lundi 18 avril 2011

Un weekend à Sant Feliu

41°46.664N 03°02.135E
Port de Sant Feliu de Guíxols

Un dimanche matin...
J’aime bien Sant Feliu… La dernière fois que je m’y suis arrêté, le soir de la finale de la Coupe du Monde, ce n’était que pour une nuit et nous n’avions guère dépassé le périmètre du port. Pourtant si nous avions poussé au-delà de ne serait-ce quelques centaines de mètres, nous aurions découvert une petite ville au charme désuet, sans réelles fioritures, et pas totalement pourrie par le mercantilisme touristique. D’après ce que j’ai pu observer, Sant Feliu a une histoire ancienne suffisante pour avoir générée une petite bourgeoisie locale, et qui a due avoir son apogée fin XIXème, début XXème. On distingue donc pas mal d’art-déco, et quelques belles constructions dans le style arabo-andalous. Puis elle a subie un boum économique (donc architectural) aux alentours des années 70, mais sans vraiment que cela ne défigure trop l’ensemble. L’essentiel du renouveau architectural se situe près de la plage, mais si l’on s’aventure un peu plus loin on découvre des rues droites où les maisons en briques dépassent rarement plus de deux étages.

Il y règne en cette mi-avril l’atmosphère d’une petite ville de province. J’ai appris que la population de Sant Feliu ne dépassait pas les 20 000 habitants permanents, plus bien sûr l’inévitable vague d’émigration estivale. Mais là encore, pas trop d’ostentation dans le développement touristique. On a l’impression que Sant Feliu a pris sa part de la manne saisonnière, mais sans en abuser. Bref, c’est une petite ville tranquille qui n’a rien à voir avec la turbulente Barcelone 100 Km plus au sud, ou bien sa voisine Cadaques au nord, complètement vendue au marchands du temple.

El monastir
La vie y est étonnamment peu chère (pour moi), avec une exception notoire qui est le prix de la place de port. Celle-ci est de 29 € par jour pour un navire de 11 m, soit le même tarif qu’à Marseille. Sinon, à par ça, tout le reste semble de 25 à 30% moins cher qu’en France.

Bien sûr, on est en Catalogne… Ce qui fait que l’on parle essentiellement le catalan, et moi avec mon castillan scolaire j’avoue que je m’y perds un peu. Cela-dit je me rends compte que celui-ci revient assez vite. Je m’applique à m’adresser au gens dans leur langue, en faisant un effort sur la grammaire. Le vocabulaire lui, semble être resté inscrit sur mon disque dur, ce qui ne cesse de m’étonner après tant de temps sans réellement pratiquer la langue de Cervantès. J’ai eu cependant droit à une belle humiliation lorsque me rendant dans un bureau de tabac pour y acheter des clopes, je me suis mis à déclamer ma demande avec application et, le croyais-je, conviction. La mignonne jeune fille derrière son comptoir m’a tout de suite répondu en français !
Moi qui voulais me fondre dans le décor, je m’aperçois que j’ai encore du boulot…

Quand je suis sur le bateau, je mets la radio en fond sonore. J’ai trouvé une station locale qui diffuse des chansons en espagnole et pas trop de publicités. Je me dis que de me mettre ces sons dans l’oreille au quotidien ne peut qu’améliorer ma diction… Mais je me leurre peut-être. Je ne sais si je vous l’ai déjà dit, mais je trouve important pour moi de faire un effort pour parler la langue des gens chez qui vous êtes. C’est la première des politesses, déjà, mais ça aide également à comprendre la mentalité.
J’ai pas mal réfléchis à ça, et je m’aperçois que la langue unifiée qui caractérise la France, fait beaucoup pour sa propre mentalité, et notamment sa conception de ce qu’est un pays ou un état. Alors qu’un pays où l’on pratique plusieurs langues, a nécessairement une autre conception de ce qu’il est. Une conception moins unitaire sans doute, qui s’apparente pour moi à une espèce de schizophrénie. Comment peut-on appartenir à deux choses en même temps, un pays et une province, ça franchement je n’arrive pas à comprendre. Il y a forcément l’une ou l’autre de ces entités qui en pâtie dans cette histoire…

