30°25.322N 09°37.025W
Agadir
Comme vous le savez, en tous cas vous le savez si vous me lisez régulièrement, mon visa touristique expirait le 22 novembre et je me devais de le renouveler. Pour ce faire, je décidais d’entreprendre un voyage à travers le Maroc, en autocar et en train, jusqu’à Tanger. De là, je comptais prendre le ferry pour Tarifa, passer la nuit dans une auberge de jeunesse (le Melting pot), et revenir par le même chemin.
En fait, ça c’était le plan de départ… Et je m’en vais vous raconter ce qu’il en a été réellement. Alors accrochez-vous chers lecteurs, ouvrez-bien vos mirettes, je pense que vous non plus vous ne serez pas déçu du voyage !
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Le point de départ de mon périple |
Ce lundi 14, Après avoir nourri Touline une dernière fois et passer les consignes à un de mes voisins, je saute dans un taxi, direction la gare routière d’Agadir. J’avais l’intention de prendre l’autocar de 15H00 pour Marrakech, mais hélas, un peu comme une augure, je m’entends dire que celui-ci est complet et que je vais devoir attendre celui de 17H00. Qu’à cela ne tienne, j’avais justement prévu un peu large dans l’enchainement de mes moyens de transport, je pouvais donc me permettre ce genre de contretemps.
N’ayant pas fait de sieste, je m’installe confortablement par terre dans un coin de l’esplanade des cars, et je pique un petit roupillon.
A l’heure dite, le car de la
Supr@tour se pointe, je monte à bord et nous voilà parti pour deux heures et demie de trajet. Passé la banlieue sordide d’Agadir, le paysage laisse peu à peu place aux plantations d’arganiers. A perte de vue, ses épineux dont on extrait l’huile d’argan parsèment les pentes abruptes de l’Anti-Atlas. La terre rouge mélangée au vert tendre des buissons n’est pas sans me rappeler le genre de paysage que l’on croise dans l’Esterel… Oui, c’est quasiment pareil, en aussi beau et en plus grand.
La nuit est tombée lorsque l’autocar s’arrête à la gare de Marrakech. La correspondance est aisée, je n’ai qu’à franchir un quai pour accéder au train de nuit qui me conduira à Tanger. Une demi-heure plus tard celui-ci démarre. Il est 21H00.
Bon, je ne vais pas m’étendre sur la nuit que j’ai passée à tenter de trouver le sommeil sur des sièges de train corail qui datent des années 70’… C’était, comment dire, pas reposant du tout. Mais bon, bon an mal an, j’arrive à faire passer le temps et c’est vers 07H00 du matin que le train me dépose en gare de Tanger.
La première chose qui me surprend en descendant du train, c’est la température. 13°C : Nom de dieu, j’avais perdu l’habitude moi ! Brrrr…. Je sors la polaire de mon sac et je l’enfile sous mon blouson. Et la deuxième surprise, c’est quand la pluie a commencée à me tomber sur la gueule alors que je marchais vers le port. Un déluge glacé m’accompagne pendant que je longe la plage en direction du port.
Je repère assez vite la boutique des ferrys, et je m’achète un billet Aller-retour pour Tarifa. Départ 09H00, pas de problème, j’ai tout mon temps…
Billet en poche, carte jaune avec tous les renseignements nécessaires et passeport à la main, je passe alors le contrôle de police. Mes deux petits sacs sont passés aux rayons X, et j’ai même droit un une palpation. Diable, c’est qu’ils ne rigolent pas avec la sécurité me suis-je dis… Le flic m’a même demandé de me déchausser pour soupeser ma sandale droite ! Sandale made in Maroc lui ais-je montré, quelque peu amusé par son zèle. Lui par contre, n’avait pas l’air de s’amuser.
J’arrive devant la douane et là, après avoir tamponné mon passeport, le douanier semble se raviser, rature le tampon, déchire la carte pré remplie par mes soins et me dit que je dois descendre voir un inspecteur… Pardon ? C’est quoi le problème ?
Le douanier semble avoir oublié son français, et passe à autre chose. Je fais donc demi-tour et retourne vers les policiers qui m’indiquent où je peux bien trouver un inspecteur. J’y vais, et là va commencé une longue nage à contre courant qui me mènera de l’inspecteur à l’Ordonnateur adjoint, puis à l’Ordonnateur en chef qui enfin m’expliquera que je ne peux pas quitter le territoire marocain car j’ai ce qu’ils appellent « un contentieux douanier ».
