20°17.991S 40°17.341W
Vitória,
Espírito Santo, Brésil
Je
crois qu’il est temps que je vous raconte un peu la suite des aventures de la Boiteuse
et de son équipage dans les mers du Sud.
Je
vous fais grâce des tribulations qui ont été les nôtres la veille, et le matin
même du départ. Vous allez avoir suffisamment de lecture comme ça, alors soyons
humain.
Juste
un rappel de la situation, nous sommes à Jacaré, banlieue proche de Joao
Pessoa, et nous nous apprêtons à prendre la mer à deux bateaux, le Loïck de
Caroline et Hughes et la Boiteuse.
Le
mardi 18 Septembre 2012 – Départ.
Bon, on y va oui ! |
11H00
: La boiteuse décolle du ponton d’accueil, et de suite se laisse dériver par le
courant de la marée descendante, moteur au point mort. Bannière au vent,
concert de corne, grands gestes de la main : On est parti !
Je
déroule le Foc, le vent nous pousse vers le milieu du fleuve et la Boiteuse
rejoint le Loïck. Après le stress du départ et les multiples soucis qui vont avec, c’est un pur plaisir que de
descendre le fleuve, bord à bord avec mes copains. On se photographie
mutuellement, on se filme... Il n’est pas question de se tirer la bourre, mais
lorsque deux bateaux naviguent ainsi de concert, la tentation, le « démon
de la régate » comme disait Moitessier, est là.
Nous
passons le port de Cabedelo et croisons alors un bus qui fait la navette...
Oui, un bus ! Petit bijou, issu du mariage entre sens de l’humour et
ingéniosité. Les bouées du chenal sont là maintenant, nous laissons les rouges
à bâbord comme d’habitude sur ce continent, et la pleine mer apparait.
On the road again... |
12H35 : Ça commence à secouer, nous sommes à l’embouchure du fleuve. Arrêt moteur.
13H00 :
On attaque la pleine mer et le voyage proprement dit. Au près, tribord amure.
Cap au 120° compas.
Après
deux mois d’escale mon corps se rebelle d’être bringuebalé dans tous les sens.
Le mal de mer me cueille avec son cortège de symptômes que je connais
bien : Suées, bâillements, légère nausée... Je tends ma petite couverture
pour me protéger du soleil, et je m’allonge un moment pour laisser faire la
nature.
15H45 :
Un grand bruit se fait entendre à l’intérieur du bateau. La façade du tiroir où
sont rangés mes outils vient d’exploser sous l’effet de la gîte et tout son
contenu s’est déversé dans le carré.
Badaboum ! |
16H15 :
La voile de Loïck s’éloigne inexorablement. Non seulement il va plus vite que
moi, mais en plus il a l’air de remonter mieux au vent et fait un meilleur cap
que moi... Pendant un moment, je suis perplexe. Puis je comprends, sa
Grand-voile est quasiment haute, alors que j’ai pris mes deux ris. Mais bon, je
suis déjà pas mal secoué, la mer est courte, creuse et cassante, et je n’ai pas
trop envie de me casser la tête à essayer de remédier à ça.
17H00 :
Le soleil se couche. Bien calé dans mes coussins, la pipe au bec, je contemple
l’astre disparaitre derrière l’horizon pendant que les vagues déferlent sur le
pont. Touline dort à la contre-gite, imperturbable. Un vrai loup de mer cette
chatte !
20H30 :
Une des deux poulies de mon régulateur vient de se barrer à cause d’un bête
écrou mal vissé... Pendant trente minutes je vais jouer les singes, à cheval
sur le bâti du régul’, pour remettre en place cet écrou. L’opération est
interrompue par un appel de Hughes qui m’annonce qu’ils viennent de virer de
bord (nous avions prévu de le faire, mais pas si tôt), et naviguent sous Solent
car ils ont déchiré leur Génois...
Pour
ma part je décide continuer encore un peu sur ce bord afin de m’éloigner de la
côte le plus possible et pouvoir dormir à l’abri d’éventuels bateaux de pêche.
C’est la grande différence qu’il y a entre le Loïck et la Boiteuse : Ils
sont deux à bord et peuvent veiller tour à tour, alors que moi je DOIS dormir.
00H00 :
Je vire de bord à mon tour. Cap au 205°.
Le
mercredi 19 septembre 2012 – Plus si seul.
