34°392155S
54°08581W
La
Paloma, Uruguay
Le
jeudi 03 janvier 2013-Le cœur au bord des lèvres
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Até logo Brasil ! |
Ça-y-est,
la Boiteuse navigue de nouveau après une escale forcée de 17 jours
à Rio Grande. Je dis forcée, car s'il vous en souvient je n'avais
pas vraiment prévu de m'y arrêter. Le vent, les vents en ont décidé
autrement.
L'un
dans l'autre, et malgré la présence de Caroline et de Hughes, puis
d'Anne venue leur rendre visite, je n'ai pas vraiment apprécié ce
séjour... Plusieurs facteurs en sont la cause. Tout d'abord, parce
que j'étais frustré de ne pas avoir pu rejoindre Zoé avant les
fêtes. Cette période des fêtes de fin d'année est pour moi un peu
difficile, et j'aurais apprécié d'avoir sa compagnie pour m'aider à
la traverser. Ensuite, je crois que j'en ai un peu soupé du non-sens
de l'accueil des marinas brésiliennes. C'est lourd à la fin de se
sentir comme un intrus, alors que l'on devrait être considéré
comme un invité. Vous comprenez donc pourquoi je n'avais pas
vraiment la tête à écrire.
Mais
bon, tout cela est derrière moi à présent, et me voilà enfin en
route vers l'Uruguay.
Donc,
disais-je, nous voilà partis. Départ à 10H40, un petit arrêt au
poste à gasoil, et j'entame la descente du fleuve. La marée est
descendante, c'est tout bon.
13H20
: Je dépasse la jetée et j'attaque la pleine mer. Je préfère
garder encore un peu le moteur pour parer les rouleaux qui déferlent
à tribord. Pour l'instant, le vent est à l'est et la mer est peu
agitée. Logiquement le vent devrait tourner au nord-est dans
l'après-midi... Enfin, c'est ce qui est prévu.
13H40
: J'arrête le moteur. Aussitôt, un bon gros mal de mer me saisit.
J'avance au près sur une mer chaotique. Ça tangue et le vent n'est
pas assez puissant pour aider le bateau à passer les vagues. On
avance à 3,5 noeuds, avec le foc complet et deux ris dans la
Grand-voile. Il faut que je m'allonge, je ne vais vraiment pas bien.
15H00
: Le vent commence à virer au nord et accélère. Pour l'instant,
comme la houle est une relique du dernier coup de sud, je me la
prends en plein dans la gueule. Mais cela ne devrait pas trop durer.
Je suis toujours patraque. Je vais rester allongé, mais avant il
faut que je vire Touline de la banquette. Elle aussi ne se sent pas
bien.
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Burpl ! |
18H00
: Je suis toujours malade... Cela ne m'était pas arrivé depuis
l'Espagne il y a bientôt deux ans. Je n'ai pas vomi, mais je sens
que mon estomac (vide malheureusement) est à deux doigts de se
retourner comme un gant.
Pendant
que je déglutis et que je respire avec prudence, le vent est encore
monté et s'établit dans du F5 Beaufort. La Boiteuse avance travers
au vent, et se fait balloter en tous sens. Tout est gris : la mer, le
ciel, mon visage aussi sans doute. Route au 180°, 5,5 noeuds de
moyenne. J'ai la flemme de faire le calcul, mais à cette vitesse on
va pouvoir au moins abréger ce calvaire.
19H40
: J'ai réduit la voilure en prévision de la nuit. Ça va un peu
mieux, mais je suis incapable d'avaler quoi que ce soit.
Le
vendredi 04 janvier 2013-Une odeur de shampoing
06H00
: La nuit a été agitée. La Boiteuse n'a pas cessé de rouler comme
une barrique, et moi à me les peler. Oui, pour la première fois
depuis longtemps j'ai eu froid. Et ce, malgré ma polaire, mon ciré,
et mon duvet. Je me suis réveillé toutes les heures à peu près
pour surveiller les cargos. J'ai même croisé un paquebot.
Mon
mal de mer s'est un peu dissipé, mais ce n'est toujours pas la
grande forme. La faute à cette conne de chatte hystérique qui m'a
énervé de bon matin en me faisant renverser mon café.
5,56
Noeuds de moyenne sur la nuit, c'est parfait. Je ne me souviens pas
d'être déjà allé aussi vite sur une aussi longue période. Par
contre, le cap demanderait à être amélioré.