Courtoisie
Sinon, je dois vous avouer que sur le port je m’emmerde un peu. C’est probablement dû au fait qu’il n’y a que des bateaux assez coûteux qui ne se réveille de leur sommeil que lorsque viennent les beaux jours. Et encore, le weekend seulement. Pas de nomades comme moi, donc pas de possibilité de nouer des relations d’amitié et d’entraide comme j’ai pu le faire à Sète. Il y a bien le préposé de la Capitainerie avec qui je discute un peu, mais au bout d’un moment je vois bien qu’il a autre chose à faire qu’à combler mon ennui… C’est bien simple, j’ai scruté avec attention tous les mâts des bateaux et je suis le seul à arborer un pavillon de courtoisie. Je suis donc le seul étranger présent sur le port.

Alors pour m’occuper je vais me balader en ville. Samedi j’ai marché toute la matinée pour me poser finalement dans ce bâtiment magnifique qu’est le Nou Casino La Constancia. Une antique bâtisse du plus pur style arabo-andalou, où on a l’impression d’entrer dans un hall de gare avec plein de tables et de chaises en bois blanc qui contrastent avec le décor chargé des murs et des plafonds. Un comptoir immense occupe toute la largeur du bâtiment et l’on y peut déguster un cafe con leche au milieu des vieux qui lisent leur journal. Sans parler du wifi qui est disponible dans quasiment tous les bars et les restaurants… Gratuit, bien évidemment.

El casino de la Constancia
On est loin des connections publiques françaises, délivrée au compte-gouttes et jalousement gardées par les opérateurs qui ne les offrent que contre abonnement… Ici, j’ai une connexion, j’en fait profiter tout le monde. Et il ne viendrait l’idée à personne de demander de l’argent en échange. Belle leçon de lutte antilibérale.

Une autre chose qui m’a étonnée, c’est l’absence totale de policiers en uniforme dans les rues. Je vous jure qu’au bout de deux jours j’ai commencé à vraiment les chercher, mais impossible d’en trouver ! Autant à Barcelone je me souviens qu’il y en avait pas mal, et de plusieurs polices différentes, mais ici je n’en n’ai aperçu aucun. Ca fait tout drôle… On se rend vraiment compte que la France est quasiment devenu un état policier puisque la moindre bourgade, le moindre village, a maintenant sa police municipale surarmée et arrogante au possible. Ici, l’absence de nervis assermentés me redonne comme un souffle que je croyais perdu à force de croiser des uniformes à chaque carrefour. Et ce n’est pas pour me déplaire je vous l’avoue. Même si malheureusement, on ne s’aperçoit que quelque chose vous pèse, qu’une fois qu’on s’en est libéré…
D’ailleurs, on pourrait se demander à quoi servirait une police, lorsque les gens vous disent bonjour sans vous connaitre, et que les voitures s’arrêtent pour vous laisser traverser au passages cloutés alors que vous faites seulement mine de regarder de l’autre côté de la rue… A Nice, non seulement les voitures ne s’arrêtent pas lorsque vous manifestez votre intention de traverser, mais si vous vous aventurez tout de même sur un passage clouté, vous prenez le risque de vous faire engueuler à coup de klaxons mais également celui de vous faire couper en deux !

Samedi soir, séance cinéma sur la Boiteuse. J’ai visionné « Chat noir, chat blanc » de Kusturica. Là je dis : « Attention, chef d’œuvre ! ». Je ne m’étais jamais vraiment intéressé au travail de Kusturica, et je le regrette profondément car ce type est un génie. Merci donc à Cazo de me l’avoir fait découvrir.