Oui, je sais. Vous aussi vous vous demandez surement ce que peut être ce fameux contentieux… Parce que moi je n’en n’avais absolument aucune idée. Alors je vous explique, vous allez voir c’est tordu, mais en même temps logique.
Lorsque je suis entré au Maroc, je suis venu avec mon bateau. Ok ? Et bien si je dois sortir du Maroc, je dois le faire
avec mon bateau. Sinon cela s’apparente à de l’importation illégale de véhicule. Et qu’importe si je fais juste un rapide aller-retour, ce que j’aurais dû faire, mais ça je n’en savais rien et personne ne m’avait prévenu de le faire, c’était de mettre mon bateau sous séquestre à Agadir, avant que d’entreprendre mon voyage !
Je me voyais déjà avoir fait 800 Km en seize heures pour rien. En plus, manque de bol, j’ai dû tomber sur le fonctionnaire marocain le plus intègre qui soit, mais également le plus procédurier. Impossible de trouver un arrangement !
Peut-être que si la douane d’Agadir pouvait effectivement confirmer que mon bateau était bien là, et qu’elle gardait un œil dessus, il était possible que l’on m’autorise à embarquer vers l’Europe… Et pendant que je regarde mon ferry s’en aller sans moi, je saute alors sur mon portable et je joins Samir, le maitre de port de la Marina d’Agadir. Je lui explique ce qu’il m’arrive, et celui-ci me dis qu’il va voir ce qu’il peut faire avec les douanes d’ici…
Commence alors une longue attente qui dura… Toute la journée. De 08H00 à 16H30, je suis resté à faire le pied de grue devant les bureaux de la douane de Tanger, à attendre que quelqu’un appelle et leur confirme bien que je n’avais pas l’intention de quitter le territoire en abandonnant mon bateau. (Manquerait plus que ça !!!)
16H30, à la fermeture des bureaux je vois mon Ordonnateur qui s’en va… Je le chope juste avant qu’il ne monte dans sa voiture pour savoir où on en était, et il m’annonce qu’il n’a rien reçu d’Agadir, que je n’ai qu’à revenir demain…
Là, je suppose que le désespoir a du se lire sur mon visage car il me jette juste avant de démarrer : Et pourquoi vous n’allez pas à Ceuta ?
Parce que le même problème va se poser à Ceuta lui répondis-je. Non, vous devriez pouvoir passer là bas, m’assure t’il. Et de s’en aller.
Je suis resté comme un con pendant une minute ou deux. Je me disais en moi-même, mais pourquoi ne me l’a t’il pas suggéré plus tôt cet empaffé ? Je décide d’en avoir le cœur net et je m’adresse alors à un fonctionnaire avec qui j’avais eu un bon contact (le seul) et celui-ci me confirme que ce peut être jouable. Que cet Ordonnateur si consciencieux avait autrefois travaillé à Ceuta, et que s’il me disait que je pouvais passer, c’est qu’il savait de quoi il parlait… En clair, ici à Tanger on respectait la loi, mais que là-bas à Ceuta, ils étaient tellement pourris que je pouvais facilement passer au travers.
Je regarde ma montre, il est 17H00. Si je prends un taxi, je peux y être dans une heure et demie. Car Ceuta mine de rien c’est à 70 Km ! Ma décision est prise et je saute alors dans la premier Grand Taxi qui passe.
Une heure et quart et 400 Dh plus loin, je me retrouve alors à la frontière avec l’enclave espagnole de Ceuta.
Le trajet fut assez sympa, dans le sens où il est tout de même agréable de se taper le bord de mer à l’arrière d’une Mercedes, fusse-t-elle des années 70’. La côte est splendide et je peux admirer au loin le rocher de Gibraltar où je passais il y a quelques mois… Par contre, alors que nous roulions, je remarque une chose et je m’empresse de demander au chauffeur pourquoi, depuis Tanger, jamais, je dis bien jamais, on ne voit de panneaux qui indique la direction de Ceuta ? Celui-ci est un peu embarrassé et commence à me raconter que Ceuta c’est les Maroc, patati patata, que les espagnols n’ont rien à foutre là, que c’est pas normal… Moi je sourie en pensant à la mesquinerie du procédé qui consiste à ne pas indiquer la route vers l’enclave.
