vendredi 26 septembre 2014

De Vitória à Santo André - Première partie

16°15.083S 39°00.885W
Santo André, Bahia

Le lundi 22 septembre 2014 – Départ musclé

03H30 : C'est Touline qui m'a réveillé. Elle se battait avec un capuchon de stylo. En temps normal elle se serait vu rembarrée (avec violence si nécessaire) mais étant donné le programme du jour je me suis levé. Deux tasses de café plus tard je m'attaquais aux derniers rangements afin de rendre La Boiteuse navigable. Dehors il fait plutôt frisquet, vent du sud oblige. Celui-ci s'est levé comme prévu dans la soirée d'hier et devrait durer deux jours avant de virer à l'est puis au nord-est. On attend des vents entre vingt et trente nœuds... Autant dire que les prochains jours vont être assez musclés.

Au revoir Vitoria
06H30 : Décollage dans la zénitude (pour une fois). Le vent s'est calmé pile-poil pour nous permettre de partir sans souci.

06H50 : Je jette un œil au tourteau et à l'arbre d'hélice. La mécanique tourne comme une horloge sans aucune vibrations intempestives, c'est un vrai bonheur. Il fait gris et la polaire est de rigueur (j'ai essayé sans, mais ça marche pas).

07H45 : Le moteur est arrêté et nous voilà quasiment au vent arrière. Cap au 50°, à un peu plus de 4 nœuds. Pour l'instant c'est plutôt calme.

J'aperçois sur tribord avant la goélette de 60 pieds d'Alfred le Germain. Il est parti après moi, mais le voilà devant ! Aucune chance que le rattrape un jour celui-la...

J'ai deux ris dans la Grand Voile et le foc en grand, tangonné en ciseau. La Boiteuse glisse sur l'eau tel un papillon.

08H30 : Ah enfin ! On dépasse les cinq nœuds de route fond. Tien au fait, en écrivant la date, en haut à droite sur mon cahier à spirale, je me suis rendu compte qu'il y a deux jours était la date anniversaire des mes huit ans d'abstinence. Huit ans... Je ne dirais pas que ce fut huit années sans avaler une goutte d'alcool, car il m'arrive de temps en temps de tremper mes lèvres dans un verre de vin histoire d'en apprécier le tanin et surtout d'avoir quelque chose à en dire aux personnes en face de moi (Je suis français et on attend de moi une certaine expertise en la matière). Mais je ne le fais vraiment pas trop souvent et je n'avale jamais plus qu'une demi-gorgée car ça me rend malade assez rapidement.

Donc à part ça, je crois qu'on peut dire que je ne bois plus depuis 2922 jours... Je ne vous dis pas la taille de la médaille si j'étais chez les AA !


Allez, je vais me faire un maté pour fêter ça.

09H40 : Je réduis un peu la voile d'avant. Des surfs à 9 nœuds c'est sympa, mais il ne faut pas en abuser. La mer se creuse de plus en plus et déferle sérieusement. Nous sommes dans un bon F6 maintenant.

10H00 : Ça monte encore et j'enroule le foc au deux-tiers. Six nœuds de route-fond et des pointes à huit... La mer est bien merdique avec des vagues très courtes. La Boiteuse roule comme une barrique.

Papillon
12H00 : Malgré la vitesse et l'inconfort, Touline est en pleine forme et cherche désespérément quelle connerie elle pourrait faire. Je ne la quitte quasiment pas des yeux... C'est que la Miss est assez douée pour innover dans ce domaine. Sa dernière bêtise a été de me bouffer interrupteur de ma lampe frontale !

Bon, il est midi et j'ai faim, alors je vais me faire un bol de nouille.


13H00 : Le vent vire au sud-est et j'ai du mal à tenir mon cap. Je suis obligé de détangonner le foc. La manœuvre est rodée à présent et ne prend que quelques minutes, mais avec une telle mer c'est plutôt acrobatique comme exercice. On a des creux de trois mètres maintenant.

14H30 : C'est chaud, très chaud... 25 nœuds établis, avec des rafales à 29. Je ne suis pas inquiet, mais pas tout à fait rassuré non-plus.

15H20 : On dirait que ça se calme un peu. Juste un peu... J'ai essayé de me faire un café sans en renverser, mais ce fut peine perdue. La houle est croisée, vicieuse, et déferle de partout à présent.

Heureusement il fait un beau soleil.

