28°07.565N 15°25.565W
Las Palmas
Le titre du présent article peut paraitre un peu présomptueux j’en conviens, surtout quand vous apprendrez que le voyageur en question, c’est ma pomme. Mais bon, j’ai trouvé que les questions qui m’étaient posées, ainsi que les réponses que j’y ai apportées, pouvaient vous intéresser…
Surtout pour les derniers arrivants qui auraient quelques lacunes sur la Boiteuse et son capitaine !
Il s’agit d’un questionnaire qui m’a été gentiment proposé par
Cubazic, le tenancier du blog du même nom dans le cadre d’un forum littéraire qu’il anime,
Grain de sel.

Bonjour Gwendal, Merci de nous avoir rejoint, peux tu te présenter en quelques lignes aux membres du forum GDS… ?
Je m’appelle Gwendal DENIS, j’aurais 45 ans au mois d’avril. Célibataire, sans enfants. Après une vie un peu compliquée, j’ai eu la chance de pouvoir à un moment donné, faire le choix de changer radicalement ma façon de vivre et d’essayer de réaliser mes rêves.
Alors il y a maintenant presque un an et demi, j’ai acheté un bateau et j’ai entrepris de faire le tour du monde… Et pour que la rupture soit complète, j’ai vendu il y a quelques semaines ma maison de Nice.
Nous allons donc essayer de faire connaissance en 10 Questions (8 imposées et deux que tu pourras te poser à toi-même…) grâce à une « interview voyageurs » au cours de laquelle tu auras droit à un joker, tu inaugures ce genre de présentation sur ce forum, peux tu nous parler de ton voyage…
Il s’agit de faire le tour du monde en solitaire, sans avoir à passer par les péages. Je m’explique : La plupart des tourdumondistes à la voile effectuent la grande boucle en restant autant que faire se peut dans la zone équatoriale où les vents sont favorables et les températures clémentes. Le problème, c’est qu’il faut pour cela emprunter les deux canaux de Panama et de Suez ... Qui sont en fait, selon ma conception personnelle, ni plus ni moins que des péages, et quelque part une forme institutionnelle de racket. D’un point de vue moral il m’a semblé intéressant de ne pas participer à ce racket, même si cela implique de devoir naviguer comme nos ancêtres et de passer par les deux caps mythiques du Horn et de Bonne Espérance.
Bon, ça c’est le plan original. Puis, je me suis rendu compte que ce projet ne pouvait pas se réaliser (ou alors très difficilement) dans un laps de temps déterminé. Qu’il fallait pour cela m’investir complètement. J’ai donc très logiquement vendu tous mes biens et je me suis lancé pour de bon dans cette aventure.
Ensuite, ce projet est devenu avec le temps plutôt comme un canevas grossier... C’est ce que j’ai envie de faire, mais je sais maintenant que s’il le faut je peux m’arrêter dans un pays qui me plait, ou bien trouver quelqu’un avec qui faire la route. Faire le tour du monde n’est plus un objectif en soi, c’est devenu un mode de vie.
As-tu amené de la lecture avec toi, as tu internet dans le bateau... ? Parles-nous de ton compagnon de voyage…
Lorsque j’ai vendu ma maison, j’ai laissé tous mes biens à l’intérieur. Mes meubles, mes vêtements, ma télé, mon frigo, tout… Et mes livres bien sûr. J’avais une bibliothèque assez bien fournie (je suis un fan de science-fiction) mais je n’ai hélas pas pu emporter beaucoup de livre avec moi. Question de place. J’ai donc fait le choix d’une dizaine de livres que j’étais sûr de pouvoir relire encore et encore. Il y a
Le Seigneur des Anneaux de Tolkien bien sûr…
Le monde selon Garp et
Hotel Newhampshire de John Irving, les
Œuvres complètes d’Edgar Poe traduites par Baudelaire... Et puis quelques livres de marin :
La longue route et
Un vagabond des mers du sud de Moitessier,
Seul à travers l’Atlantique d’Alain Gerbault et
Seul autour du monde de Joshua Slocum.
Depuis mon départ, en avril 2011, j’ai eu l’occasion de croiser quelques bateaux français et j’ai pu récupérer ainsi d’autres bouquins, essentiellement des romans. Dans la communauté des bateaux-voyageurs, on a tous le même problème de place, donc nous pratiquons le troc ! Une fois qu’on a lu les livres, on fait le tour des bateaux présents et on les échange contre d’autres. J’ai pu ainsi relire
La peste de Camus, que je n’avais pas lu depuis le collège !
