05°42.135N 55°04.815W
Domburg, Suriname
C'est à Jacaré au Brésil, en
discutant avec mes copains-voyageurs, que l'idée de faire escale au
Suriname m'est venue. Auparavant, je pensais rallier directement
Trinidad à partir de Kourou sans m'arrêter dans ce pays dont je ne
connaissais rien. Enfin, presque rien... Parce qu'en 1988 lorsque je
traînais mes guêtres en Guyane, le Suriname était une poudrière.
A l'époque j'étais jeune, et j'avoue avec un peu de honte que je ne
m'intéressais pas trop de savoir le pourquoi du comment. Il y avait
une guerre civile, les surinamais quittaient le pays par milliers et
se réfugiaient dans des camps en Guyane Française... Bref, la
frontière avec le Suriname, c'était l'endroit où il ne fallait pas
être. A moins de vouloir absolument prendre le risque de se faire
tirer dessus... Et c'est pour ça que je suis parti dans l'autre
sens, vers le Brésil.
Mais revenons à nos moutons. Depuis
2012, deux marinas ont ouvert leurs portes au Suriname, rendant ce
pays un peu plus attractif pour les bateaux de voyage (Bien plus
attractif que la Guyane, croyez-moi !). La promesse d'un endroit
sécurisé et l’intérêt de découvrir un pays inconnu ont fait
que j'ai décidé de suivre les copains et de faire escale au
Suriname.
Mais vingt-sept ans après, je ne
savais toujours rien du Suriname. Rien de rien. Alors, j'ai commencé
à surfer sur le net à la recherche d'informations complémentaires.
Je parle d'informations que l'on ne trouve pas dans les guides
touristiques bien sûr... Et la première chose qui m'a interpellé,
concerne le parcours et la personnalité du président actuel du
Suriname, Désiré Bouterse...
Dési Bouterse |
Comment se fait-il qu'un type,
ex-putschiste, ex-dictateur, condamné par contumace en Hollande à
11 ans de prison pour trafic de drogue et suspecté d'avoir participé
au meurtre de 15 opposants politiques (y compris quelques
syndicalistes et intellectuels au passage), pouvait impunément se
présenter aux élections présidentielles et arriver à se faire
élire deux fois d'affilée ?
Et cette putain de question, j'ai
largement eu le temps de la ressasser puisque moins d'une semaine
après mon arrivée, ma cheville m'a gentiment rappelé que le
tourisme n'était pas fait pour moi... Heureusement, la resto de la
marina est plaisant, et si son wifi ne pète pas le feu il est tout
de même suffisant pour investiguer. Donc, tout en m'imprégnant de
l'ambiance locale, j'ai fouillé le net à la recherche d'infos,
politiques, économiques, religieuses, etc pour tenter de comprendre
ce pays.
Bon, je ne vais pas vous faire un topo
approfondi sur le Suriname car je ne suis pas là pour ça, et vous
non-plus probablement. Si vous voulez en savoir plus, vous n'avez
qu'à taper Suriname sur votre moteur de recherche préféré. Vous y
apprendrez entre autre que le Suriname est un pays grand comme le
quart de la France et dont la population équivaut à celle de la
ville de Nice (550K). Que le salaire moyen est d'environ 800 USD. Que
la population est répartie comme suit : Hindoustanis :
27 % ; Créoles : 18 % ; Javanais :
15 % ; Noirs Marrons : 15 % ; Métis :
12,5% ; Amérindiens : 3,7 % ; Chinois :
1,8 %. Que tous les Surinamais croient en quelque chose et sont
Hindous à 27%, Protestants à 25%, Catholiques à 23%, Musulmans à
20% ; croyances locales 5 %. (Données diplomatie.gouv.fr)
Déjà, quand on voit ces chiffres, et
qu'on a deux sous de jugeote, il saute aux yeux que le vivre-ensemble
ne doit pas être simple. Car même si les ethnies et les croyances
semblent s'équilibrer, rien n'indique qu'elles arrivent à adhérer
à des valeurs, ou à des idées politiques communes. Et c'est
effectivement le cas puisqu'au Suriname les partis politiques ne
représentent pas des idéologies, mais des intérêts ethniques...
Le NPS pour les créoles, le VHP pour les hindoustanies, l'ABOP pour
les Marrons, etc. Les ethnies minoritaires servent de variables
d'ajustement, et le consensus ne s'obtient qu'à coup d'alliances
aussi improbables qu'éphémères.
