mercredi 18 juin 2014

Paquetá

22°45.745S 43°06.203W

Ilha de Paquetá



C'est une nuit calme comme très souvent au mouillage de Paquetá. Le sombre miroir de la baie de Guanabara est à peine troublé par le saut de quelques poissons. L'air limpide résonne de temps en temps du cri du héron dérangé dans son sommeil et du claquement sec des sabots d'un cheval sur le pavé. Je m'interroge : Il est onze heures du soir et les calèches tournent encore ?

Intrigué, je scrute le rivage et aperçois un cheval solitaire qui trotte le long du quai. Un chien aboie à son passage, puis se tait.



Je sais bien qu'avec seulement onze mouillages à mon actif depuis trois ans, je suis loin d'être un spécialiste de la question. Mais le fait est que je déteste toujours autant cette situation qui pour moi confine à la précarité, au cul entre deux chaises nautiques. Mais c'est peut-être aussi parce que je déteste ça, que mon avis d'homme exigeant peut intéresser certains. On verra. 

On est bien d'accord que cela ne vaudra jamais une marina, même bas de gamme, mais si je veux être honnête, vraiment honnête, je suis bien obligé de reconnaître que ce mouillage est agréable. Un des plus agréables qu'il m'est été donné de pratiquer. 
 

La plupart du temps il n'y a pratiquement pas de vent ce qui rend l'endroit extrêmement sûr du point de vue de la sécurité (sauf m'a t-on dit en décembre-janvier, où un vent fort du Nord-Est peut soulever un fetch important). Je suis ancré à cinquante mètres du rivage, et il ne me faut que quelques coups de rame pour le rejoindre. Ensuite, après quelques minutes de marche, pas plus de deux ou trois selon que je sois distrait par un oiseau pour par une paire de jolie jambes (c'est plutôt rare par ici, c'est pour ça que ça me distrait), j'arrive sur la place du village. Là, j'ai mon supermarché où je trouve à peu-près tout ce dont j'ai besoin. Plus loin, de l'autre côté de la rue pavée, se trouve la lan-house où j'essaye de me connecter à internet une à deux fois par jour. Je dis bien j'essaye... Parce qu'entre les coupures et la nonchalance des propriétaires, la boutique est plus souvent fermée qu'ouverte. Quelques bars et lanchonettes, quelques boutiques diverses, et puis c'est tout. Ça me suffit. Quand j'ai besoin de passer à la banque ou de refaire le plein de tabac à pipe, je prends le ferry et je vais passer la journée à Rio.




Je trouve cette situation quasi idéale... Je suis en sécurité, sans avoir à me soucier de la météo et de la tenue de mon ancre, et j'ai quasiment tout à portée de main dans un rayon de 500 mètres. Franchement, j'apprécie. Bien sûr, il y a toujours cette contrainte énergétique qui m'empêche d'utiliser mon ordinateur comme je le souhaiterais... (au détriment de ma vie sociale sur internet !) Mais je m'en débrouille pour l'instant, même si pour dire la vérité cela me manque terriblement.



Le cataclop du cheval reprend et je l'aperçois qui passe le coin du Iate Clube. Il trotte sous la lumière jaune des lampadaires. Derrière lui un homme juché sur un vélo le suit, et j'entends sa langue claquer de temps en temps. Le cheval s'arrête, penche la tête et commence à brouter l'herbe du chemin. L'homme descend de son vélo et s'approche doucement en murmurant des paroles apaisantes. Mais alors que l'homme n'est plus qu'à quelques pas de la monture, celle-ci relève la tête, la secoue, et repart en trottinant. L'homme remonte alors sur son vélo et force sur les pédales pour rattraper l'animal. Tous les deux disparaissent alors au détour du rivage ; le cheval au petit trot, et l'homme sur son vélo.