Bien évidemment je reste connecté à internet pour tenir mon blog et garder le contact avec mes amis, mais je n’ai pas souvent l’occasion de l’avoir directement dans la Boiteuse. Et puis c’est souvent payant… D’ailleurs, j’ai remarqué que lorsque c’était le cas j’avais plutôt tendance à rester enfermé, donc je préfère encore me trouver une terrasse de café avec le wifi gratos. Je rencontre plus de gens comme ça.
Mon compagnon de voyage ? C’est une compagne en fait. Il s’agit d’une chatte de cinq mois prénommée Touline, que j’ai adopté à Agadir au Maroc. Une vraie perle cette chatte ! Elle n’a pas le mal de mer alors que moi si, et elle est d’une sociabilité hors du commun. Depuis qu’elle est avec moi, c’est mon passeport pour me faire des amis ! Lorsque nous arrivons dans un nouveau port, elle saute du bateau avant même que le moteur ne soit arrêté, et entreprend de visiter un à un tous les autres bateaux, intérieur ET extérieur ! Autant vous dire que c’est l’idéal pour faire connaissance de ses voisins et sympathiser rapidement. Sauf s’ils n’aiment pas les chats bien sûr, auquel cas ils ne méritent pas que je m’intéresse à eux non-plus !
Pendant ta navigation y a-t-il eu un moment où tu as eu peur... ? Où tu as crains de ne pas t’en sortir…
Euh… Je ne veux pas paraitre prétentieux, mais non. Pas pour l’instant en tous cas. J’ai eu des moments, je pense à mon arrivé à Essaouira par exemple ou bien au large de Saint-Tropez, ou encore lorsque j’ai dû plonger sous la coque par 1000 m de fond, ou je n’étais pas vraiment à l’aise, j’avais une grosse boule à l’estomac. Mais je ne peux pas dire que j’avais peur. Stressé oui, complètement à l’écoute de mon environnement aussi, mais je savais ce que j’avais à faire pour m’en sortir, et je le faisais. Point barre. Dans ces cas-là, il faut éviter de trop penser...
Et puis j’ai confiance en ma Boiteuse. C’est une formidable monture, exigeante mais qui pardonne également beaucoup. Elle me parle, je lui parle, tous les deux on s’entend bien.
On me dit souvent que j’ai du courage de partir comme ça seul... Je réponds alors que ce n’est pas ça le courage. Le courage c’est de faire quelque chose malgré sa peur. C’est de la dépasser. Et comme je n’ai pas peur... Je ne suis donc pas courageux !
En mer, d’après ce que j’ai vécu jusqu’à présent, on peut être amené à craindre quelque chose, auquel cas on fait en sorte que cela n’arrive pas. Et si ça arrive malgré tout, on fait face car le choix est extrêmement restreint. C’est un monde où on ne peut pas dire « Pouce, j’arrête ! ».
Dans mon cas par exemple, si je tombe à l’eau je suis mort. C’est simple. Alors plutôt que de m’inquiéter sur le comment je vais pouvoir survivre une fois dans l’eau, je fais en sorte de ne pas tomber. C’est de ne pas avoir de réponse à une question qui fait peur... Et en mer, les réponses sont très claires. Tu vis ou tu meurs... Ou au mieux tu perds tout. A partir de là, tout devient très simple à gérer.
Et le jour où j’aurais peur en mer, et bien j’arrêterais de naviguer... C’est tout. Parce qu’au final, j’ai choisi cette vie pour avoir du plaisir, pas pour avoir peur. C’est la vie « normale » qui aurait plutôt tendance à me foutre les jetons...
Comment se passent les contacts avec les populations autochtones... ? As-tu lié des liens amicaux, avec d’autres voyageurs ou des natifs... ?
Je ne sais pas si le terme « populations autochtones » convient réellement… Je n’ai après tout connu que deux pays étrangers depuis mon départ. L’Espagne et le Maroc. En Espagne je me suis fais de nombreux amis parmi le mouvement des
Indignés de Cartagena. Aux Canaries aussi… Par contre le Maroc, moins. Il faut dire aussi que j’étais pendant mon séjour dans une posture d’attente (j’étais en train de vendre ma maison) et peu enclin à aller vers les autres. Et puis je n’ai pas forcément rencontré les bonnes personnes non-plu…
Je sais une chose par contre c’est que quel que soit le pays visité, les gens apprécient que vous fassiez l’effort de parler leur langue… Ne serait-ce que quelques mots pour dire bonjour ou merci, ça suffit. C’est même d’ailleurs pour moi la moindre des politesses.
