16°53.203N
24°59.470W
Mindelo,
ile de São Vicente, Cap Vert
Ce
mardi 22 Mai fut une journée chargée. Dès neuf heures du matin je me suis rendu
au chantier naval pour filer la main à José. (Voir article précédent)
C’est
qu’il était un peu dans la merde le José... La veille, le vent avait
soufflé à plus de 65 nœuds, et le Magoër avait manqué de se retrouver par
terre. Un des bers improbables en bois avait cédé, faisant pivoter le bateau
sur sa quille. Le Magoër penchait dangereusement sur tribord et ne devait son
salut qu’à des aussières frappées au mât et à une grue heureusement placée en
soutien. La situation était compliquée mais pas insoluble.
Dès
mon arrivée, je n’ai pas été très utile en fait. Je ne pouvais qu’assister à la
manœuvre qui consistait à étayer le bateau le temps que la grue se mette en
place pour le soulever à l’aide de sangles... Sur le bras de grue était inscrit
10 000 kilos. Le Magoër faisant 15 tonnes, José et moi étions donc assez
inquiets. Mais bon, tout doucement le bateau s’est redressé dans sa position
initiale et un type s’est précipité pour souder un support en Y pour le
maintenir à peu près à l’horizontale.
Ceci
étant fait, nous nous sommes attelés au remontage du gouvernail. Dans un
premier temps nous avions pas mal galéré à tenter de trouver des joints neufs
pour assurer l’étanchéité du tube de jaumière. Avec José, nous avons fait
toutes les boutiques « spécialisées » de Mindelo. Lui avait les vieux
joints à la main et moi j’assurais la traduction... Enfin, disons qu’avec mon
espagnol j’arrivais plus ou moins à comprendre et à me faire comprendre.
Finalement, ne trouvant pas de pièces aux bonnes dimensions, José a décidé
d’utiliser un joint neuf qu’il avait en stock et le moins abimé des deux
anciens. Une fois le gouvernail remonté, et le tube de jaumière rempli à bloc
de graisse, ça le faisait.
Après
quelques heures de travail acharné mais dans la bonne humeur, tout était enfin
prêt pour remettre la Magoër à l’eau. Il n’était pas fâché le José de quitter
enfin ce terrain vague qui faisait office de chantier. Après une semaine passée
au milieu des ordures, il n’avait qu’une envie, rejoindre la Marina et y prendre
une bonne douche.
Sur
le coup de 16H00, le chariot se mit en branle et tout doucement le Magoër
rejoignit son élément. Pendant les quelques minutes que dura le trajet pour
reprendre sa place au ponton, José était aux anges. Enfin, il allait pouvoir reprendre
la route, rejoindre Antibes et mettre un point final à sa tentative avortée de
tour du monde... C’est qu’il en a chié mine de rien le José. Je ne m’étendrai
pas sur le sujet, parce que lui-même le vivait plutôt mal, mais je peux vous dire
qu’il a accumulé pas mal de galères depuis son départ.
Nous
arrivons à la marina, et arrimons le bateau. José descend dans les fonds
histoire de vérifier si tout va bien, et soudain je l’entends gueuler et se
lamenter. La fuite qu’il avait au niveau de la jonction du gouvernail est
toujours là... Pire, elle semble même être plus importante.
Et
merde... Ces soudeurs à la con ont salopé le travail.
S’en
suit un petit moment de flottement pendant lequel Pierre-André, un voisin
helvète qui nous avait rejoint, et moi-même, tentons de remonter le moral de notre
ami. D’accord, mon vieux, on peut dire que tu les cumules, mais maintenant il
s’agit d’avancer. Le bateau ne peut pas rester à l’eau, il faut donc le
ressortir le plus rapidement possible. Je téléphone au chantier et annonce la
nouvelle au patron. Zeca est un peu embêté, mais je lui fais comprendre qu’il
n’a pas le choix. Après tout, ce sont ses ouvriers qui ont effectué les
soudures, ou du moins des ouvriers recommandés par lui.
Rendez-vous
est pris pour le lendemain. Rebelote, on recommence tout.
