07°02,149S
34°51,353W
Marina
Jacaré, Paraiba,
Brésil
Le
mercredi 6 mai 2015 – Une belle journée
La journée commence bien |
05H10 :
J'ai mal dormi cette nuit à cause des cargos qui n'ont pas arrêtés
de passer et de repasser, dans un sens, puis dans l'autre... Il y a
même eu une plate-forme pétrolière dans le lot ! Le genre de
bateau dont tu te demandes s'il va aller par là, ou par là...
Jusqu'à ce que tu t’aperçoives que finalement non ; il ne
bouge pas ! Et de garder ensuite, cette vague sensation d'avoir
été pris pour un con. Si, quand même.
Bref
c'est pas grave, je récupérerais dans la journée. Là, j'attends
de finir mon café et d'être pleinement opérationnel avant de
sauter sur le pont pour lâcher la bête. La brise est là, et on va
voir ce qu'on va voir !
06H05 :
45° du vent, cap au 20°, toutes voiles dehors. On fait un tout
petit 4 nœuds mais c'est cool. Recife est à 80 milles et on devrait
y être... Je n'en sais rien. On verra bien. (demain vers deux heures
du mat'. Mine de rien je calcule vite avec les neurones de ma tête)
06H25 :
J'ai fini de lire Vers
chez les blancs
de Djian. Et j'attaque Lire
au Cabinet
d'Henry Miller.
08H20 :
Bon, maintenant que le fait d'arriver demain à Jacaré est une chose
pratiquement acquise, je peux enfin me risquer à vous en dire
quelques mots. Oui, que voulez-vous, il persiste en moi un vieux fond
de superstition qui m'empêche de parler trop tôt de quelque
chose... de peur que ça n'arrive pas. Je sais, c'est débile, mais
c'est comme ça.
Jacaré
ce fut pour moi, il y a presque trois ans, mon ponton d'arrivée
après ma transat en solitaire. Ce fut un havre d'où j'ai eu
beaucoup de mal à me détacher tellement je m'y sentais bien. Ce fut
aussi le point de départ pour une virée dans le Sud... Une
parenthèse dont j'ai déjà évoqué les sentiments mitigés qu'elle
m'inspire. Jacaré sera enfin ma dernière escale avant de me tirer
de ce foutu pays.
Oui,
Jacaré c'est tout ça à la fois. Oserais-je le dire ?
Retourner là-bas c'est un peu comme rentrer chez soi... Je vais m'y
ressourcer avant que de reprendre ma route vers l'inconnu (et au-delà
!). Je vais pouvoir recommencer à essayer de donner un sens à ma
vie.
09H30 :
Chouette ! Le vent vient de virer d'un coup de presque 30° !
Nous sommes au travers maintenant et La Boiteuse file sans gîter à
près de 5 nœuds. Le pied !
11H15 :
Le vent tombe et joue avec mes nerfs. Moi qui suis plutôt nonchalant
lors des grandes naves, je passe mon temps à tripoter le régulateur
et les écoutes... Et franchement ça me gonfle. Mais bon, je garde
l'espoir d'arriver demain avant la tombée de la nuit, et pour ça je
dois essayer d'optimiser au maximum mon cap et ma vitesse. C'est très
technique comme navigation. Il faut constamment être sur la brèche,
se poser des question... On est loin du lâcher prise que ce genre de
voyage est sensé inspirer. Cela dit, je ne me plains pas trop car il
fait beau et La Boiteuse va dans le bon sens, alors franchement...
12H00 :
Au point de midi, 25 milles de parcourus en six heures. Ce n'est pas
fameux mais au moins ces milles ont été agréables (Vous sentez ce
côté je-cherche-toutjours-le-côté-positif-des-choses ?). En plus,
comme le vent vient de travers, il fait moins chaud. Grosse plâtrée
de riz et de tripes à la brésiliennes en gestation. J'ai une de ces
dalles moi !
15H25 :
On n'avance pas vraiment au rythme que j'espérais mais on avance
tout de même. 3-4 nœuds, parfois un peu plus au hasard d'une vague
favorable. La Boiteuse se dandine sur une mer bleue et un ciel bleu
aussi, mais avec de gros paquets de coton blancs dessus. Je repense
aux journées de samedi et dimanche et je me dis que le voyage
devrait toujours être ainsi.
17H20 :
Cher Monsieur de la Météo,
Je
note avec un certain soulagement que cette fin de journée n'est pas
accompagnée de l'habituel « grain du soir ». J'ai bien
conscience que cette aubaine vous est imputable et je tenais par la
présente à vous en remercier. Si j'osais abuser de votre
bienveillance, vous serait-il possible également de faire en sorte
que cette nuit ne soit pas placée sous le signe de la « pétole
nocturne » ?
Dans
l'espoir d'être satisfait, je vous prie cher Monsieur de la Météo,
de recevoir mes salutations distinguées.
