22°45.745S
43°06.203W
Ilha
de Paquetá
Il
n'est pas encore neuf heures du matin, et je suis assis dans le
cockpit, le buste à l'ombre et les pieds au soleil. Le soleil,
enfin. Alors je sais, vous allez me dire qu'un ciel couvert et même
quelques gouttes de pluie sous les tropiques n'ont jamais tué
personne. Certes... Sauf que de mon point de vue ce grand et beau
soleil veut surtout dire que je peux enfin écouter un peu de musique
après trois jours de silence. C'est comme ça lorsqu'on est au
mouillage, on est en mode économie d'énergie, et la moindre
distraction vaut son pesant d'ampères durement glanés.
Mais
bon, j'ai décidé aujourd'hui de m'abstenir de vous livrer
complètement le fond de ma pensée et me laisser aller à vous
raconter les vicissitudes de la vie au mouillage, car je sais que
vous allez encore me rétorquer que les gens dans ma situation n'ont
pas à se plaindre, etc... Et je me connais, ça va encore me vexer.
Par conséquent vous n'aurez aujourd'hui qu'une description du
bonheur et des paysages idylliques qui font le quotidien du
marin-voyageur, et rien d'autre. Une carte postale toute en couleur
en provenance directe de la baie de Rio de Janeiro. Comme ça tout le
monde sera content.
C'est
donc avec du Marillion en fond sonore (album Live from Cadogan Hall
2011) que je peux apprécier pleinement la douceur du paysage qui
m'entoure, et le calme des lieux. Devant mes yeux, le rivage. La
route de terre battue où quelques quidams matinaux promènent leur
chien, et des maisonnettes toutes plus charmantes les unes que les
autres. Sur ma droite j'aperçois le clocher du village et le
débarcadère. Quelques barques de pêche se dandinent paresseusement
accrochées à leur bouée. Un Boeing passe en rase motte
juste au dessus de moi. L'île de Paquetá
étant située juste dans l'axe des pistes de l'aéroport de Rio.
L'eau, couleur de café noire, est à peine
frisée par une légère brise venue du nord... C'est calme et
lumineux.
Une
majestueuse grande aigrette passe à quelques mètres de l'arrière
du bateau en poussant son cri rauque. Touline ouvre
un œil, remue une oreille, et se rendort. Sur le rivage quelques
vautours picorent le sable. Dans l'eau quelques cormorans plongent.
Un grand héron est perché dans un arbre et se lisse les plumes. Il
y a là une photo à prendre, mais la batterie de mon APN est
définitivement morte. Haut dans le ciel, les frégates
planent sans effort... Chaque matin est un véritable spectacle pour
les yeux pour qui aime la nature.
Je
suis des yeux une carriole à cheval qui passe. Un
ferry blanc et bleu approche du débarcadère pour y déposer ses
passagers, noria régulière de touristes et de résidents qui
rallient ou viennent de la capitale en une heure de bateau. Non
sans soulever au passage un train de vague énorme qui fait rouler La
Boiteuse comme si elle était en pleine mer.
Contrairement à d'autres de mes coreligionnaires, l'aspect
touristique de l'île ne me dérange pas. Peut-être est-ce parce que
toutes ces petites boutiques de souvenirs, ces carrioles à cheval,
ces vélos électriques, ne s'adressent pas à moi... Peut-être
est-ce aussi parce que les touristes concernés sont exclusivement
des locaux. Avec mon regard de français en goguette perpétuelle,
tous ces gens et toutes ces pratiques sont de toute façon exotiques.
Un autre avion
passe, encore plus bas, et le bruit des réacteurs se superpose à
celui des hydro-propulseurs du ferry. Pendant un moment, je
n'entendrais même pas si on m'appelait de l'avant du bateau.
Tout
à l'heure, une fois que ma lessive sera terminée, j'irais à terre
pour m'acheter mon pain frais, tout chaud sorti du four. Et peut-être
aussi quelques empanadas croustillantes. J'en profiterais pour
m'arrêter à la lan-house pour relever mes mails et les
commentaires du blog... Et peut-être aussi taillerais-je le bout de
gras avec un ou une amie à l'autre bout de la planète. Pas
longtemps, juste celui nécessaire pour recharger la batterie de mon
ordi car c'est payant et pas donné, et ensuite je
rentre vite car je n'aime pas laisser mon bateau seul au mouillage
avec Touline qui fait des cabrioles sur la bôme.