06H50
: Bon, faisons le point. Il me reste 115 milles pour rallier le port
de La Paloma. Si j'arrive à maintenir ma vitesse, j'y suis demain
matin aux premières lueurs du jour.
Si
je décide de rejoindre Piriapolis, il faut rajouter 60 milles. Ce
qui m'y amènerait en toute fin de journée, début de nuit...
Pour
l'instant je réserve ma décision. Je verrais bien dans quel état
je suis demain matin, et surtout dans quel était sont la mer et le
vent. Mais je ne vous cache pas toutefois que j’ai fortement envie
d'abréger cette navigation de merde. À cause des fonds inférieurs
à 20 mètres, la mer se soulève en une houle erratique et courte.
C'est un enfer. De temps en temps je me prends une déferlante sur
l'arrière, ou alors sur le côté, ça dépend. Bref, je me dis
qu'il faut vraiment en avoir envie pour naviguer dans des régions
pareilles ! Quand je pense que c'est comme ça dans tout le Rio de la
Plata... Ça va lui faire tout drôle à Zoé, lorsqu'elle arrivera.
Elle qui n'a connu que les alizés tropicaux !
07H15
: Un albatros vient nous rendre visite. Vous me pardonnerez, mais je
n'ai pas vraiment le coeur, ni le ventre, à prendre des photos.
09H30
: Plus ça va, plus je me dis que ce sera finalement La Paloma, car
le vent est instable.
Aux
dernières nouvelles, Zoé devrait sauter dans le premier avion pour
Montevideo, puis prendre un bus pour me rejoindre. Je ne connais pas
la fréquence des vols... J'espère seulement qu'elle me laissera le
temps de faire quelques rangements et pas mal de nettoyage. Aller, on
va dire que dans moins d'une semaine nous serons enfin ensemble après
un mois et demi d'attente fébrile, de doutes, de désillusions et
d'espoir. Et je pense que je ne parle pas que de moi en disant cela.
Pour
l'heure, je rêvasse en admirant le vol des albatros et des puffins.
12H00
: J'ai faim ! C'est bon signe, non ? Je me prépare des pâtes avec
un reste de boeuf.
Je
suis content, même si on a perdu un noeud de moyenne et que le cap
est un peu trop à l'ouest de 10°. La frontière est à 27 milles,
ça veut dire que ce soir, je vire le drapeau brésilien de mes
haubans et j'arbore le pavillon uruguayen ! Merde, c'est vrai que je
ne l'ai pas... Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir cherché
croyez-moi. Encore une preuve, s'il en était besoin, que le Brésil
n'a aucune (pas encore) de culture nautique. Ou du moins, aucune
culture de l'accueil de l'autre, l'étranger qui débarque en bateau.
Qu'il vienne de loin ou du pays d'à côté.
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Tout est gris... |
14H30
: J'ai réussi à dormir un peu... Le petit café du réveil est un
peu gâché lorsque je me rends compte que la boite de lait concentré
s'est renversée dans l'équipet. J'avais dit qu'il fallait que je
nettoie, d'accord. Mais là, c'est abusé !
La
Paloma est à 80 milles au 235°. Si tout va bien nous y serons entre
06H30 et 10H30 demain matin. C'est décidé, je n'irais pas plus loin
pour cette nave. Je ne veux pas courir le risque d'arriver à
Piriapolis de nuit. Et puis, les vents que je subis actuellement ne
correspondent en rien à ce qu'il étaient prévus hier. Encore une
fois, la météo dans ces régions évolue trop vite, et étant donné
mon expérience de la région qui commence à s'étoffer malgré moi,
je préfère ne pas courir de risque.
Je
vais donc m'installer tranquillement à La Paloma, et attendre ma
team-mate.
Quand
j'y pense, je me dis qu'elle est quand même dingue notre histoire si
on y regarde bien. Deux êtres que tout semble opposer se croisent,
et sur une impression commune, une simple intuition du possible,
décident de donner un autre cours à leurs vie et de marcher main
dans la main vers l'inconnu.
Tien,
je vais vous raconter une anecdote. Lorsque j'étais à Jacaré, j'ai
fait la connaissance de Michela et de XXX, deux Italiens qui
finançaient leur voyage en prenant quelques guests. Un soir, nous
discutions devant un verre de la façon dont les couples se
rencontrent et vivent dans le monde qui est le nôtre, celui des
bateaux de voyage. Et c'est là que Michela m'annonce qu'elle attend
pour le lendemain une nouvelle passagère. Moi, je hausse alors un
sourcil et lui demande : elle est jolie ?
