32°01.581S
52°06.512W
Rio Grande do Sul,
Brésil
La samedi 12
janvier 2014 – Chaud devant !
|
Hasta luego ! |
09H30 : Je
décolle doucement du muelle de La Paloma. Les copains sont là
pour larguer les amarres et me souhaiter la bonne route. Il y a là
Santiago, Marc, Gabriela... Ah Gabriela ! Je crois qu'elle
restera un de mes meilleurs souvenirs de ces quelques semaines
passées à La Paloma. Même si elles sont quelque part frustrantes,
j'adore ces rencontres brèves, sincères et intenses qui me
rappellent ma jeunesse et le temps des colonies de vacance. Ces lieux
où l'on liait en peu de temps des liens si forts qu'on croyait
qu'ils allaient durer toute la vie. On se promettait de garder le
contact, de s'écrire... Et pourtant, tous ces visages se sont peu
effacés de ma mémoire comme je suis sûr que le mien a disparu de
la leur.
Mais les temps
changent, aujourd'hui il y a Facebook !
10H00 :
J'arrête Mercedes. 5,3 Nœuds, vent de travers. Deux ris dans la
Grand-Voile et foc déroulé en grand. Cap au 65° sous un ciel bas.
Avec le stress et la suée du départ, le vent me fait frissonner.
C'est parti pour
200 milles, avec un vent du sud annoncé de 20 à 25 Nœuds, virant
et s'établissant à l'est demain dimanche. Je prévois deux jours de
navigation, mais quelque chose me dit je vais sûrement arriver bien
plus tôt.
Nous sommes partis
à trois bateaux. Premier dehors, c'est tout de même moi qui prend
la dernière place de la file. Les croiseurs rapides de 35 pieds, aux
carènes de bateaux de course, m'en mettent plein la vue !
Qu'importe, on ne joue pas dans la même catégorie de toute façon...
La mer est moche
du gris des nuages.
|
Ben alors ? |
11H30 :
Touline boude dans son coin, et miaule par intermittence sa
réprobation. Elle a le mal de mer. Mais bon, je sais que ça va
passer et que demain il faudra que je la surveille comme le lait sur
le feu. On avance bien, à presque six nœuds. C'est cool. J'ai faim.
11H45 : Ça y
est, ça commence à forcir. Je réduis mon foc de moitié. Le souci
c'est que je suis tribord amure (le vent arrive de la droite), et que
je dois border ma voile avec le winch cassé. C'est pas top, mais j'y
arrive quand même. A défaut d'avoir les chevilles en bon état,
j'ai encore des bras.
Ceci fait, je peux
terminer mon sandwiche pain-beurre-mortadelle et je m'en fait même
un deuxième.
12H00 : Je
fais le point. Belle moyenne de 5,5 Nœuds. A ce rythme là j'arrive
demain avant la tombée de la nuit. Le Cabo Polonio est à deux
heures, après lui je vais pouvoir abattre de 15°. Ce sera un poil
plus confortable...
Les bateaux
argentins ont disparus derrière l'horizon.
14H00 : Je
viens de doubler Cabo Polonio. J'aperçois pas mal d'otaries qui
barbotent dans les vagues. Je sais qu'il y a une immense colonie qui
squatte le cap. Dommage que je ne puisse pas m'approcher plus près
pour les observer... Mais bon, on n'est pas là pour rigoler !
Il y a des creux
de deux mètres et la houle est hyper-serrée. Bref, ça bouge pas
mal et c'est pour ça que vous n'aurez pas de photos d'otaries
batifolantes.
J'abats de 15°
comme prévu, aussitôt La Boiteuse bondit dans les vagues et le loch
affiche un glorieux 7 Nœuds de vitesse de croisière.
15H20 : Cela
commence à ressembler à l'océan. La houle se creuse, les vagues
déferlent à grand bruit... Touline dors. J'ai tenté de dormir moi
aussi, en prévision de la nuit à venir, mais je n'y suis pas
arrivé.
16H45 : Le
vent forcit encore et tourne un peu à l'est ce qui fait que je me
retrouve travers à la vague plus souvent qu'à mon tour. Il faudrait
que je réduise un peu la voile d'avant, mais j'ai pas envie. 7,2
Nœuds depuis deux heures, avec des surfs à 10, c'est toujours ça
de gagné sur la journée de demain. Allez ma Boiteuse ! Fonce !