18H00 :
J’abats de 5° avec la molette du régulateur afin de commencer à
obliquer vers le nord. Recife est à 33 milles. Ensuite il restera 80
milles jusqu'à Jacaré... Je ne sais pas vous, mais ce genre de
phrase ça me donne la patate !
19H30 :
La lune se lève. Je crois avoir vu, assez loin sur tribord avant,
les feux d'un voilier... Mais je n'en suis pas sûr. Sinon, on dirait
que le Monsieur de la Météo a bien reçu ma lettre et a décidé
d'y répondre favorablement. La brise s'est renforcée et La Boiteuse
fonce dans la nuit.
Le
jeudi 7 mai 2015 – Jacaré enfin !
06H00 :
Ce matin lorsque j'ai ouvert un œil ce fut pour constater la
présence devant moi d'un gros nuage à fond plat, genre « serre
les fesses mon garçon, ça va dépoter ». J'ai dû réduire un
peu à l'avant et pendant une heure nous avons fait de jolis surfs
jusqu'à 7 nœuds. Belle mise en jambe pour cette dernière journée !
Au
point du matin, bonne nouvelle. 4,5 nœuds de moyenne sur les
dernières douze heures, nous ont amené à exactement 58 milles de
Jacaré ! Donc, si j'arrive à maintenir une allure de 5 nœuds,
nous devrions y être vers 17H30. Pretty cool, isn't it ?
Bon,
ça c'est si le vent se maintient, hein ? Sinon, et bien on
arrivera quand on arrivera et pis c'est tout.
06H30 :
J'ai envie de faire caca. Vous me direz, après cinq jours il serait
peut-être temps, non ?
06H40 :
Oh putain, ça fait du bien... (smiley de contentement) J'ai
l'impression de peser 5 kilos de moins !
A
propos, vous ai-je dit que pendant ces six derniers mois d'escale
j'ai réussi à diviser mon budget par deux (coût de la marina
compris), et à ne pas prendre de poids ? Si, c'est vrai !
Sur la tête de Touline je vous jure que c'est vrai !
07H30 :
Le vent s'étiole... Oh non, voilà la pétole ! (misérable tentative de versification)
08H00 :
Hihihi !!! C'est pitoyable, mais ça me fait rire. On se traîne
à 2,5 nœuds.
08H50 :
J'ai dû attacher la bôme pour ne pas qu'elle batte trop. J'espère
que le vent ne va pas tarder à revenir parce que sinon il va falloir
se résoudre à finir cette nave au moteur...
09H30 :
J'ai presque envie de sortir le spi... Qu'est-ce que vous en pensez ?
Mouais... |
10H10 :
Y'en a marre ! Allumage de Mercedes et go ! Ça commençait
à me courir cette histoire.
D'autant
que si je ne me trompe pas, j'aperçois déjà les immeubles de Joao
Pessoa.
12H00 :
Il reste 33 milles à faire... ça nous fait arriver vers 18H30,
après le coucher du soleil. Le ciel se couvre peu à peu, mais
toujours pas de vent. Je me prépare une feijoada et ensuite je vais
essayer de dormir un peu.
13H30 :
Impossible de fermer l’œil... Le stress de l'arrivée sans doute.
J'ai encore remis 20 litres de diesel dans le bouzin, histoire
d'assurer le coup. C'est le silo de Cabedelo que je vois là-bas ?
Je
suppose que les copains sont arrivés maintenant, et certains
probablement depuis hier. Ça va me faire chaud au cœur d'avoir des
gens pour m'accueillir au ponton. Si il y a de la place bien sûr...
Sinon, le plan B sera d'aller planter la pioche dans le fleuve. Et
là, c'est sûr que ça va gâcher un peu mon plaisir...
Joao Pessoa |
Joao
Pessoa est par le travers. Il faut absolument que j'emmène Patrick
et Caroline faire un tour au marché central. J'en profiterais pour
faire le plein de noix de cajou !!!
Tien,
pendant que j'y suis il faudra que je trouve un nouveau régulateur
d'alternateur. A part ça, pas d'autres casses. Encore une fois La
Boiteuse s'en tire bien. Et moi ? Ben moi, il va falloir que je
m'occupe de ma sortie du pays et que je me prépare à la prochaine
étape qui sera plus simple, mais aussi plus longue. Entre dix et
quinze jours de mer selon que je m'arrête en Guyane ou pas... Si
seulement je pouvais trouver une équipière sur les pontons de
Jacaré ! Ça serait cool non ?
15H30 :
Tien, c'est maintenant que le vent se lève... (Connard !)
15H40 :
J'aperçois quelques frégates qui planent au dessus d'une barque de
pêche. Elle m'ont manqué celles-la. Les frégates, pas les barques.
16H00 :
C'est officiel, on arrivera de jour. Mine de rien cela me soulage...