Oui
très, me répond-elle. Et elle ajoute qu'elle est américaine.
Aussitôt,
je fais la grimace. J'aime pas les Américains !
Michela
me fait un sourire et me dit : Tu verras bien, moi je crois qu'elle
va te plaire. Et s'il le faut, tu vas en tomber amoureux !
Et
le lendemain soir je rencontrais Zoé pour la première fois. Je me
souviens qu'elle venait de prendre sa douche, et qu'elle sentait si
bon... Je crois que c'est ça qui m'a séduit en premier chez elle :
l'odeur de son shampoing. Par certains côtés je suis très animal
comme type.
Bon,
c'est pas tout ça, mais en attendant que je puisse enfouir mon nez
dans les cheveux de Zoé, il va falloir que j'avance un peu. Allez ma
Boiteuse ! Accélère !
16H50
: Merde, le vent a encore baissé. On se traine à 3,5 noeuds, c'est
pas bon ça !Je surveille le baromètre ; pour l'instant il reste
scotché sur 1019 millibars. S'il vient a baisser un peu vite, les
ennuis vont commencer... En plus,ce vent faiblard est pile à
l'opposé de ma direction, et m'oblige à tirer des bords de grand
largue (et non-pas grand large). Ce qui veut dire que je rallonge
donc ma route.
Maintenant
que j'ai pris la décision de m'arrêter à La Paloma, je me pose la
question de la stratégie à suivre. Si je continue sur une route
plus ou moins directe, je vais me rapprocher de la côte et de ses
dangers. Cela implique que la deuxième partie de la nuit prochaine
sera sans sommeil. Ou du moins devrait l'être.
Alors
que si je fais un détour au large, je vais pouvoir dormir même si
cela me fait arriver un peu plus tard dans la journée de demain. Il
faut que je réfléchisse encore un peu.
18H00
: Au point du soir, le bilan est plutôt tristounet. 3,9 Noeuds sur
les dernières six heures, alors que je devrais avoir 20 noeuds de
vent dans le cul. C'est décourageant. Il reste 68 milles à faire...
À 4 noeuds on y est demain matin à 11H00. En ligne droite bien sûr,
ce qui vous le savez maintenant est chose utopique.
Ah
oui, j'allais oublier : à partir de maintenant la Boiteuse navigue
dans les eaux territoriales uruguayennes. Yes !
19H30
: Mmmm... Je suis repu ! Un bol de nouille et deux sandwichs au
poulet sur toasts grillés à la poêle avec du beurre. Le top !
J'ai
réfléchi un peu à la stratégie de cette nuit. Le vent m'oblige à
tirer des bords de grand largue, alors autant me servir de ça. Je
vais m'approcher de la côte au 250°, disons jusqu'à 15 milles.
Puis empanner pour m'en écarter. Cela devrait me permettre de dormir
quelques heures sans trop rallonger la route.
Touline
vient de me faire un câlin puissance dix, avec bisous sur la bouche
et ronronnements. Profite ma belle, bientôt tu vas avoir de la
concurrence !
21H15
: Ah ! On recommence à flirter avec les cinq noeuds. c'est cool !
Le
samedi 05 janvier 2013-Enfin l'Uruguay.
00H00
: J'empanne, cap au 180° après m'être approché à 11 milles de la
côte. C'est peu, je sais bien... Mais je ne me suis pas réveillé.
En
plus, le vent a forci et nous faisions du 6 noeuds avant que je ne
réduise la voilure. J'aperçois les halos lumineux de côte.
03H00
: Je re-empanne, cap au 240°, droit sur La Paloma qui se trouve
encore à 30 milles. J'aperçois le phare de Cabo Polonio.
06H00
: Ben merde alors ! La nuit a été nickel, pas un chat sur l'eau et
des empannages aux petits oignons, et voilà qu'au matin, à 20
milles de l'arrivée je me retrouve empétolé ! Non, mais ça va pas
du tout ça ! Veux-tu revenir ici, et plus vite que ça !
