27°96.471S
48°33.162W
Iate Clube de
Santa Catarina, Florianopolis.
05H00 : Dans
un demi-sommeil, j'entends comme des objets qui tombent. Des trucs
rebondissent sur le plancher dans un tintamarre qui n'a rien à voir
avec leur poids ou leur volume. Je me dis que je dors, que je rêve
peut-être, et je cale ma tête dans les coussins. Puis j'entends
roucouler... Là, le rêve s'effrite jusqu'à exploser lorsque
retentit un miaulement insistant. Et merde, putain Touline tu fais
chier !
Je regarde ma
montre. Elle indique cinq heures et des poussières. Je râle pour la
forme, parce que ça fait partie du contrat, mais en réalité je
suis content. Mon réveil-matin à fourrure a rempli son office.
C'est l'heure de se lever car la journée va être longue.
Café, clopes. Je
sirote le tout en regardant la lune se coucher. Le soleil ne devrait
pas tarder à se lever exactement de l'autre côté. Je rassemble mes
pensées tout en écoutant le vent qui n'a pas cessé de souffler de
toute la nuit. Je sors l'anémomètre, il indique 10 nœuds, rafales
à 15. Pour tout vous dire j'aurais préféré une pétole pour ce
qu'on a à faire. Car aujourd'hui je vais quitter l'enseada de
Pinheira en le faisant remorquer par le Gwenalys, le dériveur de
Martine et Claude. Nous allons aller jusqu'au Iate clube de Santa
Catarina, à exactement 17 milles d'ici.
Martine et Claude |
C'est Claude qui
m'a proposé ça hier, alors que nous venions de passer, impuissants,
une heure au chevet de Mercedes. L'idée ne m'avait même pas
effleurée, aussi j'ai dû prendre quelques minutes pour y
réfléchir... Et puis j'ai accepté parce que c'était la meilleure
chose à faire. Ici, je n'aurais jamais pu être dépanné, et tôt
ou tard j'aurais fini dans les parcs à huîtres... Donc autant
saisir l'occasion, surtout lorsque celle-ci est proposé aussi
gentiment.
06H45 : Le
soleil bondit au dessus de la Ilha do Papagaio. Je me suis activé
pour ranger La Boiteuse afin qu'elle soit prête à naviguer à la
voile, au cas où quelque chose se passerait mal. Le vent forci :
15 nœuds, rafales à 20. Fait chier.
07H20 : Je
suis prêt. Le début de la manœuvre est prévu pour dans quarante
minutes. Gwenalys va passer à côté de moi et me lancer un boute.
Puis commencera à me tracter doucement dans l'axe de ma chaîne afin
que je puisse remonter mon ancre. Je n'ai jamais fait ça avant
(j'appris plus tard que eux non plus), et j'espère ne pas faire de
conneries. Je commence à être nerveux... Je vais me faire un
maté, ça va me calmer. Ou pas.
07H35 : Il y
a beaucoup de vent maintenant... Presque 20 nœuds établis. Ça
m'ennuierait un peu qu'on annule, car maintenant que je me suis fait
à l'idée, je suis prêt, archi-prêt. Mais c'est Claude le patron
sur ce coup-là. Je m'en remets entièrement à son jugement et à
son expérience acquise tout au long de ses dix années de voyage.
O7H55 : Appel
radio du Gwenalys. C'est bon, on le fait.
Bon, on y va oui ? |
08H05 :
Gwenalys décroche son ancre. Je me rends à l'avant et commence à
remonter quelques mètres de ma propre chaîne.
Puis, tout est
allé très vite. Gwendalys est passé sur mon bâbord et m'a lancé
vingt mètres de câblot que j'ai rapidement fixé à la patte d'oie
que j'avais préparée. Malheureusement, à cause du vent Gwenalys
est obligé d'aller assez vite pour rester manœuvrant. Trop vite
pour que j'arrive à suivre au guindeau. Mon ancre racle le fond et
croche au passage un de ces trucs qui pendouille et où sont les huîtres
(je ne sais pas comment ça s'appelle). Mon remorqueur s'arrête
alors et je dois forcer sur les bras pour remonter ce qu'il reste de
chaîne. Ouf ! Ça y est, je suis décroché ! On peut y
aller.
