vendredi 15 avril 2011

Retour à Sant Feliu

41°46.664N 03°02.135E
Port de Sant Feliu de Guíxols

Ça, c'est ce qui était prévu...
Bon, nous voilà en Espagne… Pas tout à fait à Barcelone mais presque. Mais bon, qu’est-ce que 47 malheureux milles nautiques comparés à ces quelques centaines de milles que nous avons déjà parcourus la Boiteuse et moi ? Pas grand choses finalement.

Il est six heures du matin ce vendredi et je me réveille après presque douze heures de sommeil. J’étais vanné. Mort.
Ces dernières quarante-huit heures ont été éprouvantes pour mon organisme, autant bien physiquement que psychologiquement. J’avais besoin de récupérer, et je dois bien le dire, la Boiteuse aussi.

Tu viens d'où toi ?
12H20 ce mercredi, je décolle doucement du quai des plaisanciers du port de Sète. Marc et William sont là et saluent la Boiteuse, lui souhaitant bon vent et bonne mer. Je double les ruines du vieux fort de St Louis, petit arrêt au ponton des carburants, et je m’engage alors vers la sortie du port. Le vent  a soufflé fort toute la matinée, et par précaution j’ai pris un ris dans la Grand-voile. Cap au 185°, la Boiteuse file ses 4 nœuds… C’est bien.
C’est bien pendant cinq minutes puisque nous nous retrouvons presque aussitôt dans une pétole molle… 15H10, je n’ai pas avancé d’un poil. Sète est toujours là, dans mon sillage, désespérément proche. J’allume le moteur et décide de filer vers le large à la recherche de vents un tantinet plus forts.
Ah ouais quand même...
16H30, je m’offre une petite collation. Des croquants de Provence trempés dans le café. Mmmm… Je ne sais pas qui les a apportés le weekend dernier, mais je l’en remercie parce que je me suis régalé !
Je distingue de moins en moins la côte au fur et à mesure que je m’éloigne, d’autant que le ciel reste voilé par des nuages d’altitude. Plus le soleil pâle descend vers l’horizon, plus la température baisse. Je croise quelques chalutiers qui rentrent à toute vitesse sur Sète pour y vendre le produit de leur pêche. Au loin, à travers une trouée nuageuse j’aperçois les sommets pyrénéens enneigés… Quand je pense qu’il n’y a pas si longtemps c’étaient ceux des Alpes que j’admirais, je me dis qu’on a déjà fait pas mal de chemin la Boiteuse et moi. Et ce n’est qu’un début !

Good bye Sète !
Sur ma route, il y deux caps assez redoutables, le cap Bear et le Cap Creus. Et comme à priori je devrais les passer dans la nuit, j’ai décidé de mettre de la distance entre eux et moi. 10 milles me semble un minimum. Je passerais donc largement au large.
Je m’occupe comme je peux. Depuis un moment j’essaye de formuler mes idées à haute voix et en espagnol. C’est qu’il quand même grand temps que je m’y remette, non ? Je rame un peu, mais j’ai le dico à portée de main pour combler les manques. Tien, saviez-vous que la Boiteuse en espagnole se dit la Coja ? J’aime assez.
C’est drôle, mais moi qui ai poursuivit des études de science, je m’aperçois que devenu adulte je me révèle plutôt doué pour les langues. A moins que je sois tout simplement doué pour me faire comprendre en général, ce qui peut à la rigueur revenir au même… J’ai hâte de découvrir de nouvelles langues étrangères. Oh, je ne veux pas dire que j’ambitionne de les parler toutes, mais au moins quelques mots… A commencer par la traduction de La Boiteuse dans toutes les langues possibles et imaginables !

Là ! Une risée droit devant !
19H20, j’ai fini le Corto Maltese que Bourreau m’a offert. Ca fait des heures que je n’ai croisé personne. La Boiteuse, la mer, le ciel, et moi.

20H00, c’est bon, on arrête la marche au moteur et je sors le foc. 4,6 nœuds au près bon plein, le bateau gîte un peu mais cela reste confortable.
Le soleil se couche… Je profite des derniers moments de lumière pour manger (Quatre quart et chocolat) et je me prépare pour la nave de nuit. Par-dessus ma tenue (pantalon, T-shirt, polaire, coupe vent) j’enfile mon ciré complet. Je mets mon gilet de sauvetage et j’allume les feux de route. Lampe frontale sur le front (ben oui !) nourriture, eau à portée de main. Plus un fascicule pour m’aider à identifier les lumières de la nuit. Je suis prêt.
Je m’installe confortablement, sans oublier de m’attacher et je commence à somnoler pendant que la Boiteuse file sous la lune à moitié pleine. Il fait de plus en plus froid.