16H00 : On dirait que ça se platifie. J'apprécie. On va dire que des Alpes on est passé au Vercors si vous me permettez l'image (Coucou Marius!).

16H15 : Baleine droit devant ! C'est drôle, mais cela ne fait vraiment pas le même effet de voir sauter ces énormes bêtes dans une mer démontée. C'est plus discret... Car la gerbe d'écume se confond avec le paysage.

Les photos ne rendent pas assez, mais je vous assure que ça dépote !

16H50 : Oh putain la trouille ! J'ai faillis m'en prendre une ! Deux plutôt.

J'étais en train de regarder vers l'avant, du côté sous le vent pour une fois, lorsque soudain je les ai vu. Deux jeunettes grandes comme la moitié du bateau en train de jouer dans les vagues et qui se trouvaient sur une route de collision à à peine 20 m devant !

J'ai eu juste le temps de donner un coup de barre pour abattre en urgence et leur passer sur l'arrière, pendant que ces deux connes continuaient à faire des tonneaux sans se soucier de moi !

Je suis sûr qu'elles ne m'avaient pas vu, car tout de suite après je les ai vu sortir la tête de l'eau comme pour regarder quel était cet étrange animal qui venait les déranger dans leur jeu.

18H00 : Le soleil est couché et la pénombre s'installe peu à peu. Je fais le point : 5,6 Nœuds de moyennes sur les dernières six heures, c'est plus qu'honorable. Le cap n'est pas moche non plus... On va continuer comme ça pour la nuit. J'espère seulement que les baleines iront se coucher !


Le mardi 23 septembre 2014 – Encore des baleines

05H00 : J'ai dormi comme un loir. Une bûche ! Pas un chat sur l'eau pour m'inquiéter et un petit temps pour me bercer... le pied ! Je n'avais pas dormi ainsi en mer depuis ma transat. C'était sans doute nécessaire après ma journée d'hier. Le cap a été super-bon, ce qui compensera sans doute une vitesse fortement réduite.

A la louche, il doit reste 165 milles à faire sur les 275 prévus.

05H30 : J'ai un souci avec ma voile d'avant. Oh, rien de grave, mais quand même... Le quart supérieur du guindant est sorti de sa gouttière. Il faudrait que je l'affale afin de la réinsérer correctement, mais il y a un peu trop de vent pour cela... Et puis ça bouge pas mal, ce qui serait assez casse-gueule.

J'ai laissé quelques tours dans l'enrouleur pour pallier au problème. Ça devrait faire l'affaire.

05H25 : J'aperçois des souffles de baleines très loin sur bâbord avant. Je vais devoir garder les deux yeux grands ouverts car nous approchons de l'archipel des Abrolhos qui est en cet saison un véritable sanctuaire pour cétacés.

06H05 : J'ai fait du 4,2 nœuds de moyenne pendant la nuit. C'est pas good. J'espère que je vais pouvoir rattraper le coup parce que sinon je suis bon pour traverser les Abrolhos de nuit... Mais ce n'est pas gagné car pour l'heure, on se traîne à trois nœuds maxi. Il doit y avoir un fort courant contraire... J'ai l'impression de voguer sur de la glu.

Beau temps
06H15 : Ah oui ! Il y a un truc qu'il faut que je vous dise ! Cette nuit La Boiteuse et moi-même (mais pas Touline qui a embarqué plus tard) avons franchis le cap des 10 000 milles parcourus ensemble !

Il nous aura fallu trois ans et demi pour arriver à ce résultat... J'avoue que j'ai un peu de mal à me rendre compte. Est-ce qu'il existe un diplôme, un badge pour célébrer ça ? Est-ce que ça fait de moi un vrai marin ?

Le fait est que le chiffre est rond et sonne bien à l'oreille autant qu'il tape à l’œil lorsqu'il est écrit. Mais en dehors de ça, cela n'a pas vraiment de sens.

07H05 : On se traîne bordel ! Je relâche le deuxième ris pour arriver à franchir difficilement les trois nœuds. Je commence à me dire qu'au lieu d'arriver demain après midi comme je l'avais imaginé, on arrivera plutôt jeudi matin...

O8H1O ; J'ai une petite faim, alors je m'offre une gourmandise. Une banane trempée dans de la crème au chocolat ! Yummy !