Ensuite, il n'est pas difficile
d'imaginer que dans un contexte pluriethnique où tout
le monde se regarde en chien de faïence, les plus opportunistes en
profitent pour préférer l'enrichissement personnel au détriment de
l’intérêt collectif... Et c'est ce qui s'est passé.
Le
Suriname obtient son indépendance en 1975. Il s'en suit une émigration massive des habitants, toutes ethnies confondues car
l'indépendance n'était pas forcément du goût de tout le monde. En
l'espace de quelques mois, le Suriname se vide du tiers de sa
population.
Dési Bouterse en 1981 |
Tout
va à peu près bien pendant cinq ans, jusqu'à ce qu'un premier coup
d'état organisé par Dési Bouterse vienne gâcher la fête. Ce
coup-d'état n'a, en fait, qu'un seul et unique but, celui de
contrôler, non-pas les richesses du pays (bauxite, pétrole et or),
mais les filières du trafic de cocaïne qui à cette époque
transitent déjà par Paramaribo. Nous sommes au début des années
quatre-vingt, c'est la guerre froide et les États-Unis sont
tellement préoccupés par leur anticommunisme primaire qu'ils
préfèrent envahir la Grenade (Le Maître de
Guerre avec Eastwood,
ça vous parle ?) que de s'occuper à circonscrire un fléau bien
plus grand qui débarque sur leur territoire via Miami... la cocaïne
(Miami Vice,
ça vous parle aussi ?). C'est l'époque où le Cartel de
Medellín avec à sa tête Pablo Escobar, écoule une grande partie
de sa marchandise à destination des États-Unis et de l'Europe en
passant par les infrastructures portuaires et aéroportuaires du
Suriname. Avec la complicité des autorités surinamaise bien sûr,
car ce trafic génère des milliards de dollars de profit, et tout le
monde veut en croquer...
Le trafic du cartel de Medellín via le Suriname |
Ronnie Brunswijk |
Quelques
années plus tard, c'est la « révolte des
marrons » qui
plongea le pays dans six années de guerre civile (1986-1992). A
l'origine de cette guéguerre, non-pas un sursaut ethnique, même si
au Suriname la composante ethnique entrera forcément en ligne de
compte, comme il est dit dans les guides touristiques, mais une
simple bisbille entre deux anciens associés en affaire, Dési
Bouterse et Ronnie Brunswijk. Six ans et 427 morts plus tard, les
deux ex-associés négocient un compromis et rangent les armes. Les
affaires qui n'avaient cependant pas cessé durant le conflit
reprennent de plus belle.
Dans
les années 90 et jusqu'en 2009, c'est le cartel de Cali qui reprend
le bizness de la cocaïne, et qui profite une fois encore de la
filière surinamaise via le Brésil. Durant cette décennie, 60% de
la cocaïne consommée en Europe a transité par le Suriname. On
parle alors du Suri-cartel.
Le trafic du cartel de Cali via le Brésil et le Suriname |
A
ce stade je me dois de vous inciter vivement à lire ce reportage
extrêmement complet et documenté publié sur le site de RFI dans la
série Pour-Suites, et intitulé Suriname et Cocaïne. Lisez-le,
regardez les vidéos et les interviews, et vous allez comprendre ce
qu'est le Suriname en 2015.
Ça-y-est,
vous avez tout lu et tout écouté ? Non, sérieux, il faut
vraiment que vous le regardiez en entier. Je sais que c'est long,
mais je vous jure que c'est aussi passionnant qu'un polar. Donc, si
vous n'avez pas tout vu, vous y retournez et ensuite vous revenez ici
pour terminer mon article. Allez oust !
C'est
bon ? Ok. Bon franchement, je ne vois pas ce que je pourrais
rajouter à la suite de ce reportage qui est à mon sens un exemple
de journalisme. Tout est dit.
Ah
si ! Je pourrais peut-être ajouter deux ou trois choses, et
notamment répondre à la question que je me posais au tout début de
cet article.
Paramaribo |
Nous
sommes en septembre 2015 et Dési Bouterse vient d'être réélu à
la tête du Suriname. Son fils, Dino Bouterse, croupit dans une geôle
américaine pour trafic de drogue et d'armes, mais le père ne craint
quasiment plus rien puisqu'il bénéficie d'une amnistie votée en
2012 par un parlement à sa botte. Même le mandat d'arrêt
international lancé contre lui par les autorités hollandaises en
1999. est pour l'heure suspendu à cause de ses fonctions
présidentielles...
Alors
bien sûr, il se murmure dans la rue que la plupart des voix ont été
achetées... Et que c'est pour cela que l'état se trouve au bord de
la faillite. Depuis le mois de juin la facture d'eau et d'électricité
a été multipliée par quatre, et la population commence à gronder.