C'est ma copine...
22H00, une zone de calme fait battre la bôme et claquer les voiles. Mon bateau souffre et se plein d’être balloté en tous sens par la houle sans avancer… Je rallume le moteur.
Minuit, je repasse de nouveau à la voile. Un petit vent du Sud-est force 2-3 nous pousse à 3-4 nœuds… Tranquille, idéal pour passer la nuit. La température à encore baissée et je décide d’utiliser les grands moyens. Je sors mon duvet de la soute avant, celui-là même qui me protégea si bien lorsque je dormais dans la neige du plateau d’Albion, je l’ouvre en grand et je m’en couvre. C’est tout de suite mieux… Tellement mieux que je crois que j’ai bien dormi. D’abord par tranches de 45 minutes, me réveillant pour jeter un œil sur le compas, le pilote et faire un tour d’horizon. Pas ou peu de monde sur l’eau. De temps en temps un cargo au loin, ou un paquebot, mais rien qui ne vienne entraver ma progression.
Puis entre trois et six, je ne me souviens pas m’être réveillé… Quand j’y repense, Je me dis que c’est pas bien… Heureusement qu’il n’y avait pas grand monde sur les flots. Pourtant j’ai quand même le vague souvenir, à un moment, d’avoir sorti la tête du sac et d’avoir fait mon petit tour, la tête dans le cul et les yeux embrumés.

Le soir...
Six heures, là je me réveille pour de bon, et pour cause mon pilote vient de rendre l’âme. La batterie est vide de chez vide… Je fais le point et constate que je n’ai pas beaucoup avancé pendant la nuit. Je suis à 19 milles du cap Creus, un peu en dessous du cap Cerbère. Ce qui veut dire que je viens à peine de franchir la frontière et que je me trouve dans les eaux espagnole (c’est déjà ça !).
Bon, résumons-nous : Le pilote dort à son tour, c’est donc à moi de barrer. J’allume le moteur pour recharger la batterie et avec les voiles j’arrive à une bonne moyenne de 6,5 nœuds. La houle s’est levée pile dans mon cul, ce qui fait que j’enregistre parfois des surfs à 8 nœuds ! Mais la Boiteuse elle n’aime pas qu’on la pousse au cul… Elle est chiant à barrer que c’est peu de le dire. Un poil trop à bâbord elle empanne (comme un virement de bord mais avec le vent dans le dos), un poil trop à tribord et je me retrouve travers à la houle à jouer les bouchons de liège. Le roulis fait valdinguer des tas de choses dans le carré. Dans les équipets j’entends des bruits de fracas… Bref, je ne suis pas à la fête.

... le matin !
10H00, il est temps de prendre une décision. La batterie peine à recharger et donc le pilote est toujours HS. Moi je commence à fatiguer et la Boiteuse souffre elle aussi. Si je continue à ce train-là (encore faut-il), je n’arriverais pas à Barcelone avant 22H00 (peut-être). Donc, on oublie Barcelone pour aujourd’hui car arriver de nuit et barrer tout ce temps ne me tente guère. De plus, je me dis qu’il faut vraiment que je m’occupe de cette histoire de batterie avant que de poursuivre ma route… Il faut que je puisse compter sur mon pilote un peu plus que dix-huit heures d’affilé.
Donc, on va où ? Aussitôt l’idée de retourner à Sant Feliu s’impose. Je connais le port, je sais qu’il est abrité et pas trop cher… Là-bas je serais en sécurité.

Sale gueule...
Cap au 240°, direction Sant Feliu de Guíxols. J’y suis arrivé pile à 15H00 alors que les cloches de l’église sonnaient trois coups. Je m’amarre au ponton d’accueil et me dirige vers la Capitainerie nichée dans les rochers (voir l’article de l’année dernière sur Sant Feliu et la finale de la Coupe du Monde). Coup d’œil dans le miroir avant que d’y aller : J’ai une tête à faire peur.
Je suis accueilli par une dame charmante qui parle beaucoup mieux le français que moi l’espagnol. Je m’enregistre et lui demande alors s’il y a le wifi sur le port. Si, claro ! Et en plus c’est gratuit !
C’est gratuit ok, mais il semblerait que mon ordi ait un peu de mal à se connecter. Je cherche pendant une heure et demie comment faire, mais en vain.
17H00, je n’en peux plus. Mes yeux se ferment et je ne sais même plus ce que j’essaye de faire avec ce putain de clavier. Je décide de m’allonger pour une heure ou deux avant que de chercher le moyen de vous contacter. Ben oui, je me dis que vous devez vous demander où j’en suis…

Surf à 8 nœuds !
Cinq heures plus tard on frappe à la porte. Enfin, sur la coque si vous préférez. Le gardien s’étonnant de me voir là me demandait en catalan pourquoi je n’étais pas dans l’ordinateur du port… Grrrr !!!
Los papeles son a la oficina del puerto ! Lui dis-je.
Ça a l’air de lui convenir comme réponse… Je regarde l’heure. Putain, 22H25... Trop tard pour sortir en ville à la recherche d’un cybercafé. Tant pis, on verra ça demain.
Et je retourne me mettre bien au chaud sous ma couette.

