Boum-boum-boum...
Quelqu'un vient de frapper sur le balcon de La Boiteuse. J'ouvre un
œil, puis deux. Sur l'horloge de mon téléphone il est marqué
qu'il est 16H05... Ma sieste aura duré deux heures et demi, je peux
donc me lever sans regrets et accueillir le visiteur avec le sourire.
C'est
Francis, le gérant de la marina. On est en train de réparer un des
piliers du ponton sur lequel je suis amarré, et ce serait bien que je
bouge mon bateau si je ne veux pas courir le risque que ledit pilier
en béton me tombe sur le coin de la gueule. Je suis reposé et de
bonne humeur, pas de problème, le temps de prendre un café et je
vous fais ça !
Vroum-vroum
fait Mercedes. Les marinheiros me libèrent et le faible courant de
cette fin de marée descendante m'écarte doucement de mon voisin.
J’enclenche la marche arrière et... rien ne se passe. Je tripote
le bitoniau, réenclenche la marche arrière, puis la marche avant...
Aucun remous à l'arrière et La Boiteuse continue de dériver !
Heureusement
tout le monde est encore à son poste et je suis encore assez proche
pour pouvoir relancer mes amarres. La Boiteuse est sauve, et grâce à
l'annexe de la marina je peux rejoindre ma nouvelle place en toute
sécurité.
Je
devine ce qui a pu se passer, probablement une rupture du câble de
l'inverseur, mais cela ne nécessite pas que je me lance dans une
réparation urgente avec lampe sur le front et tout le bordel. Le
soleil se couche... et c'est l'heure de l'apéro ! Donc, on
verra demain quand il fera jour...
Le
lendemain le soleil est à peine levé que j'entreprends de jeter un
œil à ce fameux câble... Au premier coup d’œil, tout m'a l'air
en bon état. Je me dis alors que ça doit peut-être venir de
l'inverseur lui même, vous savez cette boite qui nécessite que je
vide entièrement ma couchette à bordel afin d'y avoir accès ?
Oui, celle la !
C'est
alors que je réunissais mon courage afin de m'atteler à la tâche,
que mes yeux tombent sur mon arbre d'hélice... Doux Jésus !
C'est quoi ce bordel !
Oups !
L'arbre
était carrément sorti de son axe !!!!
Bon,
en réalité c'est moins grave qu'il n'y paraît. Changer le câble
de l'inverseur eu été bien plus chiant et cher ! Mais quand
même, vous vous rendez compte un peu si cela m'était arrivé en
pleine mer ? Il n'est pas interdit d'avoir de la chance disait
mon ami Hughes...
T'es prête ?
Mais
je suis en marina, et ce n'est donc pas les outils ni les conseils
qui manquent. Après avoir galéré à démonter le tourteau (changé
l'année dernière à Vitoria si vous vous souvenez), je constate que
l'écrou qui était sensé maintenir l'arbre solidaire de l'ensemble
s'est dévissé. Un coup de nettoyage, quelques longues heures
d'essais infructueux et un peu d'huile de coude et revoilà mon arbre
fixé !! Trop fort le Gwen ! (merci quand même à tous
ceux qui m'ont éclairés de leurs lumières !)
Bon
ben voilà, j'espère seulement que je n'ai pas trop fait de
conneries et que la réparation tiendra. Parce que La Boiteuse ne
devrait pas tarder à reprendre la mer. Si-si, n'en déplaise à ceux
qui pariaient sur une escale prolongée – et ils n'auraient pas été
en tort me connaissant – nous allons bientôt partir !
Quand ?
Et bien... disons la semaine prochaine. Ça vous va la semaine
prochaine ? Allez, on fait comme ça !
05H10 :
J'ai mal dormi cette nuit à cause des cargos qui n'ont pas arrêtés
de passer et de repasser, dans un sens, puis dans l'autre... Il y a
même eu une plate-forme pétrolière dans le lot ! Le genre de
bateau dont tu te demandes s'il va aller par là, ou par là...
Jusqu'à ce que tu t’aperçoives que finalement non ; il ne
bouge pas ! Et de garder ensuite, cette vague sensation d'avoir
été pris pour un con. Si, quand même.
Bref
c'est pas grave, je récupérerais dans la journée. Là, j'attends
de finir mon café et d'être pleinement opérationnel avant de
sauter sur le pont pour lâcher la bête. La brise est là, et on va
voir ce qu'on va voir !
06H05 :
45° du vent, cap au 20°, toutes voiles dehors. On fait un tout
petit 4 nœuds mais c'est cool. Recife est à 80 milles et on devrait
y être... Je n'en sais rien. On verra bien. (demain vers deux heures
du mat'. Mine de rien je calcule vite avec les neurones de ma tête)
06H25 :
J'ai fini de lire Vers
chez les blancs
de Djian. Et j'attaque Lire
au Cabinet
d'Henry Miller.
