mercredi 4 mai 2011

Galère, pêche aviaire et escale imprévue

Le lundi 3 mai 2011

40°52.777N 00°48.107E
L’Ametlla de Mar

Bon et bien j’ai eu le nez creux les enfants. Lorsque je suis allé signaler à la Capitania que je restais une journée supplémentaire, le Capitaine du port m’a dit que c’était là une sage décision car l’on attendait du Force 5 au large du Cap de Tortosa. Et que du F5 là-bas, ça voulait dire des vagues de folie soulevées par les hauts-fonds... Comme quoi hein ?
Non, sans blague, je suis assez content de moi sur ce coup-là. De la belle et bonne analyse croisée entre météorologie et topographie qui se trouve confirmée par les autorités locales, il y a de quoi se rengorger quelque peu. Souhaitons seulement que je sois aussi clairvoyant dans l’avenir.

Ce qui me rappelle une chose que je voulais vous dire depuis mon départ de Barcelone. Chose qui ne doit pas être si importante que ça sinon je m’en serais rappelé... Quoique. Depuis Barcelone donc, je navigue comme qui dirait en territoire inconnu.
Je veux dire que pour la première fois depuis le départ de la Boiteuse, celle-ci croise dans des eaux que son Capitaine n’a jamais connues. Comme elle d’ailleurs. Jusqu’à présent je connaissais la côte pour y avoir navigué au moins une fois, si ce n’est plusieures, mais maintenant la Boiteuse et moi sommes vraiment dans la découverte la plus totale... Cela a un côté exaltant quelque part, mais en même temps ça fout un peu la trouille. Mais c’est ça qui est bien.

A l'heure de la sieste
Sinon l’Ametlla de Mar n’a pas vraiment tenu toutes ces promesses. Certes la configuration de ce bourg placé sur un promontoire rocheux semblait prometteuse, mais en me promenant dans les rues je ne pouvais m’empêcher d’éprouver un certain malaise... Il y avait quelque chose qui clochait. Je ne savais pas si c’était la couleur blanche dominante des façades qui faussait mon jugement, ou encore l’entrelacs des ruelles qui semblait ne conduire à aucun centre logique, mais je n’arrivais pas à discerner une homogénéité architecturale dans cette petite ville.
Pas de site historiquement important, pas d’église vieillotte, seulement des maisons de moins de trois étages quasiment toutes de styles et d’époques différents... Sans parler du boum immobilier de ces dernières années qui voit germer autant d’horreurs architecturales qu’il est possible d’en commettre.

Triage
Et c’est en passant devant un panonceau pour touristes que j’ai eu l’explication de cette difficulté que j’avais à « ressentir » cette bourgade. En fait ici, avant 1860 il n’y avait rien. Seulement une cala qui fut un jour colonisée par un pêcheur de Valencia et qui s’enrichit au fur et à mesure que d’autres venaient s’y implanter. En dix ans un bourg était né. D’abord des cabanes puis quelques maison construites avec des matériaux non locaux, la ville ne due son essor qu’a une activité intensive de la pêche et les industries qui vont avec (conserverie et plus tard glacière).

Je ne prétends pas être un spécialiste en la matière, mais à mon sens il faut plus de 160 ans pour donner une atmosphère à un lieu. Certains diraient une âme. Et à l’instar des villes américaines, l’Ametlla de Mar n’en n’a pas.
Et c’est ça que je n’arrivais pas à ressentir.

Sinon l’escale s’est passée exactement comme je l’avais programmée. Juste dans ces moindres détails… Donc sans autres surprises.

Le mardi 3 Mai 2011

40°27.846N 00°28.488E
Vinarós

Petit matin
07H40, la Boiteuse quitte le port de l’Ametlla de Mar en même temps qu’un autre bateau français, le Cegyq, un ketch immatriculé à Toulon qui se rend à Melilla. La veille son Capitaine et moi avions échangé quelques mots sur le passage du delta et nous convenons de rester en contact radio en cas de problème.
Une heure plus tard il disparaissait à l’horizon, moteur à fond, alors que moi je décidais de faire route en profitant du petit thermique matinal. Je n’entendis plus parler de lui pendant toute la traversée.

Si j’ai hissé les voiles c’est parce que je suis parti sans avoir refait le plein de gasoil et que je sais ne pouvoir disposer que de huit heures de moteur… Alors autant les conserver en cas de coup dur.