Ce matin, si l’on excepte l’interruption inopinée du gardien de nuit, on peut dire j’ai fais le tour du cadran. Waouh ! Ca ne m’était pas arrivé depuis… Je ne sais pas, depuis au moins vingt-cinq ans !

Déjà-vu
Là je termine de vous raconter cette histoire et je vais me faire un peu beau… Puis je vais aller en ville pour trouver de quoi vous envoyer tout ça. Ensuite j’ai dit au chantier du coin que je passerais les voir dans la matinée. Le patron est français ce qui va me faciliter les choses, et nous allons voir ce que nous pouvons faire pour rendre la Boiteuse un peu plus autonome en énergie…
Et puis je crois qu’il va me falloir revoir mon programme de navigation… Ce matin, il m’apparaissait presque comme une évidence que tenter de rejoindre les Canaries dans ces conditions et avant la fin du mois serait une grosse connerie. Donc je crois que… Non, il faut que ça murisse encore un poil. Mais dès que c’est prêt dans ma tête je vous le dis, promis !

Allez, sourions en ce beau matin gris et froid ! La Boiteuse est en Espagne et c’est déjà pas mal !

Le calme... Enfin !
 


9 commentaires:

Thrse a dit…

Et bien! Que d'aventures! Il est vrai qu'il faut que tu trouves une solution, mais pour ma part, je trouve que tu t'en sort vraiment très bien!

Bon, d'accord, t'as la tête d'un marin, mais bon, on te reconnait tout de même, faut pas exagérer! Sinon, je vois que le teint marin gagne ton visage! Tu commence à avoir la peux tannée... Si, si!

Je t'embrasse fort et te souhaite bonne chance dans tes investigations et dans tes futures aventures!

Bisous!

Gwendal Denis a dit…

@Thérèse : merci Thérèse, je sens que ça va le faire... Et si ça ne le fait pas au fera autrement, voilà !

Philippe a dit…

Bravo le Gwen, on est fier de toi.
Bises

cazo a dit…

C'était quoi ton école au fait, l'école des "gwen lents" ??...

Oh ça va, les afficionados, cessz donc vos huées, ce n'est qu'un très mauvais jeu de mots !!

L'important, c'est le chemin, et je constate avec plaisir que malgré les apparences tu gères de mieux en mieux ton cheminement...

;-) !!

Anonyme a dit…

muchas felicidades pela 1era parte del camino hasta pronto mas una vez....

Gwendal Denis a dit…

@Philippe : Moi, pas tant que ça… mais ce qui est bien c’est que je ne peux que m’améliorer ! Donc, patience…

@Cazo : Ah Ah Ah… T’as fait l’école du rire, c’est ça ? Et puis comment ça « malgrès les apparences » ? Tu veux dire que j’ai l’air d’un jean-foutre ?
Et bien tant pis ! En attentant le jean-foutre il déguste une limonade glacée à ta santé au cœur d’une charmante bourgade au charme désuet. Et il se tâte entre les beignets de morue et un pulpo a la gallega… Vaste dilème… Héhéhé ! Pas mal hein ?

@Anonyme (DP ?) : Claro que es solamente la primera parte… MaÑana sera una otra esperiença, y una otra, y otra… Y todas componen el camino de la vida.
(Sin dicionario !)

cazo a dit…

Zut, je viens juste de lire tes commentaires... mais j'avais déjà glosé sur ton dernier papier... si j'avais su !!

;-) !!

"Malgré les apparences" faisait référence à tes déboires, au sel qui met du piment dans ton chemin... nada màs ! Et je trouve que Môssieur gère avec aisance...

'foiré !!

;-) !

Gwendal Denis a dit…

@Cazo : C’est clair que depuis le début de cette affaire, je pédale pas mal dans la semoule… Mais bon, je fais au mieux, et en toute honnêteté, je trouve que je m’en sors pas trop mal finalement.

Monique a dit…

Juste un bisou à la volée!