34°39.214S
54°08.588W
La Paloma, Uruguay
Tout arrive à qui
sait attendre. Bon ok, quatre mois je reconnais que c'est un peu long
comme attente, et la teneur de vos commentaires depuis quelques
semaines en disait long sur votre impatience de me voir reprendre mon
périple. Impatience non partagée, je me tiens de quand même le
préciser. J'étais bien à Piriápolis, tranquille. La vie
s'écoulait doucement dans une espèce de torpeur abrutissante à
souhait. Il y avait bien une petite voix qui de temps en temps me
soufflait au creux de l'oreille que cette situation n'était pas
idéale, mais j'arrivais à la faire taire en proclamant mon libre
arbitre. Je fais ce que je veux, c'est moi le patron, et pis c'est
tout.
Oui mais voilà,
les choses changent. Pour des considérations bassement économiques
j'ai dû décarrer de Piriápolis et me voilà maintenant de retour à
La Paloma. Était-ce un coup de pied au cul nécessaire et bienvenu ?
L'avenir le dira. Mais pour l'heure je vous propose le récit de
cette petite traversée sous forme de journal de bord, comme vous en
aviez l'habitude
Dernière soirée à Piriapolis |
Cela faisait un
moment que je la guettais cette fenêtre météo. Une semaine que je
la scrutais deux fois par jour afin d'en déterminer l'évolution.
Allait-elle me permettre de rallier directement le Brésil, ou
seulement de faire escale à La Paloma ? L'anticyclone s'est
gonflé et dégonflé. Il est monté de quelques degrés au Nord,
puis est redescendu au Sud... Bref, comme il est de coutume depuis
que je suis dans cette région du monde, quarante huit heures avant
mon départ je ne savais toujours pas où j'allais aller. Et puis ce
lundi je me suis lancé : j'ai annoncé officiellement mon
départ pour mercredi matin au bureau de la marina, même si je
n'avais pas encore pris ma décision quant à mon point de chute.
Advienne que pourra. Ce n'est que le lendemain matin, que je prenais
la décision finale, j'allais partir le soir même et ferais escale à
La Paloma.
Mardi 17 décembre
2013
La journée de
mardi fut consacrée à l'avitaillement, à la préparation du bateau
et aux formalités administratives. C'est là que ça se complique,
car je ne sais pas s'il vous en souvient mais il n'y a pas de bureau
d'immigration à la Paloma... J'ai donc dû tricher un peu, et
annoncer que je quittais définitivement le pays à partir de
Piriápolis. Bon, dans l'absolu cela ne prête pas trop à
conséquence. Les autorités uruguayennes sont assez coulantes et ne
devraient pas prendre ombrage de ce petit changement de plan... (Par
contre, faites ça au Maroc et c'est tout juste si vous ne finissez
pas en prison !)
Même si j'ai été
pas mal occupé, suffisamment pour oublier de manger à midi, j'ai
quand même pris le temps de faire une petite sieste d'une heure.
Il faisait une chaleur à crever, et à m'activer ainsi sans trop
faire attention, j'ai vite pris des couleurs oscillant entre le
rouge brique et le cramoisi. J'étais chaud, dans tous les sens du
terme, et je n'ai pas ménagé mes efforts. Si bien que j'ai pu
partir dans les temps... Ce qui doit être une première !
Ah oui !
J'allais oublié un truc qui va avoir son importance. Alors que je
nettoyais mon winch bâbord qui était passablement grippé, j'ai
fait la connerie du siècle. Le pignon principal m'a sauté des mains
pour finir à la flotte. Hors de question d'essayer de le récupérer
par cinq mètres de fond vaseux... Bref, je ne suis pas dans la
merde, mais pas au top non-plus. Ça va être coton pour border la
voile d'avant au près serré mais je pense que je vais pouvoir me
débrouiller et trouver un moyen. Je me console en me disant que de
toute façon ces vieux winchs obsolètes commençaient à me gonfler
sérieux et que les remplacer par des winchs modernes avec un
self-tailing sera probablement une bonne chose. Quand et où, là est
la question.
19H30 :
J'enferme Touline dans la cabine avant et j'allume le moteur. Éric,
le skipper de Yasmine a mis son annexe à l'eau et se
positionne pour pouvoir me décrocher les amarres arrière. Sur le
quai, mes autrichiens préférés sont là aussi. Anna, Franz et la
petite Milena sont venus me dire au revoir et prendre quelques
photos. On s'embrasse. On s'échange les dernières
recommandations... Et c'est parti !
On a une sale gueule tous les deux ! |
20H10 :
(Merde, j'ai déjà dix minutes de retard sur le programme !) Je
décolle doucement du quai en marche arrière. J'avale mes amarres le
plus vite possible pour éviter qu'elles ne se prennent dans l'hélice
(manquerait plus que ça) tout en négociant la manœuvre, la barre
entre les jambes. Décollage impeccable. Je saisi ma corne de brume,
et je proclame à la face du monde que je m'en vais. Sur le quai et
dans l'eau, les amis de rencontre me saluent avec de grands gestes.
