32°01.581S
52°06.512W
Rio Grande do Sul,
Brésil
Quoi de mieux
qu'une journée orageuse, où des nuées sombres déversent des
barriques de flottes sur les pontons déserts et où accessoirement
l'électricité et internet jouent à saute mouton, pour écrire un
article de fond ? Hein ? C'est un moment parfait pour ça.
Je ne suis pas distrait par mes habituels papotages avec mes amis des
quatre coins de la planète. Je suis « coincé », parce
que même si l'eau qui tombe du ciel est tiède, c'est quand même
mieux de rester sec. Et puis ça tombe bien parce qu'il y avait un
truc dont je voulais vous parler depuis quelque temps. Donc, article
de fond disais-je, destiné à figurer dans la catégorie
« Réflexions » (donc possiblement chiant, vous êtes
prévenus).
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Tout le monde aux abris... |
Pendant longtemps,
j'ai cru que j'étais un paresseux. Un oisif. Un type qui se contente
de choses non-productives comme chatter avec ses copains, regarder
des séries télé et glander tout seul dans son coin. Une sorte de
misanthrope que le moindre effort physique rebute et qui se complait
dans un monde virtuel loin de la vraie vie des vraies gens. Un marin
accroché à son électricité et sa connexion internet comme une
moule à son rocher. Incapable d'apprécier les joies du mouillage
dans une petite baie perdue loin de la civilisation...
Pourquoi est-ce
que j'ai bien pu me mettre ça dans la tête vous demandez-vous ?
Et bien peut-être parce qu'on me l'a dit et que j'y ai cru. Mais
attention, quand on me l'a dit, c'était avec le ton qui va avec...
Le genre de ton, bien culpabilisant qui ne supporte pas la réplique
et vous classe définitivement dans la catégorie des gens qui ne
comprennent rien à rien (Je sais de quoi je parle, j'utilise bien
souvent moi-même un tel ton comme vous le verrez plus bas). Et la
culpabilité est quelque chose qui fonctionne assez bien avec moi,
vous vous en êtes certainement déjà rendu compte.
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Et moi, je fais quoi en attendant ? |
Cela a commencé
avec le genre de réflexions que l'on entendait il y a une dizaine
d'années, lorsque l'internet et les réseaux sociaux se sont
développés à la vitesse grand V et que les réfractaires
bien-pensants craignaient que nos enfants se transforment en légumes
vautrés sur leur canapés... Cette peur, et les réflexions qu'elle
engendrait, a bel et bien vécue et de nos jours il serait
parfaitement incongru de tenir de tels propos. Mais pourtant il
m'arrive encore de les entendre, même si il est désormais clair que
les réseaux sociaux et internet créent plus de lien social qu'ils
n'en détruisent.
Ensuite, lorsque
j'ai commencé à voyager, j'ai eu à faire face à l'incompréhension
de mes « collègues » quant à mon aversion des
mouillages, des lieux isolés en général, et ma préférence pour
les lieux pourvus d'électricité et d'un réseau wifi correct...
Même si j'ai revendiqué mon indépendance par rapport à ça
(confère l'article « J'aime pas les mouillages » en
octobre 2012), cela ne m'a pas empêché de continuer à culpabiliser
et de considérer parfois ma paresse et ma sédentarité comme un
défaut moral.
Cependant, et même
si il me semblait être au clair avec moi-même, je n'en continuais
pas moins à trouver que quelque chose clochait dans mon
raisonnement. Une espèce de sentiment d'inconfort par rapport à
tout ça... Comme si je n'étais pas parvenu à totalement découvrir
le pourquoi du comment de mon comportement.
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Je sais... Je suis allé chez le dentiste depuis. |
C'est
alors qu'il m'est venu aux oreilles cette espèce de polémique
débile qui fait rage en France, sur « la théorie du genre ».
A ce propos, et outre le fait que la théorie du genre est un
fantasme pour réactionnaires, je me permets de
vous
renvoyer à la
définition de Wikipédia sur ce qu'est une théorie, et vous noterez
cette phrase qui me semble importante : « Dans
le langage courant, le terme « théorie » est souvent
utilisé pour désigner un ensemble de spéculation sans véritable
fondement, à l'inverse du sens admis par les scientifiques. »
En ce qui me
concerne je n'utilise le mot théorie que dans son sens vrai, c'est à
dire scientifique. Le langage courant étant bien souvent celui des
crétins gens peu instruits, ce qui n'est pas mon
cas (vous sentez le ton que j'utilise ?). Et dans ce cas précis il
me semble évident que la « théorie » du genre est un
fait établi et prouvé depuis bien des années par de nombreuses
études sociologiques et psychologiques. Et seuls quelques bas du
front incultes, réactionnaires et lobotomisés par leur croyances à
la con peuvent encore prétendre le contraire.