Sous voile
La navigation n’est pas évidente. Je déteste ces terres plates comme la main, où seuls quelques phares isolés servent de repères. En plus comme je n’ai toujours pas réussi à reconnecter mon GPS à mon lecteur de carte (William au secoure ! Répond à mon mail s‘il te plaît !), je suis obligé de faire ça à l’ancienne et de façon beaucoup plus rapprochée dans le temps. Un point toutes les heures que je reporte systématiquement sur la carte papier pour suivre ma progression.
Le vent, un petit F2 du Sud-ouest, ne m’aide pas vraiment puisqu’il me vient quasiment dans mon cap… Je suis obligé de tirer des bords de près serré, et de virer régulièrement pour ne pas trop m’éloigner vers le large ou trop me rapprocher des plages ou je distingue très bien les rouleaux qui viennent s’y briser.

Pour passer le temps plus que me remplir l’estomac, je décide de laisser traîner ma mitraillette derrière la Boiteuse. A peine l’avais-je jetée à l’eau qu’une mouette se précipite dessus et se prend dedans. Et merde… Au bout d’un petit moment elle arrête de se débattre et flotte lamentablement dans mon sillage pendant que je remonte la ligne le plus vite possible. Je la hisse à bord, m’en saisi et essaye de dégager les hameçons du leurre. L’un est pris dans sa « narine » et l’autre lui a carrément transpercé l’articulation de l’aile.

Une prise !
La bête se défend à coup de bec et bientôt mon sang se mêle au sien… Mais elle semble vite comprendre que je ne lui veux pas de mal et se laisse alors faire pendant que je décroche les hameçons. Ce sont de gros hameçons et j’ai l’impression d’être plus un boucher qu’un chirurgien. Mais j’y arrive quand même et la relâche alors. Elle prend son envol sans avoir l’air d’être vraiment handicapée, et je me sens alors soulagé. N’empêche que c’est très con une mouette. Même si, après vérification dans la documentation gracieusement fournie pas Cazo, je me rends compte qu’il s’agissait en fait d’un Goéland d’Audouin. Une espèce relativement rare et endémique du delta de L’Ebre.

El Cabo de Tortosa
11H00, je passe enfin le Cap de Tortosa, une espèce de tour d’aluminium improbable perdue en pleine mer. A partir de là, je n’ai plus qu’un bord à tirer pour filer droit sur Peñíscola qui est mon port d’arrivée pour cette étape.
Le vent se renforce et des virgules blanches apparaissent sur la crête des vagues. J’essaye de serrer mon près le mieux que je peux pour éviter la côte, mais la dérive m’en rapproche à chaque fois un peu plus. Je suis obligé de virer de bord pour m’en écarter assez régulièrement… 35° de gite, 12 mètres d’eau sous la quille seulement, la mer du vent qui se heurte à la houle, les chalutiers à la con qui ne changeraient pas leur route pour tout l’or du monde, des palangres et des casiers un peu partout… Bref, ce fut une navigation un peu compliquée et je suis ravi de ne pas l’avoir tentée la veille.

14H20, mon pilote rend l’âme.

Les batteries sont mortes. Plus un poil de jus… Déjà ? Me dis-je. Le pilote n’a fonctionné que cinq heures et il m’aura tout pompé ? C’est pas normal…
Bon, c’est pas grave je me dis, j’allume le moteur et on va recharger tout ça…
Sauf qu’au bout de deux heures je suis bien obligé de constater que les batteries ne se rechargent pas. Putain de bordel de merde !

Pendant un moment j’ai été complètement abattu. Je ne vois pas d’autre façon de vous décrire cette période par laquelle je suis passé, où je me disais que j’en avais marre, que je voulais tout arrêter. Je me disais que toutes ces pannes à répétition ne pouvaient être que des signes pour me dire que je faisais fausse route. Que mon futur n’était pas de naviguer, que je ferais mieux de tout laisser tomber et de rentrer chez moi… Bref, j’ai passé un sale moment dans ma tête.

Peñíscola
Mais pendant que je déprimais, la situation méritait tout de même que je prenne quelques décisions.
Peñíscola est à 20 milles, j’avance à 3,5 nœuds avec le vent et la mer contre moi… Un rapide calcul me fait vite me rendre compte que je n’arriverais à Peñíscola que vers 21H00 et avec une marge extrêmement réduite en carburant. 45 minutes, c’est trop peu. Il suffit que je me plante sur le cap ou que je doive tourner dans le port avant de trouver une place et je risque de me retrouver à sec.

Aussi, je décide de me replier sur un port plus proche, Vinarós. Je l’avais déjà repéré lors de la préparation de ma navigation et je devrais pouvoir le rejoindre vers 18H00... Donc, cap sur Vinarós. Tant pis pour le charmant site de Peñíscola que je me proposais de vous faire découvrir (c’était ça la surprise), mais là les circonstances font que je n’ai pas le choix. Enfin si, je l’ai, mais il serait par trop risqué pour moi et mon bateau que de vouloir à tout prix vous (et me) faire plaisir.