J'ai demandé
qu'Anna fasse des photos du bateau en train de partir, aussi je
décide pour épater la galerie de hisser mes voiles aussitôt
l'entrée du port franchie. Pour se faire je fais un petit tour dans
la baie de Piriápolis, et en deux coups de cuillère à pot la
Boiteuse se retrouve toute voile dehors et passe la pointe de la
digue, travers au vent, à ces cinq nœuds. Ça y est, on est parti.
20H45 : Je
sors mon cahier à spirales et je commence à jeter quelques mots
dessus. Pas facile de se remettre à l'écriture ! Pour
l'instant La Boiteuse est au près serré, toujours à cinq nœuds.
Le vent vient de l'Est, pile poil dans mon cap... Ça devrait évoluer
dans la nuit. Enfin, c'est ce qui est prévu sur le papier. Touline
n'est pas très en forme. Elle est allongée sur le capot, les yeux
mi-clos... Je suis sûr qu'elle m'en veut.
L'astre de la nuit |
21H00 : Le
Mer-Veille commence à sonner. Entre les cargo mouillés au large et
ceux qui descendent ou remontent le Rio de la Plata, c'est qu'il y a
du monde sur l'eau ! J'éteins l'appareil qui ne m'est
finalement d'aucune utilité. Je fais chauffer de l'eau pour le maté.
Je suis toujours
au près serré, cap au 180°. La houle est petite, et serrée elle
aussi. C'est un peu cahoteux pour un début mais bon... Ça va. La
pleine lune se lève à l'Est. Elle devrait m'accompagner toute la
nuit.
Il faut que je
mange un peu là... J'ai l'estomac vide depuis vingt-quatre heures,
et ce n'est pas raisonnable. J'avale deux petits sandwiches
jambon-beurre.
Le mercredi 18
décembre 2013
06H00 : La
nuit a été... compliquée. Tout d'abord, la bascule que j'espérais
n'est jamais arrivée. Ce qui veut dire que je me suis tapé du près
toute la nuit. J'ai peu dormi, tenant à serrer le vent du mieux
possible afin de ne pas rajouter trop de route. Mais je crois que
c'est peine perdue. Je ne sais pas combien ça va faire au final,
mais je suis sûr qu'on sera assez loin des 68 milles prévus (j'en
ferais au final 82). Qui plus est, ma vitesse n'a pas été fameuse
malgré la GV haute et le foc déployé en grand. A peine 30 milles
en huit heures...
Je n'ai pas eu
froid, contrairement à ce que je craignais. J'ai dormi par toutes
petites tranches de 30 minutes, Touline dans les bras. La pauvre n'a
vraiment pas apprécié de se retrouver en mer après une si longue
escale, et je crois qu'elle avait besoin du réconfort de son Papa.
C'est bien de dormir avec un chat dans les bras, car justement c'est
une occasion idéale pour ne pas dormir.
levé de soleil sur un winch en bon état |
Alors que le
soleil se lève c'est à mon tour de ne pas me sentir bien. J'ai mal
aux pieds, j'ai eu des courbatures et des crampes toute la nuit. En
plus j'ai un début de nausée... Le café du matin a du mal à
passer. Je crois que je vais m'en tenir au maté, qui décidément
est la boisson idéale en mer.
Je vois encore
Punta del Este sur bâbord arrière. Putain, on n'est pas arrivé...
08H00 : Je me
traîne. Même pas deux nœuds au compteur. C'est hyper frustrant,
surtout que la mer elle, est toujours aussi hachée. Il me reste une
trentaine de milles à parcourir en ligne droite, et pour l'instant
je suis obligé de tirer un long bord qui m'éloigne de cette ligne
droite. Nous faisons route au 90°, alors qu'il faudrait que je fasse
du 30°... J'hésite à allumer Mercedes.
09H30 :
YES !!! Ça-y-est, le vent a enfin tourné ! Grand largue,
tribord amure, droit sur La Paloma à 5,5 Nœuds !!
09H33 : Et
merde... C'est quoi ce bordel ? Voilà que c'est la pétole
maintenant.
09H35 : J'en
ai marre. Je démarre le moteur. C'est dingue ce qu'il peut se passer
en cinq minutes, hein ?
Une Urugua-chat ! |
10H30 :
Mercedes ronronne comme une chatte. Bon ok, une chatte un peu
bruyante, je vous l'accorde. Touline elle exprime sa désapprobation
en miaulant par intermittence. Elle déteste quand le moteur
tourne... Il doit y avoir des ultrasons ou des trucs comme ça qui la
dérange.
Si tout va bien
nous arrivons dans six heures. (Mas o menos)
11H00 : Je
déjeune de trois gros sandwiches pain-beurre-jambon-fromage. J'ai
une putain de dalle ! Voilà qui est bon signe !
La mer et le ciel
sont bleus. Peu ou pas de vent, mais la houle est toujours là,
petite mais serrée, pile dans mon nez. La Boiteuse ressemble à un
cheval à bascule qui caracole sur l'eau.
Je vais essayer de
dormir un peu...