08H20 :
Bon, maintenant que le fait d'arriver demain à Jacaré est une chose
pratiquement acquise, je peux enfin me risquer à vous en dire
quelques mots. Oui, que voulez-vous, il persiste en moi un vieux fond
de superstition qui m'empêche de parler trop tôt de quelque
chose... de peur que ça n'arrive pas. Je sais, c'est débile, mais
c'est comme ça.
Jacaré
ce fut pour moi, il y a presque trois ans, mon ponton d'arrivée
après ma transat en solitaire. Ce fut un havre d'où j'ai eu
beaucoup de mal à me détacher tellement je m'y sentais bien. Ce fut
aussi le point de départ pour une virée dans le Sud... Une
parenthèse dont j'ai déjà évoqué les sentiments mitigés qu'elle
m'inspire. Jacaré sera enfin ma dernière escale avant de me tirer
de ce foutu pays.
Oui,
Jacaré c'est tout ça à la fois. Oserais-je le dire ?
Retourner là-bas c'est un peu comme rentrer chez soi... Je vais m'y
ressourcer avant que de reprendre ma route vers l'inconnu (et au-delà
!). Je vais pouvoir recommencer à essayer de donner un sens à ma
vie.
09H30 :
Chouette ! Le vent vient de virer d'un coup de presque 30° !
Nous sommes au travers maintenant et La Boiteuse file sans gîter à
près de 5 nœuds. Le pied !
11H15 :
Le vent tombe et joue avec mes nerfs. Moi qui suis plutôt nonchalant
lors des grandes naves, je passe mon temps à tripoter le régulateur
et les écoutes... Et franchement ça me gonfle. Mais bon, je garde
l'espoir d'arriver demain avant la tombée de la nuit, et pour ça je
dois essayer d'optimiser au maximum mon cap et ma vitesse. C'est très
technique comme navigation. Il faut constamment être sur la brèche,
se poser des question... On est loin du lâcher prise que ce genre de
voyage est sensé inspirer. Cela dit, je ne me plains pas trop car il
fait beau et La Boiteuse va dans le bon sens, alors franchement...
12H00 :
Au point de midi, 25 milles de parcourus en six heures. Ce n'est pas
fameux mais au moins ces milles ont été agréables (Vous sentez ce
côté je-cherche-toutjours-le-côté-positif-des-choses ?). En plus,
comme le vent vient de travers, il fait moins chaud. Grosse plâtrée
de riz et de tripes à la brésiliennes en gestation. J'ai une de ces
dalles moi !
15H25 :
On n'avance pas vraiment au rythme que j'espérais mais on avance
tout de même. 3-4 nœuds, parfois un peu plus au hasard d'une vague
favorable. La Boiteuse se dandine sur une mer bleue et un ciel bleu
aussi, mais avec de gros paquets de coton blancs dessus. Je repense
aux journées de samedi et dimanche et je me dis que le voyage
devrait toujours être ainsi.
17H20 :
Cher Monsieur de la Météo,
Je
note avec un certain soulagement que cette fin de journée n'est pas
accompagnée de l'habituel « grain du soir ». J'ai bien
conscience que cette aubaine vous est imputable et je tenais par la
présente à vous en remercier. Si j'osais abuser de votre
bienveillance, vous serait-il possible également de faire en sorte
que cette nuit ne soit pas placée sous le signe de la « pétole
nocturne » ?
Dans
l'espoir d'être satisfait, je vous prie cher Monsieur de la Météo,
de recevoir mes salutations distinguées.
18H00 :
J’abats de 5° avec la molette du régulateur afin de commencer à
obliquer vers le nord. Recife est à 33 milles. Ensuite il restera 80
milles jusqu'à Jacaré... Je ne sais pas vous, mais ce genre de
phrase ça me donne la patate !
19H30 :
La lune se lève. Je crois avoir vu, assez loin sur tribord avant,
les feux d'un voilier... Mais je n'en suis pas sûr. Sinon, on dirait
que le Monsieur de la Météo a bien reçu ma lettre et a décidé
d'y répondre favorablement. La brise s'est renforcée et La Boiteuse
fonce dans la nuit.
Le
jeudi 7 mai 2015 – Jacaré enfin !
06H00 :
Ce matin lorsque j'ai ouvert un œil ce fut pour constater la
présence devant moi d'un gros nuage à fond plat, genre « serre
les fesses mon garçon, ça va dépoter ». J'ai dû réduire un
peu à l'avant et pendant une heure nous avons fait de jolis surfs
jusqu'à 7 nœuds. Belle mise en jambe pour cette dernière journée !
