Merci pour le petit tour de médina.
J'ai prousté comme une madeleine tellement que j'en ai senti les odeurs et les parfums d'épices..
Vous savez quoi , les garçons ?
Moi j'ai bien envie qu'on attende pas 6 mois pour se retrouver tous, et avec le Giorgio, Aslan et Bourreau cette fois..et Gwen en vidéo conférence : lui devant un thé à la menthe ou autre boisson exotique et nous, avec nos bières ou un petit vin de pays....
Merci à tous !
Bon c'est pas tout, mais quand faut y aller... A plus !
Thank you for theese beautiful and intersting impressions of Essaouira.
I have embedded your souk video on mysite:
http://www.essaouira.nu/map_medina_jdid.htm
Avez-un voyage agréable et aventureux.....
:)
Message de Gwen :
Bien arrivés ce matin dimanche à
6H40 à Graciosa...
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