mercredi 1 août 2012

Voyage en Nulleparie (3)

Le 31 Juillet 2012

07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

Le vendredi 13 juillet 2012

07H35, courte nuit. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’ai eu du mal à trouver le sommeil, et ce n’est que vers deux heures du matin que j’ai pu m’endormir. Sans compter l’alarme qui m’a réveillé deux fois (les n°15 et 16). Bref, j’essaierais de me rattraper dans la journée.

08H00, wahouuuu... Même si je m’en doutais un peu, c’est quand même agréable de voir, chiffres à l’appui, que j’ai bien avancé cette nuit. 55 milles en quatorze heures. Je suis satisfait.
La mer est hachée et dure, mais la Boiteuse affronte les vagues avec courage. Allez, j’attaque le dernier tome du Seigneur des Anneaux. Ça va chauffer à Minas Tirith !

12H00 Ah ! Enfin voilà des allures convenables ! 90 milles en 24H. Dans deux jours c’est l’équateur et dans une semaine Jacaré !

16H30, la Boiteuse est sur des rails. 5,5 nœuds en pointe, droit sur l’île de Fernando de Noronha. 2°37’ de latitude Nord, je suis bien dans les alizés du Sud-Est. Maintenant c’est tout droit comme dirait l’autre !

16H45, je viens de faire une inspection du pont et du gréement, et j’ai une déchirure de 20 cm dans la Grand-Voile, au niveau d’une attache du ris n°1. C’est pas vraiment grave, mais c’est à surveiller... Putain, je vais avoir du boulot et des sous à dépenser en arrivant...

18H00, on frise les 5 nœuds de moyenne. C’est royal. La mer, de peu agitée est devenu belle. Pourvu que ça dure !

19H30, j’ai repensé à l’entête de mon blog... Et je me disais que cette « description », le type qui veut faire le tour du monde en solitaire tout ça, n’était plus vraiment d’actualité. C’est vrai quoi, je l’ai écrit il y a plus de deux ans, et beaucoup de choses ont changé depuis.
D’abord je ne ferais sans doute pas le tour du monde, et j’espère bien ne pas rester solitaire... J’ai réfléchi à ça aussi. Je ne suis pas un marin solitaire, je suis un homme seul qui parcourt le monde à la recherche d’un endroit où il pourra être heureux. La différence est de taille il me semble.

19H40, Hihihi... Je pense à mon ami Cazo, qui depuis le début est persuadé que je vais trouver l’âme sœur au Brésil ! Et bien, nous verrons.

20H05, Un dernier mot avant de me coucher. Sachez que lorsque je me penche un peu sur tribord, pour faire la vaisselle pas exemple, j’ai le loisir d’observer un passager clandestin. Ou un poisson-stoppeur plutôt. C’est un petit poisson de 20 cm environ avec le bout de queue jaune, et qui nage juste sous la surface en profitant de l’effet de carène. Il est marrant. Touline l’a vu elle aussi, et là c’est moins marrant.

Le samedi 14 juillet 2012

un ciel superbe
08H00, on avance toujours à 4,5 nœuds de moyenne. Selon la carte, en fin de journée je devrais passer assez près d’un îlot rocheux, territoire avancé brésilien, du nom de Penedos do São Pedro y São Paulo. Et tout de suite ce sera... Ben oui, l’Equateur ! Je suis à 1°38’ de latitude Nord.

Cette nuit j’ai encore repensé à cette histoire d’en-tête de mon blog. J’ai essayé de pondre un truc, histoire de résumer l’état d’esprit qui est le mien après seize mois de voyage, mais je crois que finalement on en revient toujours à cette devise que j’ai fait mienne : Le bonheur ne vaut que s’il est partagé. Là est vraiment l’essentiel à mon sens. Que ce soit avec vous mes lecteurs, ou avec une douce amoureuse à la peau de miel et au ventre fécond, l’essentiel est de chercher à être heureux et d’offrir en partage ce bonheur. Tout le reste n’est qu’accessoire et perte de temps.

10H00, aujourd’hui nous sommes le 14 juillet, Fête Nationale. A moins de croiser un navire de très près, je m’abstiendrai de hisser le grand pavillon...
C’est important pour moi le 14 juillet (tiens un poisson volant !). Je ne suis pas réellement chauvin, mais j’estime que la France (qui n’est pas exempte de reproches, nous sommes bien d’accord), mérite que l’on soit fier d’elle et que l’on ne galvaude pas sa nationalité.
J’ai eu cette discussion avec la Consul Général de France au Cap-Vert, et je lui disais que partout où j’allais je m’estimais en représentation de mon pays. Je m’explique : Si un jour il m’arrivait de faire une connerie dans un pays étranger, quels seraient les premiers commentaires des gens de ce pays ? Ils diraient sans chercher à approfondir la chose « Regardez, c’est un français qui a fait une connerie ! ». Ce que je fais, la façon dont je me comporte, n’implique pas seulement ma petite personne, mais également mon pays et tous mes concitoyens. C’est pour cela que je dis que je représente la France, ou tout du moins son image. Et je ne vous parle pas des idéaux de Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité, toutes ces belles idées universelles que je me fais fort de représenter également. C’est là un autre sujet.

