dimanche 18 juillet 2010

De Sète à Barcelone...

J’ai un petit souci ce matin... D’abord c’est la première fois en une quinzaine de jour que je ne sort pas dans le cockpit pour boire mon café et fumer ma clope, et l’absence de levé de soleil me manque un peu. Puis, mais là vous allez me dire que ce n’est pas votre problème, je ne sais pas trop comment aborder le récit de ces quinze jours de mer...
Le mieux est peut-être de reprendre mes notes, de les retranscrire en brodant un peu et de ponctuer le tout avec quelques photos choisies... Hein ? Qu’est-ce que vous en dites ? On fait comme ça ?
Ok, alors c’est parti.

Le samedi 3 juillet 2010.
43°23'47.97"N 3°42'3.72"E
Le Môle St Louis à Sète

Et bien ça-y-est, j’y suis. Le voyage en train via Marseille a été un peu galère... Physiquement parlant je veux dire. Mon pied me fait mal, mais je sers les dents et j’essaye de sourire crânement alors que je m’avance vers le petit groupe de personne qui sirote un café autour d’un parasol, devant le préfabriqué qui sert de bureau à l’antenne des Glénans à Sète. Ma valise à roulette dans une main et ma canne dans l’autre, j’ai bien conscience que l’on me regarde, et j’imagine les questions qui viennent à l’esprit. Qu’est-ce donc que ce gros bonhomme boiteux qui nous arrive là ? C’est un marin ça ? 

Mais non, j’déconne. Ils n’ont certainement pas pensé ça... Du moins pas en ces termes. Mais j’imagine bien que ma silhouette et ma démarche ont dues leur poser quelques légitimes questions, ne serait-ce qu’en termes de responsabilité. Normal, je me posais les mêmes.
Bonjour ! Bonjour ! Oui c’est moi... Quel stage ? Le 3 voiles pour Barcelone... Ok... Tu veux un café ?

C’est toujours pareil lorsqu’on débarque en milieu inconnu... Une espèce d’attente, de retenue. On se regarde du coin des yeux, on n’ose pas, on attend... Jusqu’à ce que quelqu’un se décide à aller vers l’autre et franchisse le pas... Et pour le coup, c’est bibi qui s’y colle. Mais comme à chaque fois que j’ai le trac, je surjoues le truc. Je m’écoute parler et je me dis que j’en fais trop. C’est bizarre comme impression... J’entends ma voix et dans ma tête je me dis : « Mais tu vas la fermer ta gueule ! ».
Mais impossible d’arrêter la machine lorsqu’elle est lancée. Je parle, je parle... Et je ne vais m’arrêter de parler que dans le train qui me ramènera quinze jours plus tard.

Les arrivées s’étalent tout au long de l’après-midi, et vers 16h00 l’équipage est enfin au complet. Il y a Charline, d’une beauté insolente de jeunesse et de timidité. Jean et Paul, amis de longue date et habitués à naviguer ensemble. Xavier, le jeune cadre parisien sapé comme pour les voiles de Saint Tropez. Julien, un jeune Belge de Waterloo empêtré dans ces 18 ans. Véronique, la prof Valaisanne... Et Régis, le moniteur. La cinquantaine flamboyante, avec cette petite touche de retenue qui est l’apanage des gens sûrs d’eux.
Et ma pomme, bien sûr.

Cela fait en tout huit personnes. Et il va falloir caser tout ce petit monde sur le Bonne Espérance, un Sun Odyssey 35... Ah oui ! Parce que la première chose que l’on apprend c’est que le beau Dufour 405 dont je vous avais montré la photo, et qui est effectivement amarré à un mètre de notre rafiot, et bien il n’est pas pour nous. Il va profiter à une bande de gamins pré-pubères... Pas de bol. Mais bon, je me dis que 35 pieds (10,667479 m) c’est à peu-près la taille de la future Boiteuse, donc je vais pouvoir me mettre le gabarit dans l’œil et commencer à tirer des plans plus justes.

On consacre le reste de l’après-midi à des taches peu glorieuses mais cependant indispensables. L’avitaillement (l’achat de la bouffe pour la durée de la croisière), l’inventaire du bateau... Bref, la routine habituelle aux Glénans avant que de larguer les amarres.
Le soir, premier repas en commun avec une omelette aux oignons. On papote pour faire connaissance. On compare nos expériences de navigation respectives. En fait, nous formons un groupe assez hétéroclite aussi bien en termes d’expérience que de parcours, d’âge... Cela promet d’être un peu compliqué, mais non dénué d’intérêts.
Couché minuit et demi.