Sinon, même si la communauté internationale des bateaux-voyageurs est somme toute assez restreinte, les routes de navigations que nous empruntons le sont encore plus. Ce qui fait que dans une saison par exemple vous êtes amené à croiser souvent les mêmes personnes. Et ça c’est bien... Et puis comme on sait qu’à un moment ou à un autre il va falloir se séparer pour poursuivre sa route, les relations humaines n’en sont que plus fortes.
Ce qu’il y a de bien aussi, c’est que cette communauté fait fi des barrières sociales habituelles. Je veux dire que vous pouvez très bien un jour être amarré à côté d’un bateau deux fois plus grand que le votre et dix fois plus cher, mais vous allez tout de même discuter avec son propriétaire, voire vous en faire un ami... Quelle que soit la taille de l’embarcation ou le budget, on vit finalement les mêmes galères. Et ça, ça rapproche les gens.
Penses tu que l’expérience que tu as acquis en voyageant t’a ouvert d’autres horizons... ? Une meilleure connaissance du monde, des autres, de toi... ?
Je crois qu’il est encore trop tôt pour que je puisse répondre à ces questions. Si tant est qu’il existe une ou plusieures réponses... Je crois pourtant que ce voyage est aussi une quête quelque part et il me permet de découvrir d’autres facettes du monde et de moi-même que j’ignorais. Pour l’instant je regarde tout ça avec circonspection, en attendant de pouvoir en faire l’analyse... Et puis dans mon cas les choses sont un peu différentes car il ne s’agit pas vraiment d’un voyage, avec un début et une fin, mais d’un choix de vie.
Mais pour l’instant je peux dire que cette nouvelle vie me plait. Et pour ce qui est d’en tirer une leçon, et bien on verra dans quelques années !
Si c’était à refaire, le referais tu... ?
Sans hésiter ! Peut-être d’une façon différente, en évitant de faires certaines conneries, mais au final cela reste la meilleure décision de ma vie.
As-tu été témoin de souffrances dans les pays découverts, penses tu que la France fait partie des pays privilégiés… ?
Avant d’être blogueur voyageur, j’étais blogueur politique, ce qui fait que j’ai toujours eut à cœur de jeter un regard critique sur la société qui m’entoure. Et comme je dis souvent, ce n’est pas parce que j’ai quitté la France que j’y ai laissé derrière moi la moitié de mon cerveau... A mon sens, mon blog diffère des autres justement car j’essaye de comprendre avec mes clefs à moi, ce qu’il se passe dans le pays et comment vivent les gens.
En Espagne, j’ai assisté de l’intérieur au mouvement des Indignados. Au Maroc j’étais là pendant les élections législatives qui ont suivies la réforme de la constitution... Et à chaque fois j’ai essayé de comprendre et de décrire mon ressenti.
Alors bien sûr je me heurte parfois à certaines critiques, comme quoi le petit français que je suis n’a pas à se mêler de ce qui ne le regarde pas et de ce qu’il ne comprendra forcément jamais... C’est toujours le même vaste problème de l’universalité de certaines valeurs confronté au relativisme culturel. Mais j’ai fais le choix du parti pris, et pour l’instant je l’assume.
Par exemple, lorsqu’au Maroc j’ai été confronté à la dictature, à la corruption généralisée et au fossé indécent qui existe entre la pauvreté la plus désarmante et la richesse la plus obscène, je l’ai dis. Ce que d’aucuns qualifient de paradoxe, je n’ai pas peur de dire qu’il s’agit en fait d’injustice. Cela m’a valu quelques inimitiés, mais je considère que c’est un juste prix à payer pour la liberté d’expression.
Et oui, je considère que la France est un pays privilégié. Parce que justement son histoire a permit que s’y développe des idéaux et des valeurs auxquels je tiens et que je considère comme essentiels au bonheur collectif. Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité, sont pour moi des mots qui ont du sens, et j’entends bien les promouvoir autant que possible. Cela dit, lorsqu’on me rétorque que je ferais mieux de nettoyer devant ma porte plutôt que de critiquer celle du voisin, je vois rouge !
