samedi 25 juin 2011

Le passage

36°09.439N 05°21.338W
La Línea

Départ, neuf heures et des poussières. Je m’attarde un peu pour dire au revoir à mes voisins et nouveaux amis, Don, Raymond et Guillaume. La corne de brume sonne pour saluer tout ce petit monde.
Dehors, c’est pas beau. Une brume pas trop dense, mais suffisante pour cacher le soleil rend la visibilité inférieure à 5 milles. C’est la pétole, et je continu au moteur, cap au 240°.
Je m’emmerde… Alors je pense. Et par la même occasion j’écris ce que je pense. J’essaye de me projeter jusqu’à demain même heure, mais j’ai un peu de mal… Pas de trac, pas de joie excessive… Demain c’est demain, et aujourd’hui c’est aujourd’hui.

Hier j’ai rempli mes deux bidons de 20 l de Gasoil, mais j’ai omis de faire le plein du réservoir principal. C’est une erreur. J’espère que le vent va se lever parce que je n’en n’ai (à vue de nez) que pour six heures de moteur et je me vois mal effectuer un ravitaillement en vol. Remarque, ça me permettra d’essayer la manœuvre au moins une fois avant l’océan…

La brume s’efface peu à peu, mais laisse la place à des nuages bas. Pas de chapeau ni de lunettes de soleil aujourd’hui. Tu vas voir que si ça se trouve je ne vais même pas pouvoir voir le rocher de Gibraltar ! M’enfin, d’après les « prévisions », c’est sensé se lever en fin de journée avec un bon F5. On verra bien.

10H55, le soleil perce enfin et j’aperçois mon premier et seul poisson lune de la journée. Il nage juste sous la surface, attendant sans doute que les rayons du soleil soient plus forts pour entamer sa séance de bronzage.

15H30, ça fait deux heures que je me traîne à même pas trois nœuds de moyenne… Il n’y a même pas assez de vent pour faire tourner l’éolienne ! En plus une houle du Sud-est c’est levée (Sud-est ?) et je me la prends en plein dans le travers. Sans vitesse pour compenser le roulis, la Boiteuse se dandine et les voiles battent. J’aime pas ça.

15H45, je me rends compte que le cap est en train de changer. Je jette un œil au pilote, celui-ci est éteint. Avant même d’appuyer sur le bouton de remise en marche, je sais déjà ce qui ne va pas… Je n’ai plus de jus dans les batteries.
Pendant une seconde je suis tenté de m’effondrer tellement j’en ai marre… Mais non, ce sera pour plus tard. Pour le moment il faut agir.
J’allume le moteur pour relancer la Boiteuse et je surveille du coin de l’œil l’aiguille du voltmètre… Elle est immobile. Merde, ça charge pas.
Je sens que je suis bon pour barrer jusqu’à Gibraltar moi… Je sais que je suis limite pétrole, alors j’entreprends de remplir un peu le réservoir avec mes réserves. Pour ce faire, je mets le bateau à la cape, moteur au point mort. Le bateau bouge moins et je peux ainsi transvaser une douzaine de litres sans trop en renverser sur le pont. La manip me prend cinq minutes. C’est bien.

Ça marche ! Ça marche plus...
Je soupçonne l’éolienne d’être la cause de cette décharge rapide des batteries. Peut-être qu’elle fait l’inverse de ce qu’elle est sensée faire ? Je la débranche et au passage je vois que l’aiguille du voltmètre bouge. Ça charge !
On repart. Cinq minutes plus tard, l’aiguille est de nouveau inerte. Grrr !!! Ça charge plus !

Là, franchement, je ne sais plus quoi penser. Je m’imagine déjà devoir rester à la Línea tout le weekend (car bien sûr nous sommes vendredi, comme d’hab), lorsque je décide de jeter un œil dans le moteur pour vérifier les contacteurs de l’alternateur. On ne sait jamais…
Je tripatouille prudemment les fils, de peur de me prendre une châtaigne, et voilà que mon aiguille se met à tressauter de joie ! Ça charge ! C’était donc ça…
Je remets le capot et retourne m’assoir dans le cockpit. Deux minutes plus tard je vérifie encore… Et ça charge plus ! Argh !!! Je me replonge dans le moteur et là je trifouille carrément tout les fils que je vois en appuyant bien fort. Ça charge !
Je rebranche Monsieur Pilote et l’on repart. Ouf…

Oups !
17H50, j’aperçois mon premier GROS bateau. C’est un putain de pétrolier qui sera bientôt suivi d’un autre, puis d’encore un autre. Ça commence à être fréquenté dans le coin.
Je fais un point, je suis juste à deux heures du Rocher.