09H00 : Le vent se maintient au sud-est, aussi je décide de changer de cap et de contourner les Abrolhos par l'est. Cela me rajoute 30 milles sur la facture, mais d'une part je n'aurais pas à passer cette zone dangereuse de nuit, et d'autre part cela me permettra d'arriver de jour à Santo André.

10H00 : Putain de courant...

Whale watching

11H05 : Ça y est, le vent est là. Sauf qu'il a tourné à l'est et que nous voilà au bon plein. S'il continu à tourné, je ne vais pas pouvoir éviter les îles... Je commence à me demander si je ne ferais pas mieux de m'arrêter à Caravelas...

Bon, j'ai encore un peu de temps de milles devant moi pour trouver de l'attrait à cette solution. Attendons de voir ce que l'avenir nous réserve. Pour l'heure, y'a des frisottis sympas sur la crêtes des vagues et on arrive à passer les quatre nœuds au surf.

12H00 : Le vent refuse toujours et baisse en intensité. Je suis obligé d’abattre de 20° pour conserver un peu de vitesse. Je me suis préparé une belle saucisse avec une boite de haricots rouges. Voilà qui devrait combler ma faim en même temps que mes besoins en énergie, car je n'ai rien mangé hier au soir.

14H00 : Alors que j'étais en bas en train d'étudier la carte pour la énième fois, j'ai entendu siffler. C’était comme si quelqu'un m'appelait de l'extérieur en sifflant entre ses dents ! Mais non, c'était juste une baleine qui nageait à vingt mètres du bateau et qui saluait ses courbes gracieuses. Un dernier salut de la queue, et elle a plongé avant même que je ne puisse allumer mon appareil photo.

(D'ailleurs c'est bien simple, j'ai vu je ne sais combien de baleines pendant cette traversée, mais vous ne verrez hélas aucune photo. Pardon !).

16H00 : La Boiteuse, au près serré, pioche laborieusement dans une mer hachée. Chaque mille est arraché à coups d'étrave. C'est vraiment une mer de merde. Heureusement, il fait beau et chaud.



17H00 : Bon ben les enfants, je crois que finalement on va devoir passer par le canal entre les îles... J'ai tout fait pour remonter au vent autant que possible, mais à moins de tirer des bords on ne passera pas.

18H00 : Il est temps de préparer ma stratégie pour la nuit qui vient. Logiquement, à cette allure et avec ce cap, je devrais aborder le passage « problématique » vers 22H30. Ensuite, je vais devoir changer de route tout en faisant gaffe à la sonde pendant environ une vingtaine de milles avant que d'être tiré d'affaire. Soit entre cinq et six heures en dormant le moins possible... La nuit promet d'être longue !


On passe au milieu !

18H20 : Je viens de penser à un truc. Normalement, le courant entre les îles devrait être encore plus fort qu'il ne l'est actuellement. J'espère seulement que le vent ne nous fera pas défaut.

18H30 : Bordel ! Là j'ai vraiment eu peur... J'étais en train de regarder vers l'avant, en cherchant des yeux le feu clignotant de l'île de Santa Barbara dans la nuit noire, lorsque j'ai soudain entendu sur ma droite un long cri rauque ! On aurait dit qu'un monstre était là presque à me toucher tellement le son était fort !

Je vous jure que pour le coup mon cœur c'est arrêté et j'ai dû rater deux ou trois battements avant que de recommencer à respirer normalement.

Puis j'ai entendu comme un couinement, un peu plus loin sur l'arrière. Un couinement qui m'a semblé se terminer sur une note interrogative. Ouf, la bête s'éloignait... Mais la vache, quelle trouille !

18H45 : Non mais c'est pas vrai ! L’étrave de La Boiteuse, au lieu de faire splash comme d'habitude lorsqu'elle retombe, à fait jboum ! Je crois que cette fois-ci je viens bel et bien de m'en prendre une ! On a pas tapé fort, mais j'ai bien senti qu'on heurtait quelque chose de solide mais un peu mou... J'étais allongé dans le cockpit et j'ai bien senti les vibrations du choc. Je commence sérieusement à douter de mes choix...

19H10 : Je sais que je devrais dormir un peu, mais je n'y arrive pas. Je gamberge trop. J'ai un aveu à vous faire. Le chant des baleines c'est bien joli, mais lorsque vous l'entendez à travers la coque en plastique d'un bateau qui vogue dans la nuit noire, en direction d'une zone potentiellement dangereuse, c'est une toute autre histoire. C'est flippant.