08H35 : Nous
quittons l'enseada de Pinheira. Dehors il y a de la houle et du vent,
et ça secoue pas mal. 3,5 nœuds de vitesse, tout baigne.
08H50 : Ah
ben zut. Chuis malade !
09H45 : Nous
avons contourné l'île du Perroquet et nous embouquons la passe pour
rentrer dans la baie-sud.
10H30 : Nous
ramons... J'avais pensé que nous avancerions à trois nœuds, mais
finalement c'est plus près de 1,5... Ce qui va doubler de le temps
de la balade.
10H45 : Nous
croisons une vedette de ma Marinha do Brasil. Oups !
11H50 : Punta
do Cedro. On a fait (en gros) le tiers du trajet. Nous sommes face au
vent, à deux nœuds de vitesse. De temps en temps nous communiquons
par VHF pour nous demander comment ça se passe. De mon côté je
commence à fatiguer car je suis à la barre depuis plus de trois
heures maintenant afin de garder La Boiteuse exactement dans le
sillage de Gwenalys. A travers la brume de chaleur, j'aperçois notre
destination à 10 milles d'ici. La marina se trouve presque au pied
du grand pont qui relie l'île au continent.
Midi : Voilà
la vedette de l'armée qui repasse dans l'autre sens. Heureusement,
nous ne semblons pas les intéresser. Cela me fait penser que de
débarquer comme ça dans une marina va probablement me forcer à
faire mon entrée officielle dans le pays. Et une fois que ce sera
fait, je n'aurais plus que trois mois pour remonter le long des
presque trois mille milles qui me restent à faire pour quitter le
Brésil. Ouch !
14H05 : De
temps en temps arrive un train de houle constitué de deux ou trois
grosses vagues qui vient frapper la proue de La Boiteuse. Le bateau
bondit alors et retombe en faisant exploser l'élément liquide en
une gerbe éblouissante.
14H35 : La
ville de Florianopolis s'étale devant nous à contre jour, de chaque
côté du bras de mer. Elle m'a l'air énorme cette ville...
Et merde... |
15H30 : Ça y
est c'est parti ! Le vent à viré à 180° et souffle de plus
en plus fort. 18 nœuds à l'anémomètre de poche. La température a
baissé de presque dix degrés. Du coup, puisque nous avons
maintenant le vent dans le dos, nous allons plus vite ! 4
nœuds ! Chouette, on va arriver plus tôt !
16H10 : La
Marina est en vue. Je commence à réfléchir à comment on va faire
pour y rentrer... Et franchement je n'en n'ai aucune idée. Ça va
être de l'improvisation totale.
16H30 : J'ai
réussi à joindre la marina et ils envoient un canot pour nous filer
un coup de main. J'suis fier de moi, je me suis débrouillé comme un
chef en portugais ! Le souci c'est que le vent ne veut pas
baisser... On est toujours à 20 nœuds et la mer se creuse et
déferle de plus en plus.
16H45 : Un
canot gonflable arrive avec un moteur de 5 CV au cul... Désolé mon
pote, mais ça ne va pas le faire. Le gars comprend assez vite qu'il
doit retourner au port et revenir avec un botte un peu plus
costaud.
La suite ? Et
bien il n'y a pas de suite... Il n'y a rien d'écrit sur mon cahier
en tous cas, car j'ai été un peu trop occupé pour pouvoir écrire
quelque chose. Alors comme la dernière fois vous allez avoir droit à
un récit a froid.
Le type a mis un
peu de temps à revenir... Et pour cause, au même moment, un voilier
français, le Houba de Denise et Jean-Claude, dérapait sur
son ancre et venait se fracasser sur les pontons extérieurs. Le
temps que le personnel de la marina sauve le bestiau et l'amarre sur
un corps mort, Gwenalys et La Boiteuse faisaient des ronds dans
l'eau... Dans une mer de plus en plus impraticable.
C'est là que j'ai
fais une boulette. La Boulette. Alors que nous passions le lit du
vent, je me suis déconcentré une seconde et La Boiteuse s'est
retrouvée au travers par rapport au vent. En clair et en image,
Gwenalys est parti d'un côté, et moi de l'autre. La ligne qui nous
reliait est passée sous ma coque, c'est coincée, et nous nous
sommes retrouvé cul à cul dans une mer de plus en plus merdique.