Je ne sais pas si je suis un patriote, mais toujours est-il que j’ai cette conscience-là de mon pays.

Toujours changeant
12H45, le temps est magnifique. La Boiteuse avance dans une mer belle et bleue. C’est presque confortable. Je me suis fait cuire des pâtes, et j’ai déniché dans le fond d’un de mes coffres une boite de corned-beef. J’ai faim !
J’ai fini le Seigneur des Anneaux. Là, je suis coincé car je crois qu’il ne me reste plus rien à part des bouquins de Moitessier et Gerbault, et je n’ai pas envie de lire des récits de mer en ce moment... Peut-être parce que je suis en train d’écrire mon propre récit ? Ma propre histoire ?

15H30, je vais passer très près des cailloux finalement. Très, très près. Je ne l’ai pas fait exprès, c’est le vent qui à tourné. Mais ça m’étonnerait tout de même que j’arrive à les voir, car ces îles sont toutes petites et très basses sur l‘eau.

15H45, Houla... Là, on a un problème.
Alors que j’allais à la cabine avant chercher un bouquin, j’ai constaté que l’antichambre de la cabine, la salle de bain si vous préférez, baignait dans l’eau. J’ai craint que la vache à eau douce soit percée, mais apparemment non. Le compartiment sous le moteur était plein d’eau lui aussi. J’ai pompé ce que j’ai pu avec la pompe à main... Je ne sais pas d’où elle vient cette flotte !

17H00, ça y est, j’ai tout vidé et épongé. A priori ça vient de l’avant du bateau. Reste à savoir où exactement et combien de litres je fais à l’heure. Je suis crevé ! J’ai dû sortir au moins 150 à 200 litres en tout. Je n’ai pas fait le compte exact des seaux que j’ai vidé par-dessus bord, mais il y en avait au moins une quinzaine.

18H00, la mer s’est levée un peu et ma vitesse est descendue à 4 nœuds de moyenne. L’eau continue à s’infiltrer... Je dirais que je fais de un deux litres par heure. A surveiller.
Sinon, l’île est maintenant à 8,5 milles. Je devrais passer à son Est, très, très, très près comme je l’ai dit. J’ai laissé l’ordi allumé pour suivre ma route en temps réel car il ne s’agirait pas que je me fracasse sur ces cailloux après tout ce que j’ai fait ! Ça serait bien trop con.

Terres en vue !
18H55, BINGO ! Terre en vue ! Enfin, disons qu’à la jumelle j’arrive à distinguer trois petites pointes rocheuses à 5 milles sur tribord avant.

19H25, c’est l’heure de passer à table. Je me suis préparé une espèce de bolognaise sans sauce tomate, plus un yaourt à la fraise pour terminer.

19H55, j’ai réfléchi à un truc... (En mer on n’a que ça à foutre finalement) C’est en rapport avec mon arrivée à Jacaré. Comme il est hors de question que j’entreprenne  la remontée du fleuve Paraíba de nuit, je me disais qu’il allait falloir commencer à bien surveiller ma vitesse, et la modérer s’il y a lieu. J’ai calculé qu’à 4 nœuds de moyenne j’allais arriver en fin de journée vendredi prochain... Et à 4,5 nœuds de moyenne, ce sera dans la nuit de jeudi à vendredi.
Bon, il est peut-être un peu tôt pour penser à ça, j’en conviens. Mais que voulez-vous, j’ai hâte d’en finir avec cette transat.

20H06, Alors là... Le coucher du soleil juste derrière les îles de São Pedro y São Paulo, c’est vraiment le top. Je suis passé à 4,5 milles et j’ai pu prendre de magnifiques photos. Des oiseaux volent au ras des vagues, pareils à des petits faucons des mers... Je ne me lasse pas de les regarder.

Penedos do São Pedro y São Paulo

Le dimanche 15 juillet 2012

07H20, il fait encore nuit dans cette région du monde où le jour dure presque aussi longtemps que la nuit. Je n’ai pas trop dormi cette nuit, car j’avais l’esprit occupé par cette histoire d’eau de voie d’eau à l’avant. J’attends le jour pour voir ce qu’il en est.