05H00 :
Réveil. Un café, quelques croquettes pour l’équipage et on peut attaquer la
journée.
05H30 :
J’arrive à joindre le Loïck à la VHF. Ils en ont chié apparemment... Nous
échangeons nos positions. Je les ai rattrapé pendant la nuit et me trouve à 5
milles en avant d’eux.
Petit
tour sur pont. RAS.
08H00 :
Contact radio et visuel avec Loïck. Il est en plein milieu du rail des cargos
et se fait raser de près. Enfin, c’est l’impression qu’on a depuis ma position.
08H20 :
Une bande de petits dauphins gris vient cabrioler autour de la Boiteuse. La gîte
et le tangage sont trop importants pour que je me risque sur le pont pour
prendre des photos... Désolé pour les delphinophiles !
Il est où mon briquet ? |
09H10 :
Je déroule tout le Foc car le vent est tombé. Je devrais défaire un ris pour
bien faire les choses, mais je n’ai pas envie... Loïck est à 3,5 milles sur mon
335°. Je le vois.
11H05 :
La mer s’est bien calmée et le vent aussi. Hugues doit avoir changé sa voile
d’avant maintenant, et moi je me tâte toujours pour virer, ou pas, mon ris n°2.
Pour l’instant cette allure pépère (3 nœuds) me convient tout à fait après la
petite branlée d’hier... La mer est belle, le soleil brille et j’ai passé la
matinée dans un demi-sommeil assez agréable. Là j’écoute de la musique avec mon
nouveau bateau-radio que j’ai installé la semaine dernière. Les haut-parleurs
sont quand même vachement plus pratiques que les écouteurs du mp3. Moins d’écoute,
mais plus d’ambiance. Ca permet d’entendre les bruits du bateau aussi... La
voix délicieusement éraillée d’Agnes Obel me berce.
12H00 :
Point de la mi-journée et vacation radio. Ils sont derrière moi à 8 milles.
Comme si j’avais besoin d’une excuse, je décide de garder finalement mes deux
ris histoire qu’ils me rattrapent. A la vérité, je viens de bouffer et j’ai
envie de faire la sieste... Allez Touline ! Pousse-toi de la banquette
sous le vent que je m’y mette !
15H00 :
Mmmmm... J’ai bien dormi ! Petite collation pour l’équipage.
Le
vent c’est un poil renforcé et a viré légèrement au sud.
Bon,
maintenant que cela fait plus de 24 heures que nous sommes partis, je peux
essayer de vous décrire ce que ça fait de naviguer à deux bateaux. En fait c’est
assez bizarre... Quand on ne le voit pas, on cherche l’autre des yeux. On
sait qu’il est là, pas loin. C’est rassurant quelque part, mais c’est assez
intrusif aussi. Comment vous dire... J’ai vraiment l’impression de ne plus être
dans les conditions du solitaire, livré à lui-même et ne pouvant compter que
sur ses capacités et ses décisions propres. Toutes les décisions que je vais
prendre seront en fait prises en fonction d’une variable supplémentaire :
L’autre bateau. Ca fait un truc de plus à prendre en compte.
Mais
comme je le disais, c’est aussi rassurant quelque-part.
Ça me fait penser à un truc que j’ai dis à Zoe lorsqu’elle m’a demandé pourquoi je
naviguais seul (en fait la vraie question c’était pourquoi j’étais seul tout
court. Mais ça je ne l’ai compris que plus tard, truffe que je suis !). Et
je lui ai bêtement répondu que je ne me sentais pas encore les épaules
d’assumer la responsabilité d’une autre personne à mon bord. Foutaises bien
sûr.
Ce
que je ne me sentais pas de faire, c’était d’ajouter une variable
supplémentaire à mon équation personnelle, c’est tout.
Quel
est le rapport avec le Loïck ? Et bien qu’avec mes copains dans les
parages, même si c’est intrusif de les savoir là, c’est en même temps plaisant.
Paradoxe, tout n’est que paradoxe... Comme vous le voyez, je n’en suis pas
encore à retirer ma peau d’ours, mais au moins ai-je déjà trouvé la fermeture
éclaire. C’est déjà ça.
16H00 :
Je suis à 14 milles des côtes, il temps de virer de bord. Cap au 80°-90°. On va
dire que le prochain virement sera le bon, hein ?
