34°57.786S
55°16.183W
Piriápolis,
Uruguay
Prologue
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A l'Est... |
Nous sommes le
dimanche 04 Août 2013, il est 08H00 et j'ai un problème. Bon, déjà
que j'ai dû encore courir dans tous les sens pour être prêt au
départ, voilà que mon moteur refuse de démarrer. Putain de bordel
de merde, pourquoi faut-il que j'oublie systématiquement de faire un
essai la veille des départ, hein ?
A vu de nez j'ai
l'impression que ça se passe au niveau du démarreur... Malgré
toutes mes galères mécaniques, je ne suis toujours pas un expert
diéséliste et je ne peux me fier qu'à mes seules impressions. Il
faut que je trouve une solution tout de suite, sinon je vais rater la
marée. Seulement nous sommes dimanche... et donc il m'est impossible
de trouver un mécano sur le chantier. Tant pis je vais réveiller
Laurent.
Lorsque je
débarque chez lui je suis dans mes petits souliers car le pauvre
dort encore. Mais Laurent est un type gentil comme tout et il accepte
de venir me filer un coup de main. On ausculte la bête, et
effectivement le souci vient bien du démarreur.
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Démarreur de puta madre ! |
Démontage,
nettoyage, essai... et remontage : Vroum ça marche. Sauf que la
courroie de mon deuxième alternateur (celui qui ne marche pas, ne me
demandez pas pourquoi) patine un peu. On en profite donc puisqu'on a
déjà les mains pleines de cambouis pour essayer de régler ça
aussi. De toute façon la marée haute est passée depuis belle
lurettes, alors autant s'occuper.
Il est maintenant
onze heures du matin et il faut que je trouve un arrangement avec la
marina. Contre toute attente le gars au bureau me dit que je peux
rester vingt-quatre heures de plus sans problème et lorsque je sors
un billet pour payer ma journée il m'envoie gentiment bouler. "No, se
passa nada". J'en ai les yeux qui piquent de gratitude.
Donc, départ
demain lundi. Je vais devoir plancher sur un autre plan de navigation
car la fenêtre ne me permettra plus de rejoindre La Paloma comme
prévu.
Le lundi 05 Août
2013 – Labourage et mise en bouche
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Il faut suivre les bouées vertes ! |
09H15 :
Wahou... Je me rends compte que cela fait un bout de temps que je ne
me suis pas remis en mode écriture, et franchement je ne sais pas
trop comment commencer. Je vais me préparer un maté bien chaud, et
on va voir si ça me remet les idées en place.
Voilà, je me sens
mieux. Je suis prêt à vous raconter ce départ tant attendu et
mainte fois repoussé d'Argentine.
A cause, ou plutôt
grâce au raté d'hier, je n'ai pas eu trop à me démener pour
préparer La Boiteuse ce matin. Tout était plus ou moins en ordre, à
part peut-être la Touline que j'ai dû aller récupérer sous la
capote du bateau d'à côté.
Décollage à
08H00, quarante cinq minutes après l'heure de marée haute. Je suis
à la bourre. D'ailleurs, elle n'est pas si haute que ça la marée...
Avec le vent d'ouest qui souffle depuis deux jours, quelque soient
les chiffres qu'annoncent les éphémérides, ils sont forcément
faux.
Les six premiers
milles se font au moteur, les yeux rivés sur le sondeur qui baisse
au fur et à mesure que j'avance vers l'embouchure du Rio Lujan. Je
m'applique à suivre ma trace laissée il y a quelques mois, mais les
chiffres continuent à décroître : 1,80 m, 1,70 m - Ça y est
je touche - 1,60 m... Là, je laboure la vase comme un paysan sa
terre ! J'ai une pensée émue pour mon antifouling tout neuf...
Mais ça passe. Une heure plus tard le sondeur commence à remonter
et je peux commencer à dénouer le nœud que j'ai dans l'estomac.
Je hisse ma
Grand-voile toute neuve avec deux ris et le foc en grand. Cinq nœuds
au grand-largue, c'est parfait. Cap au 110°.
10H00 : On
avance bien ! Je suis content. Il caille pas mal car le ciel est
couvert. Le sondeur affiche trois mètres de fond, je me sens plus à
l'aise.