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Le pavillon des grands jours |
06H15
: Trève de plaisanteries, maintenant qu'il fait jour je peux
apercevoir une grosse masse nuageuse juste devant moi. Le baromètre
est à 1017 mbar, ce n'est donc pas un pampero qui arrive (Et le
premier ou la première qui me dit en commentaire pampompero, je le
mords !). On ne rigole plus là... Je me tiens prêt à encaisser ce
qui m'arrive dessus, quoi que ce puisse être. Je suis à 20 milles
de la Paloma, et il ne sera pas dit que je vais renoncer sans me
battre.
06H40
: J'ai viré le pavillon de courtoisie brésilien et arbore le
pavillon jaune de la quarantaine. Première chose à faire une fois
arrivé, se procurer un pavillon uruguayen. Je tiens à respecter les
convenances et ne point insulter mon nouveau pays d'accueil.
En
parlant de ça, il va falloir aussi que je pense à me faire envoyer
un ou deux pavillons français, car celui qu'il me reste part en
lambeaux.
06H50
: Terre ! J'aperçois la côte sur tribord. Encore heureux, si cela
avait été sur bâbord, il y aurait eut comme un loup.
07H10
: Le vent a repris dans la bonne direction, mais reste poussif. Trois
noeuds et des poussières. Le rideau de pluie, car c'en était un, se
déplace vers le nord, libérant ma route. Tant mieux.
Je
viens de remarquer que Touline avait son oreille gauche légèrement
déchirée. Sans doute une cicatrice qu'elle n'a pas volée, tant il
est vrai que cette chatte à un comportement de voyou. À Rio Grande,
elle s'est approprié l'ensemble de la marina en deux jours. Seul
Pato le canard semble lui avoir résisté, car je les ai vu se
croiser plusieurs fois en respectant une distance de sécurité d'au
moins trois mètres ! Genre, on s'ignore l'un l'autre, mais on garde
la main négligemment posée sur la garde de l'épée, au cas ou.
08H00
: Youppy ! Le vent se lève pour de bon ! À cette allure-là, on y
est dans trois heures ! Pour fêter ça, j'ai sorti mon pavillon
national des grands jours. Tadaaaaa !!! Attention, c'est moi que v'là
!
09H00
: Je lofe un peu, et tout de suite la Boiteuse accélère à six
noeuds. Cerise sur le gâteau, je viens de me rendre compte que mon
sondeur qui est en panne depuis Sète s'est remis à fonctionner
correctement. Et pour couronner le tout, le soleil est de la partie.
C'est magique !
10H15
: Le port est en vue. J'aperçois la cardinale sud qui un haut fond à
l'entrée du port. Il est temps que je prépare la Boiteuse pour
l'atterrissage. Un fait exprès, le vent baisse pour me faciliter la
tâche.
10H25
: Allumage moteur. Incroyable, le mal de mer me reprend ! Le stress
sans doute...
La
jetée est battue par la houle, et les vagues déferlent juste devant
l'entrée. C'est coton. Je me prends une déferlante, et la Boiteuse
se couche. J'apprendrais plus tard que des curieux m'observaient et
s'inquiétaient de voir un si frêle esquif tenter d'entrer dans le
port avec une mer pareille.
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Bienvenu en Uruguay ! |
11H00
pile : Je me pose comme une fleur le long du quai. La Boiteuse est
arrivée. Je suis arrivé à la Paloma, Uruguay.
Épilogue
: La jetée est pleine de pécheurs à la ligne assis sur des chaises
pliantes qui sirotent leur maté. Des familles de promeneurs
regardent la Boiteuse avec curiosité, et s'extasient devant Touline
qui fait son show. On m'interroge de toute part, on me félicite, on
m'aide... C'est un vrai plaisir que cette prise de contact avec ce
nouveau pays. Un bateau français m'invite à boire le café et me
donne les premières infos.
Une
heure après mon arrivée, mes papiers d'entrée étaient faits. Pour
le tampon du passeport, il va falloir attendre que je sois à
Piriapolis, car il n'y a pas d'immigration à la Paloma.
D'ailleurs,
il n'y a rien à La Paloma... Je m'en suis rendu compte quand dans
l'après-midi je me suis rendu en ville à la recherche d'une
connexion internet. Une avenue bordée de restaurants et des villas
de vacanciers, c'est tout. L'ambiance est décontractée, plutôt
baba cool... J'aime bien.
Dès
que je me connecte à internet, j'apprends que Zoé est en route.
Elle arrive à Montevideo lundi vers une heure du matin, et me
rejoindra avant la fin de la journée ! Vite, il faut que je nettoie
le bateau !
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La Boiteuse amarrée au ponton de la Paloma |