Dictionnaire pour marin...
Dimanche, après un arrêt à la Constancia, et une petite conversation via Skype avec notre amie Monique, je suis allé au marché qui se trouve non loin de l’église du monastère. Nous sommes le dimanche des Rameaux, alors évidement j’y ai croisé moult bigots la palme à la main, des enfants endimanchés et des petites vielles pomponnées. J’avais oublié que nous étions dans la très sainte et très catholique Espagne… Le marché en lui-même n’a rien de particulier. C’est une foire à tout et n’importe quoi, sauf des produits alimentaires. Des sacs, des vêtements, des chaussures… On trouve les mêmes dans toutes les villes de France.
Par contre, à ma grande surprise j’ai beaucoup entendu parler français autour de moi. Alors que je suis là depuis deux jours, immergé dans le castillano-catalan, voilà que soudain mes oreilles se trouvent agressées par une langue bizarre et néanmoins familière… Vite, fuyons !
Et je me retrouve à la terrasse de mon café désormais habituel, devant un zumo de naranja et une assiette de rondelles de calamars frites. Ne croyez pas, oh lecteurs perfides, que je m’empiffre et m’engraisse tout du long de cette escale. C’est juste que je trouve que la cuisine est une part importante de la culture d’un pays ou d’une région… Et comme la langue, il faut la pratiquer assidument pour en saisir la finesse… Ca va, j’ai l’air crédible quand j’écris ça ? Blague à part, la cuisine espagnole est succulente et pas chère, donc moi qui suis gourmand et paresseux, j’en profite.

Casa de Salvamento
Sur le retour j’ai fais un détour par la vieille Casa de Salvamento qui surplombe le port. C’est ici l’ancêtre de notre SNSM, du temps où l’on allait secourir les naufragés à la rame et à la voile. De ce promontoire j’ai regardé un moment quelques bolides se disputer autour de trois bouées, puis je me suis rentré à mon bord pour m’y consacrer à une habitude là aussi typiquement espagnole : La sieste.

Au réveil, petit tour au bar du Yacht Club pour vérifier mes messages et j’en profite pour rafler au passage le journal du jour. La Vanguardia est en gros l’équivalent du Figaro en France. Il y a même un supplément saumon ! De droite bien sûr, parce que je pense que j’aurais eu du mal à dénicher une gazette de gauche en un lieu pareil. Je m’y suis plongé avec attention, avec le dictionnaire à portée de main. Dictionnaire qui a très peu servit, je vous le dis au passage. (Non j’me la pète pas ! C’est vrai !).
A la Une, normal, une photo du match d’hier au soir entre le FC Barcelone et le Real de Madrid (1-1). A la page deux ils attaquent fort avec une double page sur le cinquantième anniversaire du débarquement raté de la baie des cochons à Cuba. Gros plan sur les pontes décatis d’un régime à bout de souffle et descente en flèche de l’utopie communiste (ce n’est pas moi qui le dit c’est la Vanguardia). On enchaîne sur David Cameron au Royaume-Unis en difficulté avec sa réforme de la santé, la montée du populisme en Finlande, la gauche catalane qui fait elle aussi des primaires, un petit rappel sur les amitiés entre l’ex-premier ministre  Aznar et Gadafi (c’est comme ça que ça s’écrit ici), et puis…
Polychromie...
Oh tien ! Une double page sur l’interview de Pilar Rahola qui publie « La repùblica islàmica de España ». Ici aussi, apparemment ils ont leur Zemmour, et c’est une femme… Plus loin, pareil une double page, une interview du ministre de la santé qui dit en gros qu’ils n’ont plus d’argent et que les soins seront moins bien remboursés et que c’est comme ça… Plus loin encore, je tombe sur DSK et ce que le FMI va être obligé de faire, ou ne pas faire, pour sauver l’Espagne de la banqueroute. L’Ibex qui se casse la gueule… Une grosse tartine sur les célébrations du dimanche des rameaux avec une interview du pape en personne… Re-Strauss-Kahn et la Grèce… Et on finit avec Zapatero qui fait des mamours au Chinois.

Bon ben… C’est pareil qu’en France quoi ! Le pays s’enfonce de lui-même dans la crise, désigne des coupables pour détourner l’attention et en profite pour placer des réformes ultralibérales au passage… Tout pareil qu’en France !

Bon, la prochaine fois j’essaye de piquer un journal de gauche...