Enfin, à une intersection juste avant
Fnideq, un panneau avec
Sebta écrit en tout petit. Et nous débarquons alors au poste frontière.
Comment vous dire… Imaginez un parking immense avec plein de Grands Taxis, une foule compacte qui charge et décharge des monceaux de marchandise. Des cris, des poursuites entre trafiquants à coup de chaine (je l’ai vu de mes yeux vu). Des rabatteurs tous les cinq mètres… Bref, un bordel sans nom, une véritable cour des miracles.
Je commence à comprendre pourquoi à Tanger on m’a « suggéré » de passer par là. Les gens passent et repassent la frontière avec des sacs énormes, sous le regard de douanier plus que bienveillants. D’ailleurs c’est bien simple, sitôt j’avais posé le pied par terre qu’on me proposait déjà de faire toutes les formalités à ma place, moyennant finance bien sûr, et que si je voulais, pour la modique somme de 200Dh, je pouvais voir mes démarches grandement accélérées. Je refuse tout net. Moi vivant, jamais je ne paierais un bakchich ! C’est que j’ai des principes, merde ! En plus, de quoi j’aurais l’air si je devenais à mon tour corrupteur après avoir critiqué la corruption endémique de ce pays, hein ?
Mais tout le monde ne pense pas comme moi. Pendant que je faisais la queue pour attendre mon tour, j’aperçois un jeune à vélo qui passe devant tout le monde, sans s’arrêter au guichet des visas de sortie. Il tend son passeport au fonctionnaire de faction, celui-ci l’ouvre à la première page, se saisi d’un billet plié en quatre et le glisse alors négligemment dans sa poche. Et hop, le cycliste passe !
Moi, au guichet, je croise les doigts. Le fonctionnaire tape mon nom sur l’ordinateur, et fronce un sourcil. Puis les deux. Je le vois bien qui se tâte. Il me regarde, me demande pourquoi je vais à Ceuta. Je réponds « tourisme »… Et finalement, d’un geste un peu las, il me délivre le précieux sésame.
Je respire enfin. De l’autre côté les douaniers espagnols ne jettent même pas un regard sur mes papiers. Je me dis que malgré mon bronzage, j’ai une tête d’européen et que quoi qu’on en dise, ça vaut tous les passeports ici…
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A votre avis, Ceuta est espagnole ou marocaine ? |
De l’autre côté de la frontière je suis en territoire espagnol, et de suite la différence se fait sentir… Alors que je marche le long du bord de mer (la mer méditerranée !), je croise des joggeuses en panty et cheveux au vent. La ville de Ceuta proprement dite est typiquement européenne. Propre (ce n’est pas un cliché), quelques boutiques sont encore ouvertes à cet heure tardive (en passant la frontière j’ai avancé d’une heure, il était donc 20H00). Moi, ce qu’il me faut maintenant trouver c’est : Petit un, un distributeur d’euros. Petit deux, un café où je puis me brancher sur internet. Petit trois, trouver un coin où dormir.
Au bout d’une heure j’avais réussi à faire seulement la première chose. Il était tard je commençais à être fatigué après tous ces événements. Les seuls hôtels de Ceuta semblaient être des quatre étoiles et après avoir tourné et viré, je me suis rabattu sur un des hôtels borgnes qui jouxtaient la frontières. Là j’ai eu une bonne surprise, la première de la journée, en découvrant une chambre proprette avec tout le confort moderne pour seulement 25 €. Télévision et internet compris, le grand luxe quoi !
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Un deux étoiles, avec une vue fantastique ! |
Je ne tardais pas à m’endormir, fourbu que j’étais par tout ce que je venais de vivre.
Le lendemain matin, alors que le soleil se levait en un spectacle superbe sur la baie, je reprenais ma route. Clopin-clopant, car les excès de la veille se faisait sentir, j’ai repris la direction de la frontière, non sans avoir fait un tour au bureau de tabac pour m'acheter une boite de cigares. En chemin je croise presque exclusivement des femmes qui viennent travailler à Ceuta. A l’approche des couloirs grillagés qui canalisent les piétons j’ai l’occasion d’assister à un spectacle incroyable. A cinquante mètres à peine du premier douanier, des femmes âgées sont en train de s’habiller de couches successives de vêtement ! J’en aperçois une qui sous sa gandoura porte au moins quatre ou cinq robes de chambre en tissus éponge made in China. Les parures de draps sont enroulées autour de la taille, les couffins où dorment des bébés sont trois fois trop grand tant ils sont bourrés de marchandises textiles diverses… C’est carrément incroyable.