Sans parler des prix du pétrole qui se cassent la gueule alors que
le prix de l'essence à la pompe à augmentée de 13% depuis la
semaine dernière... Bref, je ne serais pas surpris si les choses
venaient à dégénérer au Suriname dans un avenir proche.
Fort Zeelandia, où a eu lieu les massacres de décembre en 1982 |
Donc
voilà le Suriname dans lequel je me trouve. D'après les guides
touristiques, le Suriname serait un petit paradis multiculturel et
écologique, où les ethnies, les religions, les animaux, etc
vivraient en une harmonie multicolore. Le paradis sur terre quoi...
Sauf qu'au bout de quelques jours de présence dans le pays vous
comprenez qu'il n'en n'est rien. Les gens ne vivent pas ensemble mais
les uns à côté des autres, et chacun s'occupe de ses propres
intérêts. Une vraie mosaïque communautariste à l'anglo-saxonne
qui reste, à mon sens, bien loin de ce que devrait être une nation.
En
guise de conclusion, je voulais vous raconter l'étonnement qui fut
le mien lorsqu'il m'a fallu faire mes papiers d'entrée sur le
territoire. D'ordinaire, les marins-voyageurs doivent sacrifier au
rituel de la clearance,
ou des formalités douanières si vous préférez. Sauf qu'au
Suriname les voiliers en sont exemptés. Il n'y a donc pas de
formalités à effectuer.
Cela
vous étonne ? Moi pas.
* Au fait, Welkom bij Suriname, ça veut dire Bienvenu au Suriname !
10 commentaires:
S'il n'y a pas non plus de formalités de sortie, mon hypothèse, en extrapolant de votre fort riche article sur le Surinam, est que cela permet une bienheureuse ignorance structurelles des douaniers à propos de la nature du chargement des voiliers quittant le Surinam.
Comme le douanier de base ne peut pas savoir quelle marchandise est transporté, ou non, par les voiliers, ses chefs et en remontant tout en haut le chef de l'état ne peuvent savoir. Innocence structurelle pour tout le monde donc.
Mais je dois être complotiste.
Popeye
Et tu comptes rester longtemps au "paradis" ? Merci en tout cas pour ce reportage. Je vais aller de ce pas regarder l'autre !
Merci pour ce cours d'histoire Géo fort intéressant. J'aurais au moins pas regardé une merde à la télé ce soir, je n'ai pas la télé ceci dit...
Spontanément je dirai : "Bienvenue aux états Arnaques..Fuis...", mais je réserve ma réponse je vais d'abord voir le documentaire...
A plus et bonne journée
@Popeye : Non,je ne pense que cela soit tiré par les cheveux, hélas. On peut également extrapoler aux 108,000 containers et aux 450,000 tonnes de fret qui transitent par le port de Paramaribo... (2014)
@Vincent : Non, je serais reparti avant la fin du mois.
@Aglaé75 : Merci à toi ! Je fais de mon mieux pour faire autre chose que les "touristes" :)
@Toussaint : Bon visionnage !
L'interro surprise c'est pour quand ?
C'est fou ces petits pays avec une histoire et un présent hors temps (je viens de faire le même boulot sur le Burkina Faso).
Hope everything is on its way ...
Merci Gwen, et bravo pour cet article très intéressant et bien documenté. Il est digne des meilleures pages de "Géo" ; tu as de l'avenir dans le grand reportage ;)
Bonne étape malgré tout !
@hedilya : Il n'y aura pas d'intéro, rassure toi :) Je demande juste qu'on garde ça dans un coin de sa tête... Ça aidera à donner du sens à ce monde.
@Pierre : Géo, comme tu y vas : :) Je fais de mon mieux en tous cas. merci.
Super, ton article! Je vais aller voir plus loin. D'où ils sortent ces hindous en pleine Amérique latine et les Javanais? truc de dingue!
Et tu peux rester combien de temps là-bas? Et pour sortir Ils fouillent le bateau ? :D
@Bateau Loïck : Après l'abolition de l'esclavage en 1863, les planteurs hollandais on fait venir de la main d’œuvre sous contrats des autres colonies néerlandaises. Les Indes et Indonésie. A Paramaribo il y a une statue qui célèbre ces premiers "migrants économiques". Baba et Mai.
Logiquement je ne devrais pas tarder à reprendre la mer. d'ici moins de quinze jours. Et non, tu fais juste tamponner ton visa et tu t'en vas... Après, ce que tu emmènes avec toi, ils s'en tamponnent.
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