Ce que je dis c’est que la France à laquelle je crois et qui m’a donné ma culture, c’est la France telle qu’elle devrait être, pas forcément celle qu’elle est actuellement...
Mais bon, je vais arrêter sur ce sujet, parce que je pourrais disserter là-dessus pendant des heures !
Tu as du temps de libre pour des relations sentimentales sous les cocotiers... ?
Aïe, la question piège ! Non, pas piège, compliquée plutôt...
Bon, le temps libre ce n’est pas ça qui manque dans ma nouvelle vie. Et c’est d’ailleurs un de ses principaux atouts. Cela dit, si je suis un navigateur « solitaire », ce n’est pas par choix ; C’est parce que lorsque je suis parti, j’étais déjà seul. Avant, la solitude ne me pesait pas vraiment car je n’avais en fait rien de bien passionnant à partager avec une compagne. Mais maintenant j’avoue que les choses sont bien différentes et que je souffre de plus en plus de n’avoir personne à mes côtés.
Mon problème est que je suis un idéaliste aussi en matière de sentiments. Je suis un incorrigible romantique et je ne conçois l’Amour (avec un grand A) que dans la durée... Et quand je dis durée, je parle en fait d’éternité. Ce n’était déjà pas simple de trouver l’Amour dans ces conditions en temps normal, mais maintenant c’est devenu très compliqué. En effet, quelle femme accepterait de partager ma vie dans la précarité, l’insécurité et l’inconfort ? Une vie de manouche des mers ? Même si tout cela est le prix à payer pour la Liberté, je n’en n’ai pour l’instant rencontré aucune. Alors, à moins de renoncer à mon rêve, je doute de plus en plus de la rencontrer un jour... Même si je garde encore quelques espoirs.
Il va sans doute me falloir un jour ou l’autre me convertir aux relations sentimentales sans lendemain qui sont le propre des marins au long cours... Mais pour l’instant, je confesse que je n’ai pas encore pu m’y résigner.
Questions subsidiaires :
Décris-nous ton voilier ? Et pourquoi s’appelle-t-il La Boiteuse ?
Il s’agit d’un Konsul 37, un bateau allemand de 1979. De bonne facture, il est taillé pour la mer du Nord avec une jolie étrave en forme de canoë que j’aime bien. Tout est solide, bien conçu (allemand quoi !). C’est un bateau rapide du fait de ces 11 mètres de long et seulement 3 mètres de large. Un peu sportif peut-être... Il demande d’être plutôt pointu dans les réglages.
Il est parfait pour une personne seule, ou même un couple. J’ai ma cabine à l’avant et un grand carré spacieux et lumineux. Un gros moteur Mercedes bien solide et fiable...
Bref, ce n’est pas forcément le bateau « idéal » pour autant que ça puisse exister. Mais il me convient.
Son nom précédent était le Tom Kyle, et franchement cela ne me correspondait pas du tout (je ne sais même pas qui c’est Tom Kyle !). Lorsque j’ai eu à choisir un nouveau nom, je lisais à l’époque un article qui parlait de Bougainville et de son bateau La Boudeuse... et je trouvais que c’était un nom pour un bateau qui sonnait bien à l’oreille. Il était féminin tout d’abord, et pour moi c’était important. Les anglais lorsqu’ils parlent de leurs navires ne disent pas « It » mais « She », et pour moi ça a du sens car la relation entre un bateau et son Capitaine est plutôt de cet ordre là... Romantique.
Rajoutez à ça le fait que je suis handicapé et que sur terre je marche avec une canne, et forcément le nom de La Boiteuse devient une évidence !
Quelles sont tes prochaines étapes ?
Je suis actuellement à Las Palmas, sur l’ile de Gran Canaria. D’ici un mois environ je prendrais la direction du sud vers l’archipel du Cap Vert. Puis, ce sera « la transat » comme on dit, vers San Salvador de Baia au Brésil. Ensuite, Uruguay, Argentine, Chili... Jusqu’en Patagonie. Je compte traverser le détroit de Magellan aux alentours des fêtes de fin d’année, et si l’occasion m’en est donnée je ferais un petit crochet pour passer le Horn. Ce n’est pas une obligation, mais je trouve que ça aurait de la gueule de pouvoir dire que j’ai fais ça...
Ensuite ce sera la remontée des côtes chiliennes jusqu’à Valparaiso, puis la traversée vers le Marquises... Après on verra ! Un an de programme, je trouve que ce n’est déjà pas si mal !