Vinarós
Je suis arrivé à Vinarós à 18H55. La jauge de carburant m’indiquant qu’il me restait moins d’un quart du réservoir. Mais bon, comme c’est une menteuse patentée je préfère me fier à mes calculs…

Le marinero du port m’a accueillit sans aucune formalités. Il m’a aidé à m’amarrer, m’a filé les clefs pour les douches et l’entrée de la marina et m’a dit que pour les papiers on verrait ça demain… Ça tombe bien, je suis crevé.
Malgré ma fatigue, je me suis changé pour me mettre en quête d’un supermarché et d’un bureau de tabac. Ben oui, sur ces plans là aussi j’étais juste. Heureusement en moins d’une heure j’avais trouvé de quoi bouffer et fumer.

Je me suis couché sitôt après avoir diné pour me réveiller huit heures plus tard dans ce port à peine entrevu la veille et encore plongé dans le noir de la nuit.

Pour m’aider à y voir plus clair je me suis mis à mon clavier pour vous raconter un peu tout ça. Hélas, pour une fois la thérapie épistolaire n’a pas fonctionné. Je ne sais toujours pas ce que je vais faire. Je ne sais pas si je vais continuer vers Valencia (72 milles en deux jours) et tenter de réparer là-bas, ou si je vais rester ici pour le faire. Je vous dirais ça après avoir discuter avec le Capitaine du port…

Ah oui, j’oubliais un truc. J’ai quitté la Catalogne et je me trouve maintenant dans la Communidad Valenciana. Et croyez-moi, à l’oreille cela s’entend !


Le mercredi 04 Mai 2011

40°27.846N 00°28.488E
Vinarós

Bon, après mûres réflexions et discussions avec les autorités du coin, j’ai décidé de faire relâche une journée à Vinarós.
En effet, je pourrais tout à fait (je pense) rallier Valencia en deux jours de nave, mais cela me ferait arriver jeudi soir. Avec un peu de bol je n’aurais pas d’électricien sous la main avant le lundi suivant, comme pour Sant Feliu.
De plus, j’ai déjà repérer la Nautica du coin, le prix de la place est correcte et j’ai internet sur le bateau (pour une fois je n’ai pas à me déplacer pour me connecter).
Donc j’ai payé pour deux jours et on va voir ce qu’on peut faire pour faire avancer mes petites affaires.

Allez, je vous envoies tout ça, et je me mets au boulot…

Goéland d'Audouin

Un dragon m'a survolé...

Addenda 12H49 : C’est bon, j’ai vu un mécano et il semblerait que ce n’était qu’un fil débranché. Je dis bien, il semblerait. C’est l’avenir qui vérifiera cette assertion.
Vous savez quoi ? J’échangerais volontiers mon BTS en Production Forestière contre un CAP en Électromécanique…

8 commentaires:

Monique a dit…

Allons allons tu vas pas te laisser décourager pour un tas de ferraille !!

Peut-être faudrait-il trouver un vrai bon mécano qui te fasse une vraie bonne révision ?
Ce que tu avais prévu de faire avant le départ ...

Allez, courage ! on attend la visite de Péniscola (avec un nom pareil, tu ne vas pas nous laisser trop longtemps désirer..!)

Gwendal Denis a dit…

@Monique : Bon le problème est provisoirement réglé. Et en même temps je viens de recevoir le diaporama de Francky, alors le moral est remonté en flèche !
Pour Peniscola, je crois qu’on va faire l’impasse car le port n’a pas de place d’accueil. Mais bon j’essaierais de passer assez près des falaises pour faire de bonnes photos, promis !

Anonyme a dit…

Bonjour Gwen,

Je suis depuis le début de l’aventure un lecteur silencieux et invétéré du blog de la boiteuse et pour cause elle provient de mon bercail des Marines de Cogolin.

L’homme m’a plu et j’ai trouvé l’objectif ambitieux et à la fois mesuré, plein de doutes et d’espoir, bref presqu’une thérapie.

Le parcours a réellement commencé depuis peu en eaux inconnues et je comprends les interrogations et les prudences qui s’imposent.

Bravo pour cette authenticité, merci pour la régularité et la qualité du vécu.

Juste puis je me permettre une suggestion sur un sujet qui me turlupine régulièrement et dont je me serais voulu de ne pas en avoir parlé.
Au sujet des deux mouillages de 20M dont tu as fait mention il y a bien longtemps sur ton blog.