Je rappelle au lecteur (oui, je te cause à toi) que toutes les heures que je vous donne sont en Temps Universel (Ou UTC, ou GMT, comme vous voulez). Cela veut dire qu’il est 09H20 en France et 04H20 au Brésil. Lorsque j’arriverai là-bas, il faudra que je recule ma montre de trois heures.
Et à ce propos je voulais vous parler de quelque chose ; Longtemps j’ai vécu à bord de la Boiteuse avec trois heures différentes. Il y avait l’Horloge interne du GPS qui était en Temps Universel, l’horloge du bord et ma montre qui étaient à l’heure locale, et enfin mes ordinateurs qui étaient à l’heure de France.
Chacun sait que je passe pas mal de temps sur mon ordi via les blogs et les réseaux sociaux, et jusqu’au Cap-Vert on peut dire que ma vie étaient en réalité rythmée par l’heure Française. Je pressentais plus que je ne ressentais que je vivais ma vie en décalage... A l’affût de la présence d’untel ou d’unetelle sur Facebook, de l’horaire d’une émission radio, etc...

Une semaine avant mon départ pour cette traversée, Séverine m’a convaincu que ce décalage n’était pas forcément bon pour moi, et j’ai donc mis mes deux ordinateurs à l’heure locale. Et bien croyez-le ou pas, il s’en est suivi un changement radical dans mon rapport au temps, et par là même dans ma façon de vivre ma vie de tous les jours. Comme si je venais de couper une amarre de plus, cachée celle-là. Comme si je m’affranchissais un peu plus encore de ma vie d’avant. Du coup, j’ai pu me recentrer sur moi-même et préparer ma transat beaucoup plus sereinement.

Si je vous parle de ça, c’est qu’alors que l’Est s’éclaircit d’une pâle lueur dorée, je me rends compte combien le temps est à la fois une notion arbitraire et intime à la fois.
Là, sur la Boiteuse, je suis dans mon temps à moi, que je ne partage avec personne d’autre. Les chiffres que j’aligne à longueur de journée ne sont que des repères mathématiques, mais ils influent malgré tout sur mon temps biologique. Dans quelques jours, je vais devoir forcer mon esprit et mon corps à rejoindre un autre temps, celui des habitants du Brésil. Ce sera en fait mon premier pas vers eux... Un pas arbitraire certes, mais aussi tellement intime...

08H00 (dans mon temps à moi !), 4 nœuds de moyenne et 56 milles de parcourus pendant la nuit. Le vent a bien baissé et je suis maintenant toutes voiles dehors (GV avec un ris tout de même). Cap au 215°, et à 00°07’ de latitude Nord. L’instant approche...
Pour ce qui est de la voie d’eau, je viens de retirer l’équivalent d’un gros seau d’eau, soit environ 12 litres. Ça fait donc (12 /15 = 19,2), à peu-près 20 litres par jour. Ça va, c’est gérable. La déchirure de la GV n’a pas bougé. J’attaque la relecture de 99F de Begbeder.

09H55, 00°00’00" ! La Boiteuse vient de franchir l’Equateur par 29°27’ de longitude Ouest ! YES !!!!
Et pour marquer le coup, j’ai mis un short et je vous ai immortalisé ce grand moment !



Comme s’il avait conscience de l’importance du moment, un oiseau vient saluer le bateau et son équipage. Touline joue dans le fond du cockpit avec le muselet de la bouteille de Champomy... Je pense qu’elle finira par devenir placomusophile.

12H00, bon, comme je m’en doutais j’ai un peu moins bien marché ces dernières 24H (98 milles), mais ce n’est pas grave. On reste dans des moyennes tout à fait correctes pour moi. Nous sommes au bon plein maintenant et la vitesse ainsi que le confort devraient aller en s’améliorant. Il nous reste 520 milles à parcourir.

15H00, j’aimerais dormir un peu, ne serait-ce que pour passer le temps, mais je n’arrive pas à fermer l’œil plus d’une heure l’après-midi... Le vent a pas mal baissé et tourné légèrement à l’Est. Je ne vais guère plus vite que 3,5 nœuds. Il fait chaud.

16H05, je viens de relire l’ensemble de mes notes. Et beh ! Ça va vous en faire de la lecture ! Sans parler des photos et des vidéos !
Je pense que je vous tronçonnerais tout ça en trois épisodes, histoire que vous ne vous intoxiquiez pas avec ma prose.

YES !
17H20, vous savez de quoi j’ai envie ? Là, maintenant, tout de suite ? De plein de choses.
J’ai envie d’une douche chaude (la dernière remontant au 11 avril !), de me raser, d’une connexion internet, d’un poulet rôti avec des frites, d’une bière fraîche, d’un bon cigare. J’ai envie de simplement tenir la main d’une fille. J’ai envie d’entendre des rires d’enfants. J’ai envie que le vent souffle plus fort pour arriver plus vite... Et peut-être ainsi trouver toute ces choses dont je rêve... Ou même juste quelques-unes, je ne suis pas très exigeant finalement.

