samedi 7 mai 2011

Avaria

Le vendredi 06 Mai 2011

39°25.893N 00°19.917W
Valencia

La première chose que vous noterez si vous êtes des lecteurs assidus (ce dont je ne doute pas) c’est que quelque chose a changé dans les coordonnées GPS que je vous offre gracieusement à chaque début d’article.
Mais si, cherchez bien… Non, vraiment vous ne remarquez rien ?
Bon d’accord, je vous aide. Et bien figurez-vous que ce vendredi, entre 09H00 et 10H00 du matin j’ai franchi le méridien de Greenwich. Et oui m’sieurs-dames !
Et ce n’est pas rien croyez-moi. Notamment lorsqu’il s’agit de faire le point sur une carte. Il ne faut surtout pas se planter et savoir compter à rebours, de droite à gauche. A partir de maintenant donc, les longitudes que je décompterais tous les jours porterons la particules W, pour West, et ce jusqu’à… jusqu’à ce que je remonte le temps en traversant son opposé qui se trouve quelque part près des îles Fidji.

A ce propos, je vous rappelle que ces coordonnées ne sont pas là pour donner un côté exotique à ces merveilleux textes illustrés que ce sont mes diatribes. En copiant/collant ces coordonnées sur Google Earth ou Google Map, vous obtenez immédiatement la position exacte de la Boiteuse.

Mouais...
Bien, revenons à l’étape de ce vendredi 06 Mai. Lorsque j’ai appareillé de Castellon, il était 08H30 du matin, de gros nuages sombres masquaient le soleil. J’ai cru un moment que j’allais me prendre la pluie, mais ceux-ci se dissipèrent assez vite laissant place à quelques nuées d’altitudes. Direction le 200° pour une course de 36 milles.
Le vent est quasiment inexistant et souffle en plein sur mon arrière, je fais donc route au moteur, en appui sur ma Grand-voile.

Je longe l’immense complexe industriel de Castellon. Partout ce ne sont que raffineries et cheminées fumantes. Cela me fait penser que j’ai l’impression que la côte méditerranéenne Espagnole est beaucoup plus industrialisée que la notre… Car depuis Barcelone je n’arrête pas de croiser de vastes ports de commerce et installations diverses dédiées à l’industrie, alors qu’en France à part Fos sur Mer…
Aucun danger spécifique pour cette nave, à part quelques fermes piscicoles qu’il convient d’éviter soigneusement, la route est libre de toute embûche. Je file à 5,5 nœuds, tranquille. Avec ma BLU j’arrive à capter France-Inter (162 kHz) et j’écoute avec un certain détachement les nouvelles de France…

Industrialisation
Ben Laden est mort et tout le monde qualifie de « justice » ce qui me semble à moi être plutôt de la vengeance. Il y aurait des quotas de noirs dans le foot Français… S’il y avait moins de fric, sans doute cela ne produirait-il pas. Et puis DSK c’est fait chopper dans une Porsche… Et alors ? Vous ne pensiez tout de même pas que le patron du FMI allait rouler en Twingo ?
Bref, tout cela me fait marrer et ce que je préfère retenir c’est que Pipa Middleton a le plus beau cul de la terre. Voilà au moins une info utile.

Sur les coups de 13H00 le vent se lève un peu ainsi que la mer. F2, puis F3 ça monte dans les nœuds mais toujours pas dans une direction utile pour moi… Et puis Valencia est là, j’en aperçois déjà les grues du port. 

Busard
Un Busard des roseaux vient m’observer. Il fait deux fois le tour de la Boiteuse à quelques mètres seulement et j’ai le temps de le chopper au passage avec mon appareil photo… Puis il s’en retourne jugeant sans doute que mon navire bougeait un peu trop pour qu’il puisse y faire une pause.


14H00, je fais un point. Je suis à 4,5 milles du port et j’avance à 6,5 nœuds. Dans trois-quarts d’heure, j’y suis.

14H20, un bruit strident de courroies malmenées se fait entendre à l’intérieur du bateau. Une odeur de plastique cramé se fait sentir. Je me précipite et soulève le capot du moteur, une fumée de plus en plus épaisse s’en échappe… Merde.

Aussitôt je coupe le moteur et déroule la moitié de ma voile d’avant. Je mets la Boiteuse sur un cap un poil plus confortable, mais elle continue à filer ses 6 nœuds, ballottée par la mer du vent. Je refais un essai avec le moteur au point mort, mais ça recommence à fumer de plus belle. Une pièce ne tourne plus (mais laquelle ?) et les courroies patinent… Je suis impuissant face à ça.
L’entrée du port se rapproche à grande vitesse et il faut que je prenne certaines mesures. Sans moteur, impossible d’entrer dans le port. Il a donc falloir que l’on m’aide…
Je repense à ce que l’on m’a dit sur certaines pratiques espagnoles quant au remorquage des bateaux… En gros, si un particulier vient t’aider il a le droit de te réclamer une part de ton bateau au titre de « l’assistance maritime », et celle-ci peut représenter parfois jusqu’à 60 % de sa valeur. Le truc pour éviter de se retrouver sur la paille est de négocier clairement les conditions du remorquage avant d’accepter d’être secouru (bonjour la pression !) et de ne surtout pas prendre la remorque que l’on te propose tant que tout n’est pas clair entre les deux protagonistes. Le mieux étant, dans l’absolu, de tendre toi-même une remorque à ton sauveteur, et que ce soit une autorité plutôt qu’un particulier qui vienne te sauver.