Je comprends alors que si par hasard les bagages peuvent être fouillés, les femmes elles, ne le sont jamais.
Bon, si elles, elles peuvent passer, il n’y a pas de raison que moi je ne puisse pas, me dis-je. Et je me dirige vers la douane… Là le douanier regarde mon passeport, me regarde, et en me le rendant me dit d’aller voir le Chef ! Mais euhhhh…. !!!! Qu’est-ce qui se passe encore ?
Mais je suis un type docile, alors j’obtempère.
J’arrive devant un guichet où officient trois fonctionnaires à moustache. Ah oui, peut être devrais-je vous préciser que jusqu’à présent, tous ceux qui me faisaient chier portaient tous la moustache, façon Saddam. Je ne sais pas si c’est une règle non écrite ici au Maroc, mais les types rasés ont toujours été plus sympas…
Bref, voilà le Chef qui commence à me dire que je n’ai pas le droit de faire ça, sortir et re-rentrer dans les 24 heures. Ah bon ? Lui dis-je. Et depuis quand ? Là je vois que le monsieur est un peu énervé alors je baisse le ton et je fais ce que je sais faire de mieux, je fais le crétin. Mais Monsieur, tout le monde fait ça, je ne savais pas… C’est que je suis bien embêté moi maintenant… Que dois-je faire ?
Il me répond que je suis sensé resté un mois en dehors du Maroc avant que de pouvoir y rentrer (ce qui est un pur mensonge), et que de toute façon ma sortie n’était pas valable puisque je n’étais pas sorti du Maroc… Comment ça ? Ceuta ce n’est pas l’Espagne ? Demandais-je candidement.
Non monsieur, Ceuta c’est un territoire Marocain ! Colonisé par les espagnols, mais un territoire marocain quand même !
Ah bon… Devant tant de mauvaise foi et de parti pris nationaliste je préfère encore me taire. Je me mords les lèvres pour ne pas le mettre face à ses contradictions et j’accentue encore plus mon air crétin. Je le vois qui hésite, regarde tour à tour ses collègues et comme je ne disais toujours rien, que je ne proposais toujours rien, il prend un air sévère et me dit : C’est bon pour cette fois, mais ne recommencez pas ! Et de tamponner mon entrée en territoire Marocain.
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Mornes plaines.... |
Le retour se fit de la même façon qu’à l’aller. Je reprenais un taxi pour Tanger (300 Dh (moins cher qu’à l’aller (?)), j’attrapais de justesse le train pour Marrakech, avec changement à Casablanca, et de là autocar pour Agadir. Pour arriver enfin chez moi vers 23H30.
Le trajet fut quand même un peu plus agréable. J’ai pu admirer ces plaines immenses, aux terres fertiles. Les troupeaux de moutons, les champs d’olivier, quelques vaches (des Holsteins !)… Je ne pensais pas que la partie nord était aussi verte pour tout vous dire. Là c’est l’hiver, mais j’imagine assez bien ces champs verts à perte de vue. Le blé bien sûr, pour le pain et la semoule, mais aussi l’orge et le soja. Tout est bien irrigué est les oueds qu’enjambe la voie ferrée sont plein d’eau… L’agriculture extensive côtoie l’intensive, et le tracteur dernier modèle croise l’âne et sa charrette.
Cela dit, c’est avec un vif plaisir que j’ai retrouvé mes pénates. Touline avait bien été nourrie pendant mon absence, et même si le bateau ressemblait à Hiroshima après la guerre, je ne lui en ai pas voulu. Elle non-plus d’ailleurs puisqu’elle a semblé vachement contente de retrouver son Papa !
Pour finir, je vous laisse le soin de trouver une morale à cette histoire. Pour ma part, j’ai essayé de vous la raconter telle qu’elle m’est arrivée. A vous d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Mais de grâce, évitez de me ressortir le sempiternel refrain que j’entends depuis que je suis ici : « C’est comme ça, c’est le Maroc… »
Non, ce n’est pas parce que c’est le Maroc que ça doit être forcément comme ça.