lundi 31 mars 2014

Sou um velejador

27°96.471S 48°33.162W
Iate Clube de Santa Catarina, Florianopolis.

Trois ans... Aujourd'hui cela fait trois ans que je suis parti de France. Et la première chose qui me vient à l'esprit au moment de commencer ce texte c'est que le temps est décidément bien relatif. Ces trois années je les ai vécues tellement intensément qu'elles sont gravées dans ma mémoire comme si elles n'avaient été que trois semaines... Et en même temps j'ai quand même conscience que ça commence à faire un paquet d'années. Un petit paquet, mais un paquet quand même.

Trois ans, c'est la deuxième unité de temps du marin voyageur. La première c'est un an. C'est l'année sabbatique que s'offrent (ou se font offrir) certains djeunes à la fin de leurs études. Ou encore celle que le code du travail autorise aux travailleurs pour se ressourcer. C'est une parenthèse, un moment bref d'évasion avant que de retourner se plonger dans les tourments de la vie quotidienne.

Rocher de Gibraltar, juin 2011
 Ensuite c'est trois ans. Trois ans c'est en moyenne le temps qu'il faut pour faire un tour de l'Atlantique à peu près correct sans avoir à cravacher comme un stakhanoviste bouffeur de milles (confère la première catégorie). En trois ans vous faites la boucle en passant par l'Afrique de l'ouest (le Sénégal et la Gambie), l'Amérique de sud (Brésil, Uruguay et Argentine compris). Les Caraïbes en passant par Cuba. Et enfin vous rentrez tranquillou en Europe par les Açores.

Barcelone, Espagne, avril 2011
Après, vous rentrez dans la catégorie open. Celle-ci se décline en deux sous-catégories : ceux qui ne prévoient pas de retour précis mais qui savent très bien qu'ils ne passeront pas leur vie entière à jouer les nomades des mers. Et enfin viennent ceux qui ont décidé de prendre perpète sans trop se poser de questions sur le comment tant ils sont sûrs du pourquoi... Pour ma part je ne sais pas trop à laquelle de ces deux sous-catégories j'appartiens. Seul le temps le dira.

Essaouira, Maroc, juillet 2011
 Bon d'accord, les openistes ne sont pas nombreux si l'on compare à l'immense flotte des bateaux-voyageurs qui parcourent les mers. Ils sont les jusqu’au-boutistes de la mer. Les intégristes, les radicaux du nomadisme. Les poursuiveurs de rêve... Une catégorie à part, un peu arrogante peut-être, mais c'est somme toute normal tant ce qui anime les autres leur semble vain et superficiel.

Lanzarote, Canaries, février 2012
 Lorsque deux bateaux voyageurs openistes se croisent, une des premières questions que l'on pose est celle-ci : Depuis quand es-tu parti ? C'est même plus important que de savoir de quelle région on est issu, ou encore quel métier l'on exerce/exerçait (sauf si tu es toubib, ou mécano diéséliste on n'en a rien à cirer franchement). De la réponse viendra alors le respect, ou bien encore les encouragements et les conseils. Les openistes se reconnaissent toujours. Ils n'ont pas la même lueur dans les yeux, pas la même façon de parler d'eux-mêmes ou des autres. Du chemin qu'ils ont fait ou bien des pays où ils ont vécu. Pas les mêmes bateaux aussi... Bref, comme je vous disais, c'est une catégorie à part à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.

Mindelo, Cap Vert, mai 2012
Trois ans de voyage font de vous un vétéran ou un novice selon la catégorie dans laquelle vous vous situez. Mais j'ai clairement conscience de n'être qu'au début de mon histoire. De l'histoire de La Boiteuse. Cette Boiteuse qui depuis le départ me fait parfois tourner en bourrique, mais qui aussi me procure des joies intenses. Ce bateau qui m'a déjà fait parcourir 9000 milles et fait vivre dans six pays différents. Ce bateau qui m'a fait rencontrer bien plus de personnes que je n'en n'avais croisé pendant les dix dernières années de ma vie de terrien. Cette Boiteuse qui m’emmènera encore très loin... Du moins c'est ce que je souhaite.

