Où en étais-je ? Ah oui, par la suite donc, il me fallut attendre vingt ans pour remettre les pieds sur un bateau...
C’est pas banal la façon dont ça c’est passé... A l’époque, nous étions en 2000, je picolais pas mal. Bon, allez, on va arrêter la pudeur mal placée (on n’est pas là pour ça après tout) et disons-la carrément : J’étais alcoolique.
Un vrai, un pur un dur. Un pour qui le seul et unique carburant permettant de le faire avancer dans la vie était l’alcool.
Bon, je ne vais pas m’appesantir sur les raisons qui m’ont conduit à une telle situation... Les plus perspicaces d’entre vous n’auront qu’à lire entre les lignes. Le fait est que ma vie de l’époque tournait plutôt en rond. Boulot-picole-dodo-picole-boulot, etc... Et comme souvent dans ces situations ma famille tentait maladroitement de m’aider.
Une des ces façons maladroites fut de m’inciter à ne pas rester enfermé chez moi pendant mes congés. Je buvais déjà pas mal pendant la semaine, mais je ne vous raconte pas les doses que je m’enfilais lorsque je ne travaillais pas !
Je me suis vu donc offrir, une fois par an, un stage de ce que je voulais... Un break, un séjour, bref une occasion de sortir de chez moi et de me changer les idées.
Tout naturellement je me tournais vers cette activité qui résonnait encore dans le fond de mon cœur, la voile.
Donc à partir de 2000 j’ai commencé à suivre les stages de formation des Glénans, me partageant chaque année entre Marseillan dans l’Héraut et Bonifacio en Corse.
J’ai appris assez vite... Enfin je crois. Difficile de se juger soit même dans ce domaine comme dans d’autres d’ailleurs. Le fait est que je suis arrivé en quelques années à ce que les Glénans nomment le niveau quatre voiles. A savoir celui qui précède le monitorat.
J’adorais ces moments sur la mer... Je me sentais bien. Je ne buvais pas, ou peu. Je trouvais des petites parcelles de bonheur dans le mouvement des vagues et le vent contre ma joue.
Ah ce vent... Ce moteur que je croyais invisible lorsque j’étais gamin, quelle révélation ce fut pour moi quand enfin j’appris à le voir... A le lire. A décrypter le moindre de ses signes. Grâce à lui, je savais où j’étais. J’avais la conscience aigüe de ma place à un moment donné. Là encore c’était magique !
Mais cette magie n’avait hélas qu’un temps... Dès mes périodes de voile finies, je retombais immanquablement dans ma solitude et ma dépression.
Puis s’ensuivit une période de ma vie que je vais avoir un peu de mal à raconter dans les détails... En gros, et pour faire vite, je suis arrivé au bout du bout de mon alcoolisme en même temps que je perdais ma mère. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est la convergence de ces deux événements qui me sauva. Je me suis soigné, j’ai repris du poil de la bête comme on dit. J’ai surtout réappris à m’aimer, et c’est bien ça le plus important.
En fait, dans la réalité, il m’a fallu des années pour me reconstruire... et j’ai été aidé en cela par deux choses.
La première ce fut, là encore paradoxe, un pépin de santé. Une vielle blessure datant de l’armée m’a immobilisé pendant trois ans, ce qui m’a permit de réfléchir sur moi-même, de me remettre en question sur bien des points, de découvrir les plaisirs de l’écriture et de commencer à imaginer ma vie future. (Oh ! Ca rime !)
Et la seconde chose qui me permit de sortir, et maintenir, la tête hors de l’eau, ce fut d’avoir hérité des moyens nécessaires pour faire ce que je voulais... Enfin, oui et non... Le bol que j’ai eu (si, quand même) c’est d’avoir hérité avec ma sœur d’un appartement. Le pas de bol c’est que nous avons voulu le mettre en vente un mois à peine avant la crise des subprimes. Vous voyez le topo ?
Résultat, l’héritage de notre mère nous a couté de l’argent pendant un an et demi ! Car c’est le temps qu’il a fallu pour réussir à le vendre ce foutu appart, et encore aux deux tiers de son prix initial...
Donc, pendant que je me soignais, j’imaginais ce que j’allais bien pouvoir faire avec cet argent lorsque celui-ci daignerait enfin à montrer le bout de son nez.
Et c’est comme ça que j’ai commencé à plancher sur mon projet de tour du monde.