Les vélos et les chevaux sont l'âme de Paquetá. Ce sont les seuls moyens de transport individuel et collectif autorisé sur l'île, et cela contribue grandement à faire son charme. Non, j'exagère. En fait il y a aussi quelques véhicules à moteur... La seule est unique voiture de police, le livreur de gaz, un camion poubelle, quelques camionnettes de livraison, et le tracteur qui tire le bus. En dehors de ça, tout se fait soit à pied, soit en vélo ou en calèche.


Alors vous allez me dire que tout ça fait un peu carte postale. Un peu trop cliché... Certes. Mais c'est un cliché qui n'a rien de dérangeant. Il n'est pas agressif. L'île de Paquetá, avec ses huit mille habitants, est surnommée par les habitants la ilha dos Amores. L’île des Amours... On est donc plutôt dans le feutré, dans le romantique. Loin de la turbulence, de la violence parfois, de la grande ville de Rio. 


Bien sûr, du fait de la coupe du monde de foot l'ambiance actuelle est assez particulière... Elle se caractérise surtout par le fait que lorsque l'équipe du Brésil joue, quelle que soit l'heure, tout s'arrête. Tous les commerces, à l'exception d'un ou deux bars qui disposent de grands écrans et d'un rétro-projecteur, ferment. Les rues se vident, et il ne reste alors que les chiens... On croirait se balader dans une ville fantôme... Sauf bien sûr pour ce qui est du son. Car par les fenêtres et les portes des patios ouvertes, on peut entendre les hurlements hystériques des téléspectateurs assis devant leur poste de télévision. Et si (par malheur) la seleção venait à marquer... Je n'ose vous décrire le comportement de ces gens ! On est dans la folie collective au sens médical du terme, avec tout ce qu'elle a d'excessif, de puéril, mais aussi quelque part, de fascinant.



J'entends de nouveau le bruit des sabots sur la terre battue. Voilà le cheval qui repasse dans l'autre sens, toujours poursuivit par son humain à vélo. Le pas de deux continue. C'est une étrange danse qui se déroule sous la lumière jaune des lampadaires.

Mais voilà que le canasson fait une erreur en s'engageant sur le terre-plein qui sépare le Iate Clube du débarcadère où la barge dépose les rares véhicules autorisés à pénétrer sur l'île. Il fait demi-tour, sur lui même, tente une échappatoire vers le plan incliné en ciment... Mais il glisse. Il se reprend, relève la tête. L'homme s'approche doucement et saisi son licol. Sa main caresse ses naseaux... Le cheval s'ébroue un peu, puis baisse la tête, vaincu.

Puis, dans la nuit brésilienne que pas un souffle d'air ne perturbe, le couple repasse encore une fois le long de la berge. L'homme est remonté sur son vélo et mène le cheval par la longe. Celui-ci trottine docilement derrière lui... L'escapade est finie, le spectacle est terminé.



Touline qui jusqu'alors était assise sur le pont à regarder la scène avec moi, agite une dernière fois son moignon de queue, s'étire et rentre se coucher sur mon lit. Il est temps d'aller dormir. Qu'importe, de toute façon l'île sera encore là demain, et il y aura encore d'autres spectacles.

Héron Bihoreau gris


16 commentaires:

Le mousse d'exocet a dit…

Touline Titanic a déjà été tourné mais tu es très belle.

sonia a dit…

mais c'est que tu serais presque zen :)

Monique a dit…


Que c'est paisible et que tu racontes bien cette atmosphère !!!
Bon , mon pépère, tu vas taper l'incruste un peu plus que prévu, il me semble ...! <3

aglae75 a dit…

Tu aurais du wifi sur ton bateau au mouillage, ça le qualifiait d'idéal. Beau billet teinté d'une douce langueur romantique. Pour notre part nous sommes sur un ponton d'un club de voile, au milieu de marais salants avec tout le confort d'une marina: électivité, eau, et wifi. La ville à quelques 15mn de marche est la Venise du Portugal, c'est très joli, on y reviendra l'année prochaine pour y passer plus de temps. Le Portugal est BEAU.