Pour le moment la boiteuse va de port en port mais il est presque certain qu’un jour en cas de besoin ou d’avarie il y ait lieu de faire un mouillage forain et je pense que 20 M pour un mouillage principal en cas d’urgence n’immobilisera pas cette belle Boiteuse déjà lourde en soi par rapport à sa taille et de surcroit bien chargée de tout ce dont tu as besoin pour ce périple.

20 M de plus sur le mouillage principal te rendraient plus serein en cas d’urgence même s’il y a un mouillage supplémentaire.

Bon OK je m’occupe de ce qui ne me regarde pas mais il fallait que je me libère de cette inquiétude.

En attendant profite, continue à prendre et faire le bien autour de toi.

Je retourne dans ma tanière de lecteur silencieux et veille sur vous deux avec sérénité

Denis

Thrse a dit…

Et bien mon cher Gwen, tes péripéties me passionnent! J'aime beaucoup ta pêche! Elle est très belle!
Plaisanterie mise à part, la vie est faite d'embûches et moi, plus j'en ai pour atteindre mon objectif, plus je m'accroche! C'est à dire que je ne veux pas donner raison à ceux qui me contre tout le temps. Je me dis : ha oui, et bien vous allez voir!
J'aimerai tu en fasses de même car sinon tu auras toujours un goût d'inachevé... Et ensuite tu t'en voudra tout le reste de ta vie.
Je me range également aux côtés de Monique pour dire que tu devrais faire faire une bilan à la boiteuse par un professionnel pour ta tranquillité...


Je t'embrasse bien affectueusement mon Gwen, et bon courage!

Gwendal Denis a dit…

@Denis : Bonjour ! Non bien au contraire j’apprécie toujours les conseils quels qu’ils soient et d’où ils viennent. Pour répondre à ton questionnement, j’ai déjà renforcé mon mouillage. Le principal fait 30 m de chaines plus 30 m de cablots. J’y ai adjoint un second mouillage de 20 m + 20 m. Avec ça je pense que ça devrait suffire.
A moins de rajouter 10 m à chacun ?
En tous cas merci d’être fidèle à la Boiteuse.

@Thérèse : T’inquiète, ça va mieux. J’en aurais d’autres des moments de découragements et il faudra bien que je fasse avec.
Pour le bilan, à moins que je tombe sur un mécano qui bosse gratis on va devoir faire avec les moyens du bord… Mais bon, je croise les doigts et on va dire que cette fois ci ça va marcher !

Lucifer ! a dit…

quoi ! tu appelles William à la rescousse ! mais ne sais-tu pas que ces jours-ci il était très occupé ...Avec Kate ,il ne pouvait échapper à ses obligations !

c'est vrai, tu es excusé;
En aventures ,tu es servi !
incompétente en la matière,je me garderai bien de poser un jugement,
pourtant je crois que tu t'en tires très bien ;sans oublier d'apprécier les beaux moments.
Salut à ton beau goêland, si tu le revois .
je dois t'avouer que j'ai eu un peu peur en te lisant ...peur que tu ne dévores ce malheureux animal.
ouf! heureusement qu'il y avait ton merveilleux cassoulet !

cazo a dit…

Il en va de la vie comme de la voile... la vie en couple révèle les petits défauts de chacun avec lesquels il faudra compter, et les insuffisances qu'il faudra pallier sinon corriger !! Mieux vaut toutes ces galères en début, qu'en pleine traversée, loin de tout.

Au lieu de faire le mauvais élève à rêvasser sur les nuage, tu ferais mieux de potasser "trucs et astuces de bord" de Jacques Damour, ça pourrait peut-être t'aider à éviter de passer un cap d'électro-méca diesel (amazon.fr, € d'occaze..)!!

Je constate avec plaisir que la précieuse documentation que nous t'offrîmes s'est révélée d'une importance capitale pour attester de ta réelle pérénigration voilière, car, sans cette identification indiscutable de la capture d'une espèce endémique attestée d'un cliché, quel crédit pouvions nous accorder à tes récits et à tes autres clichés, à l'époque du net à tous les ports ??

Bonne escale... profite... pratique la philosophie de l'aïkido...

;-) !

Gwendal Denis a dit…

@Lucifer : Figure toi que lorsque je l’ai pris dans les bras, je l’ai trouvé étonnamment léger… Et je me suis dit (et c’est vrai) qu’il ne devait pas y avoir grand-chose à bouffer sur cette pauvre bête !

@Cazo : Je propose qu’à la fin de cette aventure (s’il y a une fin), on me décerne un prix honoraire de démerde. En plus de celui d’ornithologue averti.