18H10, Allez Eole, s’il te plaît, un petit effort ! Tu tournes encore un peu à l’Est, et c’est très bien, mais si tu pouvais souffler un poil plus fort... Je sais bien que c’est dimanche mais quand même !
Est-ce dû à une gîte moins importante, mais j’ai l’impression de faire moins d’eau à l’avant...

22h20, le Mer-Veille sonne. Un navire se présente par tribord arrière. Je l’observe et je vois assez bien sa lumière... Rouge. Merde, ça veux dire qu’il va me croiser en me passant devant me dis-je. Mais soudain, la lumière rouge disparaît quelques instant pour être remplacée par une verte ! Je mets quelques secondes à réaliser ce qu’il se passe (il faut arriver à s’imaginer la scène vue de haut et en 3D), et je comprends que le cargo vient de changer de route pour ne pas risquer de me percuter. Vous allez me demander : Quoi de plus normal qu’un navire respectant le code maritime ?
Et bien ça fait plaisir, c’est tout. (C’était le 17ème).

Le lundi 16 juillet 2012

Bonjour tout le monde !
Prêts pour cette dernière semaine ? Car oui, je peux vous l’affirmer, il s’agit bien de la dernière. Normalement, à moins de rencontrer un iceberg, nous devrions toucher terre dans la journée de vendredi. En tous cas on va faire tout pour !
La nuit a été correcte, si ce n’est la rencontre avec deux autres navires qui m’a tenue éveillé un petit moment entre quatre et cinq heures du matin (n°18 et n°19). Sinon, la vitesse moyenne n’a pas été fameuse (3,6 nœuds), ni le cap d’ailleurs (190°). Je viens donc de régler le régulateur et me suis mis au largue à 95° de vent. On verra à midi s’il y a lieu d’ouvrir encore plus les voiles, mais nous avançons maintenant à 5 nœuds, cap au 220°. Le soleil se lève et nous sommes 01°22’S ; 29°42’W, et le Capitaine et son équipage vous souhaitent une agréable journée à bord de la Boiteuse !

09H05, c’est bizarre, je n’ai retiré que l’équivalent de deux verres d’eau dans les fonds à l’avant... Alors ça veut dire deux choses : Soit la brèche se trouve bien au-dessus de la ligne de flottaison à tribord et l’eau n’entre qu’à la gîte. Soit qu’elle venait d’ailleurs et ne vient plus...
La baille à mouillage peut-être ? Bon, nous verrons ça à Jacaré. Cela fera partie des nombreuses choses que j’aurai à faire en arrivant.

Miam !
09H30, jolie surprise ! Alors que je faisais mon inspection du pont, j’ai trouvé ce poisson-volant de belle taille (30 cm) coincé contre le sac du spi. Là, pour le coup, il y en aura assez pour deux ! Je l’ai écaillé et vidé et j’en ai donné un bout à Touline, mais le reste ira dans la poêle pour le repas de midi !

PS : Je crois que j’ai trouvé d’où vient toute cette flotte. C’est tout con en fait.

11H10, j’ai fini 99 F. Je crois que je vais attaquer les œuvres complètes d’Edgar Poe.
Pétrolier sur tribord (n°20), son radar est éteint. Ça me fait penser que je n’ai croisé aucun voilier depuis mon départ...

11H50, les patates sont en train de cuire et le poisson prendra la suite. Rissolé dans la casserole avec du beurre et des épices.
J’espère que je pourrais attraper des poissons dans le Rio Paraíba... Touline adore tellement le poisson frais... D’ailleurs je lui trouve le poil terne en ce moment, il est temps qu’on arrive.

12H00Je viens de faire le point. Si je reste sur cette vitesse et ce cap, on arrive vendredi en milieu d’après midi. C’est le top ! Allez Eole mon pote ! Je veux de la constance maintenant, d’accord ?

12H35, et bien mes enfants quel repas ! Je me suis positivement régalé ! C’est très goûteux comme poisson l’Exocet. Avec en plus pas beaucoup d’arrêtes. Là, Touline est en train de faire la vaisselle en léchant l’assiette, et elle aussi trouve tout ça parfaitement préparé. Bravo au Bosco !

16H00, impossible de fermer l’œil, j’ai trop de choses qui se bousculent dans ma tête. Du coup j’ai écrit une lettre à un fantôme... Un fantôme qui me hante depuis vingt-deux ans. Si cette traversée avait un but, ce sera au moins celui de m’avoir donné le courage d’écrire cette lettre. Elle partira dès mon arrivée, ainsi qu’une carte postale pour mon père, qui doit se demander où je suis. Ou pas.