Non-pas que j'ai été vraiment inquiet car je connais déjà
l'endroit et l'entrée dans le fleuve ne recèle pas de difficultés
particulières. Mais un atterrissage est toujours une équation
compliquée, alors si on peut retirer un facteur de complication à
cette équation, c'est toujours ça de gagné.
16H20 :
Voilà un truc que je n'avais pas prévu. J'ai le soleil couchant
dans les yeux, et ça m'empêche de voir les bouées du chenal...
Heureusement, opencpn est là !
16H30 :
Et hop ! On embouque le chenal d'accès au fleuve !
Euh... |
17H10 :
L'ancre (au cas où) et les pare-battages sont à poste et la GV
descendue. J'ai sorti un tee-shirt propre. Je n'arrête pas de faire
des aller-retours dans tous les sens ! Une vraie boule
d'énergie ! Vous n'imaginez pas comment je suis content d'être
là !!!
17H20 :
Merde, encore un filet droit devant ! Mais ils le font exprès
ou quoi ??? Déjà, il y a trois ans... J'aperçois les mâts
des voiliers au mouillage. Le soleil a disparu derrière l’horizon
mais il reste encore assez de lumière pour faire ce que j'ai à
faire.
Mais ! Je connais cet endroit ! |
17H50 :
Et voilà ! Nous y sommes ! Francis, le gérant de la
marina est venu m'accueillir. Les copains arrivent eux-aussi. J'ai
même droit à quelques applaudissements ! Jacaré enfin !
Les
amarres n'étaient pas encore nouées au taquets que Touline sautait
sur le ponton avec un miaulement de victoire. Pas de doute, à sa
façon de se déplacer je vois bien qu'elle reconnaît l'endroit !
Pour
ma part, sitôt le moteur éteint et le bateau sécurisé, je me suis
dirigé vers le bar pour rejoindre toute la bande et offrir une
tournée. Bordel, que ça fait du bien d'être ici !
17 commentaires:
Retour en territoire familier et accueillant !!!
ça fait plaisir de te voir sourire !!
Bisous mon Gwen !!
ouf, que ça fait du bien de te lire... Il y a un de ces tons, dans cet article, qui donne envie de bouger, de tirer sur les ecoutes, de tripoter la molette du régulateur... Et c'est quoi, un voyage, sinon un eternel aller-retour entre lieux qu'on ne connait pas encore et autres qu'on a un tout petit peu oubliés ? Bon, pour la peine je m'en vais tirer quelques bords dans le port avec mon Little Gu.
Merci, Gwendal.
Je vois, que les pontons sont encore plus pourri qu'il y a trois ans. Dites bounjour a Francisdema part
@Monique : Où t'as vu que je souriais ? Je ne souris jamais c'est bien connu...
@Gubragh : Pas de quoi mon pote.
@Willem : Pontons pourris mais ambiance du tonnerre !
Bonjour Gwendal,
Bravo !
Un peu de repos et c'est reparti ou l'escale va-t-elle durée ?
Y a-t-il une période limite pour remonter vers le nord avec des conditions favorables ?
David de Nantes
@David : Pour la durée de l'escale je ne sais pas... Mais c'est pas grave car nous sommes maintenant sous un régime d'alizés et je peux partir quand je veux.
Félicitations...!
Aaaah cool Gwendal !
Super contents pour toi et que cette navigation se soit bien passée. Bon maintenant le plus dur est fait hein ! Ensuite c'est le tapis roulant pour remonter ! :)
Ta joie est palpable dans tes récits. J'adore ces petits messages sans transition au milieu des autres. Bravo d'avoir bouclé cette boucle, profite bien de ce "retpur aux sources" et continue à nous régaler de tes récits !
@... : Merci !
@Chris et JR : Ça va être du gâteau en comparaison !
@Astrid : J'y compte bien ! Et toi profite de l’Helvétie !
Belle nav. Content de ce retour à l'action. Te revoilà,enfin, de retour dans les Alizés. Félicitations.
@Julien : Merci Julien !
Une nav comme tu les aimes et comme on aime les lire ! Et au fait (?), je viens de lire ton article sur la sécurité au Brésil, mes neveux à Brasilia disent à peu près la même chose, sans la mer ! J'ai lu aussi le récit de cette famille de Rochelais... pitoyable autorités... @+
C'est quand "quand tu veux" ? (Et c'est beau la Guyane - mais pas forcément safe).
Zibous méditerranée
@La Lésion : La prochaine nave devrait être toute aussi plaisante, sinon mieux (enfin j'espère !).
@Hedilya : Au plus tard début juin. Je me suis fixé une limite :)
Avec un peu d'Internet à Barlovento je retrouve tes histoires, et ton style... Ca m'avait manqué!
Un abrazo aux gens de Jacare.
@Bateau Loïck : Je te dirais bien d'embrasser aussi les gens de Barlovento, mais je doute qu'ils se souviennent de moi ! :) Comme quoi, Jacaré restera un lieu unique.
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