17H10 :
Pfff... Je viens de retirer trois seaux de flotte du compartiment avant.
Toujours aucune idée précise d’où elle peut bien venir. Ça commence à me
courir.
La
nuit tombe, je suis en nage après la corvée d’écopage et j’ai un léger mal de
tête.
18H00 :
Je suis toujours un peu barbouillé, alors je dîne légèrement. Loïck est juste
derrière moi à 6 ou 7 milles.
Le
jeudi 20 septembre 2012 – Anniversaire.
05H10 :
Le plan c’était de faire comme la nuit précédente et de virer de bord vers
minuit. Je m’en suis abstenu car un bord au 210° ne m’aurait pas permis de
tirer tout droit par la suite... Au réveil le vent a tourné à l’Est-sud-est,
et me permet alors de faire une magnifique route au 180°. Génial. J’essaierai
de joindre les poteaux vers 06H00, mais si eux ont suivi le plan, nous
risquons d’être bien trop loin l’un de l’autre pour communiquer... N’empêche,
là, avec mes 4 nœuds de moyenne je devrais les rattraper.
Sinon,
la nuit a été bonne avec seulement un cargo sur les coups de minuit pour
m’empêcher de dormir pendant une heure. C’est une belle journée qui s’annonce
(Dit-il non sans un scepticisme latent, mais néanmoins perceptible).
06H15 :
Contact radio. Loïck est devant moi, à 15 milles devant moi sur mes 235°. J’abats
un poil pour ne pas me laisser distancer. La Boiteuse accélère.
Une papaye ? |
07H30 :
J’ai un petit creux et je décide de goûter une des papayes que j’ai emportées.
C’est vraiment délicieux la papaye (au Brésil on dit mamão), et c’est super
pratique à déguster. A la cuillère, comme les melons.
Puis
c’est lecture et musique pendant que la Boiteuse file ses quatre nœuds.
Tranquille.
09H30 :
Tien, j’y pense. Aujourd’hui c’est mon anniversaire et j’ai six ans.
Bon
ok, en vrai j’ai fêté mes 45 balais en avril, mais j’aime à croire que je suis
né de nouveau le 20 septembre 2006 : Le jour où j’ai arrêté de boire.
Par
moment, je vous jure que j’ai vraiment l’impression d’avoir réellement six
ans... Socialement, émotionnellement, je suis encore en pleine phase de
reconstruction et d’apprentissage de ma personnalité. L’enfant en moi grandit,
apprend, et j’essaye tous les jours d’en faire un type bien. Peut-être qu’un
jour cet enfant rattrapera l’adulte déboussolé que je suis, qui sait ? En
attendant, lui et moi, on navigue.
09H45 : Ça-y-est, j’ai viré mon ris n°2. De suite la vitesse augmente d’un nœud et la
Boiteuse fend les vagues au bon plein. Nickel.
12H00 :
Le vent baisse encore. Vacation radio, Loïck est à 16,5 milles sur mon 225°.
On
se traine un peu là... Mais bon, en même temps c’est agréable et logiquement ça
devrait continuer à l’être.
Il
s’agit toujours de la même question en fait, ce compromis que le voyageur en
bateau doit trouver entre confort et vitesse. Pour moi le choix est vite fait,
mais pour Caroline et Hughes ce n’est pas la même limonade puisqu’ils ont un
rendez-vous à honorer...
15H00 :
Mon fantôme est encore venu me hanter pendant la sieste... Pourquoi ne me
répond-elle pas ? A-t-elle seulement reçu ma lettre ? Impossible de
savoir. Toujours est-il que chacune de ses visites oniriques me bouleverse. Si
à mon arrivée je n’ai pas de réponse à ma lettre, je tenterai une approche
plus directe, via Facebook.
Au
point de midi j’avais parcouru 170 milles depuis Jacaré, mais je ne me
trouvais qu’à 75 milles de mon point de départ ! C’est là toute l’ironie
de naviguer vent debout en tirant des bords. Beaucoup de chemin pour finalement
peu de route.
Il
reste quand même 1150 milles à faire. A la vitesse actuelle il me faudra 13
jours... Mais j’espère qu’on pourra un peu accélérer ! Hein ?
