34°28.130S 57°51.216W
Colonia del Sacramento, Uruguay
Mosaïque du Rio de la Plata, d'après une carte française |
Salut les gens ! Avant que d'attaquer le récit de cette traversée, je voulais tout d'abord m'excuser pour
vous avoir un peu laisser tomber ces derniers temps. Je sais bien que vous allez me dire le contraire, que vous comprenez, et cetera, mais vous conviendrez avec moi que quatre publications en janvier et sûrement moins pour le mois en cours, c'est très peu. Ou du moins, que je vous avais habitué à plus de prolixité. Mon souci est que même si vous vous en foutez, moi je le vis assez mal.
Là encore, vous allez me dire que je ne devrais pas, patati-patata... Mais bon, c'est comme ça, ça me prend la tête de ne plus trouver ni le temps, ni l'inspiration pour vous parler. J'ai l'impression de manquer à mon devoir, de vous trahir en quelque sorte. Pire, ça me manque. J'aime trop ça, jouer avec les mots. Et je me refuse à croire que l'écriture est une activité de solitaire...
Il va donc falloir que je trouve un moyen de faire correspondre ma nouvelle vie avec cette liaison que nous entretenons vous et moi depuis bientôt trois ans... Je ne sais absolument pas comment je vais faire, mais je me rends compte que ça urge.
Bon, foin d’atermoiements, voici donc le récit tiré de mes notes, de notre traversée entre Montevideo et Colonia.
Le mardi 19 février 2013
Bye Bye Montevideo |
10H35: Tout doucement, la Boiteuse décolle en marche arrière du ponton du Yacht Club Uruguayo (prononcer Yaté Cloub Ourougouacho). Le temps est gris, limite frisquet, mais c'est le prix à payer pour avoir suffisamment d'eau dans le port pour en sortir. En effet, c'est un des paradoxes qui régissent la navigation dans le Rio de la Plata, les marées n'ont que peu d'importance et ne dépassent que rarement les cinquante centimètres. Ce qui, dans la plupart des marina, est tout juste suffisant pour manœuvrer (voir article précédent). C'est donc le vent qui mène la danse. En faisant court : Pour avoir de l'eau il faut avoir un vent du sud, ce qui implique forcément un vent fort et froid venu de l’Antarctique qui peut vous drosser à la côté en deux coups de cuillères à pot.
Donc, disais-je, il fait moche ce mardi matin, mais la Boiteuse prend quand même la mer pour une nave d'une centaine de milles à destination de Colonia del Sacramento, ultime étape de notre périple en Uruguay. On dit que cette ancienne colonie portugaise est charmante et baigne encore dans son jus. Tant mieux, cela va nous changer de la grande métropole de Montevideo, qui pour ma part commencait à me sortir par les yeux. Je l'ai déjà écrit il me semble, à l'exception de Barcelone les grandes villes m’insupportent.
En attendant, il pleut...
12H30 : Ça y est, le moteur est à présent coupé et nous progressons à 3,5 nœuds, plein ouest. J'ai décidé de naviguer sous génois seul, car nous aurons logiquement du vent arrière tout du long. Ça roule un peu, mais au moins je peux faire un cap correct... La mer est dégueulasse, d'une turbidité moche, et le ciel lui ressemble. Heureusement le moral est bon, car c'est l'heure de la bouffe !
Au menu, un espèce de quiche lorraine façon uruguayenne (avec de la panceta), et une Torta Pascualine, autre spécialité locale (une tourte avec des épinards et des œufs durs).
Mais avant ça, il me faut passer un petit coup de VHF pour demander l'autorisation de traverser le chenal d'entrée au port commerciale de Montevideo. C'est qu'ils ne rigolent pas avec ça les Ourougouachos !