Au
point du matin, bonne nouvelle. 4,5 nœuds de moyenne sur les
dernières douze heures, nous ont amené à exactement 58 milles de
Jacaré ! Donc, si j'arrive à maintenir une allure de 5 nœuds,
nous devrions y être vers 17H30. Pretty cool, isn't it ?
Bon,
ça c'est si le vent se maintient, hein ? Sinon, et bien on
arrivera quand on arrivera et pis c'est tout.
06H30 :
J'ai envie de faire caca. Vous me direz, après cinq jours il serait
peut-être temps, non ?
06H40 :
Oh putain, ça fait du bien... (smiley de contentement) J'ai
l'impression de peser 5 kilos de moins !
A
propos, vous ai-je dit que pendant ces six derniers mois d'escale
j'ai réussi à diviser mon budget par deux (coût de la marina
compris), et à ne pas prendre de poids ? Si, c'est vrai !
Sur la tête de Touline je vous jure que c'est vrai !
07H30 :
Le vent s'étiole... Oh non, voilà la pétole ! (misérable tentative de versification)
08H00 :
Hihihi !!! C'est pitoyable, mais ça me fait rire. On se traîne
à 2,5 nœuds.
08H50 :
J'ai dû attacher la bôme pour ne pas qu'elle batte trop. J'espère
que le vent ne va pas tarder à revenir parce que sinon il va falloir
se résoudre à finir cette nave au moteur...
09H30 :
J'ai presque envie de sortir le spi... Qu'est-ce que vous en pensez ?
Mouais...
10H00 :
Bon ben... Le spi est en l'air et franchement c'est très joli. Même
si ce n'est pas très efficace... Mais c'est très joli !
10H10 :
Y'en a marre ! Allumage de Mercedes et go ! Ça commençait
à me courir cette histoire.
D'autant
que si je ne me trompe pas, j'aperçois déjà les immeubles de Joao
Pessoa.
12H00 :
Il reste 33 milles à faire... ça nous fait arriver vers 18H30,
après le coucher du soleil. Le ciel se couvre peu à peu, mais
toujours pas de vent. Je me prépare une feijoada et ensuite je vais
essayer de dormir un peu.
13H30 :
Impossible de fermer l’œil... Le stress de l'arrivée sans doute.
J'ai encore remis 20 litres de diesel dans le bouzin, histoire
d'assurer le coup. C'est le silo de Cabedelo que je vois là-bas ?
Je
suppose que les copains sont arrivés maintenant, et certains
probablement depuis hier. Ça va me faire chaud au cœur d'avoir des
gens pour m'accueillir au ponton. Si il y a de la place bien sûr...
Sinon, le plan B sera d'aller planter la pioche dans le fleuve. Et
là, c'est sûr que ça va gâcher un peu mon plaisir...
Joao Pessoa
15H00 :
La houle nous pousse au cul. Nous arriverons, je pense, un peu en
avance... (au rendez-vous de nos promesses ?)
Joao
Pessoa est par le travers. Il faut absolument que j'emmène Patrick
et Caroline faire un tour au marché central. J'en profiterais pour
faire le plein de noix de cajou !!!
Tien,
pendant que j'y suis il faudra que je trouve un nouveau régulateur
d'alternateur. A part ça, pas d'autres casses. Encore une fois La
Boiteuse s'en tire bien. Et moi ? Ben moi, il va falloir que je
m'occupe de ma sortie du pays et que je me prépare à la prochaine
étape qui sera plus simple, mais aussi plus longue. Entre dix et
quinze jours de mer selon que je m'arrête en Guyane ou pas... Si
seulement je pouvais trouver une équipière sur les pontons de
Jacaré ! Ça serait cool non ?
15H30 :
Tien, c'est maintenant que le vent se lève... (Connard !)
15H40 :
J'aperçois quelques frégates qui planent au dessus d'une barque de
pêche. Elle m'ont manqué celles-la. Les frégates, pas les barques.
16H00 :
C'est officiel, on arrivera de jour. Mine de rien cela me soulage...
Non-pas que j'ai été vraiment inquiet car je connais déjà
l'endroit et l'entrée dans le fleuve ne recèle pas de difficultés
particulières. Mais un atterrissage est toujours une équation
compliquée, alors si on peut retirer un facteur de complication à
cette équation, c'est toujours ça de gagné.
16H20 :
Voilà un truc que je n'avais pas prévu. J'ai le soleil couchant
dans les yeux, et ça m'empêche de voir les bouées du chenal...
Heureusement, opencpn est là !
16H30 :
Et hop ! On embouque le chenal d'accès au fleuve !
Euh...
16H31 :
Et merde... Y'a un pétrolier qui sort. Je me me fait tout petit en
serrant à droite. Touline observe ce monstre avec intérêt. Je suis
persuadé qu'elle reconnaît les lieux.