Mercredi
23 Mai, je retrouve José et nous nous rendons à pied au chantier pour vérifier
que tout est prêt pour recevoir le Magoër. Ce n’est pas la grande forme pour
mon copain José... Toutes les heures il retirait 60 litres de flotte de son
compartiment arrière. Il est sur les rotules, mais le moral est revenu. Il est
de nouveau dans l’action, et ses idées noires de la veille se sont envolées.
Zeca
nous accueille, tout sera prêt pour 11H00. Ok, nous aussi.
Le
temps de retourner à la marina et de faire le plein d’eau, nous larguons les
amarres pour nous présenter à l’heure dite devant le chariot. Le vent souffle
et nous déporte sans cesse, nous galérons un peu pour glisser l’étrave du
Magoër... Mais après de longues minutes à batailler nous nous arrimons correctement.
Nous
avons convenu avec José que je négocierai une sérieuse ristourne avec le
chantier. Au début Zeca ne veut rien entendre, mais au final il accepte de
faire un rabais de 50% sur le prix de la sortie d’eau, plus l’électricité
gratuite. C’est l’affaire de deux jours, trois maximum. Le temps de trouver un
vrai professionnel capable de souder de l’aluminium... Le patron du chantier
est décidément plein de bonnes intentions puisqu’il suggère même à José une
solution pour parfaire l’étanchéité de la soudure : la recouvrir avec de
la fibre époxy.
Là,
j’ai vu un large sourire éclairer le visage de José. Il allait pouvoir s’en
sortir.
Pendant
son séjour au chantier, nous avions pris l’habitude lui et moi de nous parler
via la VHF. Il faut dire qu’il s’emmerdait le José sur son terrain vague... Je
lui avais filé quelques films sur une de mes clefs USB afin de remplir ses
soirées, mais cela ne nous dispensait pas de papoter tous les soirs à heure
fixe. A la vacation de 19H00 il était de nouveau sceptique quant à cette
histoire d’époxy, mais je lui assurais que le lendemain matin j’allais passer
le voir avec Pierre-André et qu’ensemble nous allions bien trouver une
solution.
Ce
jeudi 24 Mai, à 08H30, j’ai trouvé mon ami José étendu au pied de la descente,
baignant dans une mare de sang. Je me suis précipité à son secours, pensant
qu’il avait dû glisser et tomber, mais hélas c’était bien plus grave que ça...
Son crâne était fracassé, son visage tuméfié... Il y avait du sang partout.
C’était l’horreur absolue.
Je
suis remonté aussi vite que j’ai pu sur le pont pour demander qu’on appelle une
ambulance, les pompiers, quelqu’un... Puis je suis redescendu et j’ai essayé de
le réconforter comme je le pouvais. Il respirait péniblement et répondait à ma
question par des propos incohérents. Je me suis mis à la recherche de quelque
chose pour le couvrir, et j’ai constaté qu’il régnait dans le carré un désordre
indescriptible qui ne m’avait pas frappé jusqu’alors. De même, son ordinateur
qui devrait être sur la table à carte n’y était pas...J’ai couvert José avec
deux tee-shirt qui trainaient, et je suis remonté en vitesse pour demander
qu’on prévienne également la Police. Mon ami avait été victime d’une agression.
Puis
je suis redescendu auprès de José pour attendre les secours. Je lui ai parlé,
caressé l’épaule, je lui disais que l’on allait prendre soin de lui...
Assez
rapidement les ambulanciers sont arrivés ainsi qu’une voiture de police. Les
infirmiers ont pris les choses en main mais il n’y avait pas grand-chose à
faire si ce n’était l’évacuer le plus vite possible pour le conduire aux
urgences. Avec Pierre-André, nous avons préparé et assuré la balancine de
Grand-Voile pendant que la civière descendait... Avant de partir l’ambulancier
m’a prévenu que son état était critique, que ses signes vitaux n’étaient pas
bons... Enfin, c’est ce j’ai compris je crois. Et l’ambulance est partie.
J’ai
été rapidement interrogé par les flics en uniforme qui prirent mes coordonnées
avant que de partir à leur tour. Je les informais que nous allions fermer le
bateau et nous rendre à l’hôpital. Pas de problème me dire t-ils, s’ils avaient
besoin ils savaient où me trouver.
