14°27.377N 60°52.005W
Baie des Cyclones, Le Marin, Martinique
Partie 1 : La claque dans la
gueule
Bientôt deux ans que La Boiteuse est
arrivée en Martinique et n'en n'a plus bougée. Deux ans que je
sursois à un hypothétique départ. Deux ans que je tergiverse en
tentant de ranger le bordel que j'ai dans la tête. Et pendant ces
deux ans, vous mes lecteurs avez été bien patients... Très
patients.
Surtout que je ne me souviens pas vous
avoir précisé exactement ce qu'il se passait dans ma vie et dans ma
tête... Et pour cause, je ne le savais vraiment pas moi-même. Ou du
moins je n'arrivais pas encore à mettre des mots dessus.
Alors, histoire de poser les choses à
plat afin d'y voir clair, j'ai décidé tant bien que mal de me
remettre à l'écriture. Nous allons tenter ensemble, de retracer la
suite des événements de ces deux dernières années, et de démêler
l’écheveau quasi inextricable de mes pensées torturées... Bon
courage à vous si vous décidez de continuer cette lecture !
Lorsque je suis arrivé en Martinique,
en mars 2016, c'était pour une simple escale de quelques semaines,
suffisante pour trouver des winchs d'occasion, et recharger mes
batteries personnelles à grand renfort de nourriture française.
Cela dit, après cinq années d'errance en terres étrangères je me
suis rendu compte que mon pays, ma culture, m'avait quand même
vachement manqué... Ou tout du moins, que c'était quand même
beaucoup plus reposant de vivre parmi les siens. Bref, j'avais besoin
d'une pause. D'un autre côté, l'argent n'allant pas tarder à
manquer, j'avais également le vague espoir de trouver le job et la
femme de mes rêves, pensant que mon parcours et mon expérience
allait me rendre irrésistible auprès des marinas et des
backpakeuses. Pour les winchs cela a pris un peu de temps mais j'ai
finalement réussi à trouver la perle rare. Par contre pour le
reste, j'ai vite compris que je me berçais d'illusions.
10 pays en cinq ans... |
Car dans mes vagues projets, il est une
chose que je n'avais absolument pas appréhendé, c'est mon âge.
Qu'importe d'avoir l'expérience, quelques milliers de milles au
compteur au sens propre, et de parler quatre langues, lorsque vous
vous trouvez en compétition avec un type qui a vingt ans de moins et
qui a le même profil, les types de cinquante ans ne font pas le
poids. Et ceci est valable aussi bien sur le marché de l'emploi que
pour les femmes...
De plus en ce qui concerne le travail,
j'ai remarqué que les types de trente ans ont moins d'estime
d'eux-même (ou d'orgueil, c'est comme vous voulez) et sont près à
accepter des conditions de travail et de salaire que les types comme
moi considèrent comme une insulte à leur propre personne. Et malgré
cette humiliation permanente, ils sont tout de même capable d'offrir
un projet de vie à la jeune femme qui passerait dans le coin par
hasard en quête d'une vie pleine d'aventure (mais tout de même
sécurisée quelque part)... Bref, je me trouvais hors-jeu sur les
deux tableaux.
Pour vous dire la vérité, j'ai eu un
peu de mal à encaisser cette réalité. De même j'ai eu un peu de
mal à encaisser le fait de redevenir un quidam moyen... Car il est
encore une chose que je n'avais pas bien réalisé tout au long de
ces années d'errance, c'est le statu social que revêt le voyageur
en voilier étranger. Vous êtes plus qu'un simple touriste, car
votre mode de locomotion et d’hébergement sont plus impliquant. En
clair, vous en avez supposément chié pour arriver ici, et ça,
croyez-moi, les gens le respectent. Dans certains pays le simple fait
d'être français vous confère une aura qui vous ouvre pas mal de
portes d'ordinaire fermées, et dans d'autre c'est le contraire...
Bon d'accord, il faut reconnaître aussi que dans la plupart des pays
vous êtes plutôt considéré comme un portefeuille sur patte, vous
pouvez même parfois être méprisé par pur racisme ou xénophobie,
mais au moins vous êtes « quelqu'un ».
Alors qu'ici, dans les Antilles, et
plus spécifiquement en Martinique, vous n'êtes rien. Je ne suis
rien.
Je suis juste un voileux moyen comme il
y en a des centaines, avec vingt ans de trop.
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Alors c'est ça la France dont tu m'as tant parlé ? |
Donc voilà, en arrivant en Martinique
j'ai eu un aperçu de ce que pourrait être un éventuel retour en
métropole... C'est à dire une grande claque dans la gueule. Et
franchement, ça m'a fait mal.
Je me doutais bien que mon voyage
allait en quelque sorte me déconnecter de la société, du moins
d'une certaine forme de société, et c'était même un peu mon but
quelque part. Je me doutais également qu'un éventuel retour à
cette société ne se ferait pas sans réticence de ma part... Car
quand on a goûté à la liberté, il est compliqué de se remettre
des chaînes. Mais par contre je n'avais absolument pas envisager que
si retour il y avait, ce serait elle qui me rejetterait. Je ne sais
pas... Je crois que quelque part je me figurais que le monde allait
m'accueillir comme un héro, un fils prodigue jadis égaré qui
rentre au bercail riche d'expériences nouvelles utiles au plus grand
nombre. Je pensais crânement être une source d'inspiration !
Tu parles... Le monde des terriens peut
sans doute envier ceux qui choisissent la marginalité, mais les
punissent dès qu'ils font mine de vouloir rentrer dans le rang. Ce
fut une belle leçon de vie que j'appris à mes dépend.