13H45 :
Cool ! J'ai fait dodo pendant presque deux heures non-stop. Un
bon et gros dodo réparateur. Heureusement que l'océan est désormais
vide... Oui, je dis l'océan car nous avons maintenant quitté le Rio
de la Plata et nous sommes de retour dans les eaux salées et
océaniques. Plus que 13 milles à faire. J'aperçois déjà cette
tour immonde qui a poussé en plein milieu de la petite ville de La
Paloma (excellent amer au demeurant), telle une pustule sur un pif.
14H30 : La
Paloma... Ça me fait tout bizarre de revenir ici. C'est là que nous
nous étions retrouvé, Zoë et moi il y presque un an de ça. Un
an déjà ? Comment le temps fait-il pour passer aussi vite, et en
même temps ne laisser aucune trace ? Pour moi c'était hier, et
tout ce que j'y ai vécu est encore bien présent dans mon esprit.
Douloureusement présent.
Et merde,
maintenant que je suis sur le point d'arriver, je me rends compte que
je n'avais absolument pas prévu que revenir à La Paloma pouvait
raviver tous ces souvenirs. C'était pourtant prévisible, me
connaissant. Bordel de merde, j'espère que cette nouvelle escale ne
va pas se transformer en un pèlerinage emprunt de nostalgie...
On peut toujours
rêver.
Oups ! Y'a du monde ! |
15H15 : Fait
suer, même au moteur je suis obligé de louvoyer pour garder la GV
en appui et avoir assez de vitesse. C'est dire que j'ai vraiment le
vent dans le nez, sans parler du courant.
La Paloma est
maintenant bien visible. On est bientôt arrivé.
15H40 : Chose
bizarre, je n'ai pas vu beaucoup d'animaux durant cette petite nave.
A part quelques puffins majeurs et quelques méduses, la mer était
un vrai désert.
17H30 : Je
viens de contourner le Bajo Falkland délimité par sa cardinale
Nord. J'ai également appelé le contrôle du port pour signaler que
j'arrivais. Y'a plus qu'à accoster tranquillement.
17H50 : A
peine les amarres lancées, elle sont saisies par deux marineros de
la hydrografía.
Je jurerais que ce sont les mêmes que l'année dernière. Sur le
quai, quelques pêcheurs taquinent le poisson sabre. Il n'y pas de
doute, je suis bien arrivé à la Paloma.
A
peine le moteur arrêté, je libère Touline qui se précipite et
bondit sur le quai en béton. Elle semble un peu perdue et choquée.
Moi non, je suis bien content d’être arrivé.
Ouf... On est arrivé. |
16 commentaires:
Petite nave pour reprendre la main et ma foi, après quatre mois...je te sens toujours aussi enthousiaste !!
Tu sais quoi ? Tu me donnes envie...
J'adore le 9:30 - 9:35, tellement vrai :)
Que perd-t-on en traversant une frontière ? Chaque instant semble divisé en deux : d’un côté la mélancolie à cause de ce que l’on laisse, et de l’autre, la joie d’explorer des terres nouvelles. (Che Guevara)
Une petite nav pour ronchonner :)
Et te voila accroché à un autre ponton... Même si tu risques de nous faire du jus de cerveau... Bah... On est habitué :)
Bizzzzzzzzzz captain !!!
cool tu as fait le plus difficile: se botter les fesses pour rebondir. Profites de l'inertie et navigues vers la suite de ta vie....
@Monique : Ne soit pas ironique comme ça ma Momo !
@Gubragh : J'espère bien !!
@Astridounette : Ça me fait toujours kiffer quand tu cites le Che !
@Sonia : Le jour on je ne ronchonne plus, c'est que je suis mort !
@Franck : J'en ai bien l'intention, dès la prochaine fenêtre je me casse.
Enfin tu dois le savoir, pour le winch fichu tu passes l'écoute à travers le cockpit sur l'autre en bon état en te servant du premier comme poulie.
À part cela la nostalgie fait toujours parti des voyages.
Joyeux Noël Gwendal
Guerdy
@Guerdy : Bien sûr, il est toujours possible d'utiliser le winch au vent pour border sa voile. Sauf avec ce type de winch !! C'est pour ça que j'ai hâte de les changer puisqu'ils n'acceptent les écoutes que lorsqu'elles viennent de l'avant.
Joyeux Noel et bonnes fêtes Captain...
Echange retour à Paris contre retour à à La Paloma.
Grouille-toi d'arriver à Panama...
@... : Merci, à toi aussi !
@Hedilya : Oui M'Dame !
ha, ah ou à on peut commencer par celui qu'on veut, mais quand une pièce du bateau tombe à l'eau dans la vase, la réaction c'est "ah p… b… de m…" cela ne résoud rien mais ça fait du bien.
C'est comme de tes nouvelles, ça fait du bien parce qu'ici ben on commence serieusement à être dans la vase en France.
Alors oui continue à courir les mers les filles et les pontons.
et cap au chaud (fait froid ici).
Un joyeux Noël à toi capitaine et à ton plus fidèle moussaillon, Touline !
Lucas.
@Olivier : Ici aussi il caille !
@Lucas : Merci !
mais uma vez um abraço...
mesmo de longe estou pertinho...
até breve
Dominique
@Dominique : Obrigado ! Um abraço tambem !
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