Tout à l'heure
j'ai eu la surprise d'entendre Laurent m'appeler à la VHF. Il
voulait savoir où j'en étais. Et j'en suis à regarder les
buildings de Buenos Aires s'éloigner sans regret.
11H45 :
Malgré le soleil qui apparaît de temps en temps il fait toujours
froid. Le thermomètre indique 12°C, mais comme nous sommes au
portant il m'est impossible de me protéger du vent. La température
ressentie est donc bien plus basse... Je tente de passer le maximum
de temps à l'intérieur, mas étant donné l'endroit où je me
trouve ce n'est pas très prudent. Ça grouille de ferry à grande
vitesse par ici.
Profondeur 4,5 m.
Vitesse 5,5 Nœuds. J'ai faim.
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Ça va ? |
13H50 :
J'enlève un ris à la GV, il n'en reste plus qu'un. Le vent est
tombé et mes glorieux 5,5 Nœuds de moyenne sont en train de se
casser la gueule à la vitesse grand V.
Plus un nuage dans
le ciel l'atmosphère se réchauffe un peu. J'apprécie comme il se
doit ses chauds rayons sur mon visage... Mmmm... Ça fait un bien
fou !
Et apparemment je
ne suis pas le seule à en apprécier les bienfaits. Regardez-moi un
peu cette dégaine !
14H50 : Au
fait, il ne me semble pas vous avoir dit où nous allions. Pour tout
vous dire, cela va dépendre du chemin que nous aurons parcouru dans
les prochaines vingt-quatre heures.
Au départ, hier
je veux dire, je prévoyais de rallier La Paloma en deux jours et
deux nuits, qui était plus ou moins le temps imparti par ma fenêtre
météo. Avec ce report de vingt-quatre heures, mes options ont
changées : Je peux être à Montevideo demain matin, ou tenter
de rejoindre Piriápolis avant la fin de la journée de demain.
Franchement, je préférerais la seconde option.
Piriápolis
m'avait laissé une brève mais bonne impression lorsque nous nous y
étions arrêté avec Zoë. Souvenez-vous, c'était en Février, donc
en plein été, et le prix de la place, 40 $ par jour, nous avait
fait fuir après une courte escale de moins de vingt-quatre heures.
M'enfin, on
verrait bien comment ça se présente demain matin.
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Chaud devant ! |
16H45 : J'en
ai marre de me traîner. Allez hop ! J'envoie le spi ! On
remonte à 5 nœuds. Ce n'est pas grand chose mais ça me suffit. Du
coup, comme j'avance presque à la même vitesse que le vent, il fait
bien plus chaud dans le cockpit. J'en profite un max, car je sais que
cette nuit ce sera une autre limonade.
17H10 : It's
funny. Bon, vous savez que je ne suis pas un fana de navigation.
J'envisage ça plutôt comme un moyen de me transporter avec ma
maison sur le dos, plutôt que comme un loisir. Cependant il ne m'est
pas interdit d'apprécier ce que je fais.
Et là, en ce
moment même, j'apprécie. Je suis heureux d'être où je suis, à
cet instant.
Il fait bon, La
Boiteuse glisse sur l'eau comme dans un rêve... Mon visage me brûle
un peu et je sens mon corps emprunt d'une douce lassitude. Je suis
bien.
Cette période
prolongée d'inaction, dont j'avais besoin pour diverses raisons - ne
serait-ce que pour encaisser ma rupture avec ma belle américaine –
m'a quand même conduit à reprendre pas mal des kilos perdus
auparavant. Là, je sens que mon corps apprécie d'être malmené. Il
me dit que je ne vais pas tarder à redevenir aussi affûté
qu'avant ! - Je plaisante bien sûr. Je suis, et je resterais
sans doute, un rondouillard.
18H00 : On
avance toujours aussi bien. Le soleil se couche et le froid me tombe
sur le râble.
Le mardi 06 Août
2013 – Courroie et Lions de mer
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Un maté pour se réchauffer |
O7H25 : La
nuit a été compliquée et froide. Bon, le froid je m'en doutais un
peu et j'ai essayé de le supporter comme j'ai pu. Le bon côté de
la chose quand vous êtes au fond de votre cockpit à trembler comme
une feuille, c'est que ça vous maintient éveillé. En solo dans une
zone truffée de pièges, ce n'est pas inutile.