17H10 :
L'ancre (au cas où) et les pare-battages sont à poste et la GV
descendue. J'ai sorti un tee-shirt propre. Je n'arrête pas de faire
des aller-retours dans tous les sens ! Une vraie boule
d'énergie ! Vous n'imaginez pas comment je suis content d'être
là !!!
17H20 :
Merde, encore un filet droit devant ! Mais ils le font exprès
ou quoi ??? Déjà, il y a trois ans... J'aperçois les mâts
des voiliers au mouillage. Le soleil a disparu derrière l’horizon
mais il reste encore assez de lumière pour faire ce que j'ai à
faire.
Mais ! Je connais cet endroit !
17H45 :
J'approche du ponton à vitesse réduite. Un coup de turlutte et je
vois Caroline qui sort la tête de son cata. Oh ! Gwendal est
là !!!
17H50 :
Et voilà ! Nous y sommes ! Francis, le gérant de la
marina est venu m'accueillir. Les copains arrivent eux-aussi. J'ai
même droit à quelques applaudissements ! Jacaré enfin !
Les
amarres n'étaient pas encore nouées au taquets que Touline sautait
sur le ponton avec un miaulement de victoire. Pas de doute, à sa
façon de se déplacer je vois bien qu'elle reconnaît l'endroit !
Pour
ma part, sitôt le moteur éteint et le bateau sécurisé, je me suis
dirigé vers le bar pour rejoindre toute la bande et offrir une
tournée. Bordel, que ça fait du bien d'être ici !
03H45 :
Il fait nuit noire, il pleut et La Boiteuse tire sur sa bouée au
rythme d'une houle courte soulevée par un vent du sud plutôt
rageur. Hier en fin d'après midi j'ai quitté le ponton de la marina
d'Itaparica pour prendre uma
poita,
afin d'être, pour ainsi dire, sur la ligne de départ. Car oui, il
s'agit bien d'un départ. Et ce sera le quatrième en ce qui me
concerne. La grande différence avec les autres, c'est que je ne
partirais pas seul. Nous sommes quatre voiliers, tous français, à
prendre la route de Jacaré en même temps ! Il y a Alain sur
son Ginfizz Éole,
Bernard et Françoise sur leur Bavaria 46 La Bella Flora,
Patrick et Caroline sur leur petit catamaran le Capsun,
et votre serviteur sur sa
Clopinante. Quatre
bateaux complètement différents qui malgré un départ groupé
laissent cependant présager une arrivée en ordre dispersé.
Franchement,
je vous avoue que j'ai dû me faire tirer l'oreille pour prendre le
départ aujourd'hui... La faute à une météo hyper-changeante qui
ne m'inspirait pas vraiment compte tenu de mes expériences
précédentes. La faute aussi à une espèce d’encroûtement...
Mais bon au final je me suis laissé convaincre par les copains en me
disant qu'à un moment il faut bien se jeter à l'eau, et que si
trois capitaines me disent que c'est faisable, c'est qu'ils ont
probablement raison et moi tort.
Donc,
a priori la journée d'aujourd'hui devrait être plutôt musclée,
puis dès cette nuit le vent devrait s'établir au sud-est pendant
deux ou trois jours... Je dis bien a
priori
car à la vitesse où les choses changent par ici je serais bien en
peine de vous dire avec certitude le temps qu'il fera demain !
Une seule chose est sûre, ça va être mouillé.
05H00 :
Allumage du moteur. Je suis près, mais on dirait que Patrick et
Caroline ont un problème avec leur chaîne d'ancre... Je vois
Patrick dans l'eau en train de se démener comme un beau diable.
05H30 :
On est partis ! Enfin, trois bateaux sur quatre quittent le
mouillage sous une pluie fine. La
Bella Flora
a semble t-il un problème de batteries.
06H15 :
On attaque la descente de la Bahia
de Todos Os Santos,
en laissant l’île d'Itaparica sur tribord, vent debout. Capsun
est devant, puis vient La
Boiteuse
et Alain suit. La
Bella Flora
nous rejoindra plus tard dans la matinée. Avec leur 46 pieds je
pense qu'ils n'auront aucun mal à nous rattraper...
Ça
gazouille sur la VHF canal 6 !
Capsun
08H10 :
On enquille l'étroit passage entre le Cabo Santo Antônio et la
cardinale nord du même nom. Vent dans le pif, ça bouge pas mal mais
c'est gérable. Un premier grain nous cueille au passage.
10H00 :
La flottille s'éparpille, chacun suivant la route qui semble lui
convenir. Pour ma part, cap au 120° au moteur, pour m'écarter le
plus possible de la côte. Je ne voudrais pas jouer les oiseaux de
mauvaise augure, mais j'ai l'impression d'avoir exactement les même
conditions de vent que lors de ma dernière tentative...