Chat des mers |
17H15 :
Après s’être tenu tranquille pendant deux jours, Touline commence à avoir des
fourmis dans les pattes et des envies de balade sur le pont. J’ai toujours à
l’esprit sa, notre, mésaventure au milieu de l’Atlantique (je suppose que vous
aussi !), donc je ne lui laisse aucune latitude. C’est gueulante et fessée
directe !
Au
fait, cette chère Touline est tombée à l’eau trois fois pendant notre séjour à
Jacaré. Ce qui met le compte à 21 bains en un an.
18H00 :
Point du soir, bonsoir. Je joins le Loïck qui se trouve à 15,5 milles sur mon
225°. Nous avons quasiment marché à la même vitesse et au même cap toute la
journée.
La
météo annonce un renforcement du vent pour la nuit, 3-4 Sud-est. J’aurais bien
pris un ris mais bon... Il fait déjà nuit. On verra plus tard s’il y a lieu
d’aller faire le con sur le pont ou pas.
Le
vendredi 21 septembre 2012 – La routine s’installe.
05H20 :
Très bonne nuit, pleine de rêves bizarres qui se sont effacés sitôt les yeux
ouverts, mais en laissant tout de même une impression agréable. Nous avons fait
pas mal de chemin depuis hier au soir : 47 milles dans une mer à peine
formée avec un vent qui a viré à l’Est en cours de nuit. Ce qui fait que je me
suis écarté de 20° en faisant route au 170°. Je vais rattraper le coup
aujourd’hui en faisant route au 200°, presque au travers. Du coup le tangage
diminue et le roulis augmente... Rien n’est jamais confortable sur le Boiteuse.
Loïck était injoignable ce matin, sans doute trop éloigné.
07H30 :
Je déguste une papaye pour le petit-déj’. Le ciel est bleu et la mer est belle.
4 nœuds et des poussières de moyenne... Je suis content, on fait de la bonne
route.
C’est
drôle mais j’ai l’impression que pour cette navigation je me suis lancé avec
moins d’appréhension que pour la transéquatoriale (à part ce « pas
envie » de partir qui était dû à la quiétude de mon escale). En moins de
24 heures j’étais dans le truc, immergé comme qui dirait. Pas vraiment malade
non-plus... Bref, je m’aguerris.
Par
contre, quand je pense qu’il va me falloir enchainer une autre navigation de ce
type une semaine après être arrivé à Angra, là ça m’enchante moins. Mais bon, ne nous préoccupons pas de ça pour
l’instant. Les bruits de radio-ponton racontent qu’à Angra, les autorités
seraient plus « coulantes » et accorderaient plus volontiers des
prolongations de visa. C’est d’ailleurs aussi pour ça que j’y vais. Je ne sais
pas vraiment si c’est vrai, mais ce serait dommage de ne pas tenter le coup.
09H40 :
Le vent forcit un peu. La Boiteuse file ses 5 nœuds, pointes à 6,5, au petit
largue.
10H40
Le ciel se couvre et la mer se creuse. Après réflexion, je décide de garder la
voilure en l’état. GV 1 ris et foc entièrement déroulé.
Noodles ! |
Loïck
est toujours injoignable. Je continuerai à appeler au cas où... La dernière
conversation que nous avons eut, il était question pour eux de s’arrêter à
Bouzios à cause de leur rendez-vous. On verra ce que je vais faire quand je
passerai devant.
J’ai
faim.
15H00
J’ai fini Nœuds et dénouement d’Annie Proulx, un livre que Hughes
m’a filé avant de partir. J’ai adoré, et je vous le conseille. J’étais tellement
pris dedans que j’en ai oublié de faire ma sieste ! Pas grave, dans trois
heures il fait nuit.
16H45 :
Fuiii... Cette journée n’en finit pas.
18H00 :
Je croise mon premier cargo depuis deux jours. On se « frôle » à
moins d’un mille, du coup mon point de 18H00 a pris quelques minutes de retard,
le temps de laisser ce gros cul derrière nous. Il y a toujours ce petit moment
d’incertitude où, le nœud au ventre on se tient prêt à débrancher le pilote et
à barrer en urgence.
Sinon,
la route est parfaite avec 4,61 Nds de moyenne... Que demande le peuple ? De
manger peut-être ? Et bien allons-y, il n’y a qu’à faire réchauffer les
restes de ce midi. Et ensuite dodo !
Le
samedi 22 septembre 2012 – Ça mord !