16H50 : A
regarder la pale aérienne de mon régulateur, je me dis que ça
serait bien si je la peignait en rouge... Ok, je vais faire ça à
l'escale de Rio Grande ! Ça sera à rajouter sur la liste des
choses à faire, juste en dessous des winchs à changer et de la
nouvelle hélice pour le moteur de Miss B.
17H00 : Et
hop ! Une p'tite vidéo !
17H35 : Je
repense aux conditions de mon départ... Sachez que j'ai longuement
hésité avant que de me décider à prendre la mer. Hier matin,
j'étais encore à tourner dans tous les sens, à discuter avec les
uns et les autres pour peser le pour et le contre, mais surtout à
tenter de trouver la motivation nécessaire pour partir. Car il
s'agissait bien de ça, de motivation.
La fenêtre météo
était bonne, enfin aussi bonne qu'elle puisse être dans ces
régions. D'autres allaient l'emprunter en même temps que moi, ce
qui était un plus question sécurité... Et en plus ils ne
prévoyaient pas de pluie ! Et pourtant, j'ai faillis surseoir
une énième fois.
Ce qui m'amène à
réfléchir sur le pourquoi du comment. Pourquoi est-ce que je me
faisais tirer l'oreille ainsi ?
Je n'ai pas de
réponse définitive à cette question. La peur de prendre la mer ?
Non, sans doute pas. Ce coin est particulièrement chiant c'est vrai,
mais pas vraiment dangereux. La flemme peut-être... Pas envie de
lâcher la proie pour l'ombre comme on dit. Préférer l'indolence du
moment à hypothétique du futur. Sans parler que l'Uruguay est un
pays génial et franchement, s'il n'y faisait pas si froid, il serait
en haut de ma liste pour une immigration durable.
Mais bon, lorsque
je me suis enfin décidé, toutes mes réticences se sont volatilisées
comme par enchantement. Pouf ! Plus rien ! J'ai même
ressenti une attirance renouvelée pour la découverte, les nouvelles
rencontres et les nouveaux lieux à explorer !
Me voilà donc en
route vers de nouvelles aventures, et La Boiteuse m'y emmène à une
vitesse jamais égalée jusqu'à présent !
|
Alone with myself |
19H10 : J'ai
déjà réduis la voilure à l'avant car je dérivais un peu trop
vers la terre... Mais je sens qu'il va falloir que je recommence !
Il y a de sacrées rafales à peut-être 30 Nœuds. Je n'ai pas
souvenir d'avoir autant sollicité ma Boiteuse. D’habitude je calme
le jeu bien plus tôt, me contenant de mes 4,5 Nœuds de moyenne,
mais là je ne sais pas pourquoi je sens que ça va aller. Mais bon,
il ne faudrait pas que je casse quelque chose quand même...
Voilà, c'est
fait. Tout de suite ça va beaucoup mieux.
19H35 : Ah la
vache ! Une déferlante plus grosse que les autres vient de
coucher La Boiteuse sur bâbord ! J'ai faillis perde le panneau
solaire ! Je ne sais pas combien de litres j'ai embarqué dans
le cockpit, mais tout est trempé. Moi le premier.
Je crois que
Touline a eu peur cette fois ci... Elle vient de se pelotonner dans
mes bras pour un gros câlin.
20H10 : Ça
devait baisser qu'ils disaient... Ouais, j'aimerais assez pour ma
part, parce que là ça commence à piauler sérieux. Dans une heure
je passe la frontière brésilienne... Fait chier, je pensais l'avoir
suffisamment caler entre les coussins, mais mon cendrier marocain
vient de voler à travers la cabine. Paix à son âme.
20H20 :
Merde ! J'ai une déchirure qui commence à apparaître sur la
bordure du foc !
Ok, j'ai enroulé
la voile jusqu'à recouvrir le trou. Ça devrait tenir jusqu'à
l'arrivée ou jusqu'à ce que ça se calme... Parce que là,
franchement, je n'ai pas vraiment envie d'aller faire le clown sur le
pont.