18H13, Grrrr... Eole, tu fais rien que m’embêter tu sais ? Que tu changes de direction, ça je veux bien, mais que tu te montre poussif à ce point, non ! C’est vrai quoi... Regarde les Pilote Charts. Ils disent qu’en cette saison tu devrais souffler entre 15 et 20 nœuds. Et là tu me fais quoi ? Entre 6 et 10 nœuds, et encore péniblement... Allez mon vieux, un peu de sérieux s’il te plaît. Soit à la hauteur !

Bon, je rigole mais si après tout, si Sa Majesté le dieu des vents veut me faire arriver Samedi, et bien on arrivera samedi. Et pis c’est tout.
(Je sens que le temps va me paraître long...)

Re-Miam !
18H30, tiens, une pensée me vient. Pour celles et ceux qui s'inquiéteraient de la propreté de nos océans, sachez que je n’ai, pour l’instant et après 18 jours de mer, rencontré aucun déchet flottant. Pas de sacs en plastique, pas de morceaux de bois ou de toute autre chose. L’océan est nickel-chrome. Et pour ma part je n’ai jeté par-dessus bord que les déchets organiques, les boites de conserve en métal (en m’assurant quelles coulent) et mes mégots.
Ça va les écolos ? J’ai droit à un bon point ?

20H10, ça-y-est, j’ai mangé le reste des patates avec des saucisses de Francfort dégueux. Comment les Teutons peuvent bouffer des trucs pareils, je me le demande. On dirait de la bouffe pour chien. D’ailleurs peut-être que c’en est parce que même Touline n’en veut pas.
Sinon à part ça, le soleil vient de se coucher alors qu’un petit nuage nous arrosait de quelques gouttes rafraîchissantes. Eole m’a lâché pour de bon et lui aussi est allé se coucher. Je vais faire pareil.

21H45, aussi vrai que la lune est une menteuse, Eole est un farceur. Il n’était pas allé se coucher le bougre ! Nous filons à 6 nœuds en vitesse de croisière, c’est du délire !

Le mardi 17 juillet 2012

07H15, sacré Eole ! C’est vraiment un cabot vous savez ? Son coup d’éclat n’a duré qu’une petite demi-heure, puis il est retourné se planquer, pour revenir deux heures plus tard pour remettre ça par surprise, pensant que je dormais. Ce que je faisais d’ailleurs. Mais le bruit de la soudaine accélération m’a tiré des bras de Morphée et j’ai dû diminuer la voilure en urgence. Le reste de la nuit il a été, disons performant puisque notre moyenne sur les douze heures est de 4,1 nœuds.
Au réveil ce matin, j’ai dû enfermer Touline dans la cabine avant (elle y est toujours d’ailleurs) car figurez-vous que la Boiteuse est devenue un véritable dortoir à zoziaux. J’en avais deux qui ce matin squattaient tranquillement, un sur la filière et l’autre sur la capote, et qui m’ont salué avec des cris très moches. Bien sûr Touline les a entendus, et c’est pour ça que, pour ne pas courir le risque de la voir se lancer dans la chasse aux volatiles par nuit noire, j’ai opté pour l’incarcération préventive.

07H50, tiens, j’ai pris un poisson cette nuit. La même mocheté que d’habitude, avec ses grandes dents. Le repas de Touline est assuré pour deux jours au moins. (80 cm de long le bestiau)

T'as tes papiers ?
08H00, ça-y-est, j’ai libéré le fauve. Elle ne s’attendait sûrement pas à trouver un petit déjeuner pareil ! En tout cas c’était une bonne idée que de l’enfermer. J’ai pu ainsi préparer le poisson sans l’avoir dans les pattes. Je ferai la même chose lorsque nous arriverons, comme ça j’aurais une chose en moins à gérer.

08H45, grosse houle du Sud-Est par le travers. J’ai l’impression d’être sur des montagnes russes. On avance bien.

09H45, c’est un festival de poissons-volants auquel j’assiste. Et des gros en plus. Il y en a partout !

10H30, comment s’occuper lorsqu’on est en mer ? Et bien je viens de me faire une manucure-pédicure complète, et j’ai reprisé mon short noir. Pourquoi ? Parce que je le vaux bien.

11H35, par curiosité je viens d’allumer pour la première fois ma BLU à la recherche d’une voix humaine, ou à défaut d’un peu de musique. Et bien rien, quedalle. Et pourtant j’ai passé en revue toutes les fréquences, qu’elles soient  courtes, moyennes ou longues.
Même si pendant ce temps-là un couple de pétrels de Castro joue à saute-mouton avec les vagues, je me sens un peu seul sur ce coup-là.

12H10, au point de midi, la moyenne est bonne : 100 milles sur les dernières 24 heures, je suis content. Demain dans l’après-midi nous devrions atteindre l’île de Fernando de Noronha qui est à 230 mille de Jacaré. J’abats un peu pour gagner en cap. Les prévisions d’arrivée que j’ai faites sont toujours valables. Vendredi dans l’après-midi, si le temps se maintient bien sûr, et on est même autorisé à aller plus vite si Môsieur Eole veut bien se sortir les doigts du c... (Mais pas moins !)
Déjeuner : Pâtes au thon.