Arrivée transat à Jacaré, Brésil, juillet 2012
Pour finir ce petit billet d'anniversaire, chaque fois que je vous parle de la communauté des marins-voyageurs je suis un peu mal à l'aise avec le terme. Je n'aime pas ce mot, construit sans élégance avec un tiret au milieu comme si l'amalgame n'allait pas de soi. En portugais il existe un nom pour parler de nous, un nom qui sonne joliment qui plus est : um velejador. Littéralement il s'agit d'une personne qui voyage en voilier... Il est beau ce nom je trouve... Pourquoi on n'a pas un nom comme ça en français ?

Sou um velejador.

Matariz, Brésil, novembre 2012
La Paloma, Uruguay, janvier 2013
Tigre, Argentine, mars 2013
Pinheira, Brésil, mars 2014


26 commentaires:

Anonyme a dit…

Un peu comme qui dirait... "voilegeur" ? "voylageur" ? (le mot "globe-flotteur" ne me satisfait pas plus que ça, quand au "marin-voyageur", je souscris à des paroles, on pourrait développer mais le fond est là) C'est clair, il n'y a pas de si bel équivalent. Faut peut-etre chercher dans la tradition du voyage maritime, non ? Deux siècles et demie avant l'époque du grand Henri IV national qui lui, s'occupait de ses poules et de leur pot, les portugais avaient leur Henri à eux, et il s'appelait "Henrique o Navegador" - ça calme, quand à la grande culture maritime française.
Quoi qu'il en soit, je suis honoré de faire partie, pour ma part, de la dernière catégorie de ta liste, et comme toi, tu commences sérieusement a migrer vers le milieu de la liste, moi je n'en suis qu'à mes débuts de "openiste". Malgré tout, je te promets que lorsqu'on parle de ça devant le comptoir d'une quelconque "taperia", les yeux des interlocuteurs brillent de respect. Et des fois (parce qu'il est un fait entendu qu'on a tous multiplié par au moins 100 la fréquence et l'intensité de nos rencontres) on tombe sur un suisse qui a fait un tour du monde sur un Nicholson 32 et a atterri à Cangas, ou il s'est marié, ils vécurent heureux et ont eu beaucoup (1 ;) ) enfant(s) etc. Mais ce gars-là, au demeurant fort sympathique, n’était pas un "openiste", lui. Je crois que t'as raison, Gwendal. Il doit y avoir un brin d’arrogance...

Anonyme a dit…

"je souscris à des paroles" - ire "à Tes paroles", désolé pour mon clavier salé comme une morue. Vieille, la morue.

FLOTILHA.COM a dit…

Gwendal, tu est plus près d'être un "navegador", le terme "velejador" s'applique à quiconque qui pilote un voilier même petit. Et tu peut deja dire "sou velejador" , ou " sou navegador" et non plus, modestemente, " estou velejador" parce que ça serai une situation transitoire.

hedilya a dit…

Aujourd'hui pile ma descendance à 9 deuxième unité de temps du marin voyageur. Chacun à les anniversaires qu'il a engagé ... et c'est sympa de partager cette date.

Navigateur, en français c'est zoli aussi.

Unknown a dit…

Je rajouterai ... Profite et fais nous voyager ...

aglae75 a dit…

Beau billet comme toujours mais alors le diaporama donne à réfléchir plus ça va plus tu tire la tronche :p

...toussaint a dit…

Superbe texte mon ami, un marin qui fait le point : respect...Il existe le terme bourlingueur en parlant des marins voyageurs en y associant les caprices de la mer..
Belles photos aussi (je prefere la plage perdue dans la verdure, Matariz je crois)..
Trois ans c'est le temps que j'ai passé sur terre à Cuba, j'ai prolongé en Afrique mais pour moi cela n'a pas la même valeur...
Changes rien c'est cool...