Compliquée car il
m'a fallut jongler avec les éléments. Le vent à virer du NO au SO
et j'ai dû faire un empannage en début de nuit. Rien de bien
compliqué dans l'absolu, sauf quand on est sous spi et que l'on n'y
voit rien.
Ensuite, vers
03H30, le vent est complètement tombé et j'ai dû allumer le moteur
(qui a démarré au quart de tour !).
Nous y sommes
encore, au moteur, pour la plus grande joie de Touline qui déteste
ça. Elle reste prostrée sur le capot de la descente, sans manger ni
boire... C'est trop bruyant pour ses oreilles sensibles !
Montevideo est à
20 milles, et Piriápolis à 65. Nous y seront ce soir entre 20H00 et
21H00. Car oui, j'ai décidé que ce sera finalement Piriápolis.
Cette nuit glacée est comme un aiguillon dans mon flanc, qui me fait
me dire : Magne-toi de remonter vers le Nord ! On n'en peut
plus de ce froid !
C'est ce que
j'appelle une excellente motivation.
09H45 :
J'arrête le moteur. On ne peut pas vraiment dire qu'il y a du vent,
mais j'en ai marre. La journée est splendide, et je veux pouvoir en
profiter un peu dans le silence. Je hisse le spi, mais cette grande
voile de 65 m2 suffit à peine à me faire avancer à 1,5
Nœud. C'est pathétique ! Mais tellement reposant. On va rester
un peu comme ça... Une heure ou deux. De toute façon je sais que je
vais arriver de nuit à Piriápolis, alors une heure de plus ou de
moins ne feront guère de différence.
10H45 : Fin
de la séquence plaisir, je rallume Mercedes.
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Palacio Salvo |
11H30 :
Montevideo se découpe en contre-jour sur bâbord. Je reconnais la
silhouette caractéristique du Palacio Salvo, et aussitôt me
reviennent en mémoire les bons moments que nous avons passé Zoë et
moi dans cette ville...
Je me souviens
qu'une fois, nous nous étions arrêté à la terrasse d'un
restaurant pour déguster un chivito... Un Chivito c'est un genre de
hamburger avec un vrai steak de vache à l'intérieur et plein
d'autres bonnes choses. Une fois servis, j'ai attaqué le mien de bon
cœur avec mon couteau et ma fourchette, m'appliquant à y découper
des parts en adéquation avec la taille de ma bouche, et Zoë s'est
emparée du sien en bonne étasunienne qu'elle est, c'est à dire
avec les mains... S'en est suivit un dialogue savoureux sur mon côté
snob qui m'obligeait à utiliser des ustensiles pour manger un
sandwich. Sauf que tout autour de nous, les autres clients faisaient
de même, éducation européenne oblige !
Ma Zoë s'est
senti un peu seule sur ce coup-là... Et moi j'étais mort de rire à
la voir essayer de faire comme tout le monde et de tenter
maladroitement de découper son chivito !
Bon, outre le
léger blues que provoque ce souvenir, vous raconter cette histoire
m'a donné faim ! A table ! (sandwich à la mortadelle sans
couteau ni fourchette !)
12H30 : J'ai
cru que j'étais en train de regarder un pneu qui flottait, mais en
fait il s'agissait d'un lion de mer qui se grattait la nageoire !
Hélas pour vous, le temps de réaliser mon erreur l'animal était
bien trop loin pour que je puisse le photographier.
12H50 : Je
viens de rajouter 30 litres de gasoil dans le réservoir principal.
Avec ça, je suis tranquille jusqu'à mon arrivée.
13H20 : Un
autre
Lion de Mer ! Et cette fois-ci j'ai pu le mettre dans la
boite ! (Par la suite, j'en verrais au total une dizaine
d'autres. La plupart faisaient paresseusement la planche en prenant
le soleil)
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Otaria flavescens |
15H05 : Je
viens de finir « Des souris et des hommes » de Steinbeck.
Je ne l'avais pas relu depuis le collège... J'en suis encore tout
tourneboulé.
Il reste 30 milles
à faire. Je devrais arriver vers 20H00.