Gwenalys était à la peine, et moi je m'agrippais fermement à la
barre pour l'empêcher de partir sur le côté. En effet, je recevais
maintenant la houle par l'arrière, et le safran prenait des paquets
de mer dans un sens pour lequel il n'a pas été conçu.
La cavalerie est là ! |
Au bout d'un temps
qui m'a semblé interminable je vois alors arrivé la cavalerie. Pas
moins de six personnes réparties sur deux zodiacs dont un assez
puissant pour tirer la Boiteuse, ainsi qu'une moto des mers foncent
sur moi et prennent les choses en main. Un employé monte à bord et
m'aide à remonter mon ancre qui labourait le fond et m'annonce
qu'ils vont me mettre sur une des bouées extérieures.
Merci les gars ! |
Mais le type
refuse catégoriquement et me dis que c'est la bouée, ou rien. Et
que de toute façon la marina est pleine et qu'il n'y a pas de place.
Là, grosse
déception... A 18H00, je me suis retrouvé accroché à une grosse
bouée avec des amarres pour paquebots, ballotté dans tous les sens
et pour parfaire le tout, un orage est arrivé. Genre, son et lumière
avec des gouttes capables de remplir des verres à vodka. Du coup, je
suis resté pour la nuit sur le bateau, en tête à tête avec
Touline qui me faisait une de ces gueules !
Désolé ma
vieille... Mais là je n'y suis pour rien.
L'eau du ciel |
Ensuite, je me
suis habillé un peu mieux et je me suis rendu aux bureaux de la
marina. Le jeune type qui nous reçoit (Martine et Claude étaient
avec moi) commence par nous souhaiter la bienvenue et m'annonce que
nous disposons de deux jours de courtoisies (en langage marin, ça
veut dire gratos). Ça commence bien me dis-je.
Puis il enchaîne
et me dit que le prix à la journée est de 100,48 Réals (j'adore
les 0,48) soit à peu près 30 Euros.
PARDON ?!?!
J'ai sans doute un peu haussé la voix quand j'ai dit ça... Faut
dire que le type m'a pris un peu par surprise. Et là il m'explique
que nous sommes encore en période estivale, alors c'est plein pot.
En avril ça sera divisé par deux. Du coup je me calme un peu. De
toute façon je n'ai pas le choix non ? Ce n'est pas comme si je
pouvais aller ailleurs avec un bateau sans moteur et sans
électricité... Mais finalement c'est peut-être ça qui m'énerve
le plus.
Le lendemain, c'est déjà mieux |
Et donc dans la
foulée l'équipage du Gwenalys et moi avons pris un taxi pour
entreprendre la procédure d'immigration. Moi pour entrer au Brésil
et eux pour en sortir. Ça nous aura pris la journée, car bien sûr
les trois bureaux à voir se situent aux trois coins de la ville.
La Bonne nouvelle
du jour, parce qu'il en faut bien une, ce fut que lorsque je
repassais au bureau pour leur montrer le document de la police dûment
tamponné, le jeune gars m'a annoncé que je pouvais avoir une place
à quai dès le lendemain. Et qu'il se chargeait de contacter un
mécanicien pour qu'il vienne ausculter La Boiteuse.
Voilà-voilà...
Ceci était le récit de ce qui doit être ma navigation la plus
courte (19,2 milles) mais certainement pas la plus tranquille !
Aujourd'hui tout va mieux, je suis assis dans mon bateau et je tape
ces mots en écoutant Supertramp. Touline est allé à la découverte
de son nouvel environnement et me fait de gros câlins... Tout à
l'heure je vais aller au bar de la marina m'en jeter un, et profiter
d'un super wifi pour mettre à jour ce blog. Bref, les jours se
suivent mais ne se ressemblent pas, et c'est très bien comme ça.
C'est pas si compliqué pourtant ! |
Pêcheur dans la baie de Pinheira |
17 commentaires:
Le pire, quand je te lis, quand les cordages s'emmêlent, que les ancres n'ancrent pas et tout le tintouin, je suis pris d'un rire nerveux ! C'est comme les films muets ou le gars ripe sur le rateau et se retrouve le cul par terre ! La situation est dramatique et je suis plié de rire… Quel cinéma ! J'adore…
Encore une journée qui n'a pas été de tout repos! J'ai tremblé pour la Boiteuse, Touline et toi! Maintenant, répare Mercedes vite fait, bien fait pour continuer ta route! Bisous à toi et papouilles à Touline
Bon, c'est passé! De toutes façons, tu n'avais pas le choix...