20H00, je popotte une omelette jambon-fromage que j’essaye de faire ressembler à une tortilla, mais sans grande réussite. Lavage des dents et au lit avec ma lecture du moment, Le cimetière de Pragues d’Umberto Eco.

Il y a un siècle
Et c’est ainsi que ce termine un weekend à Sant Feliu. Demain, la parenthèse se referme et les préoccupations du voyageur redeviendront miennes. Vous voulez que je vous dise ? Ça m’a fait du bien de penser à autre chose pendant un moment… Je crois qu’il faut savoir s’arrêter et regarder un peu autour de soi de temps en temps. La tête dans le guidon, c’est bon pour les coureurs, pas pour les flâneurs. Eux, ils ont besoin d’avoir le nez en l’air et les yeux qui vadrouillent… Et je crois bien que je ne suis pas un coureur finalement.

6 commentaires:

cazo a dit…

ça sent le carnet de voyage...

Toutefois, mon Ami, deux petites remarques :

Parler le Castillan en Catalogne (comme au Pays Basque) est souvent mal perçu, et les plus régionalistes préfèrent qu'un Français (= gabach = l'étranger, le non-catalan) s'adresse à eux en Français (voire in Inglès) que dans la langue ennemie de Cervantès. Alors, surtout, évite de dire castillano-catalan, là, tu frôles l'hérésie!! Mais c'est bien de faire l'effort... au moins pour toi.

Otra cosa : Aznar était 1er ministre PPE (Parti Populaire Espagnol : la droite), c'est Zapatero qui est du PSE (Parti Socialiste).

Mais surtout un grand merci pour la balade dans les rues de sant feliu... ça aère le cerveau des prisonniers de l'hexagone ;-) !! qu'il s'agisse d'épopée maritime ou d'immersion terrestre, toujours un grand plaisir de te lire... et de profiter de ton voyage !!

;-) !!

Gwendal Denis a dit…

@Cazo : Desculpe me, amigo mio ! Bon ok, s’il faut j’insulte les gens sans le savoir… Ça commence bien ! Cela-dit je crois qu’ils devinent assez vite d’où je viens et me pardonne volontiers cette faute de goût, ne retenant que l’effort fourni.

C’est vrai tu as raison j’ai confondu Aznar et Zapatero… Cela dit, quand tu lis les nouvelles tu te demande s’il est vraiment de gauche Zapatero ! Tien, ça me rappelle quelqu’un… Mais qui bordel ! Ah oui, ça commence pas un D et ça fini par un K !

Toujours pas vu un keuf…

philippe a dit…

c'est pas pour chipoter, mais c'est pas un pavillon de complaisance mais un pavillon de...courtoisie...
La bise

Gwendal Denis a dit…

@Philippe : Diantre ! mais c'est qu'il a raison le bougre ! Je ne sais pas d'où je sors ce mot là... Un lapsus sans doute. Complaisance : Action de s'accommoder au sentiment, au goût de quelqu'un pour lui plaire.
Mouais... On n'est pas très loin de la courtoisie finalement.

Monique a dit…

C'est pas pour chipoter, mais courtois et complaisant , c'est pas la même chose...

ça veut dire quoi? complaisance : on s'accommode de toi, on te tolère ...? oui, c'est ça...la tolérance ...c'est un mot que je déteste.
Enfin pour les relations humaines...parce que pour les pavillons..?

Dire aussi que j'ai eu le petit plaisir de visiter le café de San Féliu grâce à la caméra de Gwen et prendre mon petit déj' avec lui ...ouahh! le dimanche a bien commencé, en écho au précédent!

Pour le reste, on s'est tout dit et ton visage rayonnant valait bien une messe des rameaux !

Gwendal Denis a dit…

@Monique : En fait, je m’en suis souvenu après, les pavillons de complaisance sont les pavillons des paradis fiscaux… Panama ou les Bahamas par exemple.
Sinon oui, Momo a eut le rare privilège d’une visite guidée en directe-live de la Constancia. Vous n’avez qu’à vous lever de bonne heure si vous voulez la même chose ! Ou ne pas bosser, au choix… Voire même les deux à la fois !