C’est donc ce que j’ai fait. Je suis allé à l’avant (au passage j’en ai perdu mon bonnet auquel je tenais tant !) et j’ai préparé une patte d’oie avec une haussière de 20 m frappée aux deux taquets, à laquelle j’ai relié par une boucle fermée par un nœud de chaise, une autre aussière de 20 m. Il était 15H10.
A partir de là j’ai noté sur mon carnet le déroulement des opérations à la minute près. A la fois pour m’imposer une espèce de rigueur propre à me rassurer, mais aussi pour mon livre de bord qui seul fera foi en cas de litige…

A un moment je me suis demandé pourquoi je ne paniquais pas… C’est vrai, je me suis franchement posé la question, car je sentais mon cœur battre très fort dans ma poitrine, et en même temps dans mon esprit tout était d’une limpidité ! Je savais exactement ce que j’avais à faire, même si je ne l’avais jamais fait de ma vie.
De temps en temps, je me forçais à respirer profondément pour tenter de faire descendre ma tension nerveuse, mais cela n’a pas vraiment fonctionné. J’étais inquiet certes, pour mon moteur, pour la suite de mon voyage, mais en même temps ces inquiétudes passaient au second plan de mes préoccupations. D’abord sauver le bateau, après il sera temps de se faire du souci pour le reste. J’étais calme. J’ai même pris le temps de descendre dans le carré pour y prendre mon dictionnaire d’espagnol et y chercher le mot pour avarie… Avaria.

15H25, je fixe les défenses sur la filière.
15H30, je suis juste devant l’entrée du port, à 200 m à peine. Je fais des cercles pour éviter d’un côté les rochers de la digue et de l’autre la plage. Le vent s’est calmé, et la houle aussi. Éole et Neptune me font une fleur. J’ai l’écoute de GV dans une main, l’écoute de Génois dans l’autre et je barre avec les jambes.
15H35, je lance mon appel radio sur le canal 9, celui de la marina du Real Club. Je comprends mal ce que me dit la dame à l’autre bout. Elle me dit de passer sur le canal 79 mais lorsque je le fais personne ne me répond… Je reviens sur le 9 et elle me répète (froidement) la même chose. Je recommence… Toujours rien.
Je commence à m’énerver.
Puis, une intuition, j’essaye sur le canal 69. Bingo ! En fait, j’avais confondu setenta y nueve et sesenta y nueve
J’ai le marinero du port en ligne, et j’arrive plus ou moins à me faire comprendre.

La Boiteuse à la remorque
15H45, je vois le zodiac qui sort du port et fonce vers moi. Le marinero s’apprête à me tendre une remorque, mais c’est moi qui lui tends mon dispositif. Il s’en saisit, l’arrime à son arrière et commence à me tirer vers l’entrée du port. Je lui crie en espagnol de me mettre face au vent pour que je puisse affaler ma Grand-voile. Il me comprend et j’abats la GV à toute vitesse. C’est bon, je suis prêt. Je rejoins le poste de pilotage et nous voilà parti à toute blinde (plus de six noeuds !) vers le port. Au passage, je prends une photo à la volée histoire d’immortaliser ce moment remarquable.
Nous passons l’entrée, et sans ralentir il m’amène jusqu’au fond du port. Et là, le long d’un ponton flottant il me pose comme une fleur… Du bon boulot.

16H00, la Boiteuse est sauve. Et moi aussi par la même occasion. Ce qui me fait penser, avec le recul, qu’à aucun moment je n’ai eu peur… pour moi. J’ai crains pour mon bateau, ça oui, mais pas pour son Capitaine. Et ça je m’en suis aperçu lorsque j’ai remarqué que le marinero portait une brassière de sauvetage et moi pas.

Il n’empêche qu’en descendant sur le ponton, la tension s’est relâchée et j’ai eu les jambes qui ont tremblé un peu. Ma voix aussi lorsque j’ai remercié mon sauveur. Et lorsque David, c’est son prénom, m’a répondu qu’il n’avait fait que son travail… j’aie eu les yeux qui ont piqué, un peu.