Mon équipage en pleine action ! |
15H10 : Chacun notre tour nous faisons un petit sieston, bien au chaud à l'intérieur, pendant que l'autre gère la veille et la conduite du bateau. La tâche n'est pas trop difficile, car même si ça reste une mer de merde, il y a quand même un gros avantage à naviguer sur le Rio de la Plata, c'est qu'on n'y croise pas grand monde. Les bateaux des pêcheurs uruguayens ne sont que de simples barques et ne sortent que le jour, et les cargos et autres tankers préfèrent naviguer dans des rails strictement balisés. On est un peu comme des petits lapins qui, tant qu'ils ne vont pas sur la route, peuvent à peu près faire ce qu'ils veulent.
18H00 : Il pleut toujours, et le vent nous pousse au grand largue par tribord à parfois plus de six nœuds. J'ai réduis le génois de moitié car ça commence à devenir merdique. Le bon côté de la chose, c'est qu'à cette vitesse on arrivera plus vite... Mais en attendant je me les pèle à l'extérieur pendant que Zoë bouquine à l’intérieur. Heureusement, dans une demi-heure, on change !
19H55 : Le cap et la vitesse sont bons. Très bons même. 4,5 nœuds au 300°, c'est super. Il commence sérieusement à cailler et la pluie qui tombe toujours par intermittence n'arrange pas les choses. En plus, il faut que je vous dise que depuis quelques jours je souffre de multiples rages de dent qui me font endurer le martyr. Comme ça le tableau est complet, et même si le coucher du soleil est plutôt sympa, la nuit s'annonce difficile.
Le mercredi 20 février 2013
03H30 : C'est mon quart. Après un mug de café, j'attaque ma veille de trois heures. Enfin, quand je dis veille, c'est un grand mot car je ne peux m'empêcher de piquer du nez pendant trente à quarante minutes comme lorsque je naviguais seul. Ce qui me fait culpabiliser car je sais que Zoë elle, ne dort pas pendant son quart.
Grâce au halo que fait le feu arrière, je me rends compte que l'eau a changé de couleur et d'aspect. Plus limoneuse, et en même temps elle a l'air plus épais... En parlant de halo, celui de Buenos Aires à 40 milles, est maintenant bien visible. Il est gigantesque... Quand je pense que près de treize millions de gens habitent dans cette ville ! (Trois millions intra-muros, plus dix millions en comptant les banlieues).
Colonia est à 36 milles. Nous y seront à la mi journée.
06H40 : Le jour va se lever, et alors que je m’apprête à réveiller Zoë, je sens la quille qui rebondit sur le fond ! Putain ! Aussitôt je me précipite pour allumer l'ordinateur, et je constate alors que la carte nous indique que nous naviguons par 2,60 m de fond !
Je vois d'ici les pros se mettre à hurler : Quoi ? Vous êtes de malades de naviguer dans des eaux pareilles !!! C'est que voyez-vous, on ne peut pas trop faire autrement... En dehors des chenaux balisés, les petits lapins que nous sommes n'ont pas d'autre choix que de naviguer dans quatre mètres de flotte en moyenne. Et ça peut même descendre à 2,40 m ! Avec une houle de cinquante centimètres maxi (c'est ce que disent les guides), ça fait un peu juste je vous l'accorde, mais logiquement ça devrait passer. Sauf que là, ça passait visiblement pas !
Donc, j'empanne aussi sec pour me dégager de là. La manœuvre réveille Zoë, qui me tiendra alors compagnie, le temps pour nous de sortir de la zone des trois mètres et d'admirer par la même occasion le lever du soleil.
(Là, je sens que le béotien pointilleux va me faire remarquer que j’eus mieux fait de faire l'inverse : Changer de direction avant que de regarder la carte. Et bien non, monsieur le béotien pointilleux. Pour s'écarter d'un haut-fond, j'aime autant savoir dans quelle direction je dois aller. Et toc !)
07H30 : Re-empannage sur le bon bord. Colonia est droit devant au 290°, à 20 milles. C'est mon tour d'aller faire un somme...
Cafe con Leche |
09H30 : Le soleil est haut à présent, mais peine à réchauffer l'atmosphère tellement il y a de nuages. Comme nous l'avions deviné à la lueur des feux de navigation, l'eau est boueuse. On dirait du cafe con leche. On sent presque qu'elle est plus dense... Pourtant la Boiteuse file ses 4,5 nœuds au grand largue, avec un demi Génois.