Et cette fois, M. Mercédès : à poil! Tu fais tout réviser !!!!
Et tes batteries aussi !!!
Va pas falloir traîner si tu ne veux pas redevenir clandestino !!
Bon, ben ça, c'est fait!
T'as encore assuré, capitàn. La tête des grands jours que t'as sur la vidéo... on voit que t'aimes te faire remorquer à 1,5 nœuds en plein pampero. Profites-en, repos, gratouillis à la Touline et un mécano brasilheiro pour draguer la Mercedes. Trois mille milles en trois mois... oui, repose-toi d'abord.
Eh bien, ça ne rigolait pas... C'est flippant ces petites merdes qui finissent par miner les motivations !
Bonne réparations Gwendal !
@JPGNice : Ah ben je suis content qu'au moins ça en fasse rigoler quelques uns !
@Marie : Je devrais voir un mécanicien aujourd'hui, logiquement. Mais nous sommes au Brésil...
@Monique : Je vais essayer de respecter les délais, mais c'est sans garanties.
@Gubragh : Ce fut une expérience enrichissante malgré tout. Mais bon, pas tous les jours SVP !
@Laurent : Embarquez-vous qu'ils disaient... :)
Ben dis donc ça a été chaud, mais finalement ça devrait bien finir si le mariner t'as dégoté un mécano.
Contente qu'il n'y ai pas eu de bobo.
Bises salées
@Aglaé : Finalement, je râle mais c'est vrai qu'il n'y a pas eu de bobos... A part Mercedes qui déconne à plein tube, les batteries mortes et le hors bord qui cafouille, tout va bien !
Bonjour Gwendal,
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ?
a) pour écrire une épopée
b) par amour des mouillages
c) parce que je ne suis pas pressé
d) parce qu'il y a des jours comme ça.
Bravo pour cette journée !
Dans quelques jours : marina, wifi,cigarettes et ... mécano.
On attend la suite.
David de Nantes
Une petite suggestion pour ton moteur, ou plutôt pour tes moteurs.
Pour commencer, le hors - bord, comme il ne tourne pas, démontes les bougies et envois quelques bonnes giclées de WD-40 dans les cylindres en actionnant le lanceur.
Pour le Mercedes; Prends une vieille brosse à dent (Une neuve va aussi) et avec du WD-40 nettoies tout le bloc ainsi que les éléments autour surtout les mobiles.
Y buene suerte tu es un lion
Guerdy
Voila une aventure dont tu aurais sûrement aimé te passer... Maintanant, tu nous fais retaper mercedes nickel et zou...
@David : J'y suis ! Enfin !
@Guerdy : Pour le HB, c'est le carburateur qui déconne. Et pour Mercedes, le premier diagnostique est tombé, va falloir que je change le démarreur.
@Sonia : Je m'y emploie ma Chère ! (Et bon anniversaire !)
Tu le sais sûrement, quand tu arrêtes le hors-bord pour un moment, il est fortement conseillé de débrancher l'alimentation de carburant, et de le laisser tourner jusqu'à épuisement de ce qui reste dans le carbu. guerdy
Et de ne jamais le coucher
si mercedes déconnait déjà alors qu'elle était en marche, ce n'est sans doute pas seulement le démarreur (tu as été au fond du réservoir quand tu l'as rechargé en catastrophe !!! avec les impuretés qui y trainaient...)
bon courage
@Guerdy : C'est ce que je fais systématiquement. Mais ce moteur n'a jamais supporté d'être beaché... Là, il est en révision complète. On verra ce que ça donne.
@Anonyme : J'ai vérifié, et purger le circuit d'arrivée d'essence. News en exclue : Démarreur changé, tout baigne !
Le diagnostic du moteur est il prononcé.
J'espère que tout sera vite réparé mais si c'est comme aux Antilles il ne faut pas être pressé ce qui compte c'est le résultat. Bon courage.
Le mousse d'Exocet
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