11H00 :
J'ai un petit creux. Je dévore à belles dents une part du cake aux
petits pois et aux oignons que Caroline m'a offert avant le départ.
Un délice !
14H00 :
J'arrête le moteur. Je suis bord à bord avec La
Bella Flora
qui nous a finalement rattrapé fissa. Trois nœuds au 40°. C'est
pas top mais c'est dans la bonne direction.
La Bella Flora
14H30 :
C'est officiel, La Boiteuse prend la dernière place du convoi !
Bon, en même temps on ne joue pas dans la même catégorie
non-plus... Alors il n'y a pas de quoi se taper la honte. M'enfin, il
y a quand même une petite partie de moi qui enrage. C'est sans doute
ce que Moitessier appelait « le démon de la régate ».
Allez, tais-toi vilaine bête, et laisse moi naviguer en paix !...
15H45 :
Il y a un gros grain qui se présente droit devant.
16H10 :
Ça y est on est dedans...
18H10 :
L'orage est passé. J'ai dû réduire le foc des deux-tiers à cause
des surventes mais pour un premier on s'en est plutôt bien tiré. Le
souci c'est qu'à la suite de ce grain, les vents n'ont pas repris
leur direction initiale... Route au 30° et moins de trois nœuds au
GPS.
20H32 :
Je me prépare pour la nuit. Avec un ris dans la Grand-voile et ¼ du
foc on file à 4 nœuds. C'est parfait.
Le
dimanche 03 mai 2015 – Une journée de
grains
06H00 :
La nuit a été plutôt agitée. Non pas en termes de sommeil car
j'ai dormi comme une pierre. Non, c'est la mer qui a été agitée,
et elle l'est encore. Juste après 21H00, une houle, grosse, rapide
et rapprochée, avec des creux de deux mètres c'est installée
durablement juste après un ultime grain. Heureusement que j'avais
pris un ris pour la nuit...
Sinon,
nous avons fait 45 milles en douze heures... Oui je sais, c'est pas
top. Mais au moins ces milles étaient-ils dans le bon sens !
Pile poil au 42° ! Donc, l'un dans l'autre, je suis content.
J'attends
encore quelques minutes afin d'être tout à fait réveillé puis
ensuite je vais larguer un peu de toile à l'avant. Puisque cette
nuit on a fait du cap, aujourd'hui on va essayer de faire de la
vitesse ! Bon, pas trop quand même... parce que là mine de
rien, j'ai mal partout.
07H00 :
Je viens d'atteindre, avec quatre heures et demi d'avance, le point
où j'ai fait demi-tour la dernière fois.
08H50 :
C'est pas génial. Il fait gris, et partout sur l'horizon je vois des
grains potentiellement dangereux. Des petits, des moyens des gros...
J'ai l'impression d'être dans un champs de mines.
Logiquement,
vers midi, et jusqu'à minuit, le vent devrait adonner un peu. Ça
serait cool car j'ai beau me trouver à 20 milles des côtes, j'ai
toujours la hantise de 'y retrouver coincer comme les autres fois.
Pour l'instant c'est cap au 30°, à péniblement trois nœuds.
J'aimerais lâcher mon ris numéro un pour prendre un peu de vitesse,
mais tous ces grains ne m'y encourage guère.
Depuis
ce matin, la VHF est muette. Les autres doivent être loin
maintenant...
J'ai
faim. Je m'enfourne une grosse part du gâteau au chocolat que
Françoise m'a préparé (Oui, j'ai été gâté !). Touline aussi à
les crocs, alors du coup c'est restauration collective !
Je gère la nave
09H00 :
Alors que Touline jouait dans le fond du cockpit, je la vois qui
soudain bondit sur ses pattes et prend sa position de chasse.
Qu'est-ce qui se passe ma fille ? Elle saute sur le banc et
regarde vers l'arrière... Hop ! Voilà un petit dauphin qui
saute hors de l'eau ! Et il y en a d'autres ! Salut vous !
Mais...
Attendez ! Revenez ! J'ai pas eu le temps de prendre une
photo !
11H00 :
Putain ! J'ai failli me faire surprendre par une survente à
l'aplomb d'un gros nuage bien noir. Mais bon, même si j'ai su géré
ça fait quand même une sacrée décharge d'adrénaline !
11H25 :
Le bon côté de la chose c'est que ce grain semble être le prélude
au changement de vent annoncé. Cap au 60°, à 55° du vent apparent
et à 5,5 nœuds ! C'est super ! Sauf que la mer est hachée
comme c'est pas permis... J'ai une pensée pour Patrick et Caroline
avec leur cata bas-du-cul. Ils doivent en chier.