Le dimanche 4 juillet 2010
43°16'57.21"N 3°30'44.20"E
Sète-Cap-d’Agde

Levé 05h45. Je me fais un café alors que tout le monde dors. Je sors sur le pont et je regarde le soleil se lever entre les silos de Sète. Je prends quelques photos, c’est magnifique. Je goutte particulièrement ce moment où le port s’éveille tout doucement, et pendant une quinzaine de jours cela sera mon petit moment privilégié à moi tout seul. Un bol de café, une clope, et l’astre qui apparait... Putain, c’est le pied.
En parlant de pied, la veille au soir j’ai braqué ma lampe sur le mien avant de m’endormir... Il était difforme comme jamais il ne l’avait été depuis des mois. Des années même.
Et pendant un moment j’ai eu peur que ces saloperies de crises d’arthrite de reviennent... Le lendemain il avait dégonflé mais je ne vous raconte pas la galère pour arriver à poser un pied devant l’autre au saut du lit.

Le temps de terminer de préparer le bateau, de déjeuner, et nous voilà partis sous les coups de 13h00 en direction de Cap-d’Agde pour une petite mise en jambe. Il s’agit pour Régis de constater les qualités de chacun et d’organiser ainsi la suite des opérations.
Ma première prise de barre se révèle être catastrophique. J’ai perdu mes repères depuis le temps et je me débrouille comme un manche. Putain ! Il est où ce vent ? La barre c’est à droite ou à gauche qui faut la mettre ? Doucement avec tes gestes ! Quelle brute épaisse tu fais mon Gwen !
En regardant faire les autres je me dis que je suis un gros nul, particulièrement lorsque je vois le jeune Julien qui lui, semble né avec une barre franche à la main. Limite agaçant le gamin...

En fin d’après-midi nous arrivons au port de Cap-d’Agde. J’ai mal partout. De vieux muscles trop longtemps restés inactifs se rappellent à mon souvenir et je sens que le soleil ne m’a pas épargné non-plus. Ça brule à l’intérieur et à l’extérieur. Mais bon, ce sont de saines douleurs et à la limite elles me font du bien. Elles sont associées au plaisir de me retrouver sur l’eau et de sentir le vent sur mon visage et ce goût de sel sur mes lèvres. Bref, en dépit de mes piètres prestations du jour, je suis heureux. 

Ma cheville est énorme, mais bizarrement beaucoup moins douloureuse que la veille. Elle ressemble à ce cauchemar que j’ai fais un peu avant de partir (J’ai rêvé que j’avais une patte d’éléphant au bout de la jambe !). On dirait bien que « ça » tient le coup... Pour l’instant.

Le soir on a droit à un spectacle de son et lumière sur les façades de la ville, avec du son très fort. Malgré ça je m’endors comme un bébé, comme à chaque fois que je dors dans un bateau. Le clapot sur la coque et l’oscillation légère sont comme une berceuse pour moi. C’est très utérin comme sensation.

La VHF (la radio) a annoncé un avis de Grand Frais pour le lendemain. Du Nord-ouest à 7-8 Beaufort, ca va bastonner ! Un temps à ne pas mettre un bateau-école dehors, sauf pour les Glénans bien sûr !

Le lundi 5 juillet 2010
43° 6'31.03"N 3° 5'38.35"E
Cap-d’Agde-Gruissan
Vingt-Dieux ça souffle ! On prend trois ris dans la GV et on enroule le génois au deux-tiers (j’expliquerais plus tard pour les terriens) et vogue la galère en direction de Gruissan !
Au bout d’un moment il faut bien se rendre à l’évidence, on n’y arrivera pas. Les chiffres de l’anémomètre ne cessent de grimper : 30, 35, 40 nœuds ! ça fait quand même des rafales à 74 Km/h merde !
La mer est d’un bleu-vert-blanc assez malsain. Heureusement pour nous la houle ne s’était pas encore levée, sinon nous aurions été au plus mal. Cela-dit, pour un deuxième jour de navigation on ne prend pas de risque et on décide de se réfugier à Valras-plage (Oui Monique, Valras, pas Valréas !).
Manque de bol, on n’a pratiquement pas de fond et le sens du vent (ou notre incompétence) nous empêche de nous saisir de la bouée désignée par la capitainerie. Au bout de trois essais infructueux, on laisse tomber et on décide de tenter Gruissan malgré tout. Le vent ayant tourné à l’Ouest puis au Sud-ouest, nous fait face... Pas le choix, on remballe tout et on fait la route au moteur.

Pour ma part, je vais piquer un roupillon dans la cabine arrière (à côté du 30 CV !), et c’est la gueule chiffonnée que j’émerge alors que nous arrivons à Gruissan. C’est moche. Une vraie usine à touriste, sans âme et à l’architecture particulièrement triste.
Le soir, douche et papotage. Demain les conditions météo devraient être plus ou moins les mêmes, en tous cas le matin. Mais nous n’avons pas le choix, Barcelone est encore loin.