18H30, je jette un œil à l’avant et tout à coup je vois apparaitre une énorme montagne qui sort peu à peu de la brume… on y est !
Le Rocher, the Rock ! Il est là ! Droit devant !

Alors que je contemple cette silhouette énorme qui se détache dans le contre jour, le comité d’accueil arrive pour me souhaiter la bienvenue. Un, puis deux. Trois, cinq, six dauphins s’approchent pas le travers et viennent se positionner à la proue. Je bondis sur mon appareil.

Le spectacle est fantastique. Une, non deux mères et leurs quatre petits il me semble… Les jeunes font des cabrioles, ils sautent en montrant leur ventre blanc alors que les deux mamans restent sagement juste devant l’étrave. Je filme aussi bien que je le peux cette première vraie rencontre. Si vous saviez comme j’en ai rêvé de ce moment ! C’est magique…

Yes !
C’est marrant, mais j’ai l’impression que les dauphins ne sont venus que pour qu’on les regarde… Je veux dire que par deux fois je suis retourné à l’arrière pour vérifier le cap, et à chaque fois que je n’étais plus à l’étrave pour les admirer et crier ma joie, ils semblaient se désintéresser du bateau. Et lorsque je reprenais ma position, penché à l’avant, ils réapparaissaient pour reprendre leurs cabrioles ! Vous croyez que les dauphins sont des cabotins ?

Pendant une demi-heure, cette joyeuse bande va caracoler devant la Boiteuse. Puis une autre troupe les rejoindra et pendant un bref moment je vois des dauphins partout autour de moi ! Des dizaines ! Je ne sais plus où regarder tellement il y en a ! Leur curiosité sans doute satisfaite, ma petite famille s’en va rejoindre les autres et ils s’éloignent. Quelle arrivée mes amis !

Vidéo en cours de fabrication. Soyez patients !

20H00, je passe le cap Europa. Pile poil comme c’était prévu. La baie d’Algeciras est pleine de GROS bateaux au mouillage et il me faut slalomer entre eux pour trouver ma route. Des cargos, des pétroliers, des gaziers… Sans parler des ferrys qui fonce à toute vitesse. Le vent promis est là mais beaucoup trop fort pour que j’en profite vraiment.

21H00, j’arrive au port de la Línea… Et je m’entends dire que je vais devoir rester toute la nuit au quai d’accueil parce que les bureaux sont fermés. Pas d’eau, pas d’électricité. Je me tâte un peu et je décide de tenter ma chance à Algeciras. Peut-être que là-bas ?

Heu... Je peux passer ?
Quatre milles en plein trafic alors que le soleil se couche. Le panorama est joli, mais c’est plutôt risqué comme promenade. J’arrive à la nuit et je poireaute pendant au moins une demi-heure en faisant des cercles dans l’avant port, m’époumonant à la radio pour contacter le marinero. Peine perdue. Las, je m’accroche alors au ponton des carburants, et après avoir vérifié qu’il n’y avait vraiment personne, je me suis couché.

Le lendemain, ce matin donc, je choppe le gardien qui m’explique qu’il m’avait vu mais que ça radio n’avait plus de batteries (lui aussi !). Grumf… Je m’enquière des formalités et j’apprends que les places ici sont rares et que la marina n’est pas équipée de chiottes ni de douches (ou alors à perpette) et que pour le wifi je pouvais toujours ma gratter. Chouette !
Je réfléchis deux secondes et je décide de retourner à la Línea, là où j’aurais dû rester si je n’étais pas aussi têtu. Une heure de nave dans une véritable marmite en ébullition. Ça souffle au moins du F6 en rafale et je vois des tourbillons d’eau salée décoller de la surface de la mer ! Mais c’est quoi cet endroit…

Y'a pire !
Je suis donc actuellement à la Línea, où je vais, je pense, revoir un peu mon programme. Avant de me lancer je veux être absolument sûr de ne plus avoir de mauvaises surprises. Je vais donc vérifier tous les contacteurs, les changer si besoin est, et revoir encore une fois mon circuit électrique au grand complet… C’est plein de bateau de voyage ici, et ce sera bien le diable si je ne trouve pas quelqu’un pour m'aider. Au pire, je sais que Raymond passera par ici dans quelques jours, il me donnera bien un coup de main ! Hein Raymond ?

Voilà, je suis désolé les amis, mais pour les Canaries il va falloir attendre encore un peu. Cela dit, il y a pire comme endroit pour faire escale non ?