13H10 :
Ça fait une heure qu'on est dans le pire grain de la série. Je me
suis fait peur une ou deux fois... Mais bon, pour l’instant je
gère.
13H35 :
Ça se calme. J'en profite pour déjeuner : Une énorme part de
gâteau au chocolat avec une banane. Excellent combo !
15H00 :
J'ai encore un grain qui s'annonce... Cette fois-ci j'anticipe bien
longtemps à l'avance et je réduis le foc avant que la misère ne me
tombe sur la gueule. Après six mois d'escales, j'ai perdu le cal que
j'avais sur les mains et manier sans arrêts les écoutes me fait un
mal de chien...
16H00 :
Putain de dieu, mais c'est quoi ce truc ? Je ne sais pas vers
quoi je vais, mais ce qui est sûr c'est que j'y vais. La masse
nuageuse forme un cercle presque parfait aussi beau qu'il est
inquiétant. Je n'ai jamais vu un nuage pareil... Qu'est-ce que je
fais ? Je vire de bord ou bien ?
C'est quoi ce truc ???
16H07 :
Non, virer de bord ne servirait à rien tellement ce truc est grand.
Par contre ce qui pourrait s'avérer utile ce serait de prendre mon
deuxième ris pendant que je peux encore. Et c'est ce que je viens de
faire.
16H19 :
Ça y-est, le monstre est sur moi...
16H50 :
Ben merde alors... Il ne se passe rien ! Je suis au milieu du
cercle sous un léger crachin et c'est la pétole molle. A croire que
les nuages sont parfois comme les humains : Plus ils sont
impressionnants, moins ils en ont dans le calbute !
Par
contre si cela ne vous fait rien, je vais garder mon ris n°2 parce
que j'aperçois une autre masse nuageuse en formation juste
derrière... M'est avis que la nuit va être compliquée.
17H25 :
Voilà que l'équipage a envie de s'amuser ! Touline t'as pas vu
ce qui nous arrive dessus ? Allez, rentre te mettre à couvert !
17H30 :
J'ai l'impression d'avoir un mur liquide et noir droit devant moi...
Là je crois qu'on va morfler pour de bon. J'ai sorti le gilet de
sauvetage de son placard et je l'ai suspendu dans la descente.
18H00 :
Putain ! Le vent est arrivé comme un boulet de canon. J'ai
vraiment eu l'impression qu'une main gigantesque mettait une grande
baffe à La Boiteuse en plein sur le museau ! Le Bateau a tremblé
tellement fort que j'ai cru un moment que le mât allait tomber ! Ça
a été vraiment chaud...
Des
fois, franchement, c'est à se demander ce qu'on fout là.
18H45 :
Le choses semblent rentrer dans l'ordre. Cap au 40° toujours au près
serré, nous sommes encore sous l'influence de ce grain fantastique.
J'espère seulement que ce sera le dernier de la journée parce que
là franchement, je commence à avoir ma dose. J'ai mangé des
nouilles avec un quignon de pain... Mais plus par devoir que par
réelle envie. Non, ce dont j'ai envie là maintenant tout de suite,
c'est de dormir.
Le
lundi 04 mai 2015 - Rodéo
05H45 :
Les grains ont cessé vers minuit environ, mais j'ai conservé un
profil bas jusqu'à quatre heures du matin. Le me paraissant plus
maniable, j'ai largué le ris n°2 et déroulé le foc en grand. Je
me doute que nous n'avons pas fait beaucoup de route cette nuit... et
certainement pas le cap qu'il aurait fallu. On verra bien tout à
l'heure... En attendant, c'est le premier lever de soleil visible,
alors j'en profite.
Enfin le soleil !
06H05 :
Mouais, c'est bien ce que je pensais. Nous avons parcouru une
trentaine de milles tout en nous rapprochant pas mal des côtes.
Elles ont beau être encore à 20 milles, je vais devoir serré au
plus près pour passer Maceió
en toute sécurité. Maceió, c'est la porte de sortie de ce piège à
rat qu'est Salvador, et il reste 145 milles avant d'y être.
Réjouissons
nous tout de même, il fait un temps splendide et la mer est jolie.
(même si je vois déjà des grains se profiler à l'horizon).
07H10 :
J'ai lâché le ris n°1 afin de pouvoir encore remonter au vent si
c'est possible.
07H20 :
Tien, on dirait qu'il y a une voile loin devant sur tribord...
08H00 :
Bah non, c'est pas une voile. On dirait une espèce de tour
flottante. Bizarre.
09H00 :
Depuis une heure La Boiteuse avance à 5 nœuds sur une mer maniable,
au près et toutes voiles dehors. C'est agréable de voir son bateau
donner sa pleine mesure.
11H10 :
Je viens de terminer de lire Un
enfant de la balle,
de John Irving. J'adore cet écrivain.