La pompe à eau
Puis ce furent les démarches administratives. 15,34 € la journée, Wifi gratuit et disponible à bord, douche, piscine et sale de sport à disposition… Le grand luxe.
Bien sûr, je n’ai soufflé mot d’une éventuelle rétribution pour le service rendu quant à mon arrivée un peu chaotique. Ne tentons pas le diable.
D’autant que, dans la foulée j’ai pris contact avec un mécanicien qui est tout de suite venu voir ce qui clochait avec mon Mercedes. Verdict immédiat, la pompe à eau douce est foutue. La pièce ne devrait pas être trop chère, mais reste à savoir où en trouver une car mon moteur date tout de même de 1979... Je serais fixé là-dessus lundi en milieu de journée.

Je suis rentré au bateau, et j’ai rangé soigneusement le pont pour montrer à ma Boiteuse que je ne lui en voulais pas. Elle ne m’a pas lâché lorsque tout partait en sucette et elle m’a ramené sain et sauf à bon port comme une brave fille qu’elle est (et merde, voilà que je chiale sur mon clavier maintenant…). Pendant cette escale je vais la briquer à fond, elle le mérite.

Sauvée !
Sinon, à Valencia la marina n’est pas, hélas, pas aussi bien placée qu’à Barcelone. Coincée entre une autoroute et le terre-plein du port de commerce où raisonnent jour et nuit les sirènes des transbordeurs de containeurs, je vais devoir prendre le bus pour rejoindre le centre-ville… Dommage pour moi. L’avantage par contre c’est que la Boiteuse dispose elle, d’un éventail particulièrement fourni d’ateliers, de chantiers et de boutiques dédiées à la plaisance.

Mais c‘est pas grave, je lui dois bien ça.

8 commentaires:

cazo a dit…

'acré vindiou de pompe à eau... m'a fait la même chose sur ma 306... mais moi mon moteur diesel a flanché derrière, il a fallu que mon garagiste en trouve un autre d'occaze... tu t'en tire bien, tu as réagi à temps !!

J'espère que la réparation ne sera pas trop ruineuse... et tant mieux si ces déconvenues se produisent maintenant, et encore mieux quand c'est juste devant l'entrée du port !!

Bon séjour dans la Provincia de Valencia, profite du moment pour te taper une bonne paella valenciana !! ;-) !!

Gwendal Denis a dit…

@Cazo : J'y compte bien ! Je crois que le mérite.

Monique a dit…

Ben oui, la Boiteuse n'est pas de première jeunesse et j'imagine qu'un moteur de bateau est plus secoué que celui d'une 306 !

Finalement, rien que de bien normal, de l'avis d'un marin averti ( pas moi...c'est un ami qui me l'a dit !)
Allez donc bon séjour à Valencia !
Profite de ton week end pour découvrir la ville et ses serveuses !

Thrse a dit…

Et bien! En voilà une aventure! Mais bon, bien arrivé à bon port et c'est donc le principal!

Bon séjour à toi! Profite pour faire le point correctement!

Gros bisous et bonne journée mon Gwen!

Lucifer ! a dit…

ben dis donc ! m'est avis que t'es un sacré mec !
Et la boîteuse sera toute neuve , pièce à pièce , pour notre prochain RV . Aux marquises je crois !
et puis ça me fait tout drôle de voir la Boîteuse amrrée là-bas ,par 0° W!!

Gwendal Denis a dit…

@Thérèse : Faire le point… Je fais ça tous les jours !

@Lucifer : Ouais, j’suis un mec, un vrai. Avec des burnes comme des montgolfières !
Non, je rigole… Je n’ai pas l’impression d’avoir fait quelque chose d'exceptionnel. Et puis j’ai surtout eu du bol je crois.

Bourreau fais ton office a dit…

Les jambes qui flanchent après l'émotion ... me ramène un an en arrière à la Réunion, ça, ou j'avais faillis me cracher contre les rochers en faisant le mariole en faisant du body-board sur un océan indien que les cons de touristes inconscients exaspère ... sain et sauf de retour sur la plage, je faisais le malin qui rit de ces broutilles, mais les jambes avaient du mal à me tenir encore debout. Pour finir, j'ai préféré rester sur la plage, à jouer à la bataille de boules de sable avec mes tites nièces et ma belle-cousine.
Et l'hyper lucidité des moments de stress, aussi, les exploits physiques que l'on peut produire ... un grand classique !
Mais si on arrive au stade de l'après choc, où l'on est en paix avec soi même, l'esprit calme, tout est évident, et qu'on peut lâcher la bonde de l'émotion, alors c'est que tout c'est bien passé ... sauvé, Gwen ! t'as su te démerder et arriver à bon port !

Gwendal Denis a dit…

@Bourreau : C’est exactement ça, et tu le décris parfaitement. On est capable de grandes choses dans ces moments-là. Mais le vivre te fait te rendre compte que tu n’es pas aussi nul que tu veux bien le croire… C’est excellent pour l’estime de soi.