Le mardi 65 juillet 2010
42°22'24.16"N 3° 9'43.85"E
Gruissan-Llansa
Bonne journée de nav’, comme on dit. On a bien fait marcher le Bonne Espérance, avec un bon vent de travers et une pointe de vitesse à 10 nœuds ! Pour un bateau comme celui-ci, et avec le poids embarqué, c’est très bien croyez-moi.
Ce n’est pas une course, mais ce n’est pas de tout repos non-plus. Il faut rester concentré et ne pas faire d’erreur. On a commencé les tours de « chef de bord », c'est-à-dire que l’un après l’autre nous faisons comme si nous avions la responsabilité pleine et entière du bateau et de ses passagers. Régis veille au grain bien sûr, mais sait se faire discret. Cet après-midi c’est mon tour et je me sens comme un jeunot inexpérimenté... ce que je suis peut-être, après tout.

Allez ! Je vais être sympa avec moi-même (si-si !) et dire : Bon élève, consciencieux et intéressé, mais doit encore faire ses preuves !

Côté peton, ce fut une journée idéale. La cheville enflée comme pas possible, mais pas de douleur ! ( ?) J’ai l’impression d’avoir le pied dans une bottine de coton... ça fait bizarre.
Ah, au fait ! Il faut peut-être que je précise un truc. Llansa c’est quand-même en Espagne mine de rien ! Nous avons franchi la frontière en milieu d’après-midi et hissé le pavillon de courtoisie jaune et rouge. Llansa est une charmante petite citée balnéaire nichée au creux des Pyrénées. La seule mauvaise surprise est le prix de la place de port pour la nuit... 56 € ! Ils ne se mouchent pas avec le coude les espingos ! En plus, je ne vous raconte pas la place où ils nous ont foutus ! A quinze bornes des sanitaires !
A ce prix-là, c’est douche froide au jet sur le quai et pipi dans le port !
20h45, le soleil est sur le point de disparaitre derrière les montagnes, je prépare l’appareil photo mais une voix m’empêche de profiter pleinement du spectacle.
A table !
Dans la vie il faut savoir choisir ses priorités, et des couchés de soleil il y en a tous les soirs. J’obtempère donc et me précipite dans le carré.

Le 7 juillet 2010
41°50'35.20"N 3°7'37.27"E
Llansa-Palamos

Première journée 100% ibère, avec comme point difficile le passage du fameux Cap de Creus (prononcez créous !) avant que d’aborder la Costa Brava. Point difficile, tu parles ! Pas un pet de vent, et c’est donc au moteur que nous naviguons pendant la majeur partie de la journée. Vers 14h30, le vent daigne enfin se lever mais, là encore, dans le pif ce qui nous oblige à tirer des bords.
Sinon, c’est jolie la Costa Brava. On dirait un peu la côte du côté de saint Raphael, si vous voyez ce que je veux dire. Nous avons fait un petit tour dans la baie de Cadaquès et admiré cette ville que je connais, mais sous un angle, comment dire... différent. A un moment un type a foncé vers nous avec son zodiac pour nous proposé une bouée de mouillage. Nous avons décliné, genre la réponse que l’on fait dans les magasins trop chers : « Non merci, nous ne faisons que regarder ! ».
Les Estartits sont belles, elles aussi. De grandes falaises qui réjouissent le regard après la morne platitude des plaines languedociennes.
Aujourd’hui, je n’ai pratiquement rien fait... J’ai bien tenu la barre une petite heure le matin, mais c’était juste pour participer. J’avais envie de buller, du coup je me suis installé le plus confortablement possible dans le cockpit pour écrire. Et je vous assure que ce n’est pas évident sur ce bateau quand on est huit !
En plus mon clavier me manque... Il va falloir absolument que je m’achète un pc portable, parce que le stylo c’est vraiment pas pratique. Et puis ça fait mal à la main heu !

A bord tout le monde somnole une peu. Le soleil tape et il fait quelque chose comme 40° d’après ce qu’annonce la radio. Certainement beaucoup plus dans le cockpit compte tenu de la réverbération.
Du coup attention au coup de soleil ! D’ailleurs c’est bien simple pour moi c’est badigeonnage deux à trois fois par jour d’écran solaire (indice 20) et immersion dans la Biafine® le soir ! Ça m’a l’air d’être une bonne stratégie, car pour l’instant j’ai bien pris le soleil sans peler, ce qui m’était coutumier lorsque j’étais plus jeune.