Monique a dit…

Bon anniversaire à La Boiteuse et à son équipage !!!
Et je t'appellerais plutôt "Nomade des mers", moi.
Photos souvenirs,qui sont un peu aussi les nôtres. Manquent quand même celle du départ de Nice et celle de Sète, où nous avons fêté ensemble le début de l'histoire !!!
Un peu d'accord avec Aglaé pour tes portraits...mais on en a déjà parlé...
Allez, je souffle avec toi ces trois bougies !!!

Gwendal Denis a dit…

@Gubragh : Je me considère comme étant un "openiste" faisant partie de la première sous-catégorie. Je suis lucide, je sais qu'un jour ça s'arrêtera. Mais où et quand ? Seule l'avenir le dira.

@Flotilha : Hier, Roberto m'a fait la même réflexion ! j'ai donc aussitôt corrigé. C'est comme la différence entre ser et estar en espagnol.

@Hedilya : Navigateur... Mouais, je suis peut-être arrogant parfois, mais pas prétentieux. Donc on va rester sur velajador :)

@Carol : J'en profite rassure toi, et si par ricochet vous aussi, tudo bom !

@Aglaé : Mais non je ne tire pas la tronche ! c'est juste mon visage normal sur les photos. J'ai juste oublié de me forcer à sourire :)

@... : Merci Toussaint. Moi aussi, c'est celle que je préfère... J'ai hâte d'y retourner.

@Monique : J'adore quand ma Momo revendique son statut de marraine et sa primauté sur tous mes soutiens. C'est trop mimi !

lucifer ! a dit…

trois ans déjà!
trois ans depuis Sète !
tu nous fais vieillir vite
le Gwen semblable à lui-même a bien changé cependant sur les photos .
sur les photos ...toujours au fond des yeux la recherche , l'inapaisé..
Quel que soit ton nom, va ton chemin .La bande de Sète t'y retrouvera peut-être .spak

Gwendal Denis a dit…

@Lucifer : Et oui trois ans... C'est à dire avant-anvant-hier !
Inapaisé ? Oui, sans doute... Mais le serais-je un jour ?

Anonyme a dit…

Gwendal, quand j’évoquais avec arrogance le copain suisse de Cangas, je le faisais en exagérant sciemment le trait. Franchement, on le sait tous, que ça s’arrêtera un jour. On a envie d'attacher les amarres de façon un peu plus solide, c'est clair. la différence se situe entre ceux qui posent un congé sabbatique (et un peu plus si affinités financières, patati-patata) et ceux qui ne se donnent pas de limite, laissant la vie de décider. J'ai le sentiment qu'on se situe, tous les deux, dans la deuxième catégorie (il y avait un gars qui disait que les gens se divisent en deux catégories, ceux qui divisent les gens en catégories et les autres... et non, ce n’était pas Sergio Leone)

joam a dit…

Salut Capitaine
Je te souhaite un bon anniversaire d'oiseau marin et si tu le souhaites encore plein d'autres...sur mer, sur terre peut importe pourvu que tu y trouves ce que tu cherches(mais le sais-tu?)
Entout cas ton style narratif ets un plaisir de l'esprit!
Hasta luego et caresse à la Touline

Gwendal Denis a dit…

@Gubragh : Moi j'aime bien mettre les gens dans des catégories :) Ca m'aide à les comprendre. Tout le monde le fait d'ailleurs, mais il parait que c'est pas bien. Sauf que moi je le dis et je l'assume !

@Joam : est-ce que je sais ce que je cherche ? En voilà une question qu'elle est bonne. Oui et non.
Je cherche à être heureux (comme tout le monde en fait), sauf que je ne sais pas encore ce qui-que-quoi-dont-où me rendra heureux... C'est compliqué !

Anonyme a dit…

C'est un beau voyage que tu nous LIVRE là Gwendal, ces trois ans de vie à bord et ces belles rencontres  (moi j'ai préféré personnellement le beau specimen d' Eumetopias jubatus croisé plus au sud). J’ai bien aimé cet article avec de belles reflexions et je suis baba devant le beau mouillage de Matariz ... Comment peut on ne pas apprécier ?