20H30 :
J'aurais dû penser à réduire la voilure plus tôt... Parce que le
bateau se comporte beaucoup mieux sans pour autant avoir perdu
beaucoup de vitesse. Mais quel con je fais des fois !!! Ça fait
trois heures que je me fais bringuebaler dans tous les sens, alors
qu'il suffisait de... J'me mettrais des baffes, tien !
|
Fin de journée... |
20H50 : La
nuit tombe et ça chie de plus en plus. J'ai été obligé de lofer
de 10°, sinon j'allais percuter la terre dans quelques heures.
Résultat, je suis presque travers à la houle (4 mètres maintenant)
et je me prends des paquets de mer dans la gueule.
21H05 : Tout
est prêt pour que je passe la nuit allongé dans le cockpit. Au
départ, j'avais dans l'idée de dormir à l'intérieur, mais c'est
carrément pas le jour pour innover. C'est Touline qui ce soir sera
au chaud et au sec !
Le dimanche 12
janvier 2014 – De Charybde en Scylla
06H35 :
Bouh... Quelle nuit de merde mes enfants ! J'ai été secoué,
essorer comme dans le tambour d'une machine à laver. Ça n'a pas
arrêté de toute la nuit ! Il n'y a qu'aux toutes premières
heures du jour que le vent et la mer ont semblé se calmer. Et
encore, c'est très relatif.
Le principal souci
de la nuit a été de faire gaffe à la côte, car pour la première
fois je dérogeais à une de mes règles. A savoir : La nuit,
jamais à moins de 10 milles des côtes.
Et là, j'ai longé
celles-ci à 7 milles et à une vitesse de plus de six nœuds. Ça
veut dire clairement qu'en cas de panne de réveil, je suis
potentiellement sur la plage en une heure et des poussières. D'où
un certain stress vous en conviendrez, et des plages de sommeil
n’excédant pas 40 minutes.
|
C'est mieux... |
Malgré tout, ça
c'est bien passé. J'ai gardé un cap plus que correct et une vitesse
de malade, sans rien casser et sans percuter quelque chose ! Et
en plus, griotte sur le clafoutis, je n'ai même pas eu froid. Donc
l'un dans l'autre, je suis content. Je vais faire le point à 08H00,
mais à vue de nez je dirais qu'on devrait arriver sans problème à
Rio Grande avant la nuit.
08H00 : 6
Nœuds de moyenne sur les douze dernières heures. C'est cool... Sauf
que le fait d’être descendu à l’intérieur m'a rendu malade.
10H50 : J'ai
dormi un peu et je me sens un peu mieux... Le vent ne souffle qu'à
F4, mais l'état de la mer est toujours chaotique. J'ai perdu un peu
de vitesse mais j'ai toujours l'impression de me faire essorer comme
dans une lessiveuse.
Je pourrais
dérouler un peu du foc pour renouer avec les six nœuds de
croisière, mais j'ai peur qu'il ne se déchire. C'est pas grave, je
suis quasiment assuré d'arriver à bon port avant la nuit.
12H00 :
Burpl.... Dès que je me lève pour faire quelque chose, j'ai la
nausée qui me reprend. Pourtant il faut bien que je jette un œil de
temps en temps autour de moi, je commence à apercevoir quelques
bateaux de pêche.
15H15 : Tien,
un albatros ! J'aperçois également les grues du port de
commerce. Allez mon bonhomme, sert les dents. Dans deux heures maxi,
tu entâmes la remontée du fleuve. J'espère seulement qu'il y aura
de la place parce que je n'ai pas vraiment envie de planter la pioche
dans le bras du fleuve comme l'année dernière.
16H37 : Ça y
est, j'ai franchis le passage de la jetée. Juste derrière un autre
voilier que je n'arrive pas à reconnaître. Aurais-je réussi à
rattraper l'un de mes prédécesseurs ?
|
C'est quoi ça ? |
16H50 :
Allumage du moteur. Aussitôt Touline saute de la couchette qu'elle
squattait depuis le matin et se réfugie sur le capot de la descente.
De là, elle observe les rochers, les autres bateaux, les
bâtiments... Ça serait-y qu'on arrive des fois ?
17H30 :
Putain, j'ai un souci là... Le moteur a calé et refuse de
redémarrer.
17H45 : Je
suis un peu dans la merde. Pour l'instant je remonte le fleuve à la
voile, mais je vais tenir le mouillage prêt, au cas ou...
18H00 : Le
bateau qui me précédait est inexplicablement sorti du chenal et
vient de s'échouer sur un banc de sable. Avec les jumelle je peux
voir que je ne suis pas le seul dans la merde...