A la VHF j'entends le contrôle de Colonia qui annonce que le port de plaisance est dorénavant fermé pour cause de vent trop fort. C'est la règle en Uruguay : Au dessus de vingt nœuds de vent, les autorités ferment les ports... Heureusement qu'il ne s'agit que des sorties et pas des entrées sinon nous aurions été dans le caca ! En même temps, je n'ai vraiment pas l'impression qu'il y ait autant de vent... Par précaution je préfère les contacter, et le gars au bout des ondes me répond qu'ils nous attendent pour la mi-journée. En fait j'aperçois déjà à 10 milles, la tour radio qui surplombe la ville.
11H00 : Il est temps de commencer à ranger le bateau et à se préparer pour l'atterrissage. Même configuration qu'à Montevideo : Deux pointes à l'avant, deux pointes à l'arrière, et quatre défenses sur chaque côté. L'équipage commence à être rodé, et avec Zoë nos efforts s'harmonisent assez bien. Plus que cinq milles et des brouettes, La Boiteuse file à 7 nœuds dans des surfs d'enfer !
Zoë s'en sort bien ! |
12H15 : J’appelle la prefectura qui nous donne l'autorisation de pénétrer dans le port. Maintenant que je ne l'ai plus dans le dos, le vent est un peu fort à mon goût et je pressens que l'arrivée risque d'être Rock&Roll. J'essaye alors de contacter le lanchero sur un autre canal pour qu'il nous file un coup de main, mais la radio reste muette. A bout de solutions et n'osant pas me risquer à l'intérieur sans aide (la carte indique 1,60 m de fond), je décide alors de prendre une bouée en attendant. A peine avions-nous pris notre bouée que le lanchero se pointe et nous guide alors vers notre place. Il est 12H45, et nous sommes arrivés.
Quelques minutes plus tard, une annexe se détache d'un ketch au mouillage, le Moana, et accoste La Boiteuse. Il s'agit de Jacques un lecteur assidu qui m'a contacté il y a quelques jours pour se présenter et nous dire qu'il nous attendait. Comment vous dire ? Ça fait tout bizarre de rencontrer quelqu'un qui vous connaît déjà par vos écrits... C'est déstabilisant en même temps que flatteur. On a l'impression d'être quelqu'un d'important et l’ego s'en trouve renforcé. Mais d'un autre coté, je me suis trouvé un peu con devant cette reconnaissance. A croire qu'il me reste encore du boulot en ce qui concerne mon estime personnelle... Cela dit, c'est aussi quelque chose d’extrêmement plaisant que de débarquer dans un lieu inconnu, et d'y trouver un visage amical. On se met à papoter sur nos projets respectifs, on échange des infos importantes devant un café (Il est où le supermarché ? C'est combien le prix de la place ? Comment sont les autorités par ici ? Et cetera...). Bref, ça fait partie des excellents côtés de la vie de vagabonds des mers.
¡ Bienvenido a Colonia ! |
Le soir nous sommes allés nous promener dans les rues de la vieille ville de Colonia, et effectivement on peut dire que c'est un petit bijou touristique. Le vieux quartier est admirablement restauré, et partout fleurissent des petits restaurants au charme désuet. Hélas, tout y est encore et toujours trop cher... C'est, je crois, le souvenir que j'emporterais de l'Uruguay : Un pays charmant avec une douceur de vivre indéniable, mais où le coup de la vie est équivalent à celui de l'Europe.
Cela raye donc l'Uruguay de ma liste, et il ne me reste plus qu'à poursuivre ma quête... Prochaine étape, l'Argentine !
Me voilà un vrai Uruguayen maintenant ! |
Même type, en moins glamour |
Colonia, la Calle de los suspiros |
Droit vers l'ouest (ou presque) |
Quand je vous dis que ça ressemble au sud de la France ! |
Vue du port |
Maté fashion ! |