Et souviens toi de la maxime de ton pote : si tu hésites à prendre un ris, prends le ! Il est déjà peut être trop tard !!!! personnellement j’adore ...

garder le contrôle comme sur un fil comme un déroulé rock and roll est plus marrant en mer non ? Serait ce qu’un fil de démarrage de la mercos ...

donc bon anniversaire Gwendal ! 3 ans ça commence à faire d’la bouteille non ?.... euh ....

signé: Papa raju


Louisette a dit…

Beau billet bon anniversaire des trois ans, superbes photos

cazo a dit…

Toi, t'es un chercheur d'oasis, de paradis, d'absolu... Quel que soit le moment où chacun a embarqué dans ton histoire, elle est devenue pour tous une fenêtre sur d'autres horizons, une évasion salutaire. Tels des passagers clandestins, nous nous nourrissons de tes images, nous buvons tes récits, et laissons voguer nos esprits au gré de tes vents et courants. T'es jamais parti,tu continues ton chemin, toujours le même... :)

Anonyme a dit…

caso a dit ...vrai ! entièrement d'accord, nous sommes des passagers clandestins. Nous nous nourissons de tes récits, voyagons par procuration (et j'espère pour de vrai pour certains d'entre nous qui le peuvent), nous sommes des petites voix qui veillons sur toi Gwendal, nous voudrions que ton voyage nous fasse découvrir des aubes inconnues, des aurores majestueuses et des iles perdues ... (z'et autres pourritures de notre planète)...

Papa raju

Gwendal Denis a dit…

@Papa Raju : Il est certain que si je n'avaos pas ce blog, et par voie de conséquence ses lecteurs, ma façon de voyager et de voir le monde serait différente. D'ailleurs, l'aurais-je fait ce voyage ? Ca c'est une bonne question.

@Louisette : Merci !

@Cazo : T'as la fibre poétique ce soir toi ! T'inquiète, je n'oublie pas que tu as été la première personne invitée à dormir dans mon bateau ! c'était il y a presque trois ans justement...

Pierre Vigna a dit…

Je veux juste témoigner du fait que petit à petit à travers ce blog ton récit et ton voyage me sont devenus essentiels. Je suis sûr que pour bien d'autres que moi c'est la même chose et pour cette seule raison continue! Merci. Pierre.

Unknown a dit…

Whaou c'est pourtant vrai trois ans déjà! Chapeau bas monsieur.
Pour moi toujours le même plaisir, j'espère te lire pendant encore de longues années. Tes récits sont toujours aussi captivants et ce petit rewind est super bien placé à la fois dans le temps que dans le lieu, à l'aube d'une nouvelle navigation vers les antilles. vraiment ne changes rien. Bonne vavigation et bon vent.
Olivier

Monique a dit…

Ben oui , je revendique !
C'est même une deuxième nature, chez moi !!!
Et puis, j'ai du laisser un petit bout de coeur quelque part sur la Boiteuse...

Alain sur Coco a dit…

Salut Gwendal,
C'est avec l'ordi d'Izabel que je te passe ce petit mot depuis sa marina, voisine de celle de Coco a Paraty.
Je suis impressionne par tes aventures depuis que nous nous sommes quittes. Maintenant tu vas pouvoir naviguer plus sereinement.
Coco et son equipage vont repartir pour Salvador en fin de semaine, en principe...Bonne continuation a toi et a bientot Graça et moi esperons te recroiser bientot.
Amities Graça et Alain sur Coco
PS une caresse a Touline bien sur

Gwendal Denis a dit…

@Pierre : Ça me touche beaucoup, merci Pierre.

@Olivier : Les Antilles non, mais le nord de l'Amérique du Sud oui ! Période cyclonique oblige...

@Monique : Toi qui a le mal de mer !

@Alain : T'as encore un souci avec ton PC ? Mais jette le !
Mes aventures... Ce n'est pas moi qui ai mis 21 jours pour monter jusqu'à Parati ! Ça c'est de l'aventure !

Astrd a dit…

"Et enfin viennent ceux qui ont décidé de prendre perpète sans trop se poser de questions sur le comment tant ils sont sûrs du pourquoi..."

Très joliment dit !

Gwendal Denis a dit…

@Astrid : Merci Mamzelle !