15H15, J’ai réussi à somnoler quelques minutes, mais je n’appellerais pas ça faire une sieste. Je vais avoir un sacré sommeil à rattraper en arrivant, c’est moi qui vous le dis.
J’ai enfin le fin mot de cette histoire de voie d’eau à l’avant. Elle n’existe pas. Ou plutôt si, mais c’est normal. Enfin, presque...
Sur la coque, à tribord avant, j’ai un petit trou qui sert à évacuer par gravité l’eau qui pourrait entrer dans la baille à mouillage (le puit où se trouve la chaîne de l’ancre). Ce trou est situé une bonne cinquantaine de centimètres au-dessus de la ligne de flottaison, mais pendant le moment où j’avançais au pré serré il s’est trouvé submergé tellement nous étions à la gîte. J’ai donc embarqué de l’eau au lieu de l’évacuer... C’est tout con, je vous l’avais dit.
Maintenant je saurai qu’à la gîte tribord, il faudra que je m’attende à faire un peu d’eau.

18H20, au point de la fin de la journée, RAS. La moyenne est bonne et le cap est bon. On se dandine un peu mais ça reste cool.
Putain que ça fait du bien de penser à l’arrivée tout en sachant que c’est pour bientôt !
Vous savez, il faut quand même que je vous avoue un truc...

Il y a quelques mois, ma copine Alexandra a écrit en parlant de sa propre transat et en la comparant à de la course à pied :  « Avant vous êtes excités, puis vous vous sentez bien pendant la moitié de l’effort, puis à mi-parcours la fatigue et la lassitude arrive, vous passez quelques moments difficiles à revenir dans la course, puis, approchant de la fin vous êtes portés et retrouvez votre énergie. Et au final, vous êtes heureux de franchir la ligne. Et d’arrêter de courir. »

Réflexions...
Tout emprunt que j’étais à l’époque de mes lectures de Moitessier et Gerbault, je vous avoue que ses propos m’avaient un peu choqué. J’étais convaincu qu’à un moment donné d’une telle traversée, et a fortiori en solitaire, l’esprit s’affranchissait du temps et de l’espace. Que l’on rentrait dans une espèce de transe mystique, en communion totale avec le bateau et les éléments.
Tu parles, elle avait raison ma copine Alex. Pas la queue d’une expérience mystique à l’horizon ! Pas de Révélations sur le sens de la vie !
A ce stade, ce que je retiens c’est surtout le stress permanent, et le désir brûlant que ça s’arrête. Mons esprit tout entier est focalisé sur mon but, et non-pas sur le chemin... Oui, je sais, c’est triste. Mais que voulez-vous c’est ainsi. Je ne dois pas être assez fou, ou assez sage, ou assez poète, pour en profiter pleinement. Ça doit être ça.
Cela-dit, je reconnais que ce genre d’expérience de profonde solitude est propice à l’introspection, et que l’introspection en règle générale est plutôt bonne pour la santé mentale. Cela vous permet de remettre en ordre vos priorités, d’élaguer un peu toute la broussaille que vous avez dans la tête.
Mais c’est l’ennui qui permet ça, pas la formidable puissance des éléments ni la poésie de la route. Plus que jamais le bateau reste pour moi un abri et un véhicule. Même si ce n’est pas déplaisant en soit, naviguer ne m’apporte aucun bonheur. Des joies passagères oui, mais pas le Bonheur. Ce qui me rend heureux, c’est de rencontrer de nouvelles personnes, de découvrir de nouvelles cultures... De débarquer dans un endroit inconnu et peu à peu l’explorer, et peut-être, pourquoi, m’en approprier une petite partie.

19H35, A la bouffe ! Tiens, il faudrait que je me dégotte une cloche pour sonner l’heure des repas...

20H05, le soleil se couche. Deux oiseaux tournent autour de la Boiteuse. J’imagine qu’ils vont attendre la nuit et se poser ; Je me demande si ce sont les mêmes que la nuit dernière, ou si ce sont des copains à qui ils ont refilé l’adresse.

21H00, Hihihi !!! Alors que je rêvassais les yeux fermés, allongé au fond du cockpit, à l’abri sous mon duvet, j’ai entendu un grand BANG juste au-dessus de ma tête ! C’était un petit poisson volant qui venait juste de percuter le plexi de la porte ! Il a rebondi sur le banc et s’est mis à gigoter dans tous les sens. J’ai été sympa, je l’ai remis de suite à l’eau. Touline a encore de quoi manger avec la pêche de ce matin, cela ne sert donc à rien que je sacrifie un autre animal.