La suite bientôt !


12 commentaires:

Eric D. a dit…

Yesss ! La boiteuse est repartie ... Et on dirait que Gwendal reprend du poil de la bête !
C'est chouette !

Trinita a dit…

"(...) le cap des 10 000 milles parcourus ensemble !

Il nous aura fallu trois ans et demi pour arriver à ce résultat... J'avoue que j'ai un peu de mal à me rendre compte."

Salut Gwendal !

Il m'a fallu un peu plus de 7 ans et demi pour faire 30000km avec ma Toyota. Mais je sais pas si ça peut t'aider de savoir ça. :)
Et moi je vois surtout des renards et des chevreuils, c'est moins flippant.
Bon courage.

Monique a dit…

Tu entretiens un suspense insoutenable !!!!!

Allez, vite,la suite !!!

Salut Trinita !!!!

Le mousse d'exocet a dit…

On appellera ça une navigation animée...... On attend la suite

Astrd a dit…

Yeeees ! A nouveau sur l'eau(céan) ! Beau départ et je reconnais que le mauvais temps en mer, pour avoir fait de nombreuses tentatives, ça ne rend jamais rien sur les photos a part des pensées du genre "Ben quoi ? Ils sont où les 3 mètres de creux ?" ;)

Bravo pour ta distance-anniversaire. C'est vrai, ça ne veut rien dire, mais c'est bien de temps en temps de penser à et de réaliser la distance parcourue. Pourquoi attache-t-on plus d'importance qua d le chiffre est rond, ça... c'est u e autre histoire !

Hâte de connaître la suite et profite des baleines pour moi même si elles t'embêtent, c'est tellement plus beau en vrai dans son élément !

exocet a dit…

Pour les Baleine il m'a était dit que si on leur mes du sel sur la queue elle s'éloigne. essai et dit nous si cella fonctionne Lol. ( a ne pas prendre a la lettre)

Gwendal Denis a dit…

@Eric D : Et oui ! ça fait du bien mine de rien. Je commençais à filer un mauvais coton à Vitoria.

@Trinita : Salut Trinita ! Ça faisait longtemps ! J'ai lu que ça correspondait également à deux fois la vitesse d'une tortue. C'est pas mal aussi !

@Monique : Oui, je suis cruel, je sais.

@Le Mousse d'Exocet : Depuis quelques mois elles le sont toutes !

@Astrid (dounette) : Heu... Je crois que j'ai eu ma dose de baleines. Les prochaones je les veux à 50 mètres minimum !

@Exocet : Suis-je bête ! Je le savais en plus !

@Christophe : Tu n'étais pas passé par les Abrolhos toi ?

Unknown a dit…

Je regarde tes photos et je vois que ton annexe est aussi poilue que ton chat. Je vois aussi une petite trace que je crois reconnaître. A propos tu n'est pas passé au travers des Abrolhos de nuit grand fou ?

Eric D. a dit…

salut gwendal,
si on veut t"envoyer un mail on fait comment ?

Thomas a dit…

Notre héros parviendra t-il à traverser sans encombres le canal dangereux dans la nuit pleine de monstres qui couinent ? Ça c'est du cliffhanger !

Gwendal Denis a dit…

@Voilier Loïck : Ben finalement si, je suis passé au travers. Cela dit, avec le recul, je ne le referais pas. Trop stressant !

@Christophe : Même pas en rêve je m'arrête là-bas; Y'a pas de wifi !

@Eric ; gwendald@hotmail.fr

@Thomas : Tadaaaaaaaaaaaaaaa !!!!!

iamès a dit…

L'avantage du Vercors c'est qu'on a peut être autant d'eau que toi (c'est fou ce que cette région peut être pluvieuse ><), mais on n'a pas de baleines !

Juste quelques chevreuils, cerfs, biches, renards, blaireaux, sangliers, vipères, buses, chamois, vautours, loups, faisans, marmottes et des bergers très en colère :)

Ainsi qu'une belle bande de chasseurs prêt à tuer des chevreuils, des cerfs, des biches, des renards, des blaireaux, des sangliers, des vipères, des buses, des chamois, des vautours, des loups, des faisans, des marmottes et accessoirement, des berger très en colères et tout ce qui peut ressembler de près ou de très loin à quelque chose de comestible ou de nuisible *_*

Profite bien de ta baignoire à cétacés ;)