Pendant
que mes draps sécheront au soleil, il se peut que je passe une
petite heure à ravauder mon filet afin de pouvoir attraper quelques
fritures pour la chatte. Mais l'eau est tellement noire de
tanin que toute vie semble l'avoir désertée. Et puis le
temps passera ainsi, tranquillement, sans stress inutile... (Mon
cul oui !) Le temps s'étire et pour le combler je m'occupe
les mains et la tête. Je répare tout ce qu'il y a à réparer, du
moins j'essaye et heureusement que Christophe est là pour me filer
un coup de main, j'entretiens tout ce qu'il y a à
entretenir, il m'arrive même de laver ce qu'il y a à laver !
C'est vous dire comme je m'emmerde m'occupe. Sans
parler de la lecture, de l'observation des oiseaux, des cafés bus en
discutant avec Christophe dans le cockpit de l'un ou l'autre de nos
bateaux... Bref, je profite pleinement de la chance qui m'est donné
de vivre mon rêve. (Bon, là c'est sûr que vous n'allez pas
en croire un mot).
Voilà
chers lecteurs mon quotidien depuis une semaine. Il préfigure celui
qui sera dorénavant le mien pour les mois semaines
à venir car, comme je vous l'ai dit, mon visa expire dans dix
jours... C'est à dire que La Boiteuse et moi on va entrer en
clandestinité, comme il y a un an et demi, et qu'il va en être
ainsi jusqu'à ce que je quitte le Brésil. Cela me remplit de joie,
comme vous vous en doutez, et je compte bien vous la faire partager
autant que faire se peut. A Bientôt !
14 commentaires:
AAAAh ! Marillon. Je m'en vais de ce pas mettre à fond "The King Of Sunset Town" (album Seasons End 1989) pour partager cette euphorie (à défaut du soleil).
Excellent. Bravo! Une des meilleures chroniques que je lise depuis ton départ. Tu es vraiment doué pour nous faire croire que nous sommes à bord. C'est bien simple je ne sors plus de mon canapé-cockpit de peur de me foutre à l'eau!
Pierre
J'adore ce billet mais pourquoi t'as censuré l'aide de Christophe, c'est plutôt positif ça, non?
Bravo .. Une plume magnifique !
@Hedilya : The King Of Sunset Town.... Sue de souvenir tu remues en moi ! En concert cette cha,son déchirait !
@Aglaé : Tu as raison, j'ai d'ailleurs corrigé la rature !
@Carol : Merci M'Dame !
@Pierre : C'est gentil, mais c'est juste une petite bluette plutôt acide tu sais. Enfin, au départ c'était le but !
C'est quand même pas compliqué : "laver ce qu'il y a à laver, réparer ce qu'il y a à réparer" et du coup vivre ce qu'il y a à vivre.
Philosophie à laquelle j'adhère de suite.
Vive le marin libre et le chat aussi.
Quel bel humour d' un bon râleur
kkkkkkkkk...
C'est vrai que ça à l'air assez chiant comme coin. Mais tu as de la chance bientot tu pourras aller voir des matchs de foot ha! ha! ha!
@Olivier : Je crois qu'il y a méprise, je n'ai jamais dit que ça me plaisait !
@Le Mousse : Scrogneugneu !
@Bateau Loïck : Yes ! Tu sais, j'ai assisté à la final de la coupe du monde il y a quatre ans dans un bar espagnol. Je me vois bien refaire la même chose dans un bar brésilien :)
Je ne sais pas si vous êtes un râleur drôle ou un drôle de râleur, mais j'ai franchement ri.
@Yannick : Je me situe plutôt dans les bougons rigolos, mais existentiellement parlant je dirais que je suis en quête d'absolu, et qu'il en faut peu pour que j'ai matière à râler :)
Bonsoir Gwendal,
Excellent billet !
Râler n'est-il pas le propre
du français ?
Le voyage, la navigation et les rencontres n'apportent-ils pas un apaisement et une certaine forme de sagesse ?
Je te souhaite bon match !
Sinon, tu peux larguer les amarres et venir te reposer en France...
on manque de bougons rigolos...
A+
David de Nantes
Tu te decides quand pour ecrire enfin ton bouquin ? Quand tu te seras pose?
Je fais le negre quand tu veux !
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