C’est bizarre les coïncidences tout de même... Alors même que je me démenais comme un beau diable pour me débarrasser de ce qui avait pourri ma vie pendant mes quarante premières années, que j’apprenais peu à peu à savoir qui j’étais vraiment... Je me voyais offrir la possibilité de repartir à zéro. D’orienter ma vie dans le sens que je désirais.
Si c’est pas du bol ça ! Ouais, peut-être. Mais en même temps avec ce que j’ai pris dans la gueule, j’ai quand-même l’impression de l’avoir un peu mérité...
Alors bien sûr, je n’ai pas décidé de m’acheter un bateau tout de suite. Non c’est, comment dire, venu dans ma tête tout doucement. D’abord comme une supposition à faible coefficient de probabilité. Puis au fil du temps, à force d’y penser, le coefficient c’est amélioré. Je me disais, tien quand l’appart sera vendu, tu pourras faire ça... Tien, voilà bien un endroit où j’aimerais pouvoir jeter l’ancre... Rien de précis, de forgé. Des petits bouts d’impressions, des petites poussières de rêves qui commencèrent peu à peu à former un nuage... Mais pas un de ces nuages d’orage tout noir qui vous suivent comme dans les dessins animés. Non, c’était comme un nuage lumineux vers lequel je levais les yeux quand je voulais savoir où j’étais... Mon phare dans la tempête. Mon objectif dans la nuit. Celui auquel je pensais pendant les longues heures de rééducation.
Jusqu’à ce fameux jour du mois de mars ou je reçu un mail de ma sœur m’annonçant que nous venions de recevoir une proposition pour l’appartement.
A cette époque (déconne pas Gwen, c’était il y a un mois et demi !), j’étais en pleine « reconversion » professionnelle. C'est-à-dire que mon statut de malade étant arrivé à son terme, j’étais en train de suivre une formation dite de « redynamisation » destinée à ceux qui comme moi étaient resté éloignés trop longtemps du monde du travail.
Pas évident de monter un projet professionnel lorsqu’on a en permanence un petit nuage qui brille au dessus de la tête, croyez-moi. On a l’impression d’être coupé en deux, avec une partie de soi raisonnable et résignée qui envisage sérieusement de se réinsérer dans la vie « normale », et une autre partie plus timorée mais quand même extrêmement insidieuse qui n’aspire qu’à une chose : Prendre le large.
Comme vous vous en doutez, après ce fameux mail, la partie endormie c’est réveillée d’une force ! Au point d’occuper mon esprit quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je ne pensais qu’à ça.
Je suis quelqu’un de foncièrement honnête. Enfin je crois. Oh, je ne le suis pas par pure bonté d’âme, je le suis parce que je me suis rendu compte qu’au final ça rapportait moins d’emmerdements. L’honnêteté a un côté « pratique » en quelque sorte.
Alors, plutôt que de me prendre la tête avec mon dilemme et de l’intérioriser au point de devenir schizo, j’ai préféré poser cartes sur table. J’ai carrément proposé à la boite chargée de la formation, SPC (Strategy Partners Conseil) de m’accompagner dans le montage de mon TDM...
Et bien croyez-le ou pas, ils ont dit oui.
Ce qu’il y a de bien avec SPC, c’est qu’ils privilégient le projet de vie par rapport au projet professionnel. Et bien avec le mien ils ont été cohérents dans leur démarche. Pour mon plus grand bonheur, car même si je pense que de toute façon je me serais tout de même lancé seul dans cette aventure, ça fait du bien de savoir que j’ai toute une équipe pour m’accompagner.
Et donc voilà où j’en suis actuellement... Je prépare mon voyage, le nez collé contre l’écran de mon ordinateur, je parcours la toile à la recherche de tout ce qui peut m’être utile (ou pas !), et tous les deux jours je rejoins le groupe de l’atelier pour faire le point.
Mais là, aujourd’hui j’ai l’impression d’être encalminé dans la pétole. A l’heure actuelle, je pense avoir fait le tour du sujet... Enfin, je veux dire que j’ai déjà mis sur le papier les grandes lignes du projet, et sa chronologie approximative... Son coût également... Approximatif lui-aussi. Tout ça demande encore à être affiné.
Il ne me reste plus qu’à attendre de toucher les fonds pour lancer la machine...
Et attendre, c’est chiant.
On gamberge à fond les manettes. On se dit qu’on n’a pas fait le bon choix. On se dit qu’il n’est pas trop tard pour renoncer...
C’est ça la pétole. Le manque de vent. Vous n’avancez plus. Pire, si le courant ne va pas dans le bon sens, vous reculez...
Alors vivement que le vent se lève que je puisse continuer mon voyage.