Je vous l’ai dis, le Bonne Espérance fait 35 pieds, ce qui me donne un excellent aperçu de ce qui m’attend. J’imagine déjà les transformations que je pourrais faire... Définitivement une barre à roue, et puis surtout pas de ce putain de chariot d’écoute dans le milieu. Supprimer une banquette aussi... Rajouter une ou eux batteries, une éolienne, des cellules photovoltaïques, et j’aurais avec tout ça plus de place qu’il n’en faut pour vivre.

Arrivé à Palamos en fin de journée. Port pas très sympa et d’un coût prohibitif. 68 € la nuit ! A éviter absolument dans l’avenir.

La suite plus tard...

7 commentaires:

Bourreau fais ton office a dit…

Et ben ça commence bien, on est immédiatement plongé ds l' ambiance ! le prix du stationnement me semble être un des futurs problèmes pour ton aventure ; tu en avais parlé mais je comprends maintenant ...

Et intéressant, le coup du pied gonflé qui fait pas mal. Ca doit être une histoire de concentration et d' endorphine (à consommer sans modération), ou quelque chose comme ça ...

Bon début, donc, et pourvu qu' ça dure !

Monique a dit…

Le bonheur et/ou le plaisir produirait donc la même endorphine que la forte douleur ?

Intéressant, en effet..et maintenant :
la suite ! la suite ! LA SUITE!!!!!

Gwendal Denis a dit…

@Bourreau : Effectivement le coût des places de port au tarif visiteur est un problème si tu as un budget serré... Et pour le coup en pleine saison et dans certains endroits d’Europe cela peut devenir un véritable racket. En plus les prestations offertes à ces prix-là sont inégales. Par exemple à Barcelone, 35 € la nuit en plein centre ville, près de tout, mais avec des sanitaires dans un préfabriqué. Alors qu’à Palamos, 68 € loin de la ville et des commerces avec des chiottes et des douches assez classes... Ah oui, si tu veux le wifi, tu rajoutes 9 € par jour, bien sûr...

@Monique : Je ne sais pas si c’est un effet de l’endorphine... Pour moi cela tient du miracle ou, tout du moins de l’énigme médicale. Je vais aller voir un toubib rien que pour qu’il m’explique ce phénomène.
Allez, parce que je sais que tu t’inquiètes je crache le morceau. Au bout de quinze jours c’est bien simple, sur un bateau ou un ponton flottant je ne ressens pratiquement rien, et je fais des trucs que je croyais dorénavant impossibles. Par contre dès que je dois marcher sur du dur, c’est l’enfer habituel.
En ce qui me concerne, il n’y a pas photo : La phase Un du plan est validée. Je ne veux plus vivre que sur l’eau.

Monique a dit…

TIENS..un intrus catalan !

.....
J'ai une autre conclusion concernant ta douleur..
Tu ne peux plus vivre qu'heureux.
Sur terre comme sur l'eau.
Sauf que tu n'as pas fait l'expérience terrienne assez longtemps pour valider cette hypothèse, Môssieur le rationaliste!

Gwendal Denis a dit…

@Monique : Mouais, peut-être... C’est une hypothèse comme une autre. Mais bon, maintenant que j’ai trouvé un moyen de ne plus avoir mal, je ne vais me forcer à rester à terre pour la vérifier. Hein ?

aslan a dit…

Salut ! Je suis bien content que ça se soit bien passé et que ton pied soit resté marin dans l'épreuve. Alors dis moi un truc, quand tu seras tout seul sur la grande, tu compte caboter un max? Y'aura forcément des passages de large je m'en doute mais ça devrait nettement minoritaire? Moins t'a-ponte moins tu payes, ça aussi je m'en serais douté, mais pour naviguer au grand large plusieurs jours il te faut un pilote auto, non? Je t'ai pris quelques photos avec n° de tels de bateaux à vendre à Lorient, des Sun Odyssey notamment et un 11 mêtre ou un brin plus un peu ancien mais à l'allure robuste proposé à 25K€. Je me suis dis qu'une bourrique comme toi préférerait une bonne mule à d'un pure sang arabe ;)

Gwendal Denis a dit…

@Aslan : Salut toi ! Effectivement le voyage sera fait de beaucoup de cabotage et d’un peu de pleine mer. Mais dans les deux cas le pilote auto sera indispensable. Barrer demande beaucoup de concentration et pour ma part j’ai du mal au bout de quelques heures (deux ou trois maxi !). Sans compter le sommeil, indispensable.
Envoie-moi ce que tu as récolté, ça m’intéresse. C’est qu’on est déjà mi-juillet mine de rien...
Sinon, oui une mule sera parfaite. Les juments rétives c’est bon pour les weekends, mais pas pour vivre ensemble.