11H15 :
Pffff... Grosse déception. Je salivais depuis ce matin en pensant à
mon repas de midi : Une grosse calabresas
avec des pâtes au beurre ! Hélas, les trois saucisses que j'ai
acheté vendredi n'ont pas tenu le coup. Elle sont complètement
moisies ! Du coup, et comme en plus le temps s'y prête, j'ai
mis une ligne à l'eau dans l'espoir d'attraper mon repas !
Allez les poissons, vous avez moins d'une heure pour mordre ok ?
Entre
parenthèse, vivement qu'on arrive à Trinidad que je m'achète un
nouveau frigo...
12H15 :
La matinée a été idyllique ! Temps magnifique, pas de grain,
25 milles de parcourus. Le cap n'a pas été super-top, 35° au lieu
des 45° prévus, mais bon... On fait ce qu'on peut. J'ai finalement
déjeuné de sardines posées sur un lit de riz.
En mode Bogosse
14H30 :
Je viens de dormir deux heures. Pendant ce temps, le vent est tombé
et le ciel c'est couvert. Nous flirtons un peu avec le plateau
continental, mais l'un d'en l'autre le cap est bon. Mette un peu
d'est dans mon nord ne serait pas du luxe.
14H55 :
Il y a un nuage plus gris et plus bas que les autres, droit devant.
La question éternelle que se pose le navigateur c'est :
Réduis-je la voilure ou ne réduis-je pas ?
Réduire
la voile d'avant, c'est simple et ça prend 30 secondes. Réduire la
Grand-voile c'est moins simple et ça prend 3 minutes. 5, si je
m'emmêle les pédales.
Allez
Gwendal, décide toi ! Tu as un quart d'heure, vingt minutes
maxi, avant d'être dans le caca. Ou pas.
Et
tout le problème réside dans ce fameux « ou pas ».
C'est là qu'il faut avoir du nez. Il faut puiser dans son catalogue
personnel d'impressions et d'expériences, et prendre une décision...
Brrr !!!
15H10 :
Et voilà ! C'est fait. J'ai pris le ris n°1 et j'ai réduis le
foc de trois-quart. Je suis prêt. Vu d'un peu plus près, la
question de tout à l'heure ne se pose même plus... Le nuage est
devenu presque noir et un voile sombre de pluie le relie à
l'horizon. Il n'y a plus qu'à espérer qu'un seul ris suffise.
16H20 :
C'est pas encore terminé. Depuis plus d'une heure ça bastonne pas
mal. En fait je crois qu'il y avait deux grains qui se couraient
après, et que je suis passé de l'un à l'autre sans transition. Le
second souffle du sud-est, ce qui m'arrange bien pour le coup.
16H29 :
Merde, voilà les éclaires et le tonnerre qui s'en mêlent.
16H42 :
J'ai droit à une petite pause... Mais elle sera de courte durée car
je vois un troisième grain qui arrive. L'espace entre les éclaires
et le tonnerre est de 13 secondes.
17H20 :
Et c'est reparti pour un tour... Comme hier, il fait nuit avant la
nuit.
17H49 :
Merde ! Y'a un boulon du régulateur d'allure qui s'est
barré !!!!! Bordel de dieu, c'est vraiment pas le moment car ça
piaule dur !
18H26 :
Ouf, ça y est c'est réparé. J'ai eu du bol car ça s'est calmé
peu après que j'ai commencé à faire du rodéo, à cheval sur le
bâti du régul'. Il n'empêche, ça a été un peu chaud... J'en ai
encore les bras et les jambes qui tremblent.
18H30 :
Ben zut alors, c'est la pétole maintenant ! Pas un pet de vent
et une mer formée qui ballotte La Boiteuse dans tous les sens.
Allez, je vais allumer le moteur et en profiter pour m'éloigner de
côte. En plus le courant est vachement fort dans ces parages. Cap au
60° avec la GV en appui.
20H50 :
Je viens de mettre 20 l de gas-oil dans le réservoir. Avec ça je
devrais être bon jusqu'à demain matin.
Le
mardi 05 mai 2015 - Tranquillou
La vie est belle de nouveau !
05H40 :
Le soleil se lève, radieux, sur un ciel pommelé de petites boules
de coton. C'est joli, et ça conclue une nuit qui, même si elle a
été un peu compliquée au début, s'est avérée pas si mal que ça
au final. Vers minuit la pétole s'est installée et nous avons eu
droit à la lune et aux étoiles comme compagnons de route. Mercedes
a fait son boulot, au ralenti pour économiser le carburant, et le
pilote nous a fait faire un cap au 55° sur 45 milles. Cela nous a
permis à la fois de nous éloigner de côté tout en faisant un peu
de route utile.
Donc
ce matin je suis de bonne humeur !