Le mercredi 18 juillet 2012

Ça piaule !
07H20, Ben mes aïeux, quelle nuit ! Hier au soir Eole en a mis un coup, comme la veille, sauf que ça a duré toute la nuit et que ça dure encore. 5,3 nœuds de moyenne sur treize heures ! J’ai dû me lever deux fois pour réduire la voilure tellement ça devenait chaud. Du coup, nous qui devions passer l’ile de Fernando de Nornha dans l’après-midi, et bien je vous annonce que c’est fait depuis deux heures ! Nous somme passé à 33 milles sur son Est.
J’attends le jour pour voir si le vent baisse. S’il ne baisse pas, je vais devoir prendre le deuxième ris. Cap au 225°, à 115° du vent. Des pointes à 7,5 nœuds. Voilà de vrais alizés !

Pas de squatteurs sur le pont ce matin. Par contre je peux vous dire que le petit poisson à la queue jaune est toujours là !

08H00, je ne cesse de m’étonner du cycle journalier équatorial... Oui, en fait le cycle jour/nuit, ici à l’Equateur m’épate si vous préférez.
Le soleil se couche à 20H11 et se lève à 08H16 (temps universel). La nuit dure cinq minutes de plus que le jour, cela confirme donc que je suis dans l’hémisphère Sud et que c’est l’hiver (au cas où j’en aurais douté). En France, dans l’hémisphère Nord, nous avons, vous avez, tous l’habitude d’une différence plus marquée de durée entre le jour et la nuit. En été les nuit sont courtes, et en hivers plus longues... Et ce n’est que deux fois par an, à l’équinoxe, que les jours égalent les nuits. Ici, c’est en permanence (à peu de choses près). Du coup, les saisons n’ont plus lieu d’être. Ici c’est le printemps et l’automne en même temps, tout s’annule et s’équivaut en une perpétuelle équinoxe... Bienvenue en Equinoxie !

08H30, bon, ça a l’air de se calmer un peu... Mais il reste une grosse houle croisée de deux mètres qui fait que nous sommes ballottés dans tous les sens. Il pleut un peu.

09H30, putain de dieu ! Je viens d’essuyer un grain, mais quelque chose de méchant. Des trombes d’eau avec un vent à décorner les bœufs. Je me suis mis en fuite pour ne pas prendre le risque de casser quelque chose. Cap au 300° le temps que ça passe... Apparemment il n’y a pas de dégâts.


10H55, avec pas mal de difficultés, je viens de prendre le ris n°2. Ça va tout de suite mieux. La Boiteuse se comporte mieux et je peux recommencer à lofer pour reprendre mon cap. Du coup, de 6 nœuds je suis passé à 4,5. Logiquement ça devrait le faire au niveau du timing. A vérifier lors du point de la mi-journée.
En tout cas, si un nouveau grain arrive, je serai prêt. Et c’était bien là le but de la manœuvre... En attendant la mer est très agitée et la houle croisée de plus de deux mètres.

12H00, bon ben c’est plutôt galère... J’ai bien avancé, à plus de cinq nœuds, mais un peu trop à l’Ouest. Il faut que je remonte de 20° au vent, et franchement le régulateur cassé et une houle qui n’arrête pas de grossir (plus de 2,5 m) ça devient chaotique. J’ai retiré trois seaux du compartiment avant à cause de la gîte.
Logiquement, atterrissage pour vendredi vers 14H00, si j’arrive à garder une moyenne de 4,5 nœuds, contre le vent au près.
Allez, plus que deux jours Gwen ! Serre les fesses, c’est bientôt fini.

15H00, je n’ai pas réussi à dormir... Fait suer ! C’est pas bon ça, parce que tel que je me connais, je ne vais pas arriver à dormir la nuit précédant l’atterrissage. Heureusement, j’ai encore de la ressource.
Dehors ça c’est un peu calmé. La houle a un peu diminué, mais reste erratique avec quelques déferlantes. J’essaye de faire sécher les coussins et le duvet, mais c’est compliqué. 1/3 de foc et deux ris dans la GV, la Boiteuse est en service minimum. Heureusement elle aussi en a encore sous le pied au cas où il faudrait accélérer un peu. On va attendre que l’océan se calme d’abord.

Brésil, me voilà !
15H30, Oups ! J’oubliais un truc ! Maintenant que nous avons doublé Fernando de Noronha, nous sommes dans officiellement en territoire Brésilien ! Et hop ! Hissez le pavillon de courtoisie !
Sans oublier d’y adjoindre le pavillon Q, comme vous le savez désormais tous maintenant (parce que vous êtes des lecteurs assidus et brillants).
Et rien que pour les filles, je me suis même fendu d’une petite pose aguicheuse...