Mais bon, je ne
suis pas là pour vous parler de ça ni vous faire la morale, parce
que s'il le faut vous vous en foutez comme de votre première
chaussette (et vous auriez tort !). Non, si je vous parle de ça,
c'est parce que cette polémique stérile sur le « genre »
renvoi à la sempiternelle et passionnante question entre ce qui est
inné, et acquis. On devient hétérosexuel, homosexuel,
chauffeur routier ou ménagère. Et ça, c'est la culture et la
société qui nous l'impose pour une grande part, avec son cortège
d'injustice. C'est bien compris les débiles ? (Bon ok, j'arrête))
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Heureusement, des fois c'est beau. |
Bref, j'en étais
à écouter de loin cette controverse lorsqu'il m'est alors venu à
l'esprit que, me concernant, il se pourrait bien que mon comportement
social de geek casanier était peut-être induit et non pas le fruit
de je ne sais quel comportement inné. En clair, je ne suis pas né
paresseux, casanier, nonchalant et beau gosse, je le suis devenu. A
partir de là, la question qui se pose est celle-ci : Qu'est-ce
qui a fait que je sois devenu comme ça ?
Après quelques
semaines de réflexions intenses (mais non, j'déconne !), la
réponse m'est apparue aussi clairement que le nez au milieu de la
figure de Cyrano.
Il y a de cela
maintenant vingt-trois ans je me fracturais la cheville droite.
Multiples fractures de l'astragale, et du calcanéum en fait. Je vous
passe les détails, mais disons que ceux qui ont eu une entorse
peuvent comprendre si je dis que c'est un peu comme si actuellement
j'en avais une en permanence. C'est comme ça depuis des années, et
avant que vous ne me suggériez plein de choses via vos commentaires,
sachez qu'on peut rien y faire. C'est comme ça, c'est foutu. À
moi de faire avec.
Je crois que je ne
me suis jamais considéré comme handicapé... Je ne sais pas trop
pourquoi, mais c'est ainsi. Peut-être ne voulais-je pas me sentir
diminué, même si de toute évidence je n'étais plus le même.
Peut-être voulais-je croire que rien n'avais changé... Peut-être
aussi que comme c'est une douleur qui ne se manifeste qu'après
quelques minutes d'efforts, la plupart du temps je ne me sentais pas
amoindri.
Et pourtant, ma
façon de vivre s'en est trouvée affectée. J'ai commencé à moins
marcher, à calculer presque automatiquement quel était le trajet le
plus court pour aller d'un point à un autre... Bref, à optimiser
mes déplacements afin de moins souffrir. Et je faisais tout cela,
sans même admettre que j'avais un problème. Jusqu'à croire que
c'était ma nature que de ne pas aimer bouger de chez moi, puis de
mon bateau. Je sais, ça a l'air débile posé comme ça, à froid,
sur le papier... Enfin, je veux dire que j'aurais pu m'en rendre
compte depuis longtemps, et notamment depuis que je dispose de tout
ce temps pour réfléchir... Mais non. Je suppose que certaines
choses nécessitent d'un peu de temps pour mûrir. Et parfois même
d'autre encore ont besoin de beaucoup de temps.
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C'est pour moi ? |
Concrètement cela
veut dire quoi ? Cela veut dire que lorsque je dois aller en ville
cela représente trois kilomètres aller-retour... Et généralement
il me faut au moins quarante-huit heures pour me remettre d'une telle
escapade. Deux jours pour enfin réussir à ne plus marcher sans
avoir mal... Et forcément, cela va influencer ma vie quotidienne. Je
vais essayer de grouper les choses à faire afin de limiter les
efforts et me contenter de ce que j'ai directement sous la main. Je
vais oublier les petites randonnées sympathiques, les grimpettes sur
les collines, les petites balades au hasard...
Bref, j'ai appris
malgré tout à vivre en fonction de ce que mon corps est capable de
supporter.
Voici un dernier
exemple qui pourra sans doute illustrer encore mieux ce qu'est ma
vie. Vous savez que je n'aime pas faire escale dans une grande
ville... La seule qui ait trouvé grâce à mes yeux ça a été
Barcelone. Mais si j'ai adoré cette ville, cela n'a rien à voir
avec la douceur de vivre Catalane ou la richesse culturelle de cette
ville (enfin si quand même un peu), c'est d'abord et surtout parce
que le port se trouvait au milieu de tout. Cafés, supermarchés,
boutiques, administrations... J'avais tout à disposition dans un
rayon de cinq cents mètres de mon bateau. Et ça franchement, sans
mauvais jeu de mot, c'est le pied.
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Crunch... Merchi... Crunch... Papa... Crunch.. |
Entendons-nous
bien, je ne cherche pas une excuse à mon comportement, mais une
explication. Je suis devenu ainsi parce qu'il est de la nature
humaine de chercher le contentement à moindre effort et à moindre
souffrance. Croyez-moi, j'adorerais qu'il en soit autrement... Ou du
moins que ma tolérance à la douleur me permette d'agrandir le
cercle de mes possibilités. Mais le fait est que je suis limité
physiquement, et que je dois enfin l'admettre.
Alors bon.
Maintenant que j'ai dit ça, qu'est-ce qui va changer ? Ben
rien... Il s'agissait d'une réflexion, rappelez-vous. Je vais
peut-être juste arrêter de me faire des cheveux blancs et me
contenter de profiter de la vie du mieux que je peux. La Boiteuse
c'est un peu mon fauteuil roulant à moi, et même si mon horizon
reste limité, je m'estime heureux de pouvoir en changer quand ça me
chante. C'est déjà pas mal. Parce que même si je fais le tour du
monde à cloche pied, au moins je fais le tour du monde ! Et ce
sera toujours bien plus que je ne pouvais en voir de la fenêtre de
ma maison.
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Un arcus par semaine au minimum. C'est la loi ici ! |