Pendant
que Pierre-André rangeait sommairement le pont extérieur je me mis à la
recherche des papiers d’identité de José. Ce ne fut pas difficile car son
portefeuille ainsi que d’autres porte-cartes étaient jetés en vrac sur la table
du carré... Je trouvais son passeport dans un tiroir, ainsi qu’une carte de
crédit. Je me disais que les médecins allaient avoir besoin de tout ça... Nous
avons fermé le bateau à clef et nous nous sommes alors rendus à l’hôpital.
Sitôt
arrivés à l’hôpital, nous croisons le même ambulancier qui revenait d’une autre
intervention. Je lui demande des nouvelles de mon ami, et dans un mauvais français
il m’annonce que José était mort. Il était 10H20 du matin.
J’ai
pris la nouvelle comme une grande claque dans la gueule... On veut toujours
croire que les choses iront mieux, on veut toujours espérer qu’il va se passer
quelque chose. Mais parfois cela n’arrive pas. Alors comment doit-on réagir
face à ça ? Je ne sais pas... On réagit, c’est tout. J’ai demandé à voir
un médecin responsable et le temps que l’on aille me le chercher je suis sorti
avec Pierre-André fumer une cigarette. C’est con, mais ça fait du bien. Ça
donne le temps de se remettre les idées en place.
Ensuite,
j’ai vu le médecin qui m’a dit que José était mort à son arrivée à l’hôpital.
J’ai prouvé son identité grâce aux papiers que j’avais emportés avec moi... Et
nous sommes partis en direction de l’alliance française pour prendre contact
avec le Consul de France.
Celui-ci
était déjà au courant. Je lui ai donné tous les documents que j’avais en ma
possession, et il s’est chargé de prévenir la famille.
De
retour sur la Boiteuse, je n’ai pas eu à attendre longtemps avant que quatre
inspecteurs de la police judiciaire viennent me chercher pour que je les
accompagne au bateau de José. Pendant qu’ils fouillaient le Magoër à la
recherche d’indices et d’empreintes, j’ai eu droit à un interrogatoire en
règle... Où, quand, comment, qui ?... Est-ce que j’avais touché à quelque
chose ? ... Tout le tremblement. A 13H00, ils étaient déjà à la recherche
de trois suspects, mais je sentais bien à leurs questions que je n’étais pas
encore totalement mis hors cause. Normal, j’étais le premier sur les lieux.
Vers
15H00, après un rapide déjeuner je suis retourné dans les locaux de la PJ pour
faire ma déposition, et pendant que je relisais ce que j’avais déclaré,
d’autres inspecteurs sont revenus avec l’ordinateur de José et quelques boites
de conserve marquées Super-U... C’était bon, ils avaient choppé les meurtriers.
J’ai
demandé s’ils avaient avoué, on m’a répondu que ce n’était pas la peine puisque
la police avait toutes les preuves dont elle avait besoin...
Voilà
ce qu’il s’est passé... Je vous avouerai que je suis encore bouleversé par ce
que j’ai vu, par ce que j’ai dû faire. Mais très vite m’est venue l’impérieuse
envie de coucher ce drame sur le clavier. Tout d’abord pour moi, bien sûr. Les
habitués du blog de La Boiteuse le savent bien, j’ai besoin d’écrire pour
pouvoir digérer les choses...
Mais
au-delà du simple exorcisme, je voulais aussi rendre hommage à mon ami José. C’était
un type bien, un type droit et gentil. Il avait le cœur à la bonne place.
Pendant les quelques semaines où nous sommes connus, nous avions appris à nous
apprécier. Lui l’ancien infirmier militaire et moi l’ancien commando. Lui avec
son Magoër et moi avec ma Boiteuse. Nous faisions ce que doivent faire tous les
marins, tous les aventuriers, nous nous entraidions.
Vous
savez, j’ai croisé des tas de gens depuis que j’ai quitté la France... Et même
si je suis resté en contact avec beaucoup d’entre eux, il n’y en a pas beaucoup
que je puisse qualifier « d’amis » au sens le plus plein du terme.
Non, vraiment pas beaucoup.
Et
bien José aurait été l’un d’eux. Je le sais au plus profond de mes tripes...
Je
ne savais pas grand-chose de la vie personnelle de José, même s’il se dévoilait
tous les jours un peu plus, mais je sais qu’il laisse derrière lui sa femme,
Catherine. Ce soir, alors que je termine de vous raconter cette triste
histoire, mes pensées vont vers elle.