A
part ça, il n'y a toujours pas de vent, alors on va continuer encore
un peu au moteur.
06H20 :
La ligne de traîne est à l'eau. J'ai dû refabriquer un leurre, car
celui d'hier a été légèrement mâchouillé et ne ressemblait plus
à rien. Le vieux calamar en plastique fera un super jouet pour
Touline qui commence un peu à se faire chier (Il n'y a pas qu'elle).
07H00 :
Allez, on se lâche. J'arrête le moteur et je sors toute la toile.
La Boiteuse se fait plaisir avec des pointes à cinq nœuds sur un
mer superbe.
08H15 :
Je balance des quignons de pain à un puffin majeur un peu curieux.
09H55 :
Comme je le supposais, mon cap n'est pas fameux. Nous faisons du 20°
alors qu'un 30°, voire un 35°, aurait été de bon aloi. Si cet
après midi le vent n'adonne pas, on va être obligé de rallumer le
moteur pour s'écarter de Maceió...
Car oui, on y arrive enfin !
Pas
de grain, à l'horizon. Pourvu que ça dure !
No comment
12H00 :
Le vent a encore refusé et nous nous dirigeons droit sur Maceió
à 20 milles de là. C'est vrai, l'idée de m'y arrêter m'a bien
effleuré l'esprit. Mais pas plus d'une seconde je vous rassure. Le
prochain arrêt se fera à Jacaré, point barre !
12H40 :
Miam ! Le Capitaine à super-bien mangé, merci pour lui. Au
départ je m'étais préparé une feijoada avec du riz pour deux
repas, mais j'ai finalement tout englouti. Il faut vous dire que je
n'avais rien avalé depuis vingt-quatre heures, ceci explique
peut-être cela...
16HH00 :
Il se passe un truc bizarre dans le coin... Depuis ce matin je vois
arriver des fronts nuageux en provenance de l'est (normal), mais un
peu avant d'arriver à mon niveau on dirait qu'ils glissent vers le
sud-est pour finalement se regrouper en grains dans mon dos. Je sais
que la zone de Recife, et plus largement la pointe est du Brésil,
est le lieu où les vents et les courants en provenance de
l'Atlantique sont sensé se séparer en deux. Une parti descend vers
le sud, et on a alors le courant Brésilien, celui que je me tape
depuis Cabo Frio, et l'autre partie remonte vers le nord-ouest, c'est
le courant amazonien.
Je
ne sais pas si ce que j'ai sous les yeux est la démonstration exacte
de ce phénomène... Si ça l'est, je me trouve exactement à la
latitude de cette séparation.
En
prévision d'une hypothétique séance moteur, j'ai remis encore 20l
de diesel dans le tank. Et puis j'ai pris une douche aussi... J'avais
l'entrejambe qui commençait à sentir le fennec. On ne sait jamais,
si une sirène venait à passer !
17H05 :
Allez, il est temps de se tirer de là. Maceió
est à six milles et si je ne me tire pas de là je vais finir dans
les cailloux. Cap au 50°, même limonade que la nuit dernière.
Pendant
que je faisais ça, le soleil s'est couché en un temps records. On
voit bien qu'on se rapproche de l'équateur ! (09°42')
Touline
17H40 :
Ben merde alors... J'ai l'impression qu'il y a un front de nuages en
provenance du sud-est qui m'arrive droit dessus.
17H48 :
Ouf ! J'ai juste eu le temps de prendre deux ris d'un coup avant
que les premières rafales de vent ne couchent La Boiteuse !
Pourquoi faut-il que mes débuts de soirée soient toujours aussi
mouvementés ? C'est vrai quoi, depuis samedi tous les soirs
j'ai droit à un coup de tabac !
18H30 :
Ah, je crois que j'ai un souci avec le régulateur de tension de
l'alternateur... Tout à l'heure je l'ai rebranché (oui, c'est une
panne tellement courante que je ne vous en parle même plus), et mon
tournevis est entré en contact avec le bloc moteur, créant une
étincelle. Depuis, mes batteries recommencent à charger, mais elles
sont maintenant à 14,2V alors qu'elles devraient se maintenir à
13,6V... C'est donc, je pense, le régulateur qui a cramé. Il va
falloir que je surveille ça de près parce que sinon les batteries
risquent de griller, voire même d'exploser.
Manque
de pot, j'ai déjà sommeil... Bon, au pire je débranche le bordel
et puis c'est marre.
19H30 :
J'avais pas envie de cuisiner alors j'ai mangé deux bananes. Vous
savez, ces petites bananes (tigrées ?) qu'on appelle ici banana
maçao,
et qui sont si sucrées ?
Le
front nuageux est derrière nous maintenant. Les lumières de Maceió
aussi... Tout va bien.