D'autres photos : 






8 commentaires:

cazo a dit…

Une nave pleine de rebondissements dont les derniers clichés valent à eux-seuls les petites sautes d'humeur techniques et météorologiques !!

Ne gâchons pas le plaisir d'avoir l'opportunité de pouvoir échanger encore quelques temps :-) !! Les p'tits contretemps ne sont là que pour mieux faire savourer la suite !!

Et pis, question temps... t'as le temps de voir venir !!

;-)

Gwendal Denis a dit…

@Cazo : Mouais… N’empêche que là, je commence à en avoir ras les bonbons. Pour la première fois je me suis surpris à penser du mal de ma chère Boiteuse. A la détester pour toutes les crasses qu’elle me fait depuis mon départ… Il ne se passe pas une semaine sans qu’elle me fasse un coup de pute. Pour le coup je trouve à peu près normal d’avoir le moral dans les chaussettes.

Pour l’instant je n’ai qu’une envie : Dormir et ne plus penser à rien. Alors c’est-ce que je vais faire. Pour le reste, tout le reste, on verra bien demain. Ou après demain.

Bourreau fais ton office a dit…

Les dauphins cabotins qui ont la grosse tête (globicéphales): ça commence à sentir l'océan. Les gros bateaux et les tourbillons d'Algeciras : ça commence à sentir l'Afrique.
Premiers parfums de l'aventure avec un grand A. Alors oui, repose toi bien avant de t'y plonger corps et âme.

Mais ... tonnerre de Brest ! ces contacteurs ! ...

lucifer ! a dit…

wouuufff ... que d'émotions !
heureusement, les cabotins , je veux dire les dauphins , sont là .
des légendes disent qu'ils perçoivent parfaitement nos humeurs, nos émotions . Tu peux décider de penser qu'ils sont vraiment venus pour toi!
très belles photos, vite la vidéo!beaucoup de sales coups, mais plein de chance aussi! Go!

Monique a dit…

Cesse donc de pester contre ta Boiteuse comme un amant contrarié !
Tu vois bien qu'elle te fait des signaux pour que tu sois fin prêt à franchir le Gibraltar...

Ah ! Les hommes...!!! ( soupir!)

Tiens, je crois que je vais adopter un dauphin !!!

Je te bise quand même fortement.

cazo a dit…

Bah, t'inquiète Momo.. les disputes.. c'est ce qui rompte la monotonie des couples !! ;-) !!

Suis sûr qu'après un bon gros dodo ces deux là vont se réconcilier !!

En plus, si ça se trouve, c'est même pas de sa faute, à La Boîteuse !!

:-D !!

D'où le précieux adage : à l'origine de tout problème technique il y a deux causes :
- la première est humaine
- la seconde aussi, celle d'accuser la technologie !!

Mais je comprends que ça doit te mettre les nerfs en pelote de voir des problèmes qu'on croyait résolus refaire surface !!... mais si ça se trouve, c'est trois fois rien...

Tu seras un vrai marin lorsque tu sauras démonter et remonter les yeux bandés ton bateau en moins de 24 h !!

:-D !!

Monique a dit…

De la part de Jean Clarence :

"Vérifie tes cosses et les plots de tes batteries qui sont peut-être oxydées ...si c'est le cas, bien les gratter et les graisser...et vérifie aussi tes serrages de fils et câbles électriques ce n'est peut-être qu'un problème de contact ..ou d'un fil qui se balade..."

Voilà...transmis !!!!

Gwendal Denis a dit…

En direct de la terrasse ombragée d’un café sur le port de Gibraltar. (Ouais, c’est rien que pour vous faire bisquer !)

@Bourreau : Je cherche l’adjectif le plus parlant pour décrire ce moment et le seul qui me vient à l’esprit c’est, magique. Ça a à voir avec les joies d’enfant, les rêves qui se réalisent…

@Lucifer : Oh mais j’en suis sûr qu’ils sont venus pour moi ! Et même je dirais que c’est moins le bateau qui les intéressait que la personne qui était dessus. (Et pan dans les dents de la Boiteuse !)

@Monique : Tu as raison (comme toujours…), il vaut mieux que cela me soit arrivé maintenant qu’au large du Maroc à des centaines de milles de tous ports. Les cosses sont nickel, même pas une trace de corrosion. Ça aurait été plus simple. Le problème est ailleurs.

@Cazo : Je sais bien qu’au fond ces moi le fautif… Et quand je gueule sur mon bateau c’est sur moi que j’ai envie de passer mes nerfs. Mais j’imagine qu’elle le sait et qu’elle ne m’en tiendra pas rigueur.