16H00 : Alors
que j'aperçois mes premiers
Albatros, je décide de m'octroyer un
petit goûter. Café et muffin au chocolat, rien n'est trop bon pour
l'équipage !
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Albatros à sourcils noirs (Thalassarche melanophris) |
16H35 :
Heu... Houston, on a un problème !
Alors que je
jetais machinalement un œil au voltmètre, je me suis rendu compte
que mes batteries ne chargeaient plus. Et en ouvrant le capot du
moteur pour vérifier les branchements, je me suis aperçu que
l'alternateur ne tournait plus ! Et pour cause, la courroie a
disparue ! Elle a littéralement été réduite en poussière !
Ce qui
m’interpelle c'est que je ne me suis rendu compte de rien... Je
fouille ma mémoire. Il me semble bien avoir senti une odeur de cramé
ce matin, mais tellement fugace que je n'y est pas prêté attention
plus d'une seconde... Espérons que l'alternateur fonctionne encore.
A priori, je devrais avoir suffisamment de jus pour arriver. Les
panneaux solaires ont bien travailler toute la journée.
Hum ! Pour
mémoire, cette courroie c'est celle que nous avons démontée et
remontée avec Laurent la veille du départ...
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J'aime pas le moteur ! |
16H45 : Je
souries devant l'ironie de la chose. En effet, que serait mon voyage
sans toutes ces conneries à répétition ? Hein ? On
s’ennuierait à naviguer sur un long fleuve tranquille !
N'empêche, si je n'étais pas sensé arrivé dans quatre heures, je
serais un petit peu dans la merde... Car bien sûr je n'ai pas la
courroie adéquate dans mes réserves. Note pour plus tard :
Acheter un jeu de courroies complet !
18H00 : Je
profite des dernières lueurs du jour pour préparer La Boiteuse pour
l'atterrissage. Je suis encore à 15 milles de ma destination, mais
les amarres et les défenses sont déjà en place. Autant faire ça
maintenant... Je pense que je vais allumer mes feux de position au
dernier moment, pour donner le maximum d'énergie au pilote
automatique. Piriápolis est en vue devant moi, et derrière moi j'ai
droit à un beau coucher de soleil.
19H00 : Ceux
qui ne naviguent pas ne savent pas combien il est compliqué
d'atterrir de nuit dans une ville illuminée. C'est un vrai
casse-tête que de devoir repérer parmi tous ces points lumineux, le
rouge et le vert qui indiquent l'entrée du port. Heureusement, j'ai
pris soin de prendre d'autres repères, et le GPS fait le boulot. Le
vent s'est levé et forcit, pile dans le nez du bateau. La bascule
arrive plus vite que prévu.
20H00 : Ça y
est, je vois la rouge qui clignote. J'essaye de joindre les autorités
par radio (procédure obligatoire en Uruguay) mais le canal 16 est
hyper encombré par tous les cargos au mouillage en face de la ville.
20H30 : Je
m'approche doucement du travel-lift où j'aperçois un type qui me
fait des signaux lumineux avec sa lampe torche. Je ne suis pas encore
arrêté que le type me propose de me mettre ailleurs. Ok... S'en
suit alors une manœuvre bien flippante qui consiste à faire
demi-tour dans un mouchoir de poche avec un vent de 15 nœuds, un
molle de trois mètres d'un côté et le flanc d'un yacht à moteur
de l'autre... Mais je m'en sors plutôt bien et quelques minutes plus
tard je peux enfin arrêter mon moteur. Il est 20H50, et je suis
arrivé à Piriápolis.
A peine libérée,
Touline saute sur le molle et commence à explorer son nouvel
environnement. C'est drôle, mais à la vitesse à laquelle est se
déplace je peux voir qu'elle reconnaît l'endroit !
Le lendemain
matin, alors qu'une série d'orages violents s'abat sur Piriápolis,
j'ai le plaisir de faire connaissance avec notre nouveau voisin. Il
est noir, pèse dans les deux cents kilos et apprécie
particulièrement de ne rien faire de sa journée, sauf à se
toiletter comme une débutante.
J'aime bien mon
voisin. Par contre, je ne sais pas pourquoi, mais Touline semble très
timide avec lui ! Elle le regarde de loin... De très loin !
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La Boiteuse à bon port |
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Un gros bébé ! |