14°27.377N 60°52.005W
Baie des Cyclones, Le Marin, Martinique
Partie 2 : La perte de sens
Comme raconté plus tôt, mon retour en
Terres Françaises fut salué par une grande claque dans la gueule.
Un retour plutôt fracassant à une réalité que je n'avais pas su,
ou pas voulu, envisager. Je n'étais pas aussi exceptionnel que je le
pensais, et je n'étais plus aussi jeune que je le pensais... Bref,
il allait me falloir encaisser tout ça. Le digérer, l'assimiler,
avant de pouvoir en tirer les conséquences, et avancer. Sauf que
dans mon cas, la digestion peut prendre du temps... En tous cas
celle-ci aura pris deux ans !
![]() |
La vue depuis mon bureau... |
Au début de ma digestion, je pensais
me retrouver devant un choix binaire. Soit je pliais l'échine, je
revoyais mes ambitions à la baisse afin de rentrer dans le rang.
Soit j'envoyais tout le monde se faire foutre et je continuais à
croire que de bonnes choses peuvent arriver dans ma vie... Et comme
souvent, j'optais pour la voie du milieu ; A savoir, se poser,
attendre, et voir venir tout en me tenant près, aussi bien à aller
pointer au RSA qu'à reprendre la route pour de nouvelles aventures.
Tel le Bouddha moyen, je me posais donc à la croisée des chemin, à
la fois attentiste et attentif. Et pour le coup, la marina du Marin
se trouvait être le lieu idéal pour ça.
J'entends ici et là dire des horreurs
sur la marina du Marin. Comme quoi ce serait un lieu de perdition, un
cimetière pour marin, un ghetto pour blancs, etc... Peut-être, pour
certains en tout cas. Mais probablement ni plus ni moins qu'ailleurs.
Et j'ajouterais que personnellement j'adore la marina du Martin. J'ai
tout ce dont j'ai besoin à portée de patte folle, ou à portée
d'annexe. J'ai mon bar, mon wifi, mes copains... Des techniciens
compétents pour mon bateau. Une relative sécurité en cas de
mauvais temps. Bref, si ce n'étaient les cyclones, la vie chère et
ces alizées de merde, ce lieu serait juste parfait pour moi, et j'y
finirais volontiers mes jours sans me poser de question.
J'ajouterais, avec circonspection, car je ne voudrais pas déclencher
une polémique, que la Marina du Marin représente un havre de paix
sur cette île en proie à un racisme ambiant qui franchement me
débecte.
Mais bon, à l'époque je n'en étais
pas encore arrivé à une telle conclusion et je tentais encore de
faire le tri entre mes désirs et la réalité...
![]() |
La chiotte toute moche |
Je me posais donc, et me laissais
ballotter par la vie. Et celle-ci ne m'épargna pas durant ce premier
été... J'attrapais le virus Zika, le moteur de La Boiteuse rendit
presque l'âme, mes haubans décidèrent qu'ils devaient être
changés, une chiotte toute moche débarquait dans ma vie, l'ouragan
Matthew me fila quelques sueurs froides et en août j'appris le décès
de mon père... Bref, l'été fut plutôt chaud, mais cette
succession d’événements plus ou moins dramatiques eut la vertu
première de m'empêcher de me poser trop de questions. Pendant ces
quelques mois je fus dans la réaction au lieu d'être dans l'action.
Je remettais à plus tard mes questions sur mon avenir à moyen et
long terme. Du coup le temps passa vachement vite... Et c'est aux
environs de Noël 2016 que mon cerveau se remis à fonctionner
normalement. C'est à dire à faire des nœuds !
Mercedes façon puzzle |
Avec la nouvelle année La Boiteuse se
retrouva quasiment comme neuve. Moteur refait, gréement changé, mon
fier navire était prêt pour reprendre la route. Par contre son
Capitaine lui, l'était beaucoup moins... J'étais au ponton depuis
un an, sans avoir navigué un seul jour, et franchement cela me
plaisait bien. Mais les gens que je croisais tous les jours me
posaient toujours la même question : « Alors, quand
est-ce le départ ? ». Je souriais, bêtement... Et je
répondais « Bientôt » ! Alors qu'au fond de mon
cœur, je n'avais qu'une envie ; Que l'on arrête de me poser
cette question ! J'avais envie de hurler à plein poumon que
l'immobilité n'était pas un pécher ! Que j'avais le droit de
me sentir bien ici ! Et puis que... (Non, ça je n'avais pas
vraiment envie de le crier sur tous les toits, mais c'était un rêve
que j'entretenais dans un coin de ma tête) J'avais encore l'espoir
de rencontrer quelqu'un. Quelqu'un de ma culture, avec les mêmes
questions que moi, et peut-être un projet de vie qui me donnerait
envie de reprendre la route puisque qu’apparemment je n'en avais
plus envie...
Le voyage de La Boiteuse semblait peu à
peu perdre tout son sens, et je me disais que peut-être, je dis bien
peut-être, si l'amour venait de nouveau à se présenter, et bien...
Il le retrouverait.
![]() |
Elle est pas belle la vie finalement ? |