18H05 : Bon
c'est décidé, je vais tenter d'aller jusqu'à la marina à la voile
et mouiller dans le chenal. Je pense que c'est dans mes cordes...
Enfin, j'espère. Je vais avoir quelques empannages à gérer et je
ne sais pas encore exactement comment je vais faire pour planter la
pioche correctement, mais j'ai pas trop le choix. S'il n'y pas trop
de courant et de vent, ça devrait le faire. Ça devra le faire.
A moins qu'il y
ait du monde sur les pontons extérieurs, mais je préfère ne pas y
compter. On verra bien...
|
Fais gaffe Gwen, ya du monde... |
18H40 : Pour
l'instant tout va bien. Heureusement, je suis au portant quasiment
tout le temps et il semble que ce sot marée montante. Mais je surveille attentivement le sondeur et ma
dérive. Je viens de passer au ras d'un cargo mouillé en plein
chenal, et il m'a coupé le vent. J'ai cru que j'allais pas pouvoir
le passer !
18H45 : Une
barque vient de me lancer une amarre ! Je le crois pas ça !
Épilogue :
|
A la remorque |
Je suis désolé
mais mon journal de bord s'arrête là ! Car je ne peux
décemment pas tenir la barre et écrire en même temps.
Cela dit, je peux
quand même vous raconter ce qui se passa ensuite sous un autre mode.
J'étais donc à
la remorque de cette barque qui, à force de lui regarder l'arrière,
commençait à me dire vaguement quelque chose... De même que les
tenues des deux mecs, verte et blanche. J'ai alors réalisé qu'ils
venaient de la marina située à plus de trois milles de là !
Quelle chance qu'ils passaient par là ! Vraiment ? Me
suis-je dis. Comment ont-ils su que j'étais en avarie moteur ?
Je me posais tout
un tas de question, et celle de savoir combien allait me coûter
cette balade en remorque n'en n'était pas la dernière. Pendant ce
temps là, la sirène qui salue les marins me faisait coucou, et deux
flamands roses passaient majestueusement au dessus de la Boiteuse...
Nous avons remonté
le fleuve jusqu'à la marina, et la lancha m'a alors déposé
comme une fleur, exactement à la même place que l'année dernière.
|
Ouais c'est ça... Bom dia ! |
Aussitôt amarré,
j'ai demandé alors aux deux types comment il se faisait qu'il m'ait
trouvé. Je comprends vaguement (mon portugais est un peu rouillé)
que c'est suite à un appel que j'aurais lancé... Et c'est là que
j'ai compris. Les gars étaient sorti, non pas pour me ramener moi,
mais le bateau qui s'était échoué !!!
J'étais à la
fois content et confus. Content d'avoir eu la chance de les croiser,
et confus que l'équipage de l'autre voilier ait devoir à attendre
encore une heure ou deux avant que d'être secouru !
J'ai rencontré
par la suite les malheureux qui ont dû poireauter à cause de moi,
et heureusement ils ne m'en tiennent absolument pas rigueur. Pour
info, le capitaine qui naviguait solo, était lui aussi sans moteur,
faute de gasoil. Il a voulu faire le malin en coupant le fromage et
s'est retrouvé sur le sable en un rien de temps ! Il est
finalement arrivé une heure trente après moi.
|
Ouf ! Sains et saufs ! |
Me voici donc
arrivé à Rio Grande do Sul au Brésil. Tout de suite la température
s'est faite plus clémente et je n'ai plus à me demander si je dois
prendre ma polaire avec moi lorsque je vais faire un tour (j'adore
!). Le lendemain de mon arrivée a été consacré essentiellement à
deux choses : Dormir et écrire. Dormir c'est pour récupérer
de cette navigation quelque peu mouvementée, et écrire c'est pour
que vous ayez ce texte sous les yeux le plus rapidement possible,
ainsi que pour moi d'évacuer cet épisode afin de pouvoir passer à
autre chose.
Parce que
maintenant, en plus de trouver des nouveaux winchs, une nouvelle
hélice pour le hors-bord et peindre le régulateur, je vais devoir
réparer le foc et surtout trouver ce qui a bien pu clocher avec mon
vieux moteur... Bref, j'ai du boulot.
Até logo !
|
On arrive ! |