Alex a dit…

Un très joli récit qui donne envie d'aller se perdre sur cette île.
Et puis enfin une photo de la mistoulinette !!! Elle est belle et semble bien aimer son poste de vigie !!! J'ai montrée sa bouille à ma fripoune et du coup, elle réfléchit à se mettre au régime pour prendre exemple sur le corps svelte de Touline ;o)

Marie a dit…

La première photo fait rêver... La photo de ta nouvelle vigie à 4 pattes est adorable... Que dire de la photo des cygnes-pedalos à part que j'adore ce petit cote kitsch :-)
Et cerise sur le gateau, ton texte nous fait voyager et nous donne envie de connaitre ce petit coin de paradis. Je suis sure que cet endroit va te faire apprecier le mouillage ;-)

Gwendal Denis a dit…

@La mousse : Elle reprend le rôle de kate winslet !

@Sonia : Presque... :)

@Monique : Ben maintenant que je suis officiellement dans l'illégalité, autant éviter de se prendre la tête. Non ?

@Aglaé : Du wifi ET du 220 volt !!!!
Profitez bien des lusitaniens !

@Alex : Tu sais trois semaines qu'on est au mouillage, et faute d'exercice, elle prend du poids la Touline !

@Marie : Merci Madame ! Mais je te rassure, il n'y a pas de risque que je change mon opinion sur les mouillages. Je suis juste doué pour "faire avec".

Simbad a dit…

Excellent !!
J'adore ce post.
Il me semble que c'est la première fois que tu donnes dans ce thon.

La bise

Pierre Vigna a dit…

Bonjour,
Il y a des endroits comme ça de par le monde qui semblent hors du temps et de ses blessures... La magie de la scène du cheval et de son cavalier cycliste, teintée d'humour, me fait penser au cinéma italien de la grande époque, un poil surréaliste. J'en frissonne encore!
Merci de nous faire partager ces moments.
Pierre

Gwendal Denis a dit…

@Simbad : Ben je ne sais pas... C'est après avoir vécu la scène du cheval que je me suis dit que vous pourriez apprécier une écriture en deux tons alternés. Apparemment, j'ai eu raison !

@Pierre : C'est sûr que d'où je me trouvais, la scène était assez surréaliste en effet. Content que ça t'ait plu !

hedilya a dit…

Mais c'est que tu me donnerais presque envie de retourner à Rio (alors que Rio, bon bof -je suis de mauvaise fois, il a plu tout le temps où j'y étais !)... surtout que c'est pas demain la veille que tu vas tracer la route apparemment...

Nad et JP (escargot breizh) a dit…

Woua! que c'est bien écrit !!! Merci pour ce petit moment d'évasion. Surtout n'arrête pas cela fait tellement de bien. la bise à vous deux

Gwendal Denis a dit…

@Hedilya : Je croyais que tu avais été LA voyageuse vernie en toutes saisons ??? Ne crois pas ça, j'ai bien l'intention de mettre les bouts avant la fin de l'année !

@Nad et JP : Merci à vous deux pour le compliment !

la Lésion d'Honneur a dit…

Et en plus tu as la chance de saisir un bihoreau ! J'ai mis 5 ans avant d'en photographier un ! Tu sais que c'est un oiseau nocturne normalement ? (Nycticorax nycticorax) A part ça, ta prose s'améliore de jour en jour...
J'aime beaucoup ce moment de la vaine fuite du cheval !
amicalement

Gwendal Denis a dit…

@La Lésion : Il y en a plein par ici, et c'est vrai qu'ils apparaissent à la tombée du jour et repartent au matin. Entre temps ils se perchent sur le balcon, le panneau solaire, la barre de flèche, et je dois nettoyer la merde le matin !
Je désespérais de pouvoir les saisir, mais celui là c'est attardé pour boulotté un festin de poissons morts échoués sur la plage.

Bateau Loïck a dit…

Jolie balade. Et pour le gaz, tu en trouves là-bas ? Tu as une bouteille brésilienne ?