18H00, au point de fin de journée les choses sont plus ou moins rentrées dans l’ordre.  Le cap est bon et la vitesse aussi, même si j’apprécierais de faire un demi-nœud de plus. Mais bon, je ne demande plus rien, Eole fera comme il l’entend. Si Môssieur pouvait juste s’abstenir de piquer sa crise cette nuit, comme il l’a fait les deux nuits précédentes, j’en serais ravi. Il reste très exactement 200 milles à parcourir.
Un petit peu plus de deux seaux retirés à l’avant. On gîte toujours terriblement et la mer ne se démonte toujours pas. Il y a deux trains de houle distincts. Un par le travers et l’autre au ¾ avant. Quand ce n’est pas l’un qui couche le bateau, c’est l’autre qui le stoppe comme si on rencontrait un mur...
Putain ! Décidément, je me serais fait chier jusqu’au bout !
La Boiteuse en prend plein la gueule, et moi j’ai la haine parce qu’une déferlante vient de prendre le bateau par le travers, trempant mon duvet qui avait mis tout l’après-midi à sécher. JE VEUX QUE ÇA S’ARRÊTE !!!

19H20, une bande de dauphins vient de surgir des vagues. Une vision féerique, magique, trop courte pour que je puisse la prendre en photo... Imaginez trois longs corps fuselés comme des missiles surgissant des flots déchaînés dans un ensemble parfait, recouverts d’or et d’argent dans le contre-jour d’un soleil couchant. Fabuleux...

Fin de la troisième partie qui commence à se faire un peu longue. Comme j’ai encore plein de chose à vous raconter, il y aura donc une quatrième partie...

Journal de bord

11 commentaires:

Thrse a dit…

et ben dis moi, la dernière photo est houleuse!!!!

Sinon, quelle aventure! Bien heureuse pour toi que tu arrives à tes fins!

Touline est en très grande forme à ce que je vois! Tant mieux! J'espère que ça lui aura servi de leçon!

Je t'embrasse et te souhaite une bonne journée!

cazo a dit…

J'angoissais à l'idée que j'allais attaquer le 3eme et dernier chapitre... Youpii !! Encore un à venir !!! Toujours aussi passionnant...

Ceci dit, l'écolo que je suis te dira que les mégots, c'est pas glop du tout !! Alors, vu le poids, je te prierais de bien vouloir les déposer dans une poubelle au port et non de les jeter (ni en mer, ni sur terre !!).

Allez, profite donc bien de ton séjour au Brésil ;-) !!!

Aude a dit…

La suite la suite la suite !!! :-)

Thomas a dit…

Le fer, le verre (la bouteille de Champomy), ça peut aller, c'est biodégradable, mais les mégots ! ...

Sinon qu'une traversée en mer soit une chose plus physique que spirituelle, c'est compréhensible, même si c'est un peu décevant. Peut être que l'aspect poétique viendra a posteriori, quand tu ne navigueras plus parce que tu auras trouvé le bonheur et une femme au ventre fécond, et que le souvenir de tes navigations stressantes se transformeront en périples métaphysiques.

Marie a dit…

Quel pro du teasing!
En tout cas, moi aussi je suis bien contente que, finalement, il y ait un 4eme recit a venir.
Et pour la nouvelle en-tete de ce blog, je ne peux que signer des 2 mains...

Gwendal Denis a dit…

@Thérèse : Que nenni, cette chatte est incapable d'apprendre...

@Cazo :Les mégots ni e mer ni sur terre ? Que faut-il que je fasse alors ? Je les mange ?

@Aude : Ça vient Aude, ça vient...

@Thomas : Peut-être en effet...

@Marie : Une quatrième et DERNIÈRE partie cette fois-ci.

Trinita a dit…

"07H50, tiens, j’ai pris un poisson cette nuit. La même mocheté que d’habitude, avec ses grandes dents."
Ca fait un peu lendemain de soirée arrosée. (Quand je dis arrosée...)
"19h35 (...) Tiens, il faudrait que je me dégotte une cloche (...)"
Ouais, ça c'est avant la soirée.

Dis, quand tu vides des seaux dans l'océan, tu penses à les vider à l'arrière, histoire de ne pas avoir plus de chemin à parcourir ?

cazo a dit…

Ah, maintenant je sais ce qu'est le tirant d'eau sur un voilier... c'est Gwen !! :-) !!

Gwendal Denis a dit…

@Trinita : Ça y est, Trinita a avalé un clown...

@Cazo : Et ils sont deux en plus !

'Tsuki a dit…

Tu as passé l'équateur au Champomy ?! Peuh !!!! :D

Récit passionnant, vraiment. J'attends d'avoir un coup de mou pour venir me ressourcer sur ton blog, et c'est comme ça que j'en profite le mieux.

Bises !

Gwendal Denis a dit…

@Tsuki : Ouais Madame, au Champomy ! C'est ma punition pour quinze années d'alcoolisme ! :-)