05H00 :
Cinq nœuds de moyenne pendant la nuit, avec un F4 qui a viré à l’Est et qui n’a
pas débandé pendant onze heures d’affilées et continu à souffler. J’abats de 20°
et me retrouve presque au largue. Cap au 200°. Le soleil se lève, la mer est
violette.
06H00 :
Le fait d’avoir abattu augmente la vitesse à 6 nœuds. Il y avait longtemps que
la Boiteuse n’avait pas flirté avec des moyennes pareilles.
07H00 :
J’ai mangé ma dernière papaye et demain j’attaque les ananas. Ici au Brésil on
appelle ça des abacaxis. Il faudra un jour que je vous fasse une vidéo avec
tous les fruits déments qu’on peut trouver dans ce pays. Des délices dont
j’ignorais jusqu’alors l’existence et qui, bus en jus, ont de quoi réjouir
l’abstinent que je suis.
09H50 :
Bouh... Le vent est bien tombé maintenant. Fini l’impression d’être sur un
voilier de course, me revoici sur ma Boiteuse clopinante. Trois nœuds avec la
houle par le travers, ça roule forcément.
10H15 :
Ah ben merde... Voilà la pétole maintenant. Le foc bât et le régulateur ne
comprend plus rien à ce qu’il se passe.
12H00 : Ça y-est le vent est revenu sous la forme d’une petite brise empêchant juste le
foc de battre. Nous faisons du 3 Nds, mais je suis sûr que le courant y est au
moins pour la moitié dans l’histoire. 117,5 Milles en 24 heures : C’est
pas mal... D’aucun dirait c’est normal, moi je dis c’est pas mal.
14H50 :
Pas de sieste et re-pétole. Je ne sais pas si l’intéressée lira, ou pourra
lire, ce que j’écris, mais je m’aperçois que je passe beaucoup de temps à
imaginer mes conversations en anglais... J’essaye de traduire ce que je vois, ce
que je fais, et croyez-moi ce n’est pas si simple tant mes notions dans la
langue de Shakespeare sont pitoyables. M’enfin, j’essaye quand même.
Ma première daurade ! |
La
remontée fut un peu compliquée, mais j’ai finalement réussi à hisser dans le
cockpit un superbe spécimen de 108 cm pour 6 Kg. Soit environ 3 Kg de bouffe
pour Touline et moi, que je me suis empressé de prélever (uniquement dans le
filet bien sûr) avant que de rejeter la carcasse à la mer.
Bon,
maintenant le plus compliqué va être de conserver tout ça... Car sans frigo ça
va être duraille.
17H05 :
J’ai tout mis dans des sacs plastiques bien enfouis dans les fonds du bateau,
là où c’est le plus frais. Le jour se finit sur un après-midi souriant, même si
on n’a pas beaucoup avancé.
Au
fait, qui a dit que les coryphènes ne mordaient qu’à plus de 5 ou 6
nœuds de vitesse ? La mienne a attaqué alors qu’on allait moitié moins
vite... Une gourmande sans doute.
Non,
sérieux, je suis vachement content car c’est mon premier vrai poisson de pleine
mer. Et il m’aura fallut faire plus 5000 milles pour l’avoir !
Te gêne pas ! |
Espérons
seulement qu’il n’y aura pas d’autres journées sans vent.
Les
pâtes sont en train de cuire et le steak de daurade est déjà dans la poêle, et
prêt à prendre la suite... Y’a plus qu’à !
18H30 :
Jésusmariejoseph... Que c’était bon ! Probablement le meilleur (et le plus
beau) poisson du monde ! (Après le rouget de Méditerranée bien sûr). Et en
plus, avec moins de trois heures entre l’océan et l’assiette, plus frais que ça
tu meurs !
Le
dimanche 23 Septembre – Ça bouquine.
05H30 :
Le vent a bien forci cette nuit. F5 Est, avec des vagues qui commencent à
déferler. Je réduis le foc et m’interroge sur le fait de prendre un ris...
06H00 :
J’abats de 20°, et tout de suite c’est plus confortable. Avec la houle je fais
des pointes à 9 nœuds...
08H30 : Ça a l’air de se calmer... Un petit peu. Ou bien il ne s’agit que de
« l’impression » que ça se calme, parce que c’est ce dont j’ai envie.
J’en sais rien. Le vent baisse c’est sûr, et ma vitesse aussi, les chiffres
sont là pour l’attester. La mer elle, est plus lente à retrouver son calme,
elle plus lourde. Presque solide.
Des
poissons-volants. Beaucoup. Ils ont tout compris ceux-là, comme leurs frères
les oiseaux-nageants. Une nageoire, une plume dans chaque monde.
07H00 :
Je viens de m’avaler la moitié d’un ananas. Je ne suis pas grand spécialiste en
fruit, mais j’ai l’impression que les abacaxis brésiliens sont différents des
ananas qu’on peut trouver en France (Qui viennent d’où d’abord ? Des
Antilles ? D’Afrique ?). Ils sont plus blancs de chaire et moins
acides. Plus sucrés aussi. Un régal.
09H30 :
Je viens de terminer La Tour Sombre de Stephen King. Je suis sûr que vous vous
dites que je dois avoir une sacrée bibliothèque à bord de la Boiteuse, avec la
vitesse à laquelle je dévore chaque ouvrage. Et bien détrompez-vous, je dois
avoir une quinzaine de bouquins tout au plus.
En
fait, entre voyageurs nous nous échangeons les livres. A l’escale je vais faire
le tour des bateaux francophones avec mon cabas sous le bras, et nous faisons
du troc. Parfois, comme c’était le cas à Jacaré ou à San Sebastian de la Gomera
par exemple, la marina dispose d’un fond de livres (Anglais, allemands,
Français...), et l’on vient se servir tout en respectant la règle du un pour
un. Un livre pris, un autre rendu. Bien sûr ils sont souvent pas très beaux à
voir (genre, j’ai séjourné sous la flotte pendant deux jours et j’ai séché au
micro-onde), mais cela me permet en tous cas d’élargir mes horizons
littéraires.
Là
j’attaque les Corrections de Jonathan Franzen. Un livre que mes copains Cathy et Titou ont eu entre les mains si j’en juge l’inscription qui figure sur la
deuxième page... J’écris à mon tour : « Gwendal, La Boiteuse, Jacaré,
Brésil, Sept 2012 ». Des livres qui voyagent... C’est beau comme image je
trouve.
12H00 :
Et nous continuons notre petit bonhomme de chemin à plus de 100 milles par
jour. Comme hier, la mer est redevenue calme et le vent moyen, voir faible.
Mais nous faisons tout de même nos petits 4 nœuds par le travers. Je me trouve
à la latitude de Salvador do Bahia, mais tout de même à 150 milles des côtes.
Là au moins, on est (presque) tranquille. Les pêcheurs et les plateformes
pétrolières, ce sera pour plus tard.
C’est
l’heure de manger ! L’heure de la daurade ! (J’en ai le stylo qui
salive rien que de l’écrire !)
15H50 :
Rien à signaler.
18H45 :
Au point du soir, rien non-plus à signaler... Je me suis encore goinfré de
poisson. Depuis hier j’ai dû facilement en engloutir 1,5 Kg, si c’est pas
deux... Mais c’est toujours aussi bon !
J’ai
réduis le foc de moitié en prévision de la nuit. Des fois que ça monte à F5
Beaufort comme les nuits précédentes. Sinon rien, un dimanche en mer. C’est
tout.
Le
lundi 24 septembre 2012 – Allo ?
05H20 :
Quand je me suis réveillé à cinq heures, il faisait jour. Je suis resté allongé
pendant quelques minutes à écouter le bruit de l’eau sur la coque. J’étais bien
au chaud, confortablement enroulé dans mon duvet (le temps c’est rafraichi),
essayant de deviner au bruit la vitesse que nous pouvions avoir... Un air de
grasse matinée au milieu de l’Atlantique.
Allo ? |
1)
S’il m’avait vu.
2)
Quelles étaient ses intentions vis-à-vis du microbe que je suis par rapport à
lui.
3)
Quelles étaient les prévisions météo pour les heures à venir.
Et
bien je m’en suis sorti comme un chef ! Le type de quart m’avait
effectivement repéré. Il m’a informé de son cap (et du mien merci !), et
s’est apparemment fait un plaisir de me dire que les vents et la pression
atmosphérique allaient baisser (C’est du moins ce que j’ai compris). Puis nous
nous sommes souhaité une bonne route et adieu.
Jusqu’à
présent je n’avais jamais osé contacter les gros navires croisés en mer, sans
doute à cause de mon anglais hésitant, mais c’est en écoutant Hughes appeler
systématiquement tous les gros culs qu’il croisait que j’ai pris confiance.
Bon,
en attendant il fait gris, il pleuviote même un peu et l’horizon est bouché. Est-ce
que j’ai bien compris ce que m’a dit le Monsieur avec son anglais
délicieusement teinté d’un accent inconnu ?
08H00 :
Le soleil est revenu mais le vent en a profité pour se faire la malle. 2,54
nœuds... C’est pas la joie. Le Monsieur à l’autre bout des ondes avait raison.
12H00 :
Pétole molle. A la radio l’armée de l’air brésilienne essaye de contacter un
cargo à 60 milles de ma position. Apparemment sans succès.
A table ! |
A
peine avais-je laissé filer ma ligne que tchaque ! Une coryphène
attaque ! Elle fait des bonds prodigieux au dessus de l’eau pour se
défaire de l’hameçon. Nous luttons un petit moment, mais au final c’est elle
qui aura le dernier mot puisque ma ligne en nylon se brise !
Adieu
belle daurade...
13H15 :
Grosse pétole maintenant.
14H15 :
Ahhh... Le vent se lève un peu. A la radio, l’armée brésilienne a interrogé un
par un tous les bateaux du secteur pour leur demander des tas de trucs. Tous,
sauf moi. Je suis vexé.
17H00 :
Le vent s’est établi au SSO, ce qui m’oblige à avancer au près serré au 240°.
Plus d’Ouest que de Sud en fait... Pas trop grave, j’ai de la marge.
18H15 :
Bon ben c’est la fin de la journée... Je me suis avalé un bol de Noodles, ce
qui après l’orgie de daurade, fait office de repas léger. J’avais un gros doute
sur la fraicheur du poisson de ce midi, mais apparemment je ne suis pas malade.
Donc, tout va bien. Je vais allumer Mercedes pendant une heure ou deux, ça ne
va pas faire de mal aux batteries. Et puis je vais réduire la voilure aussi. Je
ne sais pas pourquoi, mais je flaire le coup de chien...
Le
mardi 25 septembre 2012 – Une histoire de famille.
06H00 :
J’ai eu le nez creux. La nuit a été passablement inconfortable, entre embardées
furieuses et arrosage copieux. Vers minuit j’ai dû encore réduire le foc
jusqu’à ¼ de sa surface, mais malgré cela on a été secoué dans tous les sens.
Ce
matin à cinq heures, j’ai abattu de 40° pour rectifier le cap, le vent ayant
franchement tourné à l’Est. La mer s’est creusée, avec une houle croisée,
hachée, mais tout ça devrait se calmer avec le soleil qui monte. Il n’empêche
qu’on fait des pointes à 8,5 nœuds là...
06H20 :
Sept seaux d’eau à l’avant. Il me tarde d’être en Uruguay pour sortir le bateau
de l’eau et voir exactement ce qu’il en est de cette voie d’eau.
10H15 : Ça aura mis le temps, mais le vent se calme enfin. La mer est encore agitée
mais ne devrait pas tarder à faire pareil. Je renvoie un peu de toile. Pas tout
mais suffisamment pour garder une allure soutenue. 5 nœuds.
12H10 :
110 miles en 24H. J’ai plus que largement rattrapé mon retard dû à la pétole d’hier.
Je
n’ai pas très faim... Je n’aurais pas dû avaler autant de noix de cajou ce
matin, c’est ma faute.
15H40 :
Pffff... On se fait chier. Le vent est tombé, mais l’océan semble avoir encore
de l’énergie à revendre. Et que ce passe t’il quand on a une mer agitée et pas
de vent ? On obéit à la mer (la mère ?). Et lorsque c’est l’inverse,
qu’on a plein de vent et pas de mer, c’est le pied intégral. On vole. Mais ça
ne dure pas longtemps, car la mer absorbe l’énergie du vent, enquille sur son
rythme, le dépasse parfois... Et ça finit en engueulade.
Et
toi, tu es comme un gamin au milieu de tout ça.
La
navigation, c’est une banale histoire de famille en fait.
16H40 :
Je vous ai dit qu’il faisait moins chaud ? Maintenant, dès que le soleil
disparait, à cause d’un nuage ou de la rotondité de la terre, on ressent le
besoin de passer un pantalon. Je ne suis pas sûr que cela me plaise mais toujours
est-il que nous sommes à 15° de latitude Sud, et que nous ne sommes qu’au début
du printemps.
17H15 :
Pétole molle.
17 commentaires:
Salut Capitaine
Toujours aussi passionnant…
Une question culinaire…
Tu as du citron pour accomoder le poisson ?
Merci pour ce morceau de voyage ; c'est agréable, de te lire après cette longue pause. Et sans polémique ce coup-ci (hihihi)...
Les abacaxis, c'est une variété d'ananas particulière. En France on ne peut guère en trouver, parce qu'ils ne voyagent pas très bien. En france on trouve d'autre variétés d'ananas, du Victoria (tout petit, sucré et très fruité) au Cayenne, le plus répandu, parce qu'il supporte bien de voyager vert avant d'être rôti en mûrisserie. Les ananas qu'on trouve en France sont souvent d'origine africaine, mais la plante est originaire d'Amérique du sud.
L'ananas comme la papaye possèdent des peptides recherchés pour les régimes amaigrissants (mais je crois que c'est une légende marketing, ce truc).
Pour le poisson, c'est dommage que tu n'aies pas du sel à bord : tu pourrais le saumurer pour le conserver plus longtemps.
Bises, et au plaisir de découvrir bientôt le reste de tes aventures.
@JPGnice : J'avais au moins deux kilos de citrons verts et j'ai tenté une cuisson à la tahitienne. Hélas, ils étaient sec et sans beaucoup de jus et le résultat n'était pas mangeable.
@Tsuki : Merci pour ces précisions non-polémiques ! :)
Salut Captain bon retour à terre...Mon vol est pour dimanche prochain = deux mois ailleurs, super!! a bientot de te lire...
juste pour faire mon intéressant, les bateaux naviguent de conserve et non "mais lorsque deux bateaux naviguent ainsi de concert"...
@... : Ahhhh... Cuba !
@RPH : Merci, c'est corrigé !
Salut Gwendal,
ça fait plaisir de te lire :) Merci pour les photos aussi.
Bises de la Grosse Pomme
Elo
@Elodie : Merci Mamzelle !
Lu par épisode comme on savoure un roman...en raison de coupures de mon ordi capricieux ... Toujours aussi intéressant, ce journal de bord..où l'on sent que les pauses repas sont importantes, sans doute parce qu'elles font repères dans des journées qui se ressemblent un peu , à un poisson près!!!!
Jusqu'ici tout va bien ....mais maintenant j'attends la suite qui devrait être plus mouvementée !! Bisous
Lu... Et apprécié. Bizzzz
Touline fait un peu peur sur la première photo! Oups!
Bon anniversaire en tous les cas! Bravo!
J'en connais un qui t'aurais bien piqué tes noodles! Ou plutôt deux! Jon et Tony!Pour moi,ce sera la dorade ET la papaye! Et pendant qu'on y est, je t'aurais piqué également ton bouquin!
Ben voui, je suis fan de stephen king comme tu le sais!
Je te fais de gros bisous et te souhaite une bonne soirée!
Mon chat m'a dit de te dire : " Bon retour parmi nous !"
Jusqu ici, tout a l air de se passer ... Je me demande si Loick et toi allez vous retrouver... La suite, la suite, la suite!!!!
La dernière photo de Touline est très belle, et tu as plutôt l air en forme après ces premiers jours en mer.
Bises
@Monique : Tu veux dire que c'est ennuyeux parfois ?
@Sonia : Merci M'Dame !
@Thérèse : Si tu me pique tout, je mange quoi ? De la feijoada en boite ?
@Fix : Miaou en retour.
@Marie : Ça va viendre !
Agreable de te lire et de voir que Touline n'est pas si inquiete comme elle le paraissait sur la premiere photo prise au depart. Quelle aventure pour vous deux !!
J'aime beaucoup l'idée de noter le nom du bateau et la date de lecture sur les bouquins qu'on se refile. Je vais commencer avec "Les Bienveillantes" que tu m'a donné. Super.
@Tsuki : merci pour tes précisions. J'aime bien ce genre d'infos.
@Anonyme : Une vraie chatte des mers !
@Loïck : Ca serait marrant de retrouver un livre qu'on aurait